Chapitre 2

On est dimanche et le monde est censé dormir alors pourquoi un type a cru bon de se garer près de ma maison avec un engin qui fait autant de bruit qu'un tracteur ? J'essaye de m'étouffer avec mon propre oreiller et profère quelques insultes bien placées au conducteur indélicat et ses descendants en prennent aussi pour leur grade. Le bruit cesse rapidement, cela dit et je peux repartir dans le monde des rêves.

Quand j'émerge de nouveau, mon ventre crie famine, je me défais difficilement de ma couverture dans laquelle je me suis enroulée. Je fais ma routine matinale habituelle et je descends toute habillée d'un jean et d'un pull – un vrai pull. Charlie est devant la télé, il regarde la retransmission d'un match sur la chaîne sportive, il lève la tête quand j'apparais, me sourit puis se lève.

« Billy et Jacob sont passés ce matin, m'informe-t-il. Tu te souviens de Jacob ? Tu faisais des gâteaux de boue avec lui, quand vous étiez petits.

« Tout le monde fait des erreurs, me défends-je, mais oui, je me souviens. Est-il toujours aussi petit ?

« Non, sourit-il. Il est un peu plus grand que toi, maintenant.

« Mon mètre soixante-huit insulte sa grandeur.

« Et bien tu devras t'abstenir de le mettre au courant parce que c'est lui qui a retapé ta nouvelle voiture. C'est pour ça qu'ils sont venus, ils ont déposé la voiture ce matin.

« Trop cool, m'enthousiasmé-je.

Je me précipite à l'extérieur et m'arrête net sur le perron, tout mon enthousiasme aux oubliettes. Ce n'est pas une voiture, ça. C'est une épave qui se présente sous la forme d'un pick-up Chevrolet des années dinosaures.

« Elle date des années 60, m'annonce Charlie, mais le moteur est neuf, Jacob l'a retapée, comme je te l'ai dit.

Impossible que je monte l'échelle sociale du lycée avec ça. Et si je m'en réfère au bruit qui m'a réveillée ce matin, je ne pourrai même pas me contenter d'être une fille de l'ombre. Tout le monde me repérera à des kilomètres à la ronde. Mon père n'aura pas besoin d'un système de géolocalisation pour me retrouver, il n'aura même pas à bouger de son canapé pour savoir où je me trouve dans la ville.

Je suis consciente d'exagérer mais cette voiture, c'est le résultat de tous mes efforts pour obtenir une voiture digne de ce nom et ce pick-up n'est pas digne d'être appelé "moyen de transport".

« Jacob dit que tu dois embrayé deux fois avant de passer la première, autrement, tu n'auras aucun problème avec elle. Elle est solide, pas comme les voitures plus récentes alors ce n'est pas toi qui risque d'avoir le plus de tôles froissées. Cela dit, que ça ne t'empêche pas de conduire prudemment et de respecter le code de la route.

Je me tourne vers Charlie et lui souris.

« Ne t'inquiète pas, je n'ai jamais eu d'accident et je n'ai jamais dépassé les limites de vitesse.

« Quand as-tu conduit pour la dernière fois ?

« Quand j'ai passé mon permis. Je prenais le bus, à Phœnix quand maman ou Phil n'étaient pas dispos.

« Tu feras attention, appuie-t-il.

Il fait demi-tour et pénètre dans le saint lieu nommé la cuisine. Probablement la pièce dans laquelle j'ai passé le moins de temps dans ma vie.

« Combien la voiture t'a coûtée ? Que je sache combien de temps je vais devoir travailler pour te rembourser.

« 6 500, me répond Charlie. Billy m'a fait un prix d'ami. Pour me rembourser, inutile de le faire avec de l'argent. Autant directement travailler ici, me sourit-il.

« C'est-à-dire ? Demandé-je avec méfiance.

Ce n'était pas le plan, le plan était qu'en bon père, il refuse tout remboursement. Je pourrais être déçue, il a de la chance que je ne le sois pas.

« Tu t'occuperas de faire le ménage une fois par semaine, tu choisiras le jour qui te convient et tu t'occuperas des repas du soir.

« Je ne sais pas cuisiner, Phil s'en occupait à Phœnix.

Je dois tenir de Renée pour la cuisine, elle est incapable de cuire un œuf sur le plat.

« Et bien, ça sera l'occasion d'apprendre.

Je grimace et soupire en même temps.

« La voiture aurait pu être un cadeau de bienvenue mais Renée m'a parlé des actes répréhensibles qui t'ont amenée à être virée du lycée. Si je vois que tu te comportes bien, ici, je réduirai la somme que tu auras à me rembourser. Donc il ne tient qu'à toi si tu veux réduire ton temps de travail.

Traîtresse, elle m'a balancée au paternel.

« Et... hm... tu pars sur quelle base salariale ? Histoire d'avoir une idée du temps initial que ça me prendra.

« 10$ par jour.

« Hmph, c'est tout ? Ça me prendra genre deux ans.

« Et bien, la cuisine ne prend pas souvent une heure entière, tu n'as le ménage à faire qu'une fois par semaine et je retire bien sûr l'aide que tu m'aurais apportée de toute façon. Ce qui fait que tu as quand même l'avantage. Si ce n'est pas assez vite, alors tu peux garder l'idée du job étudiant.

« T'es dur en affaire.

« Il faut bien que quelqu'un fasse son rôle de parent. Maintenant, j'aimerais qu'on parle de ton renvoi.

« J'ai mes règles, on ne peut pas remettre ça à dans une semaine, quand je serai plus en forme ?

Charlie ouvre la bouche, la referme, il est gêné et complètement dépassé, il finit par hocher la tête, vaincu.

« Je vais faire à manger, ne reste pas debout plus longtemps, me renvoie-t-il de la cuisine.

Je me dirige vers le canapé et souris pendant qu'il ne me voit pas. J'ai 17 ans mais je n'ai pas encore été touchée par mère nature mais comme je peux utiliser cette carte joker, il vaut mieux que ça reste mon petit secret.

Au moins, j'ai gagné 2000$ dans toute cette affaire.


Charlie est au lycée pour mon inscription, avec un peu de chance, j'y serais dès demain. J'ai hâte d'y être, pas pour les cours, bien sûr mais pour tout ce qu'il y a autour. Je veux découvrir les groupes, les populaires, ceux qui veulent le devenir, les sportifs, les autres plus tranquilles. Un sms me sort de mes pensées, je prends mon téléphone et regarde.

De : numéro masqué

Un colis vous a été livré. Le colis N°1309 1987 0703 2005 vous attends au bureau de poste, Forks, WA.

C'est marrant parce qu'il y a ma date de naissance dans le numéro du colis. Et la date d'aujourd'hui, remarqué-je après coup en voyant la date du jour sur mon téléphone. Je range mon appareil, enfile une veste et récupère les clés de ma... de mon... du monstre rouge délavé garé devant la maison. Il ne faut pas longtemps pour trouver le bureau de poste, juste entre la banque et le commissariat.

« Bonjour, souris-je au type du guichet.

« Bonjour, me répond-il. Que puis-je faire pour vous ?

Il remonte ses lunettes sur son nez pour mieux me voir. C'est un vieil homme, proche de la retraite.

« J'ai reçu un colis au nom de Bella Swan.

« D'accord, attendez une seconde.

Le type pianote sur son ordinateur mais très vite, j'ai l'impression qu'il ne le trouve pas car ça prend beaucoup de temps et ses sourcils se sont froncés.

« Il n'y a rien à votre nom. Vous êtes sûre que c'est ici ?

« Vous êtes le seul bureau de poste de Forks, non ?

« Oui.

« Bah... c'est bizarre. Regardez.

Je sors mon téléphone et affiche le sms puis je lui montre.

« Ah ! Ce colis-là, sourit-il. Bien sûr, j'aurais dû m'en douter.

L'homme part dans la réserve, j'attends quelques minutes avant qu'il ne revienne avec un petit paquet rectangulaire de la taille d'un livre de poche. Je ne pense pas faire un gros pari en me disant que c'est un livre de poche. Peut-être que ça vient de ma mère, elle est très "bouquins" en ce moment, particulièrement ceux de développement personnel.

« Tenez, mademoiselle.

L'objet est parfaitement emballé dans un papier craft. À la place de l'adresse, est marqué :

1309 1987 0703 2005
Forks, WA

« Merci. C'est marrant, c'est la date de mon anniversaire et la date d'aujourd'hui.

« Sûrement un bon présage pour votre avenir, mademoiselle, sourit-il.

J'attends d'être à la maison, dans ma chambre pour ouvrir mon "cadeau" si on peut appeler un livre un cadeau. Je m'assois sur mon lit, une jambe pliée devant moi et l'autre hors du lit, prenant appui au sol. Je déchire le paquet craft et découvre un livre de poche, comme je m'y suis attendue. La couverture est un fond noir sur lequel se trouve deux serpents verts entremêlés qui se mordent leur propre queue. Ils forment un S entre leurs deux corps, les serpents forment le contour de ce S et je me demande si ce n'est pas un livre sur l'univers d'Harry Potter, plus précisément sur les Serpentards. Sous les deux serpents se trouvent quatre symboles en jaune. C'est probablement le titre ou l'auteur mais je ne sais pas déchiffrer ces symboles. J'ouvre le livre et quelque-chose est écrit à la main sur la première page, normalement vide.

Joyeux Hollow day, mon enfant
En ce jour qui fête le début de ton introduction
voici un ouvrage qui saura te guider vers ta révélation.
L. L.

J'ai pensé que ça venait bien de ma mère à la première ligne mais le double "L" calligraphié en signature contredit cette hypothèse. Je ne sais pas qui peut bien être ce L. L. mais surtout... Hollow day ? Vraiment ? Qui souhaite un joyeux jour creux à quelqu'un ? En même temps, que peut-il y avoir d'autre à Forks que du vide ? Mais aussi, pourquoi un message si cryptique... parce que bon, "introduction", "me guider vers ma révélation" c'est... stupide ?

J'imagine que l'introduction parle de ma rentrée en court de route au lycée de Forks... pour ce qui est de la révélation... ça me fait trop penser aux livres de développement personnel de ma mère. Peut-être qu'elle a signé des initiales au hasard pour brouiller les pistes. Je tourne la page et découvre enfin le titre du bouquin.

Les préceptes de Nálson

Génial, c'est bien ce à quoi je pensais. Ce bouquin va m'apprendre à être la meilleure version de moi-même. J'aime ma version, merci. Je balance le livre au hasard, il tombe dans le coin de ma chambre, près de la fenêtre. Je retourne en bas pour regarder la télé. Charlie revient peu avant midi, un dossier en papier dans la main. Il me lance un regard, tente un sourire.

« Ton inscription est faite, tu iras en cours à partir de demain. J'ai ces papiers à remplir, m'indique-t-il en secouant son dossier, tu les rapporteras au secrétariat demain matin, en arrivant.

« Ok.

Il disparaît dans la cuisine puis revient deux secondes plus tard.

« Tu vas pouvoir aller au lycée ?

Je le regarde sans comprendre, ne voyant pas pourquoi je ne pourrais pas.

« Avec tes... euh... tu sais, tes...

Ah, oui, j'avais oublié.

« Ça ira, papa.

« Bien, souffle-t-il. Génial.

Il s'échappe dans la cuisine avant d'exploser de gêne. Je ricane discrètement, les pères sont tellement perdus avec leur fille.

Le temps est un escargot, aujourd'hui. Il n'est que 16h et je suis tellement impatiente de découvrir mes nouveaux camarades de jeu que je ne sais pas comment m'occuper pour passer le temps. Je m'ennuie fermement et c'est uniquement pour ça que je me suis baissée pour ramasser ce livre. Si je le lis alors ma mère aura gagné mais je peux me contenter de lire juste le début. Je m'installe sur mon lit et ouvre la première page.

Préface

La manipulation est un art qu'il faut manier avec doigté et un certain sens de la subtilité. C'est pourquoi j'ai décidé d'écrire cet ouvrage afin d'aider mes adeptes à révéler leur plein potentiel.

Alors... ce n'est certainement pas ma mère qui m'enverrait un tel bouquin. Peut-être Philou même si je le vois mal corrompre la fille de sa femme... mais il a toujours été du genre bon délire.

Précepte 1
Connaître son outil

Comme le marteau au bricoleur, le mensonge est l'outil du manipulateur. Il te faudra donc apprendre à maîtriser cet outil avant toute chose. [...]

Ce premier chapitre nous apprend à mentir et être convaincants, je ne veux pas me jeter des fleurs mais je suis plutôt douée avec cette partie-là, ma première phrase correcte a d'ailleurs été un mensonge. Toutefois, je lis le chapitre en entier, parce que personne n'est jamais assez instruit.