Encore un court, mais cette fois, je vous en sers deux pour le prix d'un ! J'ai préféré les séparer, pour une continuité plus claire...
Et comme toujours, merci à ceux qui me suivent encore !


Aussitôt la Confrérie, sûre d'elle, hâta ses préparatifs.

Ezio alla trouver Ugo Ubaldi pour lui confier les rênes de l'expédition ; celui-ci en fut honoré, car le Mentor se déplaçait rarement en personne pour distribuer les rôles.

Ugo s'inclina bien bas, le cœur plein d'une fervente gratitude. Il avait prié pour participer à cette dangereuse et ô combien importante mission, et voilà qu'il était exaucé. C'était un gage de confiance extrême que d'être nommé, et chef de surcroît.

— Merci, Mentore.

Ezio sourit et posa une main amicale sur son épaule. Il aimait bien Ugo : celui-ci était un exemple de dévouement, de sagesse, de force, et la décision, encore secrète, de lui passer un jour le titre de Mentor, n'avait pas changée.

Vittorio Vitelli manquait à l'appel ; on le supposa en filature quelque part. Quand il revint, à la nuit tombée, Ezio le convoqua et lui annonça qu'il seconderait Ugo à Paris.

— Vous formez un duo efficace et vous avez prouvé votre valeur bon nombre de fois, déclara-t-il. De nouveau je vous fais confiance, je sais que vous mènerez cette mission à bien.

Vittorio mima une courbette en signe de respect.

— Nous ne vous décevrons pas, Mentore.

Ugo cueillit son ami dans un couloir du Repaire.

— C'est formidable, n'est-ce pas ? lança-t-il avec enthousiasme. Toi et moi, comme au bon vieux temps !

Mais Vittorio gardait sa mine renfrognée :

— Ne t'emballe pas, nous serons trois.

— Oui, et alors ? Ça ne change rien. Je suis heureux de partir avec toi.

— Si tu le dis.

Vittorio s'éloigna et Ugo se tut. Vittorio n'était plus le même depuis que cette flèche maudite l'avait blessé. Il en gardait une légère séquelle, soit une épaule parfois douloureuse et un peu plus raide que l'autre qui ralentissait certains mouvements au combat, mais rien de bien grave. Ugo devina que sa convalescence chez Nino n'avait pas dû être drôle tous les jours ; on guérit moins bien près de gens qui ne vous aime pas. Puis il y avait eu l'embuscade, la mort du condottiere Vitelli... La vie de Vittorio s'en trouvait chamboulée.

Ugo était triste, cependant il ne désespérait pas. Son ami avait besoin de temps, et bientôt il redeviendrait le jeune homme jovial et sarcastique qu'il avait toujours connu.

Vittorio devait s'éloigner de Rome. La mission à Paris aiderait, lui changerait les idées. Ugo en était sûr.

En attendant de connaître le nom de leur dernier coéquipier, les deux Assassins adoptaient leur routine favorite : l'étude du parcours, dont les chemins pour contourner les cités ainsi que les éventuels raccourcis ; l'entraînement au combat ; mais surtout le repos. De leur plein gré ils s'éloignaient quotidiennement du Repaire et de sa nervosité sous-jacente ; Ugo pensait que le travail d'équipe nécessitait aussi une préparation solitaire. Ainsi il méditait beaucoup. Et Vittorio tentait de l'imiter.

Selene observait ce petit monde s'affairer, et cela lui rappela sa propre expédition à travers la région, celle qu'elle avait menée toute seule à la recherche de son père. Elle regrettait presque cette période d'excitation qui avait précédé son départ, définitif malgré lui, et sa vie d'aujourd'hui. Elle savait comme un voyage pouvait s'avérer désastreux, et elle avait une idée des sentiments paradoxaux qui agitaient l'esprit d'Ugo et de Vittorio, entre griserie et inquiétude.

Cela ramena de beaux souvenirs et du vague à l'âme.

La nuit, la jeune femme gardait sa fenêtre ouverte. Ezio, d'une ponctualité sans faille, apparaissait précisément cinq minutes avant minuit. Si le clocher de l'église sonnait sans qu'il ne soit venu, Selene refermait tranquillement sa fenêtre et s'endormait sans l'attendre.

La plupart du temps il arrivait, et Selene, les yeux fermés, l'écoutait se faufiler à l'intérieur de sa chambre. Elle reconnaissait chaque son, et elle devinait, en ne distinguant qu'une ombre, ce qu'il était en train de faire.

D'abord la tunique bruissait légèrement contre l'encadrement de la fenêtre, qu'Ezio refermait avec précaution derrière lui en actionnant le loquet. Puis il y avait un léger cliquètement de boucles, suivi d'un son râpeux d'une ceinture que l'on défait. La tunique bruissait de nouveau tandis qu'il la déposait sur le petit fauteuil, les brassards produisaient un son mat contre le bois vernis du petit secrétaire, les bottes retombaient un peu lourdement sur le tapis, et après, seulement après, Selene sentait le corps chaud d'Ezio s'allonger sur le sien et sa bouche chercher la sienne à tâtons sur sa peau.

Il souriait contre ses lèvres quand ses paumes la découvraient déjà nue sous les draps.

Cette nuit-là, éclairée par une faible rayon de lune, Selene regarda Ezio dormir. Il dormait comme il n'avait plus dormi depuis longtemps, épuisé par l'effervescence de la Confrérie, toute concentrée sur le prochain périple en France. Elle seule avait le privilège de le voir ainsi, dans la faiblesse de son beau corps relâché, ses cheveux noirs ébouriffés et les traits détendus. En ces quelques heures de pénombre le Mentor se montrait à la fois paisible et terriblement vulnérable.

Selene craignait le départ d'Ezio. Car il était prévu que le Mentor délègue le commandement de la Confrérie à Machiavelli et Claudia pour un laps de temps qu'il n'avait su prédire. Le voyage jusque Paris serait long, semé d'embûches, et pour la première fois Selene songea à la séparation comme une souffrance et non plus comme un soulagement.

Elle aimait Ezio aussi fort qu'elle l'avait haï au début, et la seule pensée qu'il pût l'oublier sur les routes, aussi longtemps qu'il fût parti, la terrorisait.

Que deviendrait-elle, seule au milieu de Rome ? L'angoisse la saisit à la gorge.

Sous la raison du cœur, sa conscience lui murmurait, presque inaudible, qu'il en serait certainement mieux ainsi.

— Qui as-tu désigné, pour accompagner Ugo et Vittorio ? avait-elle demandé.

Ezio avait eu quelques difficultés à choisir, surtout après les pertes conséquentes lors de l'attaque des baraquements d'Alviano.

— Valentino Virga, avait répondu Ezio. Le nom ne te dira rien.

Selene avait haussé les épaules. Non, elle ne connaissait pas Valentino. Elle ne se rappelait même pas avoir croisé qui que ce soit qui portât ce nom-là.

— Il est discret, agit tout seul et vagabonde souvent à la recherche d'informations. Il est une bonne paire d'oreilles. Les autres ont plutôt intérêt à l'avoir près d'eux, là-bas.

Selene n'était pas assez entraînée pour faire partie de l'expédition finale ; par conséquent, celle-ci ne la concernait plus. Elle était retournée prendre ses leçons de combat et d'infiltration. Cela l'ennuyait un peu après l'intensité de ces dernières semaines, et elle regrettait d'être encore au stade d'apprentie puisque cela lui valait d'être soudain mise de côté.

Néanmoins elle avait retrouvé Helena, avec qui elle formait maintenant un binôme sur diverses opérations de filature ou de vol ; avec leurs mines charmantes, elles détroussaient habilement les comtes et les ducs de passage dans le centre-ville, et rapportaient un précieux butin qui servirait aux futurs voyageurs.

— Mon frère aurait été intenable, lâcha Helena un jour, alors qu'elles comptaient les pièces dérobées.

Selene sourit. Son amie avait raison : au fur et à mesure que la date du départ approchait, le jeune homme aurait fait tout son possible pour se rendre utile et aurait rêvé, lui aussi, avec toute l'ambition et la passion qui l'animaient, de défis mystérieux et de quêtes lointaines.

Elles n'avaient pas besoin de mots pour se raconter tout cela : elles pensaient toutes les deux la même chose.

Helena éclata en sanglots au-dessus de l'or étincelant.

— Il le méritait. Il le méritait tellement, Selene. Il aimait la Confrérie plus que moi.

Jamais plus elles n'évoquèrent Thomas.