Merci à tous ! Pour les reviews, pour les follows et les favoris... Vous êtes supers !
(Ce qui m'a fait rire, c'est que plusieurs d'entre vous se sont dit que Selene serait tirée d'affaire par Ezio... Héhéhé ! Alors, le Mentor, chevalier servant de ces dames, ou pas ;) ?)
Il faisait jour lorsque Selene reprit conscience.
Elle mit du temps à réaliser où elle se trouvait. La lumière l'aveuglait. Elle se sentait faible, sale, elle était mouillée et elle grelottait de froid.
A côté d'elle, le Tibre continuait sa course.
Elle mit un moment à rassembler ses souvenirs. Elle se revit pourchassée, se jeter éperdue dans le Tibre, puis elle se souvint être étouffée par l'eau grise. Elle aurait dû mourir, mais non : à la place, elle était étendue dans la boue. Le fleuve l'avait vomie sur la berge avant qu'elle ne se noie. C'était un coup de chance inouï.
Ses sens commençaient à revenir, lentement, et elle sut bientôt ce qui l'avait éveillé : deux enfants curieux étaient descendus sur la berge inattendue et, intrigués par cette forme humaine qui ne bougeait plus, ils lui lançaient des cailloux pour voir si elle était toujours vivante.
Quand Selene trouva la force de se redresser, une violente quinte de toux l'ébranla les gamins déguerpirent, effrayés de voir un cadavre revenir à la vie.
Car la jeune femme faisait peine à voir. Elle avait le teint pâle, des cernes sous les yeux, deux bandeaux de cheveux noirs emmêlés coulaient sur sa poitrine. Son habit d'Assassin était maculé de vase et de terre.
Elle passa un revers de main sur ses lèvres sèches, se frotta les joues, se tâta pour vérifier qu'elle n'était pas blessée, puis entreprit de se lever. Une fois debout, son corps lui envoya un signal très clair : il n'était que souffrance et suppliait qu'on le laisse tranquille.
« Oui, je sais, encore un peu de patience. »
Elle remonta sur la rive en titubant, et faillit fondre en larmes de bonheur en reconnaissant le Quartier Centro. La Rose Fleurie n'était pas loin, c'était une question de minute avant de trouver la sécurité, un bain, un lit, le repos. Elle joignit les mains, remercia le ciel d'être si clément avec elle, et se mit en route. Elle ignorait l'heure qu'il était jusqu'à ce que le clocher d'une petite église toute proche ne retentît et indiquât huit heures moins le quart du matin.
Selene paraissait si misérable que les gens l'évitaient. On la prenait pour une de ses souillons qui mendient pour manger, et, de ce fait, elle attirait plus le mépris que l'attention. Sa tenue n'était d'ailleurs pas reconnaissable, et elle bénit le Tibre de l'avoir ainsi roulée dans la saleté.
L'imposante stature du bordel émergea soudain entre les rangées de maison. Les volets étaient fermés, la cour calme, la petite fontaine glougloutait gentiment. Selene en profita pour se rincer le visage et les mains avant d'entrer l'eau froide lui donna mal à la tête.
La jeune femme fut bienheureuse de ne croiser personne à cette heure trop matinale pour une maison close, car elle n'avait pas envie de s'expliquer sur son allure lamentable, elle n'était même pas certaine de pouvoir mener une conversation dans son état. Elle monta jusque sa chambre, tira le verrou, se débarrassa de sa tunique, s'écroula sur son lit et s'abîma dans le sommeil.
Elle parut quelques heures plus tard au quartier général et rencontra Machiavelli qui la salua joyeusement :
— Bonsoir, Selene. Félicitations, tu as mis le Château Saint-Ange sens dessus-dessous ! Cesare est hors de lui. J'imagine que tu as trouvé des choses intéressantes ?
Elle se demanda si Cesare pouvait être autrement qu'en furie, au quotidien.
— Oui, je viens justement faire mon rapport au Maître, annonça-t-elle.
— Il est sorti, mais tu peux l'attendre dans son bureau, si tu veux.
Selene ne se fit pas prier. Elle entra dans le cabinet d'Ezio et referma doucement la porte derrière elle.
C'était la première fois qu'elle se retrouvait seule dans cette pièce. D'habitude, l'endroit était toujours pleine de monde : les recrues passaient demander conseil ou prendre les ordres, les Maîtres Assassins assistaient aux réunions, et les complots se fomentaient ici, à voix basse.
Les murs devaient avoir entendu beaucoup de secrets.
Il y avait un bureau recouvert de paperasse, d'un gros registre ouvert et de bougies à moitié fondues, une armoire vitrée près de la porte, une table et deux petits fauteuils installés devant l'âtre. Selene lui trouva une ressemblance avec celui de Cesare Borgia, à la seule différence qu'il n'y avait pas de vase garni sur le chambranle de la cheminée.
Elle s'approcha du bureau et du livre, remarqua la plume que l'on avait mal reposée dans l'encrier Ezio avait dû partir précipitamment. Elle la rangea convenablement, effleura les feuillets dispersés sur la table, puis, lentement, les accoudoirs du siège. Un soupir franchit ses lèvres.
Elle n'avait jamais pris le temps de regarder là où son oncle travaillait quand il n'était pas dehors. A vrai dire, elle y était toujours passé en coup de vent, pressée de sortir de cette pièce qui jadis l'étranglait. A présent, entourée par les objets dont il se servait tous les jours, elle sentait sa présence, et ce n'était plus désagréable.
La porte s'ouvrit, Selene sursauta Ezio entra suivi de Machiavelli. La jeune femme sentit une pointe de déception lui piquer la poitrine en voyant arriver le philosophe. Le Mentor ne pouvait-il pas se déplacer sans que quelqu'un ne le suive à la trace, dans cette fichue Confrérie ?
— Je t'écoute, dit-il.
Selene raconta comment s'était déroulée la mission, comment elle avait malheureusement été repérée et comment elle s'était sauvée. Un sourire moqueur avait étiré la bouche de Niccolo en entendant l'histoire de la chandelle, et Selene lui en voulut. Celui-ci se réjouissait toujours d'une de ses erreurs. Une vieille rancoeur contre les Auditore, peut-être ?
Quant à Ezio, il avait les bras croisés et contemplait les dessins du tapis.
Lorsqu'elle aborda le sujet de ses découvertes, celui-ci releva la tête et l'air suffisant de Niccolo s'effaça.
— Une carte ? souffla ce dernier.
— T'en rappelles-tu assez pour la dessiner ? s'enquit le Mentor.
Selene hocha la tête :
— Peut-être pas avec le parfait détail des frontières et des villes traversées, mais globalement, oui.
Machiavelli ne parut pas satisfait :
— Pourquoi ne l'as-tu pas emmenée avec toi ?
— Parce que Cesare aurait tout simplement changé ses plans s'il s'était douté que nous étions au courant. C'est pourtant clair.
Le philosophe se tut, convaincu, et l'ombre d'un sourire passa sur la figure pourtant impénétrable du Mentor.
— Je peux d'ores et déjà vous dire que c'est le quatrième groupe d'espions qui prendra le chemin de Paris, continua-t-elle.
— On change donc le plan, déclara Ezio avec calme. Autre chose, Selene ?
— J'ai aussi un nom, le nom d'un Français à qui Cesare a certainement écrit récemment. C'était...
Elle hésita, se gratta le front. Elle n'était pas encore parfaitement reposée et sa mémoire lui jouait des tours.
— … d'Amboise, quelque chose comme ça.
— D'Amboise ? Tu veux dire Georges d'Amboise ? essaya Niccolo, en commençant à s'agiter.
La jeune femme acquiesça.
— Qui est Georges d'Amboise ? les interrogea Ezio.
— Un cardinal influent, le principal conseiller de Louis XII, expliqua Machiavelli. Il joue un rôle important dans la guerre.
— On connait la dévotion des hommes d'églises, qu'il s'agisse de Dieu ou de la patrie...
— Donc, si je comprends bien, les Borgia communiquent avec d'Amboise. Reste à savoir s'il est l'intermédiaire entre eux et Louis XII, ou s'il est impliqué secrètement.
Selene intervint :
— Cesare écrit directement au roi de France. Il échange seulement des banalités avec lui. Ou alors il brûle les lettres plus explicites.
Niccolo tapa dans ses mains : les derniers événements prenaient soudain tout leur sens.
— Cela a certainement un rapport avec la mise à pied du Baron de Valois.
— Bene. Je crois que nous avons un début de réponse, conclut Ezio.
Le philosophe prit congé en déclarant qu'il allait se renseigner à propos de ce cardinal français. Selene fut soulagée de le voir partir et de se retrouver enfin seule avec le Mentor. Celui-ci se détendit un peu, bien qu'il gardât toujours cette réserve propre aux chefs cependant Selene sentait bien que même cette réserve et cette discipline qu'ils tentaient de mettre entre eux s'effaçaient petit à petit dès qu'ils étaient tous les deux, seuls, au repaire ou ailleurs.
L'homme s'avança vers elle.
— Je suis si fier de toi, murmura-t-il.
Il l'était. En quelques mois, sa nièce s'était métamorphosée. Il avait du mal à croire qu'il avait devant lui la même jeune femme insupportable et craintive qui était arrivée un matin d'hiver aux portes de Rome. Elle s'était endurcie bien malgré elle, avait encaissé les coups, surmonté ses peurs, et, aujourd'hui, se montrait digne de la lignée comme de la Confrérie.
Il saisit le menton de Selene entre le pouce et l'index, l'examina avec inquiétude.
— Tu as l'air fatigué.
Elle baissa les yeux. Il laissa ses doigts s'égarer sur sa joue, sur sa nuque, chaude et douce à la naissance de ses longs cheveux noirs.
— Repose-toi, lui dit-il. Puis dessine cette curieuse carte, et reviens me voir.
Selene recula lentement. La main d'Ezio glissa sur son cou. Elle s'inclina, le poing sur le cœur, et sortit sans un mot.
oOo
Le même soir, Ezio se rendit à la Rose Fleurie pour consulter le registre que Claudia et sa mère tenaient rigoureusement. Il voulait savoir si le cardinal Georges d'Amboise, qu'il suspectait d'être déjà descendu à Rome pour parler affaires avec les Borgia, ne s'était pas offert les services de quelques courtisanes. L'expérience lui avait appris que la fréquentation assidue des maisons closes était une habitude répandue chez les religieux, et celui-là ne devait pas faire exception.
Il étudia soigneusement l'épais livre des comptes Claudia y notait la date, le nom du client, celui de la fille concernée (ou des filles, pour les plus gourmands) et la somme payée.
Enfin, en remontant le temps, il trouva ce qu'il cherchait.
— Vingt-sept décembre mille-cinq-cent-deux, Monseigneur Georges d'Amboise... lut-il à voix haute.
Il sourit en découvrant le nombre de filles empruntées et d'écus dépensés en une nuit.
« Vieux cochon. »
L'identité n'avait pas été falsifiée, ce qui n'étonna pas Ezio outre mesure qu'y avait-il d'anormal à ce que le conquérant visite les conquis ? De plus, les cardinaux des pays limitrophes se rendaient régulièrement au Vatican, et l'Assassin était sûr qu'en fouillant dans les archives, on trouverait les noms de nombreux ordonnés venus défaire à la Rose leurs vœux de chasteté.
Ainsi, ses suspicions s'avéraient exactes : Georges d'Amboise était venu et avait rencontré Cesare en personne, quatre jours avant l'assassinat des Orsini.
Ce n'était sûrement pas un hasard.
Il déchira un morceau de papier (« Claudia va me gronder »), griffonna un sobre « Si le cardinal d'Amboise revient, préviens-moi. E. », laissa le registre ouvert à la bonne page et se retira.
Au rez-de-chaussée, les premiers clients commençaient à arriver. Les verres tintaient et les musiciens avaient entamé une joyeuse rengaine.
Dans le corridor, l'Assassin sentit une main se poser sur son poignet et l'attirer brusquement derrière les longs rideaux qui bordaient les tapisseries.
Sans surprise, il se retrouva tout contre Selene.
— Qu'est-ce que tu...
— Il Mentore me demande ce soir, je n'aurai pas de temps à te consacrer.
Ezio pouffa, franchement amusé.
— Petite futée...
Il saisit le visage de la jeune femme et l'embrassa délicatement, en souriant contre ses lèvres. Au milieu de cette vie trop sérieuse, il y avait quelque chose de rafraîchissant à jouer comme aux temps des premiers amours, enroulés dans des rideaux de velours pourpre.
Il eut une pensée fugace pour Cristina et leurs jeux d'adolescents, poussa Selene gentiment contre le mur, et approfondit le baiser.
Selene n'avait pas pu résister à l'attirer dans un piège aussi doux. Elle n'avait cessé d'y penser depuis leur entrevue de l'après-midi, obsédée par le souvenir de sa paume brûlante sur son cou. Elle savait qu'il passerait la nuit à étudier la carte qu'elle allait lui amener tout à l'heure, que pour cette raison il ne la rejoindrai pas sur les toits.
Mais maintenant qu'il était devant elle, la frustration l'envahissait. Elle se heurtait à un plastron de fer, à un tissu épais sous lequel on ne devinait pas un muscle, à des gants de cuir froid qui l'empêchaient d'apprécier son toucher. Chaque centimètre de peau était toujours soigneusement recouvert, à l'exception de son visage, quand la moitié n'était pas dissimulée sous son capuchon.
Dans ces moments-là, ils n'étaient pas autorisés à se regarder l'accord s'était conclu tacitement. Mais ici, dans l'atmosphère feutrée des rideaux, dans le lueur faible que renvoyait la couleur, Selene distinguait les traits d'Ezio, jusqu'à la fine cicatrice qui fendait ses lèvres, qui l'hypnotisait, qui attirait irrésistiblement les siennes, comme un papillon de nuit est attiré par la lumière. Audacieux refuge !
Cela ne lui suffisait déjà plus.
La jeune femme s'agrippa à l'épaisse tunique, désemparée elle aurait voulu se blottir contre son corps ferme et chaud, elle aurait tout donné pour le débarrasser de cet acier glacé à travers lequel ne perçait même pas un battement de cœur, et effleurer un peu de lui.
L'armure le protégeait des coups des autres et de ses caresses à elle.
Elle soupira, les poings crispés sur ce plastron sculpté qu'elle haïssait.
— Ezio...
Un délicieux frisson secoua l'Assassin. C'était la première fois qu'elle prononçait son prénom, qu'elle abandonnait ce foutu titre d'oncle et celui trop formel de Mentor. Ce simple appel, son nom dans sa bouche à elle le rendit fou. Le désir lui lacéra le bas du ventre, soudain et violent. Il serra les dents, ferma les yeux. L'once de raison qui lui restait à cet instant se battait contre ce corps insoumis, mais rien n'y fit car Selene, emportée par la même passion, se coulait contre lui, serrait sa jambe entre les siennes, vibrait dans ses bras...
Et Ezio sentait sa volonté faiblir.
— Arrête, la supplia-t-il. Pour l'amour du ciel, arrête...
Selene obéit, étourdie.
Ils s'interrogèrent, les yeux dans les yeux. Il ne fallait surtout pas que la situation dégénère mais elle allait dégénérer un jour ou l'autre, s'ils continuaient ainsi, n'est-ce pas ?
La jeune femme le repoussa, s'arrachant à cette étreinte à contre-coeur.
— Bien. On m'attend, de toute façon.
Elle se glissa rapidement hors de leur cachette, laissant Ezio sortir seul de ce tourbillon, les avant-bras appuyés contre le mur. La gorge de l'Assassin se noua enragé contre lui-même, il frappa du poing la tapisserie brodée d'or, comprenant que ce passe-temps sensuel les ménerait loin, bien trop loin, pour qu'ils en ressortent chacun indemne.
Dehors, il s'était mis à pleuvoir. Ezio reçut l'averse comme une bénédiction. Il repoussa sa capuche la pluie lui martela l'arrière du crâne et lui remit les idées en place. Quand il arriva à la porte du repaire, il reconnut la voix de Leonardo :
— Ah ! Ezio ! Justement, je te cherchais.
L'artiste jaillit de la foule et se précipita vers lui en maintenant son béret sur sa tête. L'averse s'intensifiait. L'Assassin leva des yeux hagards dans sa direction.
— Figure-toi que je reviens de la Rose Fleurie, raconta gaiement l'ingénieur, et on m'a répondu que tu n'y étais pas. Etrange, me suis-je dit, parce qu'avec un temps pareil, j'aurais parié t'y trouver !
Ce trait d'humour, qui aurait habituellement beaucoup fait rire Ezio, ne lui apporta qu'un désagréable frisson. Il invita son ami à le précéder à l'intérieur :
— Entre. Qu'est-ce qui t'amène ?
Leonardo s'excusa d'abord :
— Je viens souvent, je sais.
— Pourquoi n'écris-tu pas ?
— Cesare continue de surveiller mon courrier (c'est qu'il pourrait être plus discret, le bougre), enfin soit. Je ne crois pas être filé, alors je fais les missives moi-même.
Il ajouta :
— Et puis comme ça, au moins, je te vois un peu. Mon atelier aussi est confortable, tu sais ?
Leonardo avait gagné : Ezio se surprit à sourire. Puis le savant en vint au fait et sortit de sa sacoche en cuir une pile de trois morceaux de tissu plié. Il les tendit à Ezio, qui regardait les carrés de toile avec attention.
— J'ai conçu des prototypes de... comment dire... de parachute.
— De paraquoi ?
— Puisque chez vous, les Assassins, c'est une manie de se balader sur les monuments les plus hauts de la ville, j'ai pensé que cela pourrait vous être utile.
D'un geste élégant, il en déplia un.
— Et comment ça fonctionne ? demanda Ezio.
— C'est très simple, dit-il en gonflant d'air cette étrange forme pyramidale. Imaginons que tu sois coincé au sommet du Colisée, une horde de soldats très mécontents collée à ton derrière, qu'il n'y ait absolument aucun moyen pour toi de t'échapper. C'est soit eux, soit le vide. Et bien, avec ça, tu peux choisir le vide !
Leonardo paraissait très excité par sa nouvelle invention. Cette insouciance apparente qu'il gardait à son âge attendrissait son ami.
— Il te suffit de prendre de l'élan, de sauter, de le déployer, et voilà ! Tu flotteras dans les airs pour retrouver le plancher des vaches en douceur !
Ezio n'était pas très convaincu.
— Tu l'as testé ?
— Pas moi, non. Je ne suis pas fou.
Le Mentor éclata de rire.
— Mon jeune... associé... l'a fait, précisa Leonardo.
— Je vois. Combien de côtes cassées ?
— Une seule.
— Ton ratio s'améliore !
Leonardo lui envoya son béret trempé dans la figure.
Puis on frappa à la porte. Ezio sut qui se présentait avant même de répondre.
Comme convenu, Selene apportait la copie de la carte. Elle salua Leonardo avec bonne humeur en remarquant sa présence dans le bureau du Mentor.
Comment faisait-elle, pour agir comme si rien ne s'était passé il y a une heure ? Etait-il le seul à ressentir quelque chose, dans ce couple terrible qu'il formait ensemble ? Cela le mit en colère. Il ignorait encore à quel point Selene souffrait, et quelles forces titanesques il lui fallait déployer pour paraître normale aux yeux de la Confrérie quand il était dans les parages.
Elle lui tendit la carte, et prétexta d'autres travaux à terminer pour s'éclipser.
— Si vous avez besoin de moi, Mentore, n'hésitez pas à m'appeler.
Ezio la contempla tout le temps qu'elle mit à partir, et resta quelques instants à fixer la porte fermée, l'air songeur et triste.
Il pâlit en réalisant que l'artiste le dévisageait. Il lui sembla que ce regard bleu acier, dans lequel toute trace de naïveté avait disparu, lui transperçait le front et pouvait lire à sa guise ses pensées les plus secrètes.
— Pardon, Leonardo, je...
— Je n'ai rien demandé.
Ezio déglutit. Il venait de se trahir tout seul, bien que Leonardo, en premier lieu, ne fût pas dupe. Ce dernier avait trop l'habitude de dissimuler ses propres émois pour ne pas les reconnaître chez son meilleur ami, et saisir à qui ils étaient liés.
Leonardo cligna des yeux, incrédule. C'était tout de même insensé ! Alors, la femme dont ils avaient parlé un soir, c'était...
— Nom de Dieu, Ezio.
L'Assassin passa une main sur sa figure. Le sentiment d'être une personne horrible, enfoui difficilement pendant ces derniers mois, refaisait soudain surface et lui serrait la gorge d'angoisse. Leonardo remarqua son trouble et posa une main rassurante sur son épaule. Ezio tremblait.
— On ne choisit pas toujours, n'est-ce pas ? murmura-t-il.
Un sourire triste étira les lèvres blanches de l'Assassin. Non, en effet : le cœur comme le désir ne se contrôlaient pas et apportaient leur lot de problèmes. Leonardo en savait quelque chose : il aimait les hommes, et lui aussi devait cacher ses amours interdites sous peine d'être emprisonné, banni ou bien pendu. Ainsi, il était peut-être le seul à-même de deviner, de comprendre, et de ne pas juger.
Leonardo posa les parachutes à côté du rouleau de papier, et sortit après une dernière accolade pleine de bienveillance.
