When you're down and troubled
And you need some lovin' care
And nothin', nothin' is goin' right
Close your eyes and think of me
And soon I will be there
To brighten up even your darkest night
Quand Batman a affirmé qu'il connaissait un type fiable, quelqu'un qui n'essaierait pas de vendre deux gosses placés chez lui en attendant que le père de l'une les réceptionne, Jason ne s'attendait pas à ce qu'il les expédie chez le commissaire en personne, lui et Nana.
Forcément qu'il est nerveux, vu que véreux ou pas, un flic reste un flic et Gordon est le commissaire. Pour Jason avec son père en prison et son passé de fugueur et apprenti truand, comment il est supposé se sentir à l'aise ?
Le pire, c'est que Gordon s'en rend compte et il ne se fâche même pas, il se contente de plisser le front d'un air plus désolé qu'autre chose, et c'est pour le coup que Jason se sent morveux. En voilà une autre, tiens : se sentir péteux parce qu'un flic ne lui a même pas gueulé après.
Nana non plus n'est pas à l'aise, parce que selon elle, les flics américains adorent canarder les gens qui sont moins que complètement blancs. Ce qui – c'est pas totalement faux, mais ce genre de rumeurs n'a jamais couru sur Gordon sauf qu'elle a quand même les jetons et le résultat, c'est trois personnes sur les nerfs et malheureuses.
Heureusement qu'il y a Barbara Gordon. Jason n'a officiellement jamais rencontré de gonzesse aussi cool, et il ne peut pas attendre de la voir devenir présidente des États Unis – dites ce que vous voulez comme quoi elle est trop jeune, mais Jason votera pour elle plutôt que pour Lex Luthor quand Obama devra quitter le Bureau Ovale. Elle aura qu'à regarder les envahisseurs aliens par-dessus ses lunettes pour qu'ils se sauvent à l'autre bout de la galaxie, après lui avoir remboursé les frais de parking pour les vaisseaux spatiaux.
C'est elle qui explique à Jason que l'administration a réussi à paumer les papiers à son sujet ou ne les a jamais eus, ça pourrait être l'un ou l'autre vu qu'il a grandi dans Crime Alley et les gens du coin ne font pas confiance aux bureaux du gouvernement parce qu'ils sont trop fouineurs ou paresseux et du coup n'y vont même pas, mais son futur foyer est en train d'arranger ça pour qu'il puisse retourner à l'école s'il veut – et bordel de merde, la perspective lui fait pratiquement monter les larmes aux yeux, ça fait déjà cinq mois qu'il a été forcé de décrocher et il n'imaginait plus un collège l'accepter à cause de ça.
C'est aussi elle qui explique l'obligation d'un examen médical. Juste pour vérifier que Jason n'a pas de puces, parce que les gens biens n'aiment pas ramasser des gamins pouilleux. Bon, peut-être qu'il est injuste, mais c'est ce qu'il entend derrière les mots de la rousse.
Ça le tranquillise un peu d'apprendre que Leslie Thompkins va superviser l'examen. Elle a beau pousser des coups de gueule parce que ses patients refusent de suivre ses conseils les trois quarts du temps – parfois ils ont vraiment pas les moyens, mais la plupart du temps, ils sont juste trop cons pour se rappeler la prescription – tout Crime Alley sait qu'elle est fiable. Elle pelote personne, elle trafique pas en douce, et surtout, elle ne dit rien quand vous lui demandez de ne pas vous dénoncer à la police pour une raison ou une autre.
Au moins elle interviendra si ça se passe mal.
Au cours de trente-sept ans de carrière dans le trou mal-famé de Gotham, Leslie aime se dire qu'elle s'est suffisamment endurcie pour ne plus sentir son cœur se fendre et menacer de voler en éclats lorsqu'elle se retrouve à traiter un enfant plus ou moins démoli par sa courte existence. Et le pire, c'est que c'est presque vrai : elle l'a bien cherché en ouvrant sa clinique dans Park Row, qui ne manque pas de mères célibataires à peine sorties de la puberté, d'aspirants délinquants et de mioches maltraités, tous à un degré variable sur l'échelle de l'irrécupérable.
Elle a été contrainte de gagner en solidité, en fermeté, parce que ces pauvres gosses ont la plupart du temps besoin de ça, besoin d'une ancre à laquelle se raccrocher – besoin d'un point de repère familier, et la gentillesse leur est trop fréquemment complètement inconnue. Elle peut vivre avec, elle vit avec sans mal.
Mais là, elle a un enfant de trois ans sur les bras, un petit qui hurle et se débat comme une bête traquée, et elle voudrait voler en éclats.
Ça fait toujours plus mal quand les enfants bousillés ont moins de cinq ans, mais ce qui rend le petit Damian encore plus particulier est qu'elle sait qui il est – qui est son père, son grand-père. Même si elle n'avait pas été informée verbalement, n'avait pas lu le dossier, elle aurait compris à la seconde où elle l'a vu en face : derrière les traits encore mal dégrossis de son extrême jeunesse, derrière la peau foncée et les yeux verts, Damian est un Wayne jusqu'au bout des ongles, au point qu'elle ne peut s'empêcher de repenser à un Bruce encore bébé.
Mais Bruce avait été un bébé confiant et détendu, quoique un peu méfiant en présence d'inconnus. Damian est terrifié – et comme tous les enfants de sa tranche d'âge, il ne peut pas l'exprimer autrement que par son agressivité, par les cris et les coups.
En plus de mordre et de griffer les parents et les enfants du foyer d'accueil, il a refusé de manger au point qu'il a fallu l'amener à l'hôpital pour le mettre sous perfusion, et encore essaie-t-il de l'arracher dès qu'il a les mains libres. Et il refuse de parler – à trois ans, pourtant, il devrait être incapable de se taire, mais il ne fait que hurler.
L'image que dépeint ce genre de conduite est loin d'être belle, et non seulement Leslie en a la nausée, elle est certaine que ça détruirait Thomas et Martha Wayne, que ça détruira Bruce d'assembler les pièces du puzzle.
Après plusieurs jours de cette conduite, Damian est trop fatigué pour se débattre bien fort, sa voix désormais enrouée et réduite à un murmure, mais il parvient néanmoins à se recroqueviller quand on l'approche, à feuler un avertissement dès que quelqu'un entre dans la même pièce que lui.
Jusqu'à l'arrivée de la fille.
Parce que Bruce a apparemment eu deux enfants – le cachottier, mais c'était probablement inévitable, elle entend les rumeurs à son sujet alors tout ce qui la surprend c'est que la femme ne soit pas Américaine et ne se soit pas encore fait connaître – mais Leslie n'a pas vraiment eu le temps ou l'énergie de penser à la sœur aînée, trop concentrée et inquiète pour le frère cadet.
Sauf que la fille est introduite dans la salle d'examen, cramponnée à la main d'un garçon à peu près du même âge – trois enfants chez lui d'un seul coup, mais Bruce n'a jamais donné dans la demi-mesure – et Damian se dresse comme un ressort, tendant les bras et appelant de sa voix cassée moitié impérative moitié implorante :
« Mama ! »
En deux enjambées, Anastasia Wayne a fondu sur son frère qu'elle soulève dans ses bras – et il se laisse faire, s'avachissant mollement dans son étreinte à la manière d'une marionnette aux fils coupés.
« Nana, Dami, c'est Nana, Nana est là, habibi... »
Elle roucoule en arabe, et le bambin émet un couinement avant de serrer tout contre sa poitrine. À côté d'elle, le garçon observe la scène d'un œil suspicieux.
« C'est ton frère ? » interroge-t-il.
« C'est mon frère » répète-elle en guise de confirmation, la bouche tordue. « Qui lui a fait ça ? »
« Fait quoi ? » demande Leslie.
Un regard vert l'empale brutalement, et oui, cette jeune fille est définitivement la petite-fille de Martha Kane. Pour un peu, elle serait terrifiante, mais il lui manque encore une quinzaine d'années avant d'accéder à ce stade.
« Qui lui a fait peur » dit-elle, et le sous-entendu pour que je le regarde mourir de façon atroce en riant aux éclats retentit si fort dans ces mots que c'est assourdissant.
« C'est plutôt lui qui nous a fait peur » préfère répondre Leslie, « à mordre tous les gens qui l'approchaient. »
Anastasia Wayne renifle.
« Ça vous apprendra à ne pas le laisser tranquille » décrète-elle – et cette intonation dédaigneuse frôlant la sociopathie, c'est du pur Batman.
Bonté divine. Pour un peu, Leslie aurait pitié de Bruce.
You just call out my name
And you know, wherever I am
I'll come runnin', runnin', yeah, yeah
To see you again
Winter, spring, summer or fall
All you have to do is call
And I'll be there, yes, I will
You've got a friend
You've got a friend
Pour ce chapitre, vous avez droit à You've Got a Friend par Carole King.
