Stiles n'irait pas jusqu'à dire qu'il se sentait revivre, mais il devait être honnête et avouer que ces deux jours avec son père lui avaient fait beaucoup de bien. C'était comme… Des vacances, un bon bol d'air frais qui lui avait donné l'impression d'un peu mieux respirer. Que ses épaules étaient un peu moins lourdes et ses poumons, plus vraiment encombrés. Tout cela restait de l'ordre du ressenti, mais cela faisait tout de même une sacrée différence, pour lui. Bien évidemment, tout n'était pas tout blanc et même si Stiles avait dû mentir à son père, continuer de lui faire croire qu'il acceptait son handicap sans aucune difficulté, cela ne l'avait pas empêché de profiter de sa présence. Le temps de Noah Stilinski n'était pas une chose sur laquelle il irait cracher. Ses congés étaient si rares que Stiles ne voyait aucune autre option que celle d'en profiter au maximum.
Il avait d'ailleurs beaucoup aimé la présence de son père. Et par présence, il n'entendait pas la physique.
Noah lui avait proposé bon nombre d'activités réalisables à son niveau, ou nécessitant son aide à lui. En d'autres termes, Stiles s'était rarement ennuyé et avait pu profiter de son appui constant. Si le shérif n'était pas quelqu'un de très pédagogue ou patient, il avait pris le temps de lui expliquer ce qu'il ne voyait pas, de lui donner les indications dont il avait besoin pour faire telle ou telle chose. Et entre tout cela, ils discutaient. De tout, de rien – et jamais Stiles n'avait autant apprécié la banalité des sujets abordés que durant ces deux jours.
Mais voilà, toute bonne chose avait une fin et Stiles en avait suffisamment fait l'expérience dans sa vie pour le savoir. Ainsi, il avait déjà accepté le fait que son père doive reprendre le travail sitôt ces deux jours passés et s'était préparé à cette idée… Ce qui ne l'empêchait pas de ressentir une certaine tristesse.
Ils roulaient, d'ailleurs, depuis un temps… Qu'il ne savait pas mesurer. Sans doute ferait-il mieux de compter les secondes qui passaient, ce qui lui ferait une bonne estimation du temps de trajet qu'il leur restait. Le loft de Derek ne se trouvait pas très loin de leur maison… Moins de vingt minutes, selon ses souvenirs – et encore, il avait des doutes concernant ceux-ci. De façon générale, la cécité l'avait privé si soudainement de tous ses repères qu'il remettait jusqu'à sa mémoire en doute – il n'était plus sûr de rien. Depuis quand avaient-ils démarré, déjà ?
Si Stiles avait beaucoup aimé cette espèce de week-end avec son père – d'ailleurs, s'était-il passé en semaine ? –, il fallait avouer qu'il appréciait également l'idée de rentrer au loft. Le fait de ne pas être seul… D'avoir un lycanthrope qui veillait sur lui le rassurait. Stiles savait qu'avec lui, il n'avait à craindre aucune intrusion, aucun danger. Noah, en sa qualité d'humain, de surcroît épuisé par sa profession aussi chronophage qu'énergivore, était loin d'être infaillible. Si Derek avait aussi ses petites faiblesses, ses sens surdéveloppés et son instinct animal compensaient largement. Alors pour se consoler quant à sa séparation prématurée avec son père, Stiles se dit qu'ainsi… Il n'aurait pas besoin de se préoccuper de lui et penserait peut-être… A se reposer. C'était en tout cas tout ce que Stiles souhaitait pour lui. A côté de cela, il continuerait de profiter de la sécurité du loft de Derek pour se pencher sérieusement sur la question de son indépendance… De tout ce qu'il pourrait faire pour n'avoir besoin d'aucune aide et se débrouiller suffisamment pour, à terme, revenir chez lui. Enfin… Quand il serait sûr et certain qu'il ne courait aucun risque, que le passé – récent – ne le rattraperait plus. Car en lui continuait de subsister un doute, bien plus coriace et fondé que tous les autres.
Celui qui lui disait... Qu'on l'avait relâché pour mieux le reprendre un jour.
Stiles s'efforça de penser à autre chose et il se demanda alors ce que Derek avait fait en son absence. Une idée passa le pas sur toutes les autres tant elle était logique : l'alpha avait très certainement pris du temps pour se reposer. Surveiller un hyperactif aveugle, même si celui-ci se faisait aussi petit que possible, n'était pas de tout repos. C'était difficile, parce qu'il devait assurer sa sécurité tout en faisant en sorte qu'il respecte un certain rythme de vie et qu'il ne prenne aucun risque que sa cécité démultipliait. En somme, Stiles plaignait Derek et se fit la promesse de se rendre encore plus invisible, encore plus discret tout en apprenant à se débrouiller malgré sa situation. S'il agissait prudemment et faisait attention, il pourrait concilier ces deux aspects pourtant réellement contradictoires sans trop de problèmes.
Quelques temps plus tard, Stiles sentit la voiture s'arrêter.
- Nous sommes arrivés, fils, se fit entendre la voix de son père.
Stiles tenta d'y déceler quelque chose, une émotion particulière… Mais Noah ne semblait ni triste, ni angoisse à l'idée de se séparer de lui. En soi, c'était une bonne chose : ainsi, l'hyperactif était assuré que son père retournerait travailler la tête légère, sans préoccupation aucune. Son calme pouvait également signifier la confiance qu'il avait en Derek et c'était un élément que Stiles ne jugeait pas comme négligeable. En somme, son retour était une bonne chose… Mais il n'en avait qu'à moitié envie. Le temps passé avec son père était comme une friandise : on la mange trop vite et quand on décide d'en reprendre, on se rend compte qu'il n'y en a plus. Stiles espéra alors que le temps passerait vite et qu'on lui réserverait d'autres surprises de ce genre… Pas qu'il soit un grand fan de ce concept, mais il appréciait l'idée de découvrir que Noah puisse vouloir poser des jours pour le voir. De toute façon, c'était tout ce que l'hyperactif pouvait souhaiter. Dans la mesure où il n'avait plus les moyens de conduire pour rendre visite à son paternel au poste… Enfin, il n'avait que l'emploi du temps et le bon vouloir de Noah pour cela. Rien ne dépendait de lui… A part sa propre patience. Lui dont ce n'était pas le naturel allait devoir continuer de prendre sur lui, même s'il ne s'agissait pas du plus difficile.
Car le plus ardu pour une personne lambda et – qui se trouve encore plus vrai pour un hyperactif –, c'était d'apprendre à ne rien faire, ou presque, à se contenter du temps qui passe, de réapprendre à vivre d'une autre façon.
Ainsi, Stiles profita de l'aide que son père lui accorda pour descendre de la voiture et il apprécia sa manière de le guider. Il était peut-être un peu moins adroit que Derek, mais il montrait par sa patience qu'il tenait à aller au rythme de Stiles, que, dans un sens… Il acceptait sa nouvelle condition… Plus vite que Stiles qui, s'il ne lui avait jamais fait part de ce fait, trouvait cela particulièrement ironique. Il s'estimait néanmoins heureux de l'ignorance de Noah, qu'il ferait tout pour entretenir. Peut-être qu'ainsi, lui-même finirait par s'accommoder de cet inconfort des plus nets… Sur cette assurance un peu bancale, Stiles se laissa guider et finit par reconnaître le bruit que faisaient ses pas sur le sol froid du couloir menant au loft de Derek. Sec et moite à la fois – c'était en tout cas l'impression que ce son lui faisait. Ensuite, un arrêt, puis, Stiles entendit son père toquer, puis le grincement léger que fit la porte de l'appartement en s'ouvrant. Noah parla à Derek, dont Stiles ne perçut rien de plus que des grognements de différentes nuances – jamais menaçants. De son côté, il laissait ses yeux fixer ce sol qu'il ne voyait pas, à cause d'un complexe naissant. L'hyperactif connaissait bien des préjugés par rapport à la cécité et se demandait si la sienne faisait loucher ses yeux. Ainsi, la peur du ridicule lui faisait graduellement baisser la tête. Qu'importe s'il avait l'air peu sûr de lui, peut-être un peu triste… Au moins, il cachait ce regard dont il commençait véritablement à avoir honte.
La voix de Noah le sortit d'un coup du brouillard épais de ses réflexions :
- Je repasserai te voir, fils.
Une tape sur son épaule, puis plus rien, à part des bruits de pas s'éloignant de lui.
