Avant tout, je tiens à faire part de mon soutien envers les peuples opprimés de cette terre, ceux subissant les pires exactions, les massacres, les nettoyages ethniques. From the River to the Sea.

Ensuite, je tiens à m'excuser pour le silence des derniers mois. Cela était dû notamment au fait d'avoir perdu une grosse partie de mes corrections sur ce chapitre, puis également au fait de ne plus avoir accès aux statistiques de FFnet qui étaient mon seul indicateur que cette histoire était suivie. J'ai été quelque peu découragée, mais j'ai néanmoins pu travailler sur un autre projet de fanfiction. Bonne nouvelle cependant, les statistiques sont en train de revenir et assez de temps a passé pour que je puisse me repencher sur mes chapitres avec un regard "neuf" ! Après celui-ci, il ne restera que quatre chapitres et un épilogue. J'espère terminer la publication d'ici mars, mais je ne peux rien garantir.


La bataille entre les elfes, les hommes et les nains eût commencé ainsi, sans même un cor sonnant l'attaque, si le ciel n'eût pas choisi ce moment pour s'assombrir brutalement, tandis qu'une bouffée de vent froid s'engouffrait dans la vallée depuis l'est et qu'un éclair s'abattait sur le pic d'Erebor. Enfin, un nuage d'oiseaux noirs arrivant du nord se mit à tournoyer au-dessus des têtes.

Cela n'interrompit que brièvement l'avancée des nains vers les elfes et les hommes, mais ce fut aussi le moment que Mithrandir choisit pour réapparaître, se dressant alors entre les deux armées. Sa voix résonnant dans la vallée, le mage leur apprit qu'il avait à l'aube escaladé la montagne pour voir ce qu'il se passait au nord alors que tous les regards s'étaient tournés vers l'est. Dáin n'était apparemment pas le seul à avoir pressé le pas de ses guerriers pendant la nuit.

Bolg était également arrivé jusqu'à la montagne, faisant marcher son armée de gobelins, de loups et de wargs nuits et jours depuis que le bruit de la mort de Smaug était parvenue à Gundabad. Thranduil n'eut aucune hésitation en entendant la nouvelle et se hâta de traverser les rangs de son armée, suivi de près par Bard et Laegryn, pour rejoindre Mithrandir en espérant parler au plus vite avec Dáin. Sûrement le nain allait-il retrouver la raison et décider de faire front commun ? En arrivant auprès de l'ithron, il demanda :

« Combien, Mithrandir ?

— Vingt-mille, je dirais. Trois quarts d'orcs.

— Et par où arrivent-ils ?

— L'armée est en train de contourner la montagne par l'est. Elle atteindra la vallée dans moins de deux heures. »

Thranduil ferma les yeux un instant, réprimant un soupir de dépit. Vingt-mille orcs et wargs. Bolg avait réussi à unir les gobelins qui peuplaient les Hithaeglir et à les lâcher telle une marée sur Erebor. Le roi se voyait déjà rentrer à Eryn Galen avec un tiers de ses elfes, comme la dernière fois. Ou peut-être que lui non plus ne rentrerait pas. Peut-être que ce serait Legolas qui rentrerait seul. Comme la dernière fois.

Non, Thranduil n'allait pas répéter les mêmes erreurs que par le passé. Une bonne stratégie pouvait leur permettre la victoire. Mais une stratégie nécessitait une alliance. Il rouvrit les yeux pour trouver devant lui Dáin, qui les avait rejoints et parlait déjà avec Mithrandir, la tête haute et le torse bombé. Le roi s'approcha alors de lui, s'inclinant comme il ne l'avait fait depuis longtemps, car Dáin était seigneur des Emyn Angren et à ce titre était son égal. Le vieux nain le dévisagea gravement pendant un moment, puis finit par s'incliner à son tour à la manière des nains.

« Ô seigneur Dáin, fit alors Thranduil, il semble que notre ennemi commun ne nous laissera point régler nos différends. Mais peut-être est-ce là le signe qu'il nous fallait pour comprendre que nos peuples ne gagneront rien de nos querelles.

— Si ce que vous me demandez, ô roi Thranduil, est une alliance pour mettre à bas la vermine qui menace une nouvelle fois de coloniser nos montagnes, alors vous pouvez être rassuré. Cependant, si nous survivons à cette bataille, ne comptez point sur moi, ni même sur les miens, pour oublier que vous avez subtilisé ce qui appartient à notre peuple. »

Dáin tendit alors sa main gantée vers Thranduil qui la détailla gravement avant de lever la sienne à son tour et de la serrer avec ardeur. A ses côtés, il pouvait apercevoir les yeux de Mithrandir briller de satisfaction tandis qu'il imaginait derrière lui ceux de Laegryn se lever au ciel. Quand leurs mains se séparèrent, Dáin tendit alors sa poigne vers Bard qui la serra à son tour.

Ce fut Laegryn qui mena l'élaboration du plan de bataille, tandis que les capitaines des trois armées se réunissaient autour de leurs dirigeants pour écouter ce qui se préparait. Il fut ainsi décidé d'attirer l'armée ennemie dans la vallée, la coinçant entre les deux bras de la montagne pour ensuite l'attaquer par deux fronts et la diviser. Laegryn proposa de placer les elfes sur l'éperon sud de la montagne, sous le Montcorbeau, tandis que Bard et Dáin acceptèrent de placer leurs armées sur celui à l'est.

« Mais il nous faut un appât, commenta alors Bard. S'ils arrivent à Dale et s'rendent comptent qu'la vallée est vide, ils sauront qu'il s'agit d'un piège. »

Personne ne lui répondit sur le moment, car aucun des chefs ne souhaitait placer même quelques guerriers ou guerrières là où il était certain que la mort les clamerait. Ce fut un des capitaines de Bard qui parla alors :

« J'le f'rai. J'conduirai ceux qu'voudront m'suivre et nous s'battrons jusqu'à c'que les orcs sont dans la v'llée. »

Thranduil fronça les sourcils, croyant mal comprendre ce que l'homme disait. Sûrement ne proposait-il pas de se sacrifier ainsi ? Il échangea alors un regard avec Dáin, et allait contester cette idée, quand le capitaine se remit à parler :

« J'suis qu'un vieil homme. J'suis lent et j'mourrai sûr dans c'te bataille où que j'suis. J'le f'rai, j'vous dis. »

Le visage sombre et grave, Bard remercia profusément l'homme, lui offrant une tape amicale sur le bras, et celui-ci partit alors à la recherche des soldats qui accepteraient de le suivre. Quand le plan fut élaboré dans ses grandes lignes et approuvé, il ne restait déjà que peu de temps aux armées pour prendre place. Le roi n'était pas tout à fait en accord avec tous les points qui avaient été décidés, principalement car il soupçonnait Dáin de vouloir assurer la survie de ses nains en dépit de celle des hommes et des elfes mais Thranduil savait qu'il était préférable de céder à ses lubies plutôt que de risquer qu'il ne contrevînt totalement au plan, mettant ainsi en péril de nombreuses vies.

Le roi salua alors Bard et Dáin, leur souhaitant la protection des Belain, avant de prendre la direction du Montcorbeau, où il devait se placer. Laegryn s'était empressé d'aller vérifier que les troupes se mettaient en place conformément au plan, alors hormis ses gardes, Thranduil n'était plus accompagné que par Megûr et Mithrandir, ainsi que le hobbit, qui semblait désemparé par ce qui se passait autour de lui.

Tandis que le roi traversait la vallée et que les ordres résonnaient de toutes part, il observa les nains et les hommes grimper les pentes escarpées du bras oriental et les elfes se disperser sur le flanc sud, piquiers et épéistes en premières lignes, tandis que la compagnie d'archerie se mettait en position à l'arrière-garde. Il avait également été décidé de déplacer ce qui restait du camp de l'autre côté de l'éperon, où les guérisseurs et guérisseuses pourraient s'occuper au plus vite des personnes blessées qui leurs seraient amenées, tout en restant sous la protection de la montagne.

Thranduil cherchait du regard son fils, mais il ne l'aperçut point parmi la masse fourmillante d'elfes se dirigeant vers le flanc sud de la montagne. Alors qu'il allait commencer à escalader l'éperon, il jeta un regard derrière lui et il ne constata qu'à ce moment qu'avec Thurindir et Aglarorn marchait aussi Felanor. Le commandant le tenait fermement par l'épaule et semblait lui murmurer ses dernières recommandations pour la bataille qui s'annonçait. Le jeune garde lui répondait avec assurance.

Sentant alors le regard de son roi sur lui, Felanor tourna la tête et leurs yeux se rencontrèrent. Thranduil fit alors un léger signe de tête, avant de se retourner et de reprendre son chemin. Megûr et Mithrandir avaient pris de l'avance et il pouvait voir le hobbit traîner des pieds quelques pas derrière. Il ne chercha pas à les rattraper, cependant.

« Sire ? » La voix de Felanor s'éleva derrière lui. Sans s'arrêter ni même se retourner, il lui fit signe d'approcher de la main.

« Marche avec moi. »

Le garde parcourut la distance qui les séparait, et son visage inquiet apparut à côté du roi.

« Vous souhaitiez me parler ? demanda-t-il.

— Rien d'impérieux. »

Thranduil marqua une pause, cherchant ses mots, tout en observant l'elfe qui posait en retour ses yeux sombres et curieux sur lui.

« Nous allons livrer bataille, dit-il alors d'une voix douce.

— C'est ce qu'il m'a semblé, acquiesça Felanor en souriant poliment.

— Cependant, beaucoup de nos elfes n'ont jamais combattu sur un champ de bataille, et encore moins hors de la forêt.

— J'ai été préparé à cela, tout comme mes camarades, contredit le garde. Où souhaitez-vous en venir, mon seigneur ? »

Thranduil soupira, détournant les yeux vers le chemin escarpé qu'ils suivaient. Felanor était un elfe perspicace.

« Legolas est imprudent, finit-il par lâcher. Il n'a de cesse de se mettre en danger pour protéger ceux et celles qui sont sous ses ordres.

— Sur ce point, nous sommes d'accord.

— Et je suis absolument certain qu'il n'est encore en vie que grâce à la protection de la forêt et la tienne. Mais nous ne sommes pas dans la forêt.

— Vous craignez pour lui ? » demanda alors l'elfe d'une voix compatissante.

Thranduil marqua une pause, avant de hocher la tête en souriant tristement.

« Je crains pour lui, mais je ne puis rien faire pour le protéger.

— Il est donc heureux que cela soit mon rôle. Je vous ai fait la promesse, quand vous m'avez donné cette mission, de toujours le protéger, mon seigneur. Je la refais aujourd'hui avec encore plus de détermination, car il n'était pour moi qu'un statut et un visage à l'époque, et qu'il est maintenant bien plus qu'un ami cher. Je ne le lâcherai pas des yeux de la bataille et si je dois me mettre entre lui et la flèche qui doit le transpercer, je le ferai. »

Thranduil baissa les yeux vers le sol rocheux, fronçant les sourcils en entendant la déclaration de Felanor. Il se demandait à quoi il s'était attendu en souhaitant parler au garde de son fils. Il avait voulu être rassuré, mais de quoi ? Il ne pouvait être sûr que la vie de Legolas ne serait pas mise en danger. Mais à présent, devait-il se réjouir de savoir qu'un elfe eût choisi de risquer sa propre vie pour celle de son fils ? Ce n'était pas correct. Il ne pouvait pas accepter cela. Et pourtant, son cœur lui parut soudainement plus léger.

« Felanor… Je ne te demande pas de risquer ta vie pour lui.

— Je le sais, sire. Mais mon devoir est envers Eryn Galen, et Legolas lui est bien trop précieux. Néanmoins, avant même de le faire par devoir, je le ferai par amour. »

Le roi releva la tête, fixant un regard maintenant curieux sur le garde. Legolas et Felanor étaient devenus de grands amis depuis que ce dernier avait été nommé garde attitré du premier, cependant Thranduil s'était parfois demandé s'il ne s'était agi que d'amitié. Le regard flamboyant et déterminé du jeune elfe répondit à sa question.

« Tu l'aimes », conclut-il à voix haute et Felanor hocha doucement la tête avec un sourire doux.

« Ce n'est point réciproque, cependant, clarifia l'elfe en détournant le regard, mais cela ne change rien. Je le protégerai de ma vie, s'il le faut. »

Thranduil lui adressa un sourire navré. Il savait que son fils avait beaucoup d'affection pour son ami. Mais Legolas portait également beaucoup d'affection à toutes les personnes qui naviguaient autour de lui, celles-ci étaient nombreuses, et cela sans jamais montrer plus d'inclination pour l'une plutôt que d'autres. Si Legolas n'était pas en mesure de réciproquer les sentiments de Felanor pour lui, alors Thranduil doutait qu'il fût capable d'en avoir de tels pour quiconque. Il garda sa réflexion pour lui, car il n'était pas sûr que cela eût apaisé le cœur du jeune garde, mais ce n'était de toute façon pas son rôle de le faire, ni le moment.

Ce fut à cet instant que Thranduil aperçut finalement la chevelure dorée de Legolas au loin parmi les rangs de la compagnie d'archerie qui prenait position, et celui-ci était suivi de près par Taurian.

« Merci », se contenta-t-il alors de dire à l'intention de Felanor. Il n'y avait rien qu'il pût ajouter pour le dissuader de se sacrifier.

Il hésita un instant en voyant Legolas discuter avec ses subalternes, peu enclin à déranger un capitaine préparant ses troupes au combat. Mais pouvait-il envoyer un fils se battre sans lui avoir offert quelques mots d'encouragement ? Il ne se souvenait pas même de la dernière fois qu'ils avaient tous deux discuté. Il demanda alors à Felanor d'aller le quérir et celui-ci le salua avec révérence avant de s'éloigner. Thranduil observa de loin Legolas recevoir sa demande puis laisser le contrôle à l'une de ses lieutenantes, avant de se mettre à trottiner vers lui.

« Vous m'avez fait demander, mon seigneur ? » questionna l'elfe en arrivant devant lui.

Quand il ne fut plus qu'à quelques pieds, Thranduil empoigna l'épaule de son fils, puis l'attira près de lui, lui disant dans un murmure :

« Je souhaitais simplement m'assurer que tout allait bien pour toi, mon fils. »

Legolas sembla surprit pendant un court instant avant d'adresser un sourire rassurant à son père.

« Tout va bien, répondit-il doucement. Je me suis entraîné pour une bataille comme celle-ci.

— Je sais, mais je connais aussi tes tendances à prendre des risques inutiles.

— C'est une opinion très subjective, commenta l'elfe d'un air malicieux.

— Je suis sérieux, Las, reste à l'arrière. Si tu plonges dans la mêlée…

— Père, il n'est pas nécessaire d'imaginer le pire. Vous savez que je ne puis vous promettre ce que je ferai ou ne ferai point. »

Thranduil soupira. Son fils avait raison, il ne pouvait lui faire promettre quoi que ce fût, car Legolas ne suivrait que son instinct.

« Je comprends votre inquiétude, reprit l'archer d'une voix plus douce, puisque je ressens la même en mon cœur. Mais réjouissons-nous plutôt, car si nous réussissons à détruire nos ennemis aujourd'hui, ce sera là une grande victoire pour Eryn Galen. »

Thranduil sourit tristement. Il pouvait toujours compter sur son fils pour être optimiste dans les pires situations.

« Sois prudent, Lasgalen, dit-il alors doucement, et puissent Ivann et Tauron veiller sur toi, même dans cette désolation.

— Et puisse Tolchas prêter sa force à vos épées, père ! » répondit Legolas en souriant. Il allait prendre congé mais se ravisa, posant sa main sur sa ceinture où pendait la dague blanche que son père lui avait laissée. Voyant son geste, Thranduil secoua la tête.

« Cette dague est la tienne à présent, elle te servira bien plus qu'à moi et te protégera bien plus que tes poignards.

— Je… Merci, finit par dire Legolas. Je… Je dois y aller.

— Alors va, et puissent tes ennemis s'entasser sous tes flèches. »

Mais tandis que Legolas se détournait, Thranduil se sentit pris d'émoi, alors il agrippa l'épaule de son fils pour l'empêcher de s'éloigner et fit ce qu'il n'avait pas fait depuis trop longtemps : il l'enserra dans ses bras, écrasant sans remord son visage contre son épaule et son corps contre son buste. Il s'écoula un instant avant que la surprise passât et que Legolas lui rendît son étreinte, faufilant ses mains dans le dos de son père et nichant son nez dans son cou.

Thranduil sentit son cœur se réchauffer, mais le moment ne dura que trop peu, et très vite, Legolas le lâcha et s'écarta. Car dans la vallée, les cors sonnaient. L'ennemi avait été aperçu. La bataille allait commencer.

Après un dernier regard entendu, comme une promesse de se retrouver sur cette terre ou dans l'au-delà, Legolas se détourna, puis repartit en courant vers sa compagnie.

Le cœur lourd, le roi le suivit des yeux jusqu'à le perdre dans la foule d'elfes prenant leur place, puis reprit son ascension jusqu'au sommet du Montcorbeau. Celui-ci avait autrefois été un avant-poste des nains d'Erebor et surplombait la vallée.

Là, il rejoignit Mithrandir, Megûr et le hobbit, et il fût aussitôt entouré par les elfes de la garde que lui avait attribuée Thurindir la veille, ainsi que les seigneurs Celondir et Radion. Laegryn ne tarda pas également à les rejoindre, car toutes les compagnies avaient fini de prendre place sur les bras de la montagne, et le silence s'imposait rapidement parmi les rangs.

Le roi fit naviguer son regard sur les troupes qui se tenaient prêtes pour le combat, dissimulées derrière les remparts naturels de la roche, et il put ressentir leur tension et leur crainte, bien qu'à celles-ci se mêlât également de la détermination. La même détermination qu'il avait décelée dans les yeux de Felanor ou de Legolas.

Puis finalement, quoi que bien trop tôt, l'avant-garde ennemie constituée de chevaucheurs de loups apparut à l'extrémité de l'éperon oriental, brisant de ses hurlements le silence de la vallée. Elle s'y avança avec vivacité, venant se heurter sans hésitation contre les armes de la compagnie d'hommes qui avait bravement accepté de se poster entre les bras de la montagne.

Thranduil ne cligna pas en voyant les premiers hommes du lac tomber sous les coups des sabres orcs. Il avait vu bien des êtres subir ce même sort tout au long de sa longue vie et, chaque fois, il ressentait comme une lame lui transpercer le cœur. Mais il ne détournait plus les yeux depuis bien longtemps, comme s'il souhaitait garder en mémoire chaque vie perdue trop tôt. A ses côtés, il entendit Mithrandir déclarer :

« Ainsi commence la Bataille des Cinq Armées.

— Avez-vous tant confiance en notre victoire, Mithrandir, que vous eussiez nommé cette bataille avant même qu'elle eût commencé ? demanda Laegryn avec curiosité.

— L'histoire nous a appris que l'union des peuples libres d'Arda a souvent permis le recul des forces de l'Ennemi », répondit l'ithron.

L'armée des orcs se déversait à présent avec fougue et désordre dans la vallée à la suite de l'avant-garde et les quelques hommes qui tenaient encore se retirèrent alors vers les flancs du mieux qu'ils purent. Ce fut là le signal pour les troupes d'archerie de la forêt de décocher les premières volées de flèches qui abattirent nombre d'ennemis, mais ce n'était que des éclaboussures face à cette vague grandissante. Tout de suite après s'élancèrent les premiers rangs des piques, avec ardeur et agressivité.

Thranduil ne pouvait suivre les premiers combats que de loin. Il eût souhaité être en première ligne, et prendre ainsi la place de ses elfes face au danger. Mais en tant que roi et chef de l'armée, ce n'était pas son rôle dans une telle bataille. Le sien était de rester en vie et de placer toute sa confiance envers les elfes qui se battaient pour lui. Il avait vu bien de redoutables compagnies se faire anéantir par le seul désordre causé par la perte de leur commandant. Tant qu'il restait indemne, il savait que son armée tiendrait.

Les elfes bénéficiaient pour le moment de l'avantage de la surprise et de nombreux gobelins en premières lignes furent massacrés par les lames mortelles et les flèches dévastatrices. Puis quand les créatures se furent remises de cet assaut, elles durent alors faire face à celui des armées naines et humaines, qui s'élancèrent avec furie depuis le flanc est de la montagne solitaire. Voyant le désarroi des orcs d'être ainsi attaqués sur deux fronts, Laegryn choisit ce moment pour faire sonner le signal à ses capitaines de redoubler leur assaut.

La confusion ne tarda pas à se faire ressentir parmi les troupes ennemies et pendant un temps, les elfes, les hommes et les nains crurent que la victoire pourrait leur revenir promptement. Déjà, des loups et des orcs paniqués d'être pris entre deux fronts reculaient vers Dale, cherchant à s'enfuir avant de se retrouver encerclés.

Mais cela sembla trop facile au roi. Était-il possible que l'ennemi se repliât déjà ? Il pouvait voir l'espoir de la victoire dans les yeux des elfes les plus proches et une fougue renouvelée les animait, mais il n'osa point se l'autoriser à son tour, bien que la vallée parût se désemplir à chaque instant des viles créatures.

Mais alors qu'elfes, hommes et nains inondaient la vallée et que les orcs continuaient de se rabattre derrière la rivière, plusieurs cors se mirent à sonner sur les deux éperons qui bordaient l'entrée de la montagne. Thranduil leva le regard pour constater avec effroi que l'ennemi avait pris l'initiative d'escalader la montagne par le nord et d'utiliser ses sentiers pour atteindre par le haut les postes de commandement situés sur les éperons. Il entendit Laegryn utiliser les plus grossiers jurons sylvestres qu'il connaissait avant qu'il se mît à ordonner aux troupes qu'il avait gardées sous son commandement direct de venir se placer au plus haut sur l'éperon sud de façon à se confronter aux gobelins téméraires et ainsi bloquer l'accès au Montcorbeau.

Thranduil dégaina alors Maedranc tandis que sa garde se resserrait autour de lui. A ses côtés, Mithrandir semblait en pleine réflexion. Le roi haussa d'ailleurs un sourcil en constatant que le hobbit n'accompagnait plus l'ithron, mais il ne s'attarda pas plus sur cela. Déjà, les troupes placées par Laegryn avaient du mal à contenir l'assaut des orcs provenant des hauteurs, et certains arrivaient à se faufiler jusqu'à la ligne de défense des gardes du roi, qui n'en faisaient alors qu'une bouchée.

En moins d'une heure, la situation fut ainsi retournée, la vallée se remplissait à nouveau de l'armée ennemie, faisant reculer les troupes alliées qui faisaient à présent face à plusieurs fronts. Peu à peu, les formations d'archerie furent contraintes de baisser les arcs et de combattre au corps à corps, disparaissant dans la mêlée. Depuis son poste, Thranduil ne pouvait qu'observer sans agir, et il se surprit à prier Ivann de protéger son fils. C'était une pensée égoïste, mais c'était la seule qu'il pouvait s'autoriser. Il s'était pourtant toujours refusé à prier les Belain, depuis qu'il avait compris, des millénaires plus tôt, que leurs actions n'avaient toujours apporté que destruction.

De l'autre côté de la vallée, les hommes de Bard semblaient également en difficulté, reculant et laissant peu à peu du terrain à l'ennemi. Cependant, si les elfes pouvaient espérer s'échapper par l'éperon sud de la montagne quoi qu'avec difficulté, en aucun cas les hommes et les nains ne pourraient avoir cette chance, car le bras oriental semblait encerclé de tous côtés par les orcs.

Et bientôt, ce furent les wargs qui apparurent au détour de l'extrémité de l'éperon, menés par nul autre que Bolg, qui était quant à lui protégé par des orcs de grande taille lourdement armés. La victoire sembla alors très lointaine aux elfes, car l'arrivée de leur chef donna une nouvelle vigueur aux gobelins qui se mirent à déclamer un chant de guerre dans leur terrible langue, et même le ciel sombre et orageux, dans lequel tournoyait un essaim de chauve-souris, paraissait souhaiter la réussite de l'Ennemi.

Le roi se sentait impuissant, contraint d'observer de loin ses elfes se battre, tuer, et pour certains ou certaines se faire transpercer par les lames orques ou encore se faire déchiqueter sauvagement par les wargs. Mais alors que tout semblait les conduire à leur perte, le son des trompettes résonna dans la vallée, venant tout droit de la montagne. Thranduil fronça les sourcils, et il eût à peine le temps de détourner son regard vers son entrée que le haut mur de roches construit par Thorin et les siens éclata dans un grand fracas pour s'écrouler dans la mare.

Il avait oublié Thorin Écu-de-Chêne, et bien que treize nains supplémentaires dans cette bataille ne fussent que des gouttes face à la marée noire d'ennemis, Thranduil ne put que constater la renaissance de l'effervescence parmi les armées alliées. Thorin et sa compagnie, maintenant parés d'armures dorées et descendant avec vivacité les chutes d'eau sur des radeaux de fortune pour rejoindre la vallée, réussirent à rallier nombre de combattants et combattantes, attirant à leur suite nains, hommes et même elfes. Pendant un temps, les orcs et les wargs hésitèrent, certains s'enfuyant une nouvelle fois vers Dale. Alors les alliés en profitèrent pour repousser ceux qui restèrent. Tout était devenu incertain.

Le roi ne put cependant suivre plus longtemps ce qui se passait dans la vallée, car sur l'éperon, les orcs et les wargs ne cessaient plus de descendre depuis les sentiers de la montagne, et les troupes de Laegryn qui avaient tenté jusque-là de les contenir n'y arrivaient plus. Il était enfin temps pour le roi de s'engager dans la bataille. Toujours entouré de sa garde, il s'avança d'un pas rapide vers le front, puis s'élança sans même une hésitation.

Il y avait longtemps qu'il n'avait pas combattu ainsi, transperçant, taillant ou frappant orcs après orcs, se tournant vers sa prochaine proie avant même que la dernière eût touché le sol. Du coin de l'œil, il voyait un peu plus loin Laegryn se mouvoir avec une agilité légendaire et une endurance infinie. Il ne sut combien de temps cela dura. Une heure, ou peut-être moins. Il ne voyait pas le nombre de leurs ennemis diminuer, alors il ne servait à rien d'estimer le temps que durerait encore cette bataille.

Mais tandis qu'il assénait une énième frappe dans le torse d'un gobelin baraqué, son souffle fut soudainement coupé et il sentit une très vive douleur dans son abdomen, comme si une lame l'avait transpercé. Il y porta sa main, mais aucune blessure ne l'avait atteint. Il fut alors pris d'un sentiment de confusion, se mettant à tourner sur lui-même pour chercher la cause de ce mal. Il n'entendit pas la voix de Thurindir l'appeler tant les battements de son cœur s'étaient faits assourdissants et ce fut en sentant son fae submergé par les émotions paniquées d'Imlothiel qu'il finit par comprendre ce qui se passait.

« Legolas », murmura-t-il avec effroi. Le lien qui les unissait au fae de leur fils s'était affaibli. Il lui était arrivé quelque chose. Thranduil sentit la panique monter et son souffle s'accélérer, plus rien autour de lui n'avait de sens. Il devait le retrouver.

Il se mit à courir, se libérant avec force de la poigne de ses deux fidèles gardes, contournant camarades et ennemis. Il commençait à dévaler le versant de l'éperon quand il fut violemment repoussé hors de sa trajectoire, ce qui le fit choir brusquement sur son flanc, tandis que son épée lui échappait des mains. Il se redressa avec un grognement, ignorant la douleur aiguë dans son épaule, prêt à terrasser l'ennemi qui l'avait attaqué, quand il se rendit compte que ce n'était autre qu'un énorme warg qui avait foncé sur lui et que ce dernier s'en prenait désormais avec férocité à un elfe qui se débattait en hurlant, ses griffes transperçant son armure de plate et ses crocs s'enfonçant profondément dans son épaule. Et cet elfe n'était autre que Laegryn.

Thranduil comprit alors avec horreur que si son ami ne s'était pas interposé entre lui et la bête, il se serait lui-même retrouvé dans cette posture. Il n'eut aucune hésitation et se jeta sur la créature, dégainant Orcrist pour la planter de toute sa force dans le corps de l'animal. Celui-ci poussa un hurlement strident, relâchant sa prise, avant de s'écrouler lourdement.

Lâchant le pommeau de l'épée, Thranduil se laissa tomber à côté de son ami, qui était étendu sur le sol, là où le warg l'avait propulsé. Il était encore conscient et des grognements de douleur s'élevaient encore de sa bouche, mais ses blessures étaient graves. L'armure de Laegryn était lacérée au niveau du torse, marques de la puissance des griffes de la bête et il était certain qu'elles avaient réussi à atteindre la chair. Mais ce qui inquiéta le roi était la morsure profonde qui s'étendait entre l'épaule et le bras droit de son ami, le sang s'en échappant dans un ruissellement continu.

Thranduil ne constata l'arrivée de Thurindir que quand celui-ci lui tendit un linge. Il le prit avec un hochement de tête puis l'appuya avec force sur la blessure sous la fente de l'armure pour tenter de bloquer l'écoulement écarlate. Cela provoqua un hurlement de la part de Laegryn.

« Chhh, tiens bon, mon ami, murmura Thranduil.

— Tharan ? appela le maréchal en posant ses yeux inhabituellement troubles sur lui.

— Je suis là, répondit-il.

— Legolas ? Comment va-t-il ? »

Thranduil ne sut pas tout de suite quoi répondre. Il savait que son fils n'allait pas bien, mais il ignorait à quel point.

« Il vit, finit-il par dire.

— Il est déterminé, il survivra, consola Laegryn d'une voix faible et enraillée.

— Garde tes forces, Laegryn, on va s'occuper de toi. »

Le linge qu'il avait appliqué sur la plaie était déjà totalement imbibé de sang. Thranduil fit alors signe à plusieurs de ses gardes de prendre en charge son ami. Plusieurs paires de bras le soulevèrent lentement tandis qu'une personne s'employa à compresser les plaies avec de nouveaux linges et que d'autres s'occupèrent de libérer de tout ennemi le passage vers le campement. Le roi les suivit du regard quelques instants, anxieux pour la vie de Laegryn. Il avait vu bien des guerriers ou guerrières succomber à de telles blessures, et son ami semblait perdre une quantité démesurée de sang, comme l'indiquait la large tâche pourpre sur le sol aride.

Il ne pouvait cependant pas s'attarder plus longtemps sur le sort de son maréchal, ni même sur celui de son fils, car la bataille faisait encore rage sur les éperons et dans la vallée. Alors qu'Aglarorn lui tendait Maedranc qui était tombée lors de sa chute, ainsi qu'Orcrist, qu'il avait laissée dans le corps du warg, et tandis qu'il allait retourner son attention vers les ennemis qui descendaient depuis les sentiers, son regard fut attiré par une éclaircie venant de l'ouest. Arien arrivait de nouveau à percer les nuages orageux, mais plus que cela, ce fut les ombres volant vers la montagne qui le surprirent. Et bientôt, des cris s'élevèrent partout autour de lui puis dans la vallée, en langue commune, en thindren ou encore en tawarram :

« Les aigles ! Les aigles arrivent ! »

Comment était-ce possible ? Les aigles n'avaient plus pris part aux batailles des peuples libres depuis le Premier Âge, se contentant de les observer de leur perchoir au sommet des Hithaeglir. Mais ils étaient bien là devant ses yeux et, bientôt, ils se mirent à tournoyer au-dessus des éperons, s'en prenant aux créatures provenant des sentiers de la montagne, les attrapant de leurs griffes avant de les lâcher dans le vide.

Thranduil plongea alors une nouvelle fois dans la bataille. Les créatures ailées étaient nombreuses. Avec leur aide, tout n'était pas perdu et bientôt, même les flancs de la montagne furent bientôt libérés des ennemis. Quand plus aucun orc ou warg ne sembla arriver du nord, Thranduil ordonna alors aux troupes qui avaient été sous les ordres de Laegryn de le suivre et de descendre vers la vallée à la rencontre des ennemis qui s'y trouvaient. Les armées alliées étaient encore inférieures en nombre, mais elles pouvaient désormais se concentrer sur un seul front, et ainsi reprendre du terrain.

Cette dernière offensive était la plus ardue. La fatigue gagnait peu à peu les rangs, Thranduil se sentait las, l'épaule sur laquelle il était tombé l'élançait douloureusement et à ses côtés, même Mithrandir paraissait exténué. L'un de ses bras était en sang et l'ithron peinait à se servir de son bâton pour dévier les frappes qui l'atteignaient.

Mais l'arrivée des aigles n'était pas la dernière surprise de cette bataille. Celle-ci fut la percée d'une énorme créature ayant la forme d'un ours alors qu'Arien commençait à disparaître à l'ouest, derrière l'éperon sud et Eryn Galen. Sa puissance et sa rage étaient telles qu'elle enfonçait orcs et wargs sur son passage. Mais son plus grand acte fut de mettre à bas les gardes de Bolg avant de s'en prendre à ce dernier, l'écrasant et le broyant de toute sa force, créant ainsi un courant de panique parmi les ennemis.

Et une nouvelle et dernière fois, ceux-ci se mirent à s'enfuir, au sud, à l'est ou à l'ouest. C'en était fini de l'armée des orcs et des wargs, mais les troupes alliées furent alors prises d'un regain de force tandis que les cors se mettaient à sonner. Elfes, hommes et nains se mirent à poursuivre leurs ennemis avec ardeur, poussant une grande partie d'entre eux dans la Celduin. Au loin, Thranduil aperçut des compagnies d'elfes encore valides se rassembler autour de leur capitaines avant qu'une chasse se lançât pour rattraper les orcs et wargs qui avaient réussi à s'échapper.

Tout se passa si vite et, quand la dernière lueur d'Arien quitta la vallée, plus aucun ennemi ne s'y tenait debout. Ainsi s'achevait la Bataille des Cinq Armées, l'une des plus meurtrières depuis celle de la Morannon. Thranduil eût dû se sentir soulagé de la voir se terminer et d'apercevoir tant de ses elfes encore debout, mais il ne le pouvait. Sous ses yeux, des corps sans vie, des flaques de sang écarlate, des membres mutilés, des regards éteints. Et dans son cœur, un sentiment de vide, de chagrin et de douleur.

Il posa alors un genou à terre, fermant les yeux un moment, cherchant à libérer son esprit de toutes ses inquiétudes, s'énumérant tout ce qui allait maintenant devoir être accompli. Emmener les personnes grièvement blessées au camp pour qu'elles fussent soignées. Trouver Legolas. S'enquérir du sort de Bard, de Dáin et de Thorin. Trouver Legolas. Organiser le nouveau campement. Trouver Legolas. Rassembler un contingent d'elfes encore valides pour s'occuper de ceux et celles tombées au combat. Trouver Legolas. Réunir les capitaines pour dresser un bilan provisoire des pertes de l'armée de la forêt. Trouver Legolas. Envoyer un message à Taurothrond. S'instruire de l'état de Laegryn. Trouver Legolas.

Mille tâches devaient être exécutées avant l'aube et il était le roi. Il ne pouvait pas consacrer toute son attention à ce vers quoi son cœur le guidait. Il prit une grande inspiration, rouvrant les yeux qu'il posa sur le fond de la vallée et se relevant. Il appela :

« Aglarorn.

— Mon seigneur ? répondit la voix du garde derrière lui.

— Trouvez Legolas au plus vite. »

Le roi sut que l'elfe interrogea Thurindir du regard, car sa réponse ne vint pas immédiatement.

« Bien, mon seigneur, je ferai mon possible. »

Thranduil acquiesça puis observa avec gravité son garde se mettre à trottiner pour descendre la pente. Il s'en voulait de lui confier une tâche si contraignante, alors même que la lassitude se lisait sur son visage, mais il n'arriverait pas à se concentrer sur ce qu'il avait à faire s'il devait ignorer plus longtemps le sort de son fils.

Il se tourna alors vers les gardes et les troupes qui l'avaient suivi, puis commença à distribuer ses ordres. Aux elfes encore valides, il leur commanda de chercher et d'emmener toute personne blessée gravement jusqu'au camp. Ceux et celles qui portaient des lésions mineures ne requérant pas de soins immédiats eurent pour rôle de diffuser parmi les troupes les ordres du roi, tandis que fut ordonné aux autres de se rendre au camp pour soigner leurs plaies et ensuite aider les guérisseurs et guérisseuses dans leur tâche. Aux seigneurs et dames qui l'avaient fidèlement accompagné, Thranduil confia la mission de s'enquérir des pertes, des besoins et des demandes des troupes de son armée, ainsi que de s'instruire de celles de leurs alliés.

Bientôt, il ne resta plus que quelques gardes autour de lui, et il en profita pour demander à Thurindir de l'aide pour déloger des débris de maille qui s'étaient enfoncés dans sa peau à l'arrière de son bras gauche, suite à une frappe qu'il n'avait pas réussi à dévier. Il n'avait pas d'autre blessure notable, hormis son épaule droite endolorie du fait de sa chute. Mais heureusement, celle-ci n'était pas luxée. Le garde s'en sortait quant à lui avec quelques égratignures, néanmoins Thranduil pouvait lire dans son regard sa fatigue, bien qu'il lui restât assez de dextérité pour s'occuper de la tâche que son roi lui avait confiée.

« Pardonnez-moi d'avoir perdu pied, Thurindir. »

L'elfe habituellement impassible fronça les sourcils en entendant ces mots. Il ne quitta pas des yeux sa tâche cependant, et prit un instant avant de répondre :

« C'est à moi de vous présenter des excuses, sire. J'aurais dû comprendre plus tôt ce qui vous affectait. Si le seigneur Laegryn n'était pas intervenu, les conséquences auraient pu être bien plus graves qu'elles ne le sont. J'ai failli à mon devoir.

— Non, cela n'est pas vrai. »

Thranduil retint son souffle un instant alors que le garde retirait de ses doigts habiles la dernière maille qui s'était profondément logée dans sa chair.

« Un manquement ne peut effacer une vie de dévouement, et je vous en serai toujours reconnaissant, » finit-il par dire.

Thurindir ne répondit pas cette fois-ci, mais il hocha doucement la tête en remerciement. Le roi se détourna alors, car il avait aperçu Mithrandir passer non loin, montant le versant de l'éperon tout en prenant appui sur son bâton, tandis qu'il tenait son bras droit blessé contre son abdomen. Thranduil le héla, puis se mit en marche vers lui pour réduire la distance qui les séparait. Arrivé à son niveau, l'ithron lui demanda :

« Ah, Oropherion, n'auriez-vous pas vu Bilbo ? Personne ne semble l'avoir aperçu de toute la bataille, et pourtant je me souviens bien l'avoir eu à mes côtés à son commencement.

— Je crains ne pas l'avoir vu non plus depuis des heures. J'espère qu'il a été épargné et qu'il sera trouvé au plus tôt.

— Je l'espère aussi. Je me rendais au Montcorbeau pour l'y chercher, mais je crois que Gwaihir m'y a devancé. Souhaiteriez-vous m'accompagner ?

— Avec grand plaisir, Mithrandir, si vous me promettez d'aller faire soigner cette blessure dès que vous en aurez l'occasion.

— Oh, ce n'est pas grand-chose, mais je vous remercie de vous en préoccuper. »

Les deux montèrent ainsi jusqu'au sommet du Montcorbeau, où le seigneur des aigles, Gwaihir, les attendait. Thranduil s'inclina pour le saluer, tandis que Mithrandir lui adressa une profusion de remerciements :

« Cette bataille se serait terminée bien différemment sans l'aide précieuse de vos bons aigles.

— En effet, ajouta Thranduil, nous sommes plus que reconnaissants de votre venue et votre contribution. Sachez que vous trouverez toujours un allié dans le royaume de la forêt.

— Les elfes des bois ont toujours été les plus respectueux envers nous, répondit le seigneur aigle.

— Si vous me permettez, seigneur Gwaihir, reprit le roi, quelle raison vous a poussés à venir ? Il est bien rare que les aigles interviennent encore dans les combats des peuples libres.

— Cela est vrai, ô roi, mais comme vous, nous avons en aversion les créatures de Morgoth qui sont cruelles et malveillantes. Notre force ne réside pas dans les batailles, mais dans la discrétion, c'est pourquoi nous préférons vivre à l'écart, au sommet des montagnes. Cela fait plusieurs mois cependant que nous observions les orcs se regrouper au nord des Monts Brumeux, et craignant leurs agissements, nous nous sommes également rassemblés. »

Thranduil acquiesça en signe de compréhension, puis Mithrandir se mit à questionner l'aigle sur ce qui s'était passé dans la vallée, car tout avait paru confus depuis les hauteurs. Ainsi, Gwaihir leur apprit que Thorin avait été grièvement blessé en essayant d'atteindre Bolg. Il avait été extirpé par Beorn, l'ours changeur de peau, mais ses blessures étaient profondes et les nains n'espéraient pas qu'il pût passer la nuit. Cela sembla attrister grandement le pèlerin gris, alors l'aigle lui proposa de le porter jusqu'au camp de Dáin qui était en train de s'installer dans la vallée tout près de Dale. Mais avant que Gwaihir se fût envolé avec l'ithron sur son dos, Thranduil lui demanda :

« N'auriez-vous pas aperçu un archer aux cheveux de la couleur du miel de lierre ? »

L'aigle inclina la tête un instant, semblant réfléchir, avant de répondre :

« Je n'ai pas pour habitude de m'approcher des archers, et hormis vous-même, ô roi, je n'ai point aperçu d'elfe avec crinière si claire. Mais je dirai à mes aigles de prêter attention, car plusieurs d'entre nous allons rester cette nuit pour aider à transporter les personnes blessées jusqu'aux camps.

— Votre aide est plus que bienvenue, seigneur Gwaihir. Nous ne vous en remercierons jamais assez. Puissent vos ailes vous porter toujours vers votre nid. »

Gwaihir baissa alors la tête par révérence, puis prit son envol avec le mage sur son dos, laissant le roi des elfes au sommet du Montcorbeau. Celui-ci pouvait déjà apercevoir depuis son perchoir nombre d'elfes déambuler sur le champ de bataille, faisant parfois signe aux majestueux oiseaux qui survolaient la vallée. Les aigles se posaient alors puis redécollaient en direction des différents camps en emportant les personnes blessées.