Enfin ! Désolée pour l'attente tout d'abord. Je vous avais promis un chapitre rapidement et j'ai failli...
Bon, pour ma défense, j'étais occupée à vous écrire un long chapitre. C'est peut-être le plus long publié pour l'instant. Alors, je suis pardonnée ?
J'en profite pour vous annoncer officiellement que le prochain chapitre marquera le passage de la fic en Rating M. Vous êtes prévenus...
Bonne lecture, chers lecteurs !
— Alors, de quoi il a l'air, Cesare Borgia ?
La nouvelle fit rapidement le tour de toute la Confrérie : Selene Auditore avait réussi sa première mission en solitaire au bout de seulement quatre mois d'entraînement, et ses amis comme les Maîtres l'avaient félicitée. Ugo lui avait même rendu visite en personne :
— Nos rapports ont mal commencé, chère Selene, et je suis désolé de vous avoir sous-estimée.
Selene se souvenait des mots durs qu'il avait eus pour elle chez Nino et Sandra, mais avec le recul, elle comprenait maintenant qu'ils avaient été nécessaires.
Thomas et Helena avaient donc convié la jeune femme au Renard Assoupi pour trinquer à sa réussite. Le ton de la conversation était léger, et l'Anglaise voulait à tout prix savoir à quoi ressemblait l'ennemi. Elle n'avait pas encore eu le privilège de le rencontrer au cours de ses missions.
— Il est laid. Il était très en colère quand je l'ai vu, expliqua Selene en haussant les épaules.
Puis, voyant où son amie voulait en venir :
— Mais je suppose qu'il peut être charmant quand il est calme.
— Plus que le Mentor ?
Thomas reposa brusquement son verre de vin sur la table et regarda sa sœur d'un air outré.
— Oh, Helena ! Comment oses-tu ?
— Quoi ? s'exclama-t-elle, les joues colorées par l'alcool. Toutes les filles de la Confrérie sont d'accord pour dire que Ezio Auditore est un très bel homme. Il a un succès fou auprès des femmes, depuis toujours. Ce n'est un secret pour personne.
Selene se rendit compte avec horreur qu'une pointe de jalousie lui piquait le cœur.
— C'est irrespectueux de parler de lui comme ça, ajouta Thomas.
— Oh, tais-toi donc, on sait tous que Claudia Auditore te plaît beaucoup, à toi !
Avec Selene, elle éclata de rire en voyant Thomas rougir et se renfrogner sur son tabouret, un peu honteux. Puis Helena se tourna vers son amie.
— Tout de même, ce doit être pénible de voir son oncle autant admirée par la gente féminine. C'est gênant quand c'est la famille.
Les doigts de Selene se crispèrent sur son gobelet.
— Au final, la seule qui ne peut rien prétendre avec ce bel Assassin, ma pauvre, c'est bien toi !
Elle et Thomas rirent de bon cœur, trouvant la plaisanterie excellente. Selene se força à rire aussi pour ne pas hurler.
Helene était un peu saoule, et il n'y avait aucun sous-entendu dans ses paroles. Mais Selene ne pouvait pas s'empêcher de penser que son amie avait cruellement raison, et que pour cela elle était peut-être un sujet de railleries polissonnes parmi les apprenties.
Cette probabilité la terrifia. Si leur liaison, aussi légère demeurait-elle pour l'instant, venait à fuiter, la rumeur se répandrait comme une traînée de poudre et la moitié de Rome serait au courant.
La jeune femme trembla et fut soulagée lorsque la conversation revint sur son exploit et ce qu'elle avait découvert. Helena continuait de parler, tandis que Thomas observait avec intérêt une partie de dés entre un soldat français et un voleur de la Guilde. Le bruit des petits cubes sur le plateau et les cris des spectateurs rythmaient le jeu.
— J'espère que nous aurons encore l'occasion de partager des missions ensemble, avoua Helena. J'ai aimé travailler avec toi. On forme une bonne équipe, tous les trois.
Selene hocha la tête. Elle n'était pas franchement ravie par cette idée, mais elle peut-être qu'elle pourrait mener la mission, maintenant qu'elle avait franchi un échelon de plus.
Le voleur rafla la troisième mise sous une vague de hourras. Selene eut pitié du pauvre militaire français qui venait de se faire détrousser : il pâlit en comprenant que la somme qu'il venait de perdre correspondait à un mois de solde.
— J'abandonne, dit-il en mauvais italien. Ma place est à celui qui pense pouvoir vaincre cette diablerie !
Il quitta son siège et Thomas s'installa à sa place, un sourire narquois sur le visage. En face de lui, le voleur lissa sa moustache, eut un mouvement presque imperceptible pour échanger les dés truqués avec une vraie paire cachée dans sa manche, et le jeu put commencer.
Le pauvre soldat comptait sa monnaie et gardait une œil sur la partie en cours. Quand il vit son adversaire perdre deux coups à la suite, il en conclut que sa bonne étoile n'avait tout simplement pas été avec lui ce soir, et se retira sous les ricanements des Italiens.
— Je vais te dépouiller, Rochester ! s'exclama le voleur en lançant les dés.
Thomas siffla, souffla sur les dés prisonniers de ses mains jointes, les jeta au centre, et rangea dans sa tunique les florins posés sur le plateau. Helena l'encourageait, mais Selene n'écoutait plus.
Maintenant qu'ils avaient tous les trois parlé du Mentor, il lui était impossible d'en détacher ses pensées. Il devenait une obsession dont elle ne parvenait pas à se défaire. Où était-il ? Que faisait-il en ce moment ? Elle ignorait l'heure. Les pluies du mois de mars tambourinaient férocement sur le toit ; le temps parfait pour s'étreindre bien au chaud derrière des rideaux, en somme.
Selene émergea au son de la voix de Thomas et retrouva avec ennui l'ambiance bruyante de l'auberge. Le jeune homme balançait une petite bourse en cuir devant son nez le jeu était terminé, le voleur ruiné avait déclaré forfait.
— Une dernière tournée ?
Selene accepta une bière, puis ils sortirent. L'averse continuait. Les trois amis rentrèrent rapidement au repaire, et Selene se glissa avec un soupir d'aise sous les couvertures de sa couchette. Alanguie par la bière, elle n'eut aucun mal à s'endormir.
Au petit matin, la pluie s'était arrêtée. N'en subsistaient plus que de gros nuages gris et blancs au-dessus de leur tête ainsi qu'un mince filet de brouillard. Niccolo les envoya tous les trois, ainsi que les recrues de leur niveau, aux baraquements d'Alviano. Les mercenaires et Bartolomeo les attendaient pour leur enseigner des méthodes de combat un peu plus poussées, et les premières notions de tir à l'arbalète.
— Je n'aurais pas dû boire autant hier soir, grommela Helena. Je ne vais jamais réussir à viser.
— Au contraire, peut-être que ça t'aidera, la taquina Selene. Tu n'es pas très douée aux jeux d'adresses quand tu es sobre.
L'Anglaise l'insulta ; elles rirent. Selene se sentait bien. Les plaisanteries de ses amis l'aidaient à oublier ses malheurs, à calmer ses pensées à propos d'Ezio, et à songer à autre chose qu'au travail. Son âme meurtrie prenait son temps pour guérir, mais elle y arrivait grâce à eux.
A la caserne, les leçons d'escrime et de combat à mains nues devenaient de plus en plus difficiles. Bartolomeo avait sélectionné les apprentis les plus doués pour passer au niveau supérieur : les recrues ne se trouvaient non plus face à des mannequins de paille ou à d'autres recrues aussi maladroites qu'elles, mais face à des mercenaires expérimentés qui les jaugeaient en ricanant.
Selene n'était pas intimidée. Elle défiait son adversaire en lui renvoyant la même mine moqueuse. Elle savait que son allure frêle lui donnait un avantage : on ne se méfiait pas assez. Si elle avait réussi à berner le Mentor lui-même, alors elle pouvait berner tout le monde.
A la seconde où Bartolomeo leur fit signe de commencer, une grande clameur retentit derrière les fortifications des baraquements. Mercenaires et novices se tournèrent comme un seul vers les larges portes.
Ils regardèrent avec stupéfaction les militaires de la Garde Papale flanqués de soldats français pénétrer dans la cour en criant.
Et les mercenaires, incrédules, considéraient sans y croire le petit groupe constitué des leurs qui entraient avec leurs ennemis et refermaient les portes derrière eux.
Bartolomeo comprit immédiatement ce qui était en train de se passer. Scalabrino avait reçu la punition qu'il méritait, mais sa parole et ses pièces d'or avaient bien fait leur travail : les traîtres et leurs nouveaux alliés s'apprêtaient à un massacre. Les recrues n'étaient pas encore assez entraînées pour rivaliser avec la Garde Papale elle-même. Il empoigna un de ses mercenaires et lui hurla :
— Va prévenir les Assassins ! Vite !
Le mercenaire ne se fit pas prier et disparut derrière le bâtiment.
L'incrédulité céda à la panique ; il y eut un mouvement de recul devant ces hommes qui accouraient vers eux, l'épée pointée vers le ciel.
Selene se rapprocha de Thomas et d'Helena. Ils tremblaient un peu ; Selene avait perdu son assurance devant l'imposante stature des militaires. Elle savait qu'elle ne pouvait pas grand-chose contre eux. Ils étaient trop nombreux, et trop forts.
Cependant, elle n'eut pas le choix.
Les soldats de Cesare et les Français se jetèrent sur eux, les lames s'entrechoquèrent, et les premières victimes s'effondrèrent sur le sol, percées de part en part.
Que pouvaient des novices sans armure contre des mastodontes couverts de fer ?
Selene leva le bras juste à temps pour parer l'épée d'un soldat français, décorée d'une fleur de lys et gravée d'un L élégant ; le brassard de la lame secrète encaissa le coup. La jeune femme recula en poussant un cri, l'onde de choc se répandit dans son avant-bras jusqu'au coude. Elle reconnut soudain son adversaire : il s'agissait du Français dont la déconvenue avait amusé toute l'auberge la nuit dernière. Le jour levé, l'imbécile prenait sa revanche sur le peuple occupé.
Autour d'eux, le chaos : Thomas et Helena avaient disparu dans la masse informe que formait les combattants, l'odeur ferreuse du sang frais mêlée à celle de la terre piétinée pénétrait les narines. Selene tira son épée, prête à se mesurer au Français, quand la voix tonitruante de Bartolomeo retentit dans la cour :
— A l'intérieur ! Tout le monde à l'intérieur !
Ceux qui le purent se dégagèrent de leur duel et se ruèrent dans les baraquements. Ils peinèrent à condamner les portes, poussés par les soldats malgré la défense des mercenaires restés dehors. Bartolomeo, qui voyait avec douleur ses hommes et les recrues tomber, défendait furieusement sa caserne ; Bianca tourbillonnait au-dessus de sa tête et fendait les crânes.
Il fut le dernier à se mettre à l'abri et appela les troupes à consolider la double-porte ; tout ce qui pouvait faire barrage devait être utilisé. Il savait cependant qu'elle ne tiendrait pas longtemps, ce n'était qu'une question de minutes avant que le bois ne craque.
oOo
Le mercenaire remonta vers la ville, courant à en perdre haleine. Après une course qui lui parut durer une éternité, il parvint enfin sur l'île Tibérine et entra comme un boulet de canon dans le calme repaire.
— Où est-il ?
Un Assassin indiqua la direction de la bibliothèque sans dire un mot, intrigué par une telle intrusion.
— Ezio ! La caserne est attaquée !
La voix du mercenaire résonna dans la bibliothèque. Le Mentor chancela.
— Qu'est-ce que tu dis ?
— La Garde Papale... contre les recrues... besoin de renforts, articulait le mercenaire à bout de souffle.
Ezio abandonna son étude et traversa le repaire à toute vitesse en ordonnant à tous ceux qui s'y trouvaient de filer aux baraquements d'Alviano sur-le-champ.
— Prenez tous les chevaux nécessaires, volez-les s'il le faut, mais je veux tout le monde là-bas au plus vite !
Il n'y avait pas une seconde à perdre. Ezio devait penser au bien de la Confrérie et de ceux qui avaient grossi ses rangs, mais il ne pouvait empêcher son esprit de se focaliser sur Selene. Elle était là-bas, il le savait. Il l'avait vue partir ce matin.
Il s'empara d'un cheval au relais et le talonna brutalement ; la monture lança un hennissement et partit au triple galop.
oOo
Selene avait retrouvé Thomas et Helena à l'intérieur du fort. Parmi les recrues, il n'y avait que peu de rescapés.
— Vous n'avez rien ?
Thomas secoua la tête. Le sang qui couvrait un côté de sa tunique n'était pas le sien. Tétanisés, ils fixaient la double-porte qui menaçait de céder à tout moment.
— Les arbalètes ! En haut !
Bartolomeo distribuait les ordres rapidement et clairement, en continuant de veiller la porte. Celle-ci grinçait sur ses gonds, s'ébranlait en soufflant de petits nuages de poussière, malmenée par leurs ennemis enragés. Et les armes qui devaient initialement servir aux cours étaient posées contre le mur circulaire, déjà chargées.
— Toi, et toi, dit le maître d'armes en désignant deux de ses meilleurs mercenaires. Vous tirez dans le tas depuis là-haut avec les nouveaux. Les autres, vous restez avec moi !
La leçon de tir allait se passer de théorie. Selene, Helena et trois autres Assassins se pressèrent derrière les mercenaires, et grimpèrent au sommet du mirador.
Un des mercenaires se mit en joug et incita les recrues à faire de même.
— Si vous le pouvez, dit-il, visez la tête.
Les premiers tirs percèrent les armures et semèrent la confusion parmi les troupes ennemies. Les armes de trait étaient quelque chose que les soldats de Cesare n'avaient pas prévu. Ils redoublèrent d'efforts, poussant de toutes leurs forces contre la porte ; quelques poussées supplémentaires et elle craquerait.
Quant aux autres, leur salut résidait maintenant dans la capacité à recharger vite et à tirer juste. Malheureusement, ils étaient trop peu et les recrues manquaient d'adresse. On ne s'improvisait pas arbalétrier.
Selene s'empêtrait dans le mécanisme, lorsqu'un bruit de tonnerre retentit dans la cour. Le mirador trembla, et des hourras résonnèrent en contrebas. La porte était brisée, l'ennemi était entré, et les mercenaires passés du côté des Templiers commençaient à escalader la tour, leur lame entre les dents.
Coincée sur ce mirador étroit, la jeune femme sentit la terreur lui serrer la gorge. Un champion de la Garde Papale n'aurait besoin que de quelques secondes pour les embrocher un par un. Il n'y avait pas beaucoup d'autres issues possibles à cet affrontement.
Soudain, une dizaine de silhouettes blanches apparurent sur les fortifications et coulèrent le long des murs. Helena les remarqua la première, et sa voix se cassa sous l'excitation.
— Le Mentor est arrivé !
Selene poussa un cri de joie en voyant les Assassins se précipiter sur les gardes pour les défendre, en reconnaissant Ugo et Vittorio dans la foule, et en apercevant Ezio qui abattait d'un geste précis un soldat de la Garde.
Les traîtres avaient stoppé leur ascension et, suspendus aux poutres, observaient avec crainte leurs alliés d'autrefois s'infiltrer dans la caserne.
Selene lâcha son arbalète et dévala les escaliers.
Malgré toute la hâte qu'il avait mis à rejoindre les baraquements, Ezio avait le sentiment d'arriver trop tard. La vision des novices qui gisaient sur le ventre décupla sa colère : il chargea le premier soldat sur son chemin et lui enfonça sa lame secrète dans le cœur.
Ezio venait avec une dizaine d'Assassins, dont les meilleurs de la Confrérie. Il espérait que cela suffirait.
Il se demanda comment un tel désastre avait pu arriver. Si Cesare commençait à les attaquer de front, c'était qu'il cédait soit à la peur, soit à l'impatience. Restait à savoir qui avait amené ses troupes ici.
La réponse ne se fit pas attendre : derrière lui quelqu'un passa un bras autour de sa gorge, cherchant à l'étrangler et à le faire tomber. Le Mentor eut envie de rire : pensait-on vraiment pouvoir le mettre hors d'état de nuire avec une technique aussi simple ? Il se dégagea aisément en se retournant, Ezio attrapa son agresseur par le col, reconnut les yeux gris de Ricardo Mancini, et tomba des nues.
— Toi ?!
Mancini était le bras droit de Bartolomeo depuis plus de dix ans. Le maître d'armes le considérait comme son plus fidèle mercenaire, il l'avait toujours traité comme un ami, comme un membre de sa famille plutôt que comme un combattant sous ses ordres.
Aujourd'hui, Bartolomeo était remercié pour sa confiance. Qu'avait bien pu promettre les Borgia pour que Ricardo Mancini change de camp après des années de loyaux services ? S'il y avait un homme dont personne n'aurait soupçonné la trahison, c'était bien lui.
Ezio fixait le traître, incrédule. Ces trois secondes de stupéfaction furent la faille dont profita Mancini : celui-ci lui décocha un spectaculaire crochet du droit. Ezio le lâcha ; l'os de sa pommette craqua sous la violence du coup.
Le Mentor poussa un rugissement de colère, dégaina ses deux lames secrètes et bondit sur Mancini, prêt à en finir.
Helena, Selene et Thomas s'étaient précipités dans la cour. L'apparition de leurs confrères leur redonnait le courage qu'ils avaient perdus ; les recrues avaient subitement l'impression d'être invincibles.
La voix tonitruante de Bartolomeo résonnait au-dessus du claquement des épées, haranguait ses troupes en constatant que l'ennemi perdait du terrain.
— Repoussez-les !
Les carreaux d'arbalètes sifflaient dans l'air et ne manquaient jamais leur cible.
Si les soldats de la Garde Papale semblaient inébranlables, il n'en était pas de même pour les militaires français et les mercenaires enrôlés. Certains s'étaient enfuis en réalisant qu'ils ne gagneraient pas. Le combat se terminait, les soldats du Pape se retrouvaient seuls, abandonnés par leurs alliés. L'avantage demeurait aux Assassins.
La mêlée sépara Helena et Thomas, qui se battaient dos à dos pour se protéger l'un l'autre. L'Anglais vit avec horreur sa petite sœur disparaître au milieu d'un groupe de mercenaires, puis aperçut avec soulagement qu'Ugo Ubaldi et Selene volaient à son secours.
Il relâcha sa garde pendant deux secondes.
Thomas ne cria pas quand le glaive lui transperça la poitrine. Il s'étonna de la douleur, de la brûlure intense du fer glacé qui déchira ses chairs et ses poumons. Il tomba à genoux, en silence, porta une main tremblante à la plaie au milieu de son torse en réalisant qu'il ne pouvait plus respirer. Le sang coula en un mince filet sur sa bouche et son menton.
Il s'était imaginé mourir pour la Confrérie, un jour, après de longues années à son service. Pas de cette façon, pas à un rang encore si inférieur. Il se décevait lui-même, et décevrait son père, qui lui, au moins, avait eu le temps de devenir Maître Assassin.
Thomas entendit sa sœur crier son nom, quelque part dans la bataille, et mourut avant d'avoir touché le sol.
Ezio n'avait pas encore repéré Selene. Il ne la reconnaissait pas dans les recrues qu'il apercevait en train de se battre, aidées par leurs confrères, et il craignait de la trouver en retournant les cadavres lorsqu'il compterait les morts. Ricardo Mancini remarqua son inquiétude, et s'en réjouit.
— Tu vas perdre, Auditore. Aujourd'hui, ou plus tard, mais tu perdras, grinça-t-il.
Le mercenaire profita du trouble du Mentor, et, avant de tirer son épée de son fourreau, le frappa de nouveau au visage pour l'étourdir. La lèvre d'Ezio se fendit ses idées se remirent en place lorsqu'il goûta le sang sur sa langue.
Ezio ne se rappelait que trop bien comme l'angoisse et la peur lui avaient nui quelques mois auparavant. Il en gardait une cicatrice blanche qui serpentait sur son flanc.
Alors il se reprit. Il n'avait pas l'intention de tuer le mercenaire. C'était le rôle de Bartolomeo, pas le sien. Il fallait qu'il épuise Mancini, qu'il l'affaiblisse, le soumette. S'il ne se déconcentrait pas, cela irait vite.
Ezio blessa le mercenaire à maintes reprises ; les lames secrètes dansaient autour de Mancini qui ne pouvaient éviter les éviter et porter des coups en même temps. Plusieurs fois les lames secrètes glissaient dans un crissement sur le métal de l'épée en produisant des étincelles, et allaient se ficher dans les muscles de ses bras et de ses jambes.
Le visage d'Ezio se fermait petit à petit. Il ne jouait plus.
Mancini connaissait l'art du combat, mais il n'arrivait pas à la cheville du Mentor. Il le comprit assez vite, et une petite partie de son cerveau commençait à entrevoir sa déroute.
Dans un dernier élan d'espoir, Mancini joua sa dernière carte : il saisit un petit poignard coincé sous son ceinturon et le planta dans la cuisse d'Ezio.
Le Mentor serra les dents, fit un effort surhumain pour ignorer la douleur et se taire. Le moindre gémissement aurait plu à Mancini, et il était hors de question de lui donner cette satisfaction. Fou de rage, il décida qu'il était temps de l''annihiler. Sans prendre le temps de retirer le couteau de sa cuisse, il envoya son poing dans l'estomac de Ricardo, celui-ci se courba, Ezio lui brisa le nez contre son genou, le redressa, et appuya la lame secrète sur sa jugulaire.
Les deux hommes s'arrêtèrent, haletant, l'un soumis, l'autre grand et fier comme une Victoire.
Mancini était vaincu, la bataille terminée. Les derniers traîtres et quelques soldats de Cesare qui se battaient encore lâchèrent leurs armes et se rendirent en voyant le chef abdiquer. D'autres, assis sur leurs talons, les mains derrière le dos, s'attendaient à être exécutés dans les prochaines minutes.
Le silence retomba, et chacun put mesurer l'étendue du massacre. Dans la stupeur générale face au nombre de corps qui recouvraient le sol de la cour, on entendit plus que le murmure des respirations, et les pleurs d'Helena qui berçait doucement le corps de Thomas.
Selene restait en retrait, sa figure blême dissimulée sous son capuchon. Elle n'y croyait pas : Thomas n'avait pas pu mourir. Il allait se relever, dire qu'il s'était évanoui, qu'il se sentait mieux, et rassurer tout le monde. C'est ce que Thomas faisait : il rassurait toujours tout le monde.
Mais Thomas ne se releva pas. Il resta désespérément immobile, sa grande silhouette allongée sur la terre battue, sa petite sœur inconsolable penchée vers lui. L'épée qui avait servi à le tuer était tombée à côté de lui ; la lame était encore humide de son sang.
La jeune femme écarquilla les yeux. L'arme était frappée d'une fleur de lys et de la lettre L.
La vérité la heurta de plein fouet : oui, Thomas était mort, leur trio et leur amitié étaient détruits, et c'était la faute d'un individu maudit dont elle avait déjà croisé la route, pas plus tard que la nuit dernière. Et celui-ci se tenait debout, penaud et enfin vaincu ; mais il avait eu le temps de prendre une vie qui lui était chère quelques minutes avant la capitulation.
A la vue du Français, la fureur de Selene ne connut plus de limites.
Elle se lança sur lui en hurlant, le plaqua au sol, et roua son visage de coups. Trop ébahi pour réagir, celui-ci se laissait faire.
— J'aurais dû te tuer cette nuit, bastardo !
Et dire qu'elle avait eu pitié de lui, de sa défaite, de son argent perdu ! Si seulement elle avait su ! A cet instant, la culpabilité l'engloutissait, la balayait comme une vague. C'était de sa faute si Thomas était mort, parce qu'elle n'avait pas su voir, pas su savoir, que c'était précisément cet envahisseur chétif qui aurait la peau d'un des Assassins les plus prometteurs de son temps, et l'un de ses seuls amis en ce monde.
Il lui sembla qu'Helena ne pourrait jamais lui pardonner.
— Bastardo ! Bastardo ! Pezzo di merda !
Hystérique, Selene fracassait ses phalanges sur la face du soldat, qui se mit à saigner abondamment, l'arcade sourcilière éclatée et le nez cassé. Elle déversait toute sa rage, tout son chagrin dans ses coups de poings, ignorant la douleur de ses propres os. Et cela aurait pu durer encore longtemps si Ezio ne l'avait pas saisie par les épaules pour la forcer à se relever.
— Ça suffit, maintenant.
Selene dodelinait de la tête, accablée, submergée par cette vague dont l'écho recouvrait jusque les sons alentours. Ezio connaissait cet état pour l'avoir vécu à ses débuts ; il se revit hurler sur le cadavre de Vieri de' Pazzi. Il l'attrapa par la mâchoire et la força à le regarder.
— Ça suffit.
A travers ses larmes, Selene distingua les traits de son oncle. Elle reconnut sa voix, calme et ferme ; elle fit taire le bruit du ressac.
Ezio avait repris son sang-froid. Il s'avança vers Mancini, que Bartolomeo tenait à genoux à côté de lui. Le Mentor regarda le mercenaire avec mépris le traître jaugea l'œil au beurre noir qu'il lui avait collé, et ricana doucement.
Un sourire sans joie étira la bouche d'Ezio. Qu'il le nargue, s'il avait envie. C'était son dernier plaisir.
L'Assassin interrogea Bartolomeo :
— Veux-tu le faire toi-même ?
Le maître d'armes acquiesça. C'était son devoir d'exécuter les parjures parmi ses rangs. Il se plaça derrière Mancini, leva son immense épée, les mains jointes presque solennellement autour du pommeau ; la pointe de la lame brilla un instant dans la lumière du soleil, puis transperça Ricardo à la jointure de l'épaule et du cou. Et Ezio récita les mots usuels, qui, ce jour-là, lui brûlèrent la gorge :
— Resquiescat in pace.
Mancini s'écroula, face contre terre.
