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L'épisode malheureux de l'auberge compliqua le reste du voyage jusqu'aux abords du territoire français.
La nouvelle fit rapidement son chemin : quatre Assassins, aperçus pour la dernière fois dans les environs de Gênes, avaient tué soldats français et italiens et mis le feu sur le lieu de leur crime. Leur signalement avait fait le tour des postes frontaliers et le plan initial du quatuor s'en trouvait perturbé : s'ils se présentaient aux douanes, on les attraperait à coup sûr.
Dès lors, ils changèrent de stratégie. Ils vendirent leurs montures au marché, firent quelques provisions et partirent à pied par les bois. Il fut décidé qu'ils franchiraient la frontière par la forêt, au milieu de la nuit.
Le groupe avançait principalement de nuit, n'allumait plus de feu même en plein jour afin de se garder des fumées et des odeurs de nourriture, ne dormait que quelques heures au lever du soleil. Selene, peu habituée à de telles conditions, souffrait du manque de sommeil et des courbatures que les longues heures de marche lui laissaient. Épuisée, elle avait souvent froid, et elle se remémorait avec douleur la chaleur des grands feux des salons de la Rose Fleurie.
Lorsqu'elle était autorisée à s'allonger, elle essayait toujours de profiter d'une sieste dans un rayon de lumière, là où les feuilles et la terre étaient sèches. Le soleil d'été parvenait à la réchauffer ; elle appréciait l'instant présent et oubliait quelques heures qu'elle couchait à même le sol humide des sous-bois.
Ses précédentes missions l'avaient endurcie, mais celle-ci était incomparable. Selene serrait les dents et encaissait ; au moins les maux de son corps recouvraient ceux de son âme, et si ses pensées revenaient parfois à Ezio, celles-ci demeuraient confuses, comme floutées par la fatigue. Lorsqu'elle dormait, elle ne rêvait pas.
Selene n'avait connu que la ville, la campagne et la route. Elle se retrouvait pour la première fois au milieu de la nature. En imitant ses compagnons, elle apprit à se repérer quand les environs se ressemblaient toujours, à reconnaître les sons et les bruits de la forêt, à se cacher et à avancer avec précaution pour ne pas signaler sa présence. Bientôt, le quatuor fut si silencieux qu'il croisa biches et chevreuils au crépuscule comme à l'aube.
Selene traversa des ruisseaux d'eau claire où elle étancha sa soif, sut différencier les plantes et baies comestibles et celles qui rendent malades et qui tuent.
Les jours se succédaient, identiques,
La forêt semblait s'étendre à l'infini. Clairières, fourrés sombres et bois clairsemés le paysage changeait constamment tout en restant le même. L'ombre des arbres les préservait de la chaleur de l'été, et l'odeur de la végétation et des frênes chauffés par le soleil était délicieuse. Selene se raccrochait à ses sensations agréables lorsque la fatigue devenait difficile à supporter. Le silence ne la dérangeait plus, et elle se demanda même comment elle avait pu supporter la cacophonie constante de la grande ville de Rome.
Dans la forêt, les frontières n'existaient plus. Au bout de quelques temps, Vittorio posa la question à Ugo, alors qu'ils avançaient de nuit :
— Crois-tu que nous sommes passés en France ?
— Probablement, répondit Ugo. Nous devrons changer de cap d'ici peu.
Il n'était plus question de passer par Arles pour remonter vers le nord et contourner Lyon. Ugo était formel : il fallait éviter les terres françaises autour de la Méditerranée, trop fréquentées, quitte à ajouter au périple quelques jours de route. La Via Francigena serpentait entre les montagnes et perçait le val d'Aoste, surveillé lui aussi, le duché de Savoie étant allié à Louis XII dans cette guerre contre l'Italie. Mais les montagnes offraient plus de cachettes que les routes commerciales.
Selene s'étonna de se réjouir de la nouvelle : avancer en forêt lui plaisait, elle n'était pas pressée de retrouver les routes pavées et leurs voyageurs hagards. Parfois, l'idée même de la mission avait un goût d'irréel : elle oubliait qu'elle montait vers Paris pour y dénicher un Fragment d'Eden.
« De quoi peut-elle bien avoir l'air, cette Pomme, de toute façon ? » songeait-elle.
Quand elle voyait avec quel aplomb Ugo dirigeait la mission et leur faisait part de ses décisions, elle se sentait coupable. Elle n'avait pas rejoint la Confrérie par conviction, aussi n'agirait-elle jamais avec la même ferveur ; elle était l'imposteur du groupe.
Ils furent prudents et passèrent le val sans encombres : là, Selene connut la chaleur cuisante des vallées et la froideur glaciale des nuits au milieu des montagnes. Une fois Lyon contournée, ils achetèrent des chevaux Selene en fut heureuse. Son corps douloureux put se reposer, bercé par la démarche chaloupée de sa monture, et pour dormir elle se blottissait contre son ventre chaud. Ses courbatures s'apaisèrent et ses articulations raidies retrouvèrent leur souplesse.
L'équipe traversa la France et ce, à son grand étonnement, sans rencontrer de résistance ni aux barrages, ni aux abords des campements français. Là où leurs compatriotes auraient fait preuve de zèle, ce qui les avaient forcé à s'éloigner des routes, leur ennemi ne leur accordait aucune attention. Selene s'en réjouit et ne se posa pas de question ; elle et les autres avaient une bonne étoile, les augures leur étaient favorables, et cela se passait d'autres explications compliquées.
Ils arrivèrent aux portes de Paris quand les cloches de la cité sonnèrent midi.
