Abuser était une chose que Stiles faisait souvent et qui concernait un nombre de domaines divers et variés. Lorsqu'il mangeait, il abusait sur les quantités – et souvent les ingrédients également. Quand il s'agissait de lire, il abusait également sur le nombre de livres qu'il achetait. Socialement, il abusait – dans l'autre sens, cette fois-ci.

Et ce soir, il avait abusé sur le nombre de verres qu'il pouvait ingurgiter sans avoir de problèmes. Le pire, c'est qu'il ne l'avait pas fait consciemment. L'alcool avait sur la plupart des humains un effet dont les branches pouvaient être multiples. Des effets d'effets. Le plus souvent, il commençait par désinhiber et ça avait marché pour Stiles, puisqu'il avait tout d'abord commencé à se détendre, à sourire à Isaac. Isaac, qui n'aimait pas réellement la façon dont ses lèvres s'étiraient, pour la bonne et simple raison qu'il manquait trois éléments pour que lesdits sourires illuminent le visage de Stiles : la sincérité, la joie pure et la lucidité complète. Quelque chose qu'il ne reverrait pas chez lui de sitôt, en particulier concernant le second point.

Alors oui c'était cool, Stiles dansait, Stiles parlait, s'ouvrait en quelque sorte aux gens… Mais il buvait un peu trop. Avait continué lorsqu'il avait le dos tourné. Pourtant, il lui disait avec un aplomb étonnant que c'était faux, cependant… Dans son ivresse, il oubliait qu'Isaac pouvait déceler n'importe lequel de ses mensonges en une fraction de secondes. Que « naaaaaaaan mon loup d'amour, j'ai pas bu une goutte de plus que ce qu'on a dit ! » n'avait rien de crédible, d'autant plus que l'utilisation d'un sobriquet affectif était une preuve en elle-même que Stiles était complètement sous l'emprise de la boisson. Le problème, c'est qu'Isaac ne pouvait pas jouer à la babysitter. Disons qu'il avait aussi envie de se détendre un peu… Et que Stiles s'approchait doucement des trente ans, merde ! Il devait pouvoir se gérer seul et techniquement, il y arrivait bien.

Sauf ce soir, où il avait lâchement cédé à l'alcool qui était juste censé… L'aider à se désinhiber un peu, rien de plus ! Stiles n'était à la base pas parti pour se mettre une murge, loin de là et lui-même le lui avait assuré – à ce moment-là, il ne mentait pas. En fait, il s'était laissé emporter par la puissance de l'hypnose de l'éthanol. Et le voilà tout rond, le teint blafard : il ne se sentait pas bien.

- Ça suffit, tu vas aux toilettes et tu attends que ça passe, l'attrapa Isaac à un moment donné.

Disons que voir Stiles tituber entre les gens, un verre à la main – et il niait encore ? – n'était pas des plus plaisant. A vrai dire, ça l'inquiétait un peu aussi et Isaac n'avait pas la moindre envie que son meilleur ami se ridiculise ou s'humilie devant tout le monde. Lui, ça le dérangeait à peine, c'était surtout qu'il savait que Stiles détestait se donner en spectacle, notamment lorsqu'il se retrouvait victime des « mauvais effets » de l'alcool. Et Isaac ne voulait pas que l'humain ait un trop mauvais souvenir de cette soirée, d'autant plus qu'il n'oubliait pas son objectif principal : lui trouver un partenaire pour la nuit. Si l'idée semblait compromise, Isaac restait positif et se disait qu'au pire, Stiles pourrait au moins repartir avec un contact ou quelqu'un… Qui verrait au travers de son ivresse. Enfin ça restait mal parti. Avec cet air malade, Stiles ne pouvait pas donner envie à qui que ce soit de le connaître. Isaac espéra donc que le petit passage qu'il ferait aux toilettes l'aiderait à se dégriser, ou au moins à expulser ce qui le faisait tant blanchir.

Le teint beaucoup trop pâle, Stiles ne fit pas le difficile et alla dans la direction que lui indiqua du doigt Isaac. Il slaloma entre les gens, en poussa malgré lui quelques-uns – il n'entendit pas le dernier l'insulter – et atteignit la porte de gauche indiquant un petit bonhomme bâton – la droite ne le concernait pas. Qu'il ne se trompe pas de toilettes fut un miracle dont il se féliciterait sans doute une fois sobre, s'il s'en souvenait : car les deux pictogrammes lui avaient paru identiques et il avait choisi son destin en faisant la plouf de manière ridicule. Par chance, l'on n'avait pas fait attention à lui. Même si son ivresse laissait penser qu'il se fichait de tout, la réalité était toute autre. La hantise de Stiles, c'était d'avoir honte ou, plus précisément… De se taper la honte, au sens propre comme au sens figuré. Avec lui, tout était possible, même le plus improbable.

Stiles considéra la porte des toilettes, qu'il venait de passer, comme une étape très importante dans son périple, celui qui devait le mener à la délivrance. Néanmoins, il savait que cela n'était pas terminé et le chemin qu'il lui restait à parcourir, fort court, lui paraissait extrêmement long. Il y avait quoi… Deux, trois mètres qui le séparaient de la rangée de cabines ? Dantesque, pensa Stiles, l'esprit on ne peut plus embrumé. Le fait qu'il se souvienne de ce mot et de son sens était tout aussi miraculeux que son arrivée jusqu'ici, sans embûche. Quoique la tête lui tournait tant qu'il n'était pas certain que les choses se terminent parfaitement bien.

Puis il y avait de l'eau qui coulait, il l'entendait. Et ce bruit, aussi quelconque soit-il, l'agaça au point qu'il fronce les sourcils. Quelqu'un pissait hors des toilettes, assurément ! Il tourna la tête vers l'origine du bruit alors qu'il faisait un pas maladroit en direction de la cabine la plus proche de lui – hors de question de se laisser aller dans un urinoir – quelle horreur. Disons qu'une certaine forme de lucidité continuait de dicter ses gestes, ses mouvements. S'il devait vomir, cela devait se faire dans un endroit qu'il pourrait nettoyer sans effort – une cuvette, tout simplement.

Oui mais voilà, sa réflexion continuait alors que ses prunelles fixaient sans réellement le voir un homme qui venait de stopper tout mouvement. Un homme qui cligna des yeux, perplexe.

Enfin, le bruit d'eau qui coulait s'arrêta. Et Stiles reprit ses esprits sans pour autant comprendre ce qu'il se passait.

Mais l'homme, il le voyait enfin. Grand, brun, barbu. Il devinait ses yeux clairs plus qu'il ne les voyait réellement. Et même si Stiles le devinait beau comme un dieu, sa plastique le laissa complètement indifférent pour une raison plus que simple : il avait envie de gerber ses grands morts. Ce qui était en réalité un besoin prenait toute la place, passait devant tout ce à quoi Stiles aurait fait attention en temps normal. En temps normal, le jeune homme était très sensible à la beauté, en particulier masculine. Or, la blancheur immaculée d'une cuvette tout sauf propre l'attirait davantage à cet instant.

Si Stiles vit l'homme bouger ses lèvres, ne comprit pas un traître mot de ce qui avait l'air d'en sortir. De son côté, il pointa fébrilement du doigt la première cabine qu'il vit, la plus proche, donc la porte était fort heureusement déjà ouverte. Pourquoi donc lui indiquer cela ? Stiles n'en avait aucune idée, il agissait sans vraiment y faire attention. Une violente remontée acide le prit : il sut alors à ce moment précis qu'il ne devait plus traîner.

Il parcourut le peu de mètres qu'il lui restait en courant ou du moins, en essayant. Sa démarche, tout sauf droite et régulière, avait de quoi attirer l'œil et le faire passer ou pour idiot, ou pour étrange. Qu'importe ! Stiles s'effondra devant la cuvette et tout sembla s'enclencher d'un coup. Les vannes s'ouvrirent et la bile remonta à une vitesse foudroyante.

Le bruit qu'il produisait, très peu ragoutant, le dégoûta à tel point qu'il fut à l'origine d'un nouvel assaut vomitif. Savait-il qu'il n'avait pas eu le temps de fermer la porte ? Qu'un inconnu était possiblement en train d'assister à sa déchéance sociale et physique ? Stiles avait des crampes au ventre mais ne cessait de se vider pour autant – il avait beaucoup trop bu. Ainsi, il ne faisait plus attention à rien et ne pensait pas à la honte qu'il pourrait habituellement ressentir. Il essayait juste… De ne pas oublier comment respirer alors que son corps faisait tout pour l'en empêcher, mécontent du traitement qu'il lui avait accordé en cette soirée. Et ce bruit, bordel, ce bruit de l'enfer.

Une pensée claire – miracle ! – traversa malgré tout son esprit : plus jamais il n'accepterait la moindre proposition qui pourrait venir d'Isaac – à part une soirée « Netflix and chill ».