Whenever I'm down, I call on you, my friend
A helping hand you lend in my time of need, so I
I'm calling you now, just to make it through
What else can I do? Won't you hear my plea?
Lorsque le repas s'achève enfin, Jason se porte volontaire pour aider Ma Kent à laver et essuyer la vaisselle, tandis que Damian bâille un grand coup et ferme les yeux pour une sieste aussi digestive que profonde. Anastasia se retrouve embrigadée par Lois afin de passer un coup d'éponge sur la table et ranger les assiettes et verres propres, avec l'approbation très vocale de Jason.
« Tu veux quand même pas devenir aussi inutile que Brucie ? »
« C'est pas très gentil de dire ça » s'efforce de commenter Pa Kent, ce qui ne fait aucun effet sur l'ancien gamin des rues.
« Quoi ? Il sait pas comment on passe l'aspirateur, et dès qu'il veut passer un coup de torchon sur un verre il le casse. C'est du sérieux selon vous ? »
Bruce encaisse la critique avec son habituel stoïcisme. Les petites tâches du quotidien provoquent chez lui une réaction tout à fait inattendue qui ne manque jamais de désespérer Alfred, l'incapacité à se concentrer sur le moment présent au lieu de divaguer pour songer à une enquête en cours, ou aux derniers développements de Wayne Entreprises, et ça finit invariablement en catastrophe domestique lorsqu'il se montre trop brusque ou maladroit.
Une créature est gracieuse dans son élément, et le milieu naturel de Batman est le combat contre le crime et la misère sous toutes leurs formes, pas les corvées du ménage.
Jason appelle ça de la fainéantise qui ne s'assume pas. Il a probablement plus qu'un peu raison.
Au bout du compte, Anastasia est convaincue par l'argument que cela la rendra moins dépendante d'Alfred, diminuant la charge de travail du majordome et par là les chances qu'il subisse un infarctus sous le coup de la fatigue et du stress. Alors qu'elle frotte machinalement les taches laissées sur la nappe marron décorée de citrouilles jaunes et oranges, la fillette commence à fredonner machinalement.
Elle n'articule pas les mots, mais Bruce n'en reconnaît pas moins l'air sur lequel sa première-née psalmodie une sourate coranique – Anastasia ne récite pas ses prières, elle les chante, et il a remarqué qu'elle ne s'autorise à faire cela que lorsqu'elle est entièrement détendue. Dans le Manoir, ça veut dire qu'elle travaille sur son petit jardin dans l'ancienne serre désaffectée ou qu'elle est en train de bercer Damian.
C'est juste un filet de voix, rien qu'un air sans paroles, mais Bruce sent son cœur se serrer imperceptiblement. Peut-être à cause de ce que ça signifie, entendre Anastasia chanter.
Mais il n'est pas le seul à entendre cette voix.
« Vous avez pensé à mettre votre petite au conservatoire ? » interroge Jonathan Kent d'un ton aimable et pensif. « Elle pourrait s'y plaire. »
Bruce sent son front se plisser malgré lui et un grognement menace de remonter dans sa gorge. Il refoule le bruit – son interlocuteur mérite un peu plus de contexte qu'une négation sans fioritures.
« Elle a peur des gens. »
L'homme plus âgé soupire.
« Clark a entendu des bribes sur l'histoire du gala, elle a fait une crise de panique ? C'est vrai que ça laisse des marques. »
Jonathan Kent redresse ses lunettes.
« Cependant, une petite classe d'une dizaine d'élèves ou un professeur particulier, ce n'est pas aussi étouffant qu'une immersion brutale dans une soirée chic, si vous voulez mon opinion. Les foules sont toujours plus intimidantes que les groupes, c'est quelque chose qu'on apprend vite quand on habite une petite ville et qu'on doit aller à la ville pour chercher de quoi réparer le tracteur. »
Bruce pense à Miss Marple et à son affirmation que la nature humaine est partout pareille, forte d'une vie passée dans une communauté restreinte où la vieille dame a eu l'opportunité d'observer les gens au quotidien sans interruption. Jonathan Kent est un homme et ne s'habille pas à la mode Victorienne, mais son verdict est imbibé de la même sagesse intemporelle et impossible à réfuter que le personnage d'Agatha Christie manifeste dans ses romans.
Ce serait facile d'arranger des cours particuliers. La fondation Martha Wayne finance plusieurs programmes pour permettre aux jeunes défavorisés de découvrir les arts, les inciter à canaliser leur énergie dans la sculpture et la danse et autres formes de beauté plutôt que de la laisser exploser violemment dans les rues et contre les policiers ou les gangs. Un simple coup de fil et le directeur du conservatoire se plierait en quatre pour offrir à la petite-fille de sa bienfaitrice originelle une carrière dans la musique.
Et pourtant l'image d'Anastasia effondrée par terre, noyée dans sa robe de chambre alors qu'elle étouffe et appelle à l'aide au beau milieu de l'élite de Gotham, s'entête à hanter la mémoire de Bruce.
Si elle faisait une autre crise ? Si elle pense que je le fais exprès pour la terroriser, alors que je devrais la protéger ?
Jonathan Kent le regarde de derrière ses lunettes épaisses. Son regard est placide – pour un homme qui n'est père que par adoption, c'est troublant de constater la similarité de ses expressions avec celles qui apparaissent sur le visage de Clark.
« Parlez-en avec elle, quand vous serez à la maison » lui suggère le fermier. « Si l'idée la met mal à l'aise, elle n'ira pas et c'est tout. Si elle accepte et que ça ne lui plaît pas, elle pourra toujours arrêter. Mais si elle dit oui et qu'elle s'amuse, ce serait dommage de ne pas la laisser choisir. »
« Les enfants ne savent pas toujours ce qu'ils veulent » grommelle Bruce qui a fréquemment souffert des sautes d'humeur et de l'hyperactivité d'un petit acrobate orphelin et s'en souvient avec autant de tendresse que d'irritation.
« Et c'est parce qu'ils ne savent pas que c'est important de leur donner le choix » décrète son interlocuteur. « Ça leur forme le caractère, et quand ils trébuchent et tombent sur des obstacles, ils ne peuvent pas se plaindre que vous les avez forcés, alors ils développent aussi le sens des responsabilités. »
Ainsi parle la voix de Smallville dans sa globalité, la petite communauté où les voisins participent à l'éducation de vos enfants sans vous demander la permission et attendent implicitement que vous leur rendiez la pareille. Bruce sait qu'il est tombé dans l'engrenage par vertu d'être un collègue de travail pour Clark Kent, et qu'amener ses enfants pour Thanksgiving n'a fait que l'enliser dans ce pétrin de relations sociales.
Maintenant, Clark va lui envoyer des invitations à camper le week-end et des recettes de cuisine plus ou moins farfelues, l'inscrire sur la liste des babysitters quand Jon aura besoin de surveillance pendant la dernière urgence cataclysmique, et solliciter son avis sur les derniers romans empruntés au bibliobus. Le Chevalier Noir le voit déjà venir, et le pire c'est qu'il ne pourra plus l'envoyer paître parce qu'il n'aura pas de bonne raison.
Martha et Thomas Wayne ont fait de leur mieux pour inculquer la politesse à leur progéniture. Bruce a oublié ces leçons pour la plupart quand il porte le masque de la chauve-souris, mais cet exaspérant Kryptonien a un don pour les faire remonter à la surface et procurer une certaine honte à la perspective de les négliger.
Aux premiers temps de leur association, Batman a soupçonné l'alien d'exercer une forme très particulière de manipulation psychique, seulement pour être contraint de se rendre à l'évidence – il s'agit de Clark Kent agissant comme Clark Kent, le brave garçon sorti de sa cambrousse avec l'enthousiasme et la générosité d'un idéaliste refusant de se laisser abattre par la cruauté de l'Univers.
Puisque Bruce n'a plus d'autre choix que de se retrouver officiellement un ami de Superman, au Kryptonien d'endurer les conséquences – le Chevalier Noir compte bien lui envoyer cette photo de carlin contemplant le photographe d'un air dépressif via e-mail, histoire de contrecarrer les portraits de poules dans des situations plus ou moins cocasses.
Oui, ce sont les photos de chats qui s'échangent sur la toile, mais la ferme Kent n'a pas de chat et Damian semble s'être attaché aux poules, alors il y a de fortes chances pour que Clark lui envoie des photos de poulets.
Se débrouiller avec les moyens du bord, c'est une constante à la campagne et à la ville.
Don't know what I'd ever do without you
From the beginning to the end
You've always been here right beside me
So, I'll call you my best friend
Through the good times and the bad ones
Whether I lose or if I win
I know one thing that never changes
And that's you as my best friend
Pour ce chapitre, vous avez droit à Best Friend par Brandy Norwood.
