En ce qui concernait la journée de cours qui venait de s'écouler, Stiles ne s'était pas trop mal débrouillé, mais si l'on se penchait sur le rythme des battements actuel de son cœur, l'on saurait que son attitude générale n'était que pure comédie. Une comédie bancale par moments, mais nécessaire au plus haut point. Une chance qu'il soit au volant de sa Jeep et qu'il n'ait personne à emmener. En cette fin de journée trouble, Stiles avait besoin d'un petit temps pour lui, histoire de se réaxer, de… Faire en sorte de se reposer l'esprit pendant les quelques minutes de trajet qui le séparaient du loft de Derek. Car son jeu risquait de prendre une autre tournure et son contrôle se devait d'être exemplaire. Par chance, il avait une raison de ne faire aucune erreur, de ne rien laisser voir et quel que soit le temps qui passait, ladite raison se révélait toujours aussi efficace.
Si l'on découvrait sa véritable nature, son père et lui seraient exécutés dans les jours qui suivraient… Et Stiles n'avait pas envie d'emporter qui que ce soit dans la tombe, encore moins Noah qui avait encore toute la vie devant lui. De son côté, il avait bien l'intention de profiter du temps qu'il lui restait. Même s'il se résumait à deux mois flous, Stiles vivrait chaque seconde qui lui était accordée. Il avait un tas de choses à faire avant de partir, n'allez pas croire qu'il comptait se morfondre jusqu'à ce que la mort choisisse de l'emporter. D'ailleurs, il la verrait venir – il entrevoyait déjà ses pieds.
Sa fin était d'ores et déjà prévue, préparée, calculée. Si tout se passait bien, Stiles serait tout d'abord porté disparu. En réalité, il élirait domicile dans un petit chalet en montagne appartenant encore à sa défunte mère. Il y coulerait ses derniers jours de façon aussi paisible que possible sans que l'on puisse remonter jusqu'à lui et le moment venu… Son essence le dévorerait. Détruirait le chalet. Le ferait s'effondrer sous la force des flammes de son agonie. Quoique Stiles ne savait pas vraiment ce qu'il était censé ressentir à ce moment-là : aucun être de son sang et de sa catégorie n'avait jamais pu revenir de la mort pour témoigner de son expérience. Alors quant à la douleur potentielle ou la sensation que l'on devait ressentir en quittant son propre corps embrasé… On repasserait. Stiles finirait bien par le découvrir, de toute façon.
Tout ce qu'il retenait du plan longuement concocté et discuté avec son père, c'était la culture de son secret.
Rien ni personne ne saurait qui il était, ce qu'il était, ce dont il était capable. Les moindres preuves de sa nature s'éteindraient avec sa vie. L'air de rien, Stiles trouvait cela rassurant. La meute, il l'adorait et il ne supporterait pour ainsi dire pas qu'elle apprenne qu'il lui mentait des années. Si son mensonge relevait de l'obligation, il avait constamment peur que la vérité, en plus de les précipiter, son père et lui, dans le couloir de la mort, fasse changer le regard de ces gens tant aimés sur sa personne.
Et Stiles n'avait pas la moindre envie de décevoir qui que ce soit.
C'est toujours aussi tendu qu'il gara sa Jeep à une rue ou deux de l'immeuble de Derek. A sa manière, le jeune homme repoussait le moment d'entrer en scène et grattait quelques minutes de tranquillité supplémentaires, minutes auxquelles il ajouterait un peu de marche. Ce jeu qu'il perfectionnait chaque jour était devenu comme une seconde peau, quelque chose qu'il avait l'habitude de faire, de vivre. Mais chaque chose avait, à défaut d'une limite claire, une fin trouble. Et cette seconde peau, il la sentait craqueler au fur et à mesure que le temps passait. Stiles mentirait s'il disait que cela ne le fatiguait pas : s'inventer une nature dépourvue de toute autre arme que la parole était aussi épuisant que la plupart de ses réflexions intérieures mais d'un autre côté, jouer l'humain lui faisait gagner un temps monstrueux. Et l'hyperactif était bien placé pour savoir à quel point chaque seconde d'une vie pouvait être précieuse. Dans son cas, il s'agissait plutôt de jours, de mois.
Et y repenser lui donnait toujours un cafard monumental. Souvent, il arrivait à passer outre. Savoir sa fin proche n'empêchait pas toujours de vivre. La réalisation de cet objectif passait cependant souvent par l'oubli et chaque rappel s'avérait plus difficile à assumer que le précédent. Il avançait, se retrouvait stoppé par la réalité… Et il contournait le mur qui lui faisait face, marchant jusqu'à rencontrer le prochain. Un cycle qui se répèterait jusqu'à ce que son corps finisse à l'état de cendres fumantes.
Stiles fit au mieux pour recentrer ses pensées sur quelque chose de plus joyeux, comme le bonheur qu'il ressentait chaque fois à l'idée de se retrouver avec ses amis, cette deuxième famille qu'il aimait tant. Et même si leur mentir continuait de le miner, ce que lui faisait ressentir leur présence valait tous les mensonges du monde – ou presque. Ainsi, il était prêt à mettre de côté cette fatigue si lourde qu'il ne pouvait complètement l'ignorer et cette souffrance de se savoir condamné – et d'en garder le secret. Mais il était d'avis que c'était le mieux à faire. Il se protégeait et préservait les autres également. Comment pourraient-ils être inquiétés d'une chose dont ils n'étaient pas au courant ? Si d'aventure un Psi – ce qui restait hautement improbable pour Stiles – venait à interroger la meute à son sujet, l'on saurait dès le départ qu'ils n'étaient au courant de rien. Ainsi, pas de torture, pas d'embuscade, pas de kidnapping.
Puis de toute façon, Stiles ne voyait pas la meute bien réagir si on leur apprenait ce qu'il était. A son avis, on ne chercherait pas l'aider ni à le protéger en raison de ce mensonge titanesque – et il le comprenait. D'une certaine manière, il passait ses journées et ses nuits à leur mentir, les trahir. Se regarder dans le miroir devenait chaque fois plus difficile… Mais il assumait, à sa manière. Si un jour les choses venaient à se gâter, il prendrait ses responsabilités – il ne savait pas encore comment, mais il le ferait.
Ainsi, c'est l'odeur légère qu'il débarqua au loft, avec quelques minutes de retard – on n'attendait plus que lui. Il s'en excusa et Scott, en bon meilleur ami, prit de ses nouvelles en l'informant de sa précédente visite. Comme à son habitude, l'hyperactif fit parfaitement illusion et ignora les regards qu'il ne voulait pas voir. Sa maîtrise de lui-même et de ses émotions avait beau être particulièrement efficace dans son exécution, elle n'en restait pas moins prête à s'effondrer à tout instant. Stiles ne pouvait pas se concentrer sur tout et tout le monde à la fois. Il allait à l'essentiel comme à chaque fois, fidèle au personnage humain et un peu pataud qu'il s'était créé. Alors, il ne raconta pas grand-chose, noya ses amis sous les explications qu'il s'était préparées et entraîné à déclamer sans faiblir. Les mensonges, il avait l'habitude. Simplement, il devait toujours se débrouiller pour ne pas les dire directement. Il contournait, sans arrêt, s'évertuait à trouver des tournures de phrases qui valident ses propos – ainsi, les chances que son cœur le trahissent s'amoindrissaient.
- Allez, on va commencer, finit par dire Scott en lui tapotant amicalement l'épaule, un sourire tranquille aux lèvres.
Parce qu'il était heureux de le voir, de constater qu'il allait bien. Et Stiles ne put s'empêcher de se demander, l'espace d'un instant, comment il réagirait s'il apprenait qu'il lui mentait depuis toujours. Une vague de tristesse incontrôlable l'envahit soudainement alors qu'il s'installait sur l'un des canapés, là où il y avait de la place.
Il ne voyait pas Scott accepter la nouvelle outre mesure et même s'il comprenait, cela lui faisait un mal de chien. Par contre, il l'imaginait fort bien le répudier avec violence. Une violence pas forcément physique, mais assez forte pour le mettre K.O moralement. Scott avait des principes qu'il avait à cœur de respecter – parfois plus que d'autres choses dans sa vie.
- Je me doute bien que ne pas te trouver à côté de tes amis proches doit te peser, mais je n'imaginais pas que notre présence pouvait te rendre triste.
Stiles revint à la réalité et tourna la tête vers Peter puis… Derek. Ah. Peut-être qu'il s'était installé s'en prendre en compte les gens autour de lui – à cause du tournant de ses pensées notamment. Si ce n'était pas une bonne chose en soi, ça allait. Ça allait parce qu'on ne savait rien et parce que les deux Hale ne lui accordaient pas une grande importance. Sa disparition d'ici un peu plus d'un mois… Ne leur ferait ni chaud ni froid.
- Ouais, vous me faites déprimer à un point inimaginable, fit-il en prenant un air désespéré. J'en viens presque à espérer vous claquer dans les bras pour que vous preniez conscience de votre aura déprimante. Vous étonnez pas si je me pends à la fin de la réunion.
Et il avait envie de rire de sa propre plaisanterie même si elle était nulle… Et qu'elle dissimulait un fond de vérité entre ironie et raillerie gentillette. Disons que son départ de Beacon Hills était proche et qu'il se ferait peut-être une semaine ou deux avant sa mort presque programmée. Mais l'idée de rire de ce sujet-là le peinait autant qu'elle lui faisait du bien. Dans tous les cas, il s'agissait de quelque chose qu'il ne pourrait éviter… Alors il fallait le prendre le mieux possible.
Peter éclata d'un rire franc tandis que Derek, lui, avait légèrement froncé les sourcils. Stiles ne considéra pas cela comme inhabituel étant donné que le plus jeune des deux Hale ne souriait jamais. En fait, on pouvait résumer son faciès en trois « émotions » : la colère, l'indifférence et… Le reste, qui ressemblait à une espèce de forme de boudage constant. Oui, Derek lui semblait régulièrement faire la tête alors même qu'il savait que ce n'était pas le cas.
- C'est encore pire te concernant, fit-il en tournant la tête vers Derek, tu dégages une telle quantité d'ondes négatives… Pense à ouvrir tes chakras de temps en temps, ça te ferait du bien.
Stiles n'était pas obligé de surenchérir, il le savait. Cependant, il se devait d'asticoter Derek régulièrement – c'était ainsi qu'il agissait toujours. Alors agir d'une autre façon que celle de son propre personnage ferait naître des soupçons endormis au départ. Si Derek et Peter avaient senti sa soudaine tristesse, il fallait leur faire oublier le plus vite possible. Derek encore plus rapidement que Peter. Car si l'oncle avait tendance à plaisanter sur ce genre de choses, le neveu fouinait discrètement, amassait les informations lorsqu'elles pouvaient lui servir. Ici, leur seule utilité était de l'ordre de la moquerie et Stiles n'était pas d'humeur à ce que l'on se rie de lui, de ses faiblesses. En ce jour, il n'était pas certain d'assumer.
En tout cas, son objectif premier ne concernait pas les Hale. Il s'agissait de s'oublier quelques minutes, une heure tout au plus, le temps de la réunion. D'être Stiles l'humain, le fanfaron hyperactif dont la lourdeur de l'humour était au coude à coude avec la puissance de sa maladresse.
Pas Mieczyslaw, le double Cardinal au pouvoir maudit.
