Chapitre 6

« Bella, je peux te parler ? Me demande Mike d'une voix froide.

Je me tourne vers lui et hoche la tête. L'article est sorti hier alors je me doute de quoi il s'agit. Je quitte la file de la cafétéria et le suis dans un couloir où personne ne se trouve. Il s'arrête et se tourne en plein milieu.

« Qui t'as dit que je me droguais ? Ou que je dealais ? Et pourquoi tu l'as répété à Eric, putain ?

« Désolée, je l'ai juste entendu dans une conversation en passant à côté, je ne sais pas qui c'était, je ne connais pas tout le monde. Je pensais... que tout le monde le savait déjà.

« Mais c'est faux, putain !

« Ah, merde. J'ai dit à Eric de ne pas écrire ça dans l'article parce que ça ne devait être qu'une rumeur. Je ne sais pas si ça avait un rapport mais les mecs ont mentionné Lauren à un moment mais ça n'avait sûrement pas de lien avec toi.

« Quelle pute !

« Hey, doucement. C'est sûrement pas elle qui a propagé cette rumeur, je ne la connais pas bien mais ça n'a pas l'air d'être son genre.

« Ouais... je pense que c'est tout à fait son genre, moi.

« Tu ne devrais pas... la confronter. Elle peut ruiner ta vie, si tu l'accuses à tort... même si tu l'accuses à raison, d'ailleurs. Il faut être plus subtile que ça, si tu veux te venger. Dans le cas où cette rumeur viendrait bien d'elle, bien sûr.

Tout se met parfaitement en place et comme prévu, personne ne sait d'où cette rumeur provient. Il n'y a plus qu'à profiter du prochain spectacle.


En rentrant du lycée, je trouve Charlie à la table de la cuisine en train de boire un café. Il a l'air soucieux et je me demande s'il s'est passé quelque-chose au poste ou en ville. Comme un meurtre, par exemple. Il relève le regard de son café et se lève pour aller à ma rencontre.

« Bella, souffle-t-il. J'ai lu le journal de l'école. Pourquoi as-tu dit que je ne voulais plus de toi chez moi ?

Ah. Je ne pensais pas que l'article arriverait à la connaissance de Charlie.

« C'est toi qui ne voulait plus venir, ajoute-t-il. Tu as fait une crise à ta mère pour ne plus passer les vacances à Forks.

« Je pensais que tu ne voulais plus que je vienne et maman voulait m'y obligée quand même.

« Quoi ?

Il me prend dans ses bras et me serre fort contre lui.

« Bells, je ne suis peut-être pas le meilleur père qui existe mais je fais de mon mieux, je n'ai jamais su exprimer mes sentiments mais je... je t'aime Bells. Je voudrais toujours que tu sois là, tu es ma fille et ce n'est pas quelque-chose qui changera.

« Je suis désolée, j'ai pensé que... désolée... au final, c'est moi qui t'aie fait de la peine.

Il me détache pour me regarder. J'affiche un air triste pour parfaire mon mensonge.

« Ça va, tu es là maintenant et je suis content de t'avoir à la maison.

« J'suis contente d'être là aussi.

Je lui souris.

« Dis-moi... c'est quoi cette histoire avec Mike ?

« Hum...

« Il n'a jamais été arrêté ou suspecté de quoi que ce soit mais s'il prend ou s'il vend des produits illicites, il faut me le dire, Bella.

« Je ne sais pas, je n'ai rien vu, j'ai entendu quelqu'un en parler, c'est tout.

Charlie fronce les sourcils puis hoche la tête.

« N'écoute pas tout ce qui se dit dans les couloirs, la plupart du temps, ce ne sont que des rumeurs.

« Ouais, je sais. Je l'ai d'ailleurs dit à Eric, je ne pensais pas qu'il le mettrait dans l'article.

Je monte dans ma chambre pour faire mes devoirs. Ça aurait pu mal tourner mais heureusement, je me suis bien rattrapée. Je fronce les sourcils en voyant que le livre sur la bonté se trouve maintenant au-dessus de la pile de mes autres livres. Charlie a dû faire un tour dans ma chambre et remettre ce livre avec les autres. Je le prends et le mets tout en bas de la pile, s'il veut que je garde ce livre, je le garderai mais il n'est pas question de le lire.


Vendredi, je reprends ma filature d'Edward. J'ai passé la journée d'hier sans lui jeter un seul regard, pour ne pas risquer qu'il me surprenne à l'espionner. Je n'apprends rien de nouveau, il traîne seul ou avec l'un de ses frangins lors des pauses, ils déjeunent toujours tous ensemble à la cafétéria.

« J'ai hâte d'être à la soirée de demain, déclare Lauren.

« Ouais, ça sera cool, ajoute Jess.

« Ça risque d'être intéressant, souffle Mike avec un sourire diabolique.

Il semble que Mike aie prévu quelque-chose pour Lauren à cette soirée. Il ne va pas être déçu quand il va la voir arriver en animal de ferme. Un déguisement de vache lui irait bien, je trouve, j'espère que c'est ce qu'elle choisira.

« On a acheté une nouvelle tenue pour l'occasion, Jess et moi, indique Lauren.

Elle doit probablement penser que le sourire diabolique de Mike est à propos des déguisements. Je souris discrètement en l'imaginant apparaître en vache ou en mouton.

La dernière heure du vendredi, c'est biologie, ça veut dire que je suis à nouveau à côté d'Edward. Je m'installe à ses côtés sans lui prêter attention. Molina nous fait faire une observation de cellule d'oignon, exercice que nous devons faire en binôme. Edward me laisse commencer. Je ne sais pas quoi regarder à travers le microscope et cite une phase au hasard, Edward vérifie et hoche la tête pour confirmer. Il note la réponse dans le tableau. Il est censé être bon alors j'ai eu de la chance. Il intervertit deux lamelles et détermine la phase de la prochaine cellule. Je fais semblant de vérifier et lui confirme qu'il a raison... alors que je n'en sais rien. Notre échange se contente d'être au sujet des lamelles, l'un de nous détermine la phase et l'autre confirme ou corrige puisque je me suis trompée pour l'avant-dernière.

« Tu sais, si t'en es là aujourd'hui, murmuré-je. À être délaissé par tout le monde, c'est parce que tu ne laisses personne t'approcher.

« Anaphase, me répond-il.

Il pousse le microscope pour que je vérifie mais je ne le fais pas.

« C'est la seule qu'il restait, en même temps.

Il note sur le tableau.

« Peut-être que ça me convient, qu'on me délaisse. Peut-être que je n'ai pas besoin d'amis.

« Tout le monde a besoin d'un ami. Tes frères et sœurs finiront par prendre leur envol, tes parents mourront un jour et tu te retrouveras tout seul. Et là, tu te diras : si seulement j'avais laissé quelqu'un entrer dans ma vie. Je dis pas que ça doit être moi puisque, visiblement, tu me détestes mais... Angéla par exemple, c'est la personne la plus gentille que je connaisse. Si t'as peur, elle au moins, t'es sûr qu'elle te fera jamais de mal.

« Tu penses que j'ai peur qu'on me fasse du mal ?

« Ça me semble évident.

« Et si c'était le contraire ?

« T'as peur que les gens te fasse du bien ?

« Non, rit-il sans joie. Si j'avais peur que, moi, je fasse du mal aux autres ?

Je le fixe puis pouffe doucement.

« Tu penses que t'es capable de faire du mal aux autres ?

« Qui sait ? Fait-il en haussant les épaules.

Je le fixe, ses yeux dorés, l'expression de son visage, tout m'indique qu'il est sérieux. Si ce n'est vrai, il pense que ça l'est. Il détourne le regard et semble relire notre fiche mais je sais qu'il fait semblant car ses yeux restent fixes.

« Si t'es une fille intelligente, Bella, tu te contenteras de me parler que pour les expériences de biologie.

Il tourne à nouveau la tête, ancrant son regard au mien.

« Mais peut-être que tu ne l'es pas et tu finiras par le payer, un jour ou l'autre.

Ça ressemble à un défi et j'aime les défis alors je me contente de lui sourire.

« J'ai l'impression que je ne t'ai pas convaincue, souffle-t-il. Peu importe, je finirai bien par te le prouver. Tu ne pourras pas dire que je ne t'ai pas prévenue. Je te laisse rendre notre exercice à Molina.

Il ramasse ses affaires et se lève au moment précis où la sonnerie retentit, comme s'il avait une horloge intégrée. Angie m'attend près du monstre rouge, elle semble vouloir me parler.

« Tu vas toujours à la soirée de Mike, demain soir ? Me demande-t-elle.

« Normalement, ouais. Pourquoi ?

« Je me disais qu'on pourrait passer l'après-midi ensemble demain et y aller, après dîner.

« Mh, ouais, bien sûr. Tu n'as qu'à te pointer chez moi vers 13h30 ou 14h.

« Je viendrais à 14h, sourit-elle. et... euh... je voulais te demander si ça te dérangeait de me ramener chez moi, mes parents ne peuvent pas venir me chercher.

« Ouais, monte si tu n'as toujours pas peur du monstre.

Je déverrouille les portières et nous grimpons.

« Merci, Bella. Pourquoi tu l'appelles le monstre ?

« T'entends pas le bruit qu'il fait ? La première fois que je l'ai entendu, ça m'a réveillée et j'ai insulté son conducteur et ses descendants sur trois générations.

Angie me regarde un peu outrée. Je lui envoie un sourire et hausse une épaule.

« Il n'a pas entendu ne t'inquiète pas.

Je la dépose et file à la maison. Charlie n'est pas encore rentré alors je monte faire mes devoirs. Quand je descends pour regarder la télé, après avoir fini, Charlie rentre à la maison. Il me sourit et me demande de le suivre à la cuisine. Je me souviens que nous avons une discussion en suspend. Honnêtement j'avais oublié mais je viens de m'en souvenir. Fais chier, j'ai besoin qu'il m'autorise à aller à la soirée de Mike, demain soir.

« Assieds-toi. Tu veux un café ?

« Beurk.

« Un chocolat chaud, alors ?

« Ouais.

Il se prépare un café et me prépare un chocolat chaud. Ça ne sent pas bon. La dernière fois qu'il m'a fait un chocolat chaud, j'avais 11 ans et demi.

« Au fait, y a match dimanche soir alors j'ai invité Billy et Jacob pour la soirée.

« Ah, ok. On mangera plus tôt, c'est ça ?

« Non, ils viennent pour manger et regarder le match, ensuite.

« Mais c'est moi qui fais à manger le soir, je n'ai jamais fait de repas pour autant de monde.

« Tu n'auras qu'à doubler les doses, simplement, me rassure-t-il.

Il dépose nos boissons chaudes puis s'installe face à moi. Ses joues sont rougies par la gêne et j'ai l'impression qu'il s'agit ici d'un sujet plus gênant que mon renvoi.

« Bon, je pense que c'est peut-être un peu tard mais... l'article précisait que tu avais un petit-ami, à Phœnix.

J'ai envie de ricaner mais je me retiens et reste sérieuse.

« Est-ce que ta mère t'a parlé de... hum... de...

« D'MST et de petites graines ? L'aidé-je en souriant.

Je le vois se ratiner.

« Oui, t'en fais pas, je connais la musique mais t'inquiète pas, papa, je suis toujours vierge.

J'ai toujours bien aimé les conversations avec Charlie.

« Ah, euh... c'est bien, tu es jeune, tu as le temps pour ça.

« Ouais.

Je bois mon chocolat mais je ne peux m'empêcher de sourire parce que vraiment, les pères sont perdus avec leur fille.

« Maintenant, parlons du sujet qui fâche, reprend-il.

Je pose ma tasse et me renfrogne. Il y a, néanmoins, certains types de discussion que je n'aime pas.

« Tu m'as demandé d'attendre une semaine et je pense que nous avons assez attendu.

« Ça ne fait pas exactement une semaine.

« Bella, me rabroue-t-il.

Je lève les mains en signe de paix.

« Maman m'a dit qu'il y a trois mois, tu as dégradé le panneau de ton lycée et là, tu t'es fait virée parce que tu as fait croire à l'un de tes camarades que tu avais laissée une bombe dans les toilettes.

« C'était un malentendu, c'était une métaphore, je parlais de Brenda qui est... une bombe, elle est belle quoi. Il a mal compris, il a sonné l'alarme et a appelé la police, ce crétin.

« Parle bien, je te prie. Et le panneau, Bella ? C'était un malentendu aussi ?

« Non, ça c'est parce que j'étais en colère.

La colère passe mieux que l'amusement dans ce genre de cas.

« Contre qui ?

« Mon vrai père, inventé-je.

Charlie est confus après ma réponse.

« Ton vrai père ? Répète-t-il.

« Tu le connais, toi ? Tu sais qui c'est ?

« Bella, c'est moi, ton vrai père. Qu'est-ce que tu me chantes ?

« J'ai les yeux noirs et la peau qui ne bronze pas alors que vous si.

« Tu tiens tes yeux de mon père et ta peau de la mère de Renée qui était rousse.

« Je l'ai entendue parler de ça. » je mens obstinément.

« Et donc ?

« Elle pense que je ne suis peut-être pas ta fille.

Son buste se recule et Charlie perd toutes ses convictions en même temps que les couleurs de son visage.

« Voilà, c'est pour ça que j'ai dégradé le panneau, j'ai pensé que c'était vrai, que je n'étais peut-être pas ta fille... et ça me faisait peur parce que j'ai toujours pensé... que je l'étais et à ce moment, j'étais perdue, je ne savais plus quoi croire ni qui j'étais.

Charlie me prend les mains et les serres dans les siennes.

« S'il y a une seule chose que je sais, c'est que tu es ma fille, Bella.

Charlie relâche mes mains et nous restons silencieux un moment. Je détourne la tête et regarde à travers la fenêtre, j'aperçois mon reflet me sourire et retire ce sourire qui n'est pas de circonstance de mon visage. Ce n'est pas le moment de tout faire foirer. Je regarde à nouveau mon père qui fixe sa tasse avec concentration.

« J'ai invité Angéla demain, au fait. C'est bon pour toi ? Je peux la décommander, sinon.

« Non, c'est bon, elle a l'air d'être une chouette fille.

« Ouais, elle est gentille. On a prévu d'aller à la soirée de Mike, ensuite. C'est demain soir et comme Angéla et moi sommes nouvelles toutes les deux, on ne veut pas y aller sans l'autre. On peut y aller ?

« Euh... ouais. Amusez-vous.

J'ai peut-être été un peu trop loin avec cette histoire de faux père, il a l'air vraiment perturbé par mon mensonge mais ça lui passera quand il comprendra que je suis vraiment sa fille. Enfin, c'est peut-être le fait de penser que maman l'a trompé pendant le mariage qui le perturbe. Ça fait 13 ans qu'ils sont divorcés, de toute façon, ils ne peuvent pas plus divorcer.

« Ne buvez pas d'alcool, ajoute-t-il quand même avant que je ne quitte la cuisine.