Écrit par HateWeasel

338. L'Ignorance Ne Fait Pas Le Bonheur.

Les paroles du blond provoquèrent une cacophonie dans le crâne du bleuté durant les jours qui suivirent l'incident. Lorsque Ciel avait affirmé avoir besoin « d'un meilleur contrôle », le blond avait fait part de ses observations à voix haute, à qui voulait bien les entendre. « De quoi ? Ta peur ? », avait dit Alois. Plus il y pensait, plus Ciel penchait vers la vérité. Alois avait raison. Ciel avait peur.

Oh, et pas qu'un peu. Le Phantomhive n'arrivait pas à se souvenir de la dernière fois où il avait eu aussi peur. Il n'était pas humain, c'était un fait. Cela ne pouvait être changé, et pourtant ce fait lui faisait peur d'une certaine manière. Dans toutes les légendes, et la plupart des histoires racontées qui n'étaient pas de stupide roman d'amour pour jeunes filles, les démons étaient maléfiques. Les démons étaient pervertis, viles, des créatures méprisables, dont le seul but de leur existence était de détruire celles des autres, semant la misère et prenant du plaisir dans le désespoir partout où ils allaient. Ces idées étaient gravées dans l'imaginaire de Ciel depuis sa petite enfance, alors c'était sa partie la plus « innocente » et « pure », profondément enfouie dans sa conscience, qui avait en fait peur de ce qu'il était devenu. Ce sentiment avait persisté pendant une centaine d'années, mais maintenant, il était exposé ; en plein visage. Il ne voulait pas être un monstre, surtout maintenant qu'il avait des personnes qui avaient réduit cette possibilité à néant.

Les monstres blessaient les gens, mais il y en avait à qui Ciel ne voulait pas causer de tort. Non, il voulait les protéger, mais ce n'était pas ce que faisaient les monstres. La seule raison qui pousserait un monstre à faire une chose pareille serait une récompense à la clé, toutefois, le bleuté ne désirait ni plus ni moins que la compagnie de ses amis et l'approbation de ses contemporains, ainsi que l'amour d'Alois. En effet, l'amour est une motivation très puissante, après tout. Le bleuté n'y avait pas goûté depuis des lustres, et il en voulait davantage à présent. C'était une addiction, en quelque sorte ; une addiction qu'aucun monstre ne pourrait combler.

Ciel avait de bonnes raisons de vouloir combattre sa supposée nature. Était-ce réellement nécessaire ? Eh bien, l'histoire avait prouvé le contraire. Un monstre était-il capable de prendre en compte le bien-être des autres sans rien demander en retour ? Un monstre pouvait-il avoir un sens du devoir, ainsi qu'une sentimentalité et une fidélité, plutôt qu'un sens du bénéfice ? Un monstre était-il en mesure de ressentir tout ce que le bleuté ressentait ? Non, à toutes ces questions.

Néanmoins, le bleuté restait quelque peu bouleversé par cette expérience. Ce n'était pas tous les jours que l'on partait dans une frénésie meurtrière à cause d'une drogue, et que l'on tentait de tuer son amant. Même à présent, après avoir ressassé l'incident pendant quelques jours, le duo de démons restait légèrement distant, chacun s'occupant de ses affaires pour le moment, n'interagissant que lorsque véritablement nécessaire. Ils parlaient seulement à l'école et durant les repas. Comme Revy avait pris l'ancienne chambre d'Alois, cependant, ils devaient quand même partager un lit. Les garçons se contentaient de se mettre chacun le plus au bord, et évitaient le contact, peu importe à quel point ils le voulaient. Parfois le bleuté n'allait tout simplement pas se coucher. Parfois il restait debout et travaillait dans son bureau, ignorant complètement le court du temps. Ciel n'aimait pas être en froid avec le blond, mais il avait l'impression de devoir, d'abord, résoudre ses propres conflits internes.

Son bien-aimé comprenait cela, d'une certaine manière. Alois s'assurait de respecter la décision du bleuté, peu importe à quel point cela le blessait. Sans le réconfort du bleuté, les anciennes insécurités du blond refaisaient surface une fois de plus, et le garçon se retrouvait à se demander si le Phantomhive souhaitait réellement continuer cette relation. Peu importe le nombre de fois où il se rassurait en se disant que c'était le cas, l'idée persistait.

Sans surprise, le duo lui-même n'était pas le seul affecté par tout cela. Le reste de la maisonnée était quelque peu inquiet aussi. Luka s'en faisait particulièrement pour le bonheur de son grand frère, car même si le blond avait fait de son mieux pour faire comme si de rien n'était, Luka savait. Il savait reconnaître les signes subtils qui indiquaient que quelque chose n'allait pas, mais peu importe à quel point il demandait, Alois lui disait juste que tout allait « bien ». Cela agaçait énormément le garçon.

Revy était, lui aussi, quelque peu inquiet, et même s'il n'appréciait pas vraiment la relation des garçons, il savait que la stabilité de la demeure en dépendait. Il n'aimait pas voir le duo batifoler, ni leurs échanges de regards trop amoureux. En fait, une simple interaction un tant soit peu romantique entre ces deux-là lui faisait plisser le nez de dégoût. Bien qu'il s'était attendu à ce que ce soit quelque chose de « normal » pour les démons, le revenant était tout de même perturbé par le fait que le blond avait le même visage que lui, et qu'un autre garçon l'embrassait ; alors qu'il commençait à bien aimer sa nouvelle apparence. Quoi qu'il en soit, le duo de démons avait été bon avec lui, ainsi, il ne pouvait pas être mauvais. En fait, ils étaient de bonnes personnes. Les voir être quelque peu contrarié l'inquiétait, tout comme cela inquiétait le majordome de la maison.

Le plus âgé des démons, Sebastian, était naturellement inquiété par la santé mentale de son maître, mais il compatissait, d'une certaine manière, étant donné l'expérience traumatisante que le bleuté avait vécu. Qu'importe ce qui était arrivé à son maître, cela avait profondément affecté le garçon, étrangement. Sebastian comprenait les inquiétudes de Ciel, aussi bien qu'un démon ordinaire le pouvait. Il ne comprenait pas la peur de la nature démoniaque que le Phantomhive avait, mais il savait que cela causait beaucoup de soucis au garçon.

Sebastian hésita quelque peu à frapper à la porte du bureau de son maître, alors que le garçon s'était enfermé dans la pièce depuis plusieurs jours. Mais, il y avait des choses importantes à faire, et il ne pouvait pas se contenter de rester les bras croisés. Son maître avait besoin d'une forme de supervision dans cette situation, et si l'homme en noir ne pouvait pas aider, alors quel genre de majordome serait-il ?

- Monsieur ? dit-il, toquant à la porte.

Il reçu une sorte de grommellement en réponse qui ressemblait vaguement à un « entre », mais qu'importe, l'homme entra.

D'un tour de poignée et d'une pression contre la porte, elle s'ouvrit, laissant Sebastian pénétrer dans la pièce. Ce fut à cet instant qu'il posa enfin les yeux sur ladite pièce qui était occupée depuis presque trois jours. Sebastian aurait juré l'avoir rangée lorsque le bleuté était à l'école, mais les piles sur piles de livres, de papiers, et de dossiers étaient sans fin, recouvrant une fois de plus quasiment toutes les surfaces disponibles. Quelque part parmi les débris se trouvait le chef de la maison lui-même, sans doute assis à ce qui était autrefois un bureau.

Un soupir s'échappa des lèvres de l'homme en entrant. Son maître vivait de toute évidence dans cette pièce, évitant les problèmes qu'il devait affronter. Bien que cela exaspérait tout le monde, il s'agissait de la méthode favorite de Ciel pour gérer les « problèmes relationnels ». Le garçon ignorait tout sauf son travail. Malheureusement, les informations sur l'enquête actuelle étaient rares, et le garçon n'avait plus beaucoup de pistes.

La Black Annis se répandait rapidement, tuant ses consommateurs un peu partout. Elle détruisait les corps de tous ceux qui en prenaient, la fille qui avaient perdu l'usage de ses jambes incluse. Elle n'était plus désormais, tout comme la Black Annis. C'était comme si elle avait disparu de la surface de la Terre.

Ciel était dérouté. Au départ, c'était comme si la Black Annis était partout, mais maintenant, elle avait disparue. Depuis la mort du dernier consommateur, la Black Annis n'était plus. Soit les gens avaient arrêtés d'en acheter, soit, l'explication la plus probable, la production de la substance avait pris fin. Peut-être que le responsable était en arrêt, faisant profil bas le temps que la police oublie tout cela, cependant, c'était peu probable. Les fabricants de Black Annis avaient probablement entendu parler de l'existence du bleuté et de ses recherches indiscrètes via leur compères. Mais pourquoi ?

Pourquoi faire tout cela ? Quel était le but ? Qu'y avait-il à gagner à vendre un narcotique qui tuait les utilisateurs, et pourquoi se servir d'une copie de Jonhnathan Beattie pour se faire ? Tout cela ne faisait aucun sens. Les démons travaillaient-ils pour quelqu'un ? Si oui, qui ? Ciel repensait à la rencontre que son bien-aimé blond et lui avaient fait avec le sosie et le démon à griffes.

Beattie avait été facilement vaincu. Trop facilement. Était-ce à cause du romarin ? Non, parce que le duo de démons aurait également été affecté de la même manière. Les masques à gaz avaient échoué car la fumée des herbes brûlées s'était infiltrée sous leurs vêtements et avait touché leur peau. Le sosie était-il un « nouveau » démon ? Dur à dire. Personne ne savait vraiment comment les démons en devenaient, pas même les démons eux-mêmes.

Et puis il y avait cet autre démon ; celui avec les griffes recouverte de poison. Alois l'avait baptisé « Bob au bol », étant donné qu'ils ne connaissaient pas le véritable nom du vilain. Même avec la disparition de la Black Annis, et la réapparition du Beattie, le démon aux griffes et à la coupe au bol était celui qui avait le plus suscité l'intérêt du bleuté. Il semblait sincèrement être amusé par la situation, et il avait parlé d'une manière particulière. Ce qu'il avait dit était le plus important, cependant, car ces paroles contenaient des indices clés.

Ciel savait désormais qu'un groupe organisé était derrière tout cela, et qu'ils semblaient être sous le contrôle d'un individu très puissant. Ce devait être le cas, puisque le démon aux griffes, qui était si enclin à se battre, s'était retenu à cause de ses supérieurs. Il y avait d'autres indices, cachés dans ce que le jeune homme avait dit au duo de démons juste avant de partir. Pourquoi s'était-il embêté à leur parler du poison dans ses griffes ? N'aurait-il pas été mieux de les laisser s'en rendre compte, et ainsi, espérer les éliminer tous les deux ?

« J'espère que tu tiendras jusque là », avait dit le démon.

Cela n'avait aucun sens. Pourquoi leur dire ? Tandis que Ciel réfléchissait, rejouant tout ce que le démon avait dit dans son esprit, se rappelant des événements des derniers jours, il comprit. Le démon n'avait pas arrêté de dire qu'il voulait se battre contre le bleuté un jour, et au vu de la situation, c'était clair.

Ils voulaient se servir de lui. Ciel n'était pas sûr de savoir comment, mais le démon avait vu le bleuté comme un potentiel pion. La peur que le bleuté avait éprouvée était la clé. Ce démon était incapable de savoir quelle était la peur du garçon juste comme ça, alors il avait laissé le poison faire. Cela n'avait aucun importance pour lui. Tout ce qu'il savait était que cela hanterait le garçon, et le « persuaderait » de se retirer. Qui sait quoi d'autre les démons pouvaient faire ? Qu'aurait-il pu bien faire faire à Ciel, s'il y avait vraiment mis du sien ? Pour la plupart des gens, la peur de connaître à nouveau la terreur suffirait, mais pas pour Ciel. Il était têtu.

Il plongea de plus en plus dans ses pensées, s'énervant davantage avec chaque seconde qui passait. Il était énervé que l'on puisse le penser aussi faible, qu'on lui ait fait vivre une telle souffrance, mais surtout, qu'on lui ai fait faire du mal à Alois. C'était Alois qui animait ses passions avec une intensité égale à celle de sa haine. Le fait qu'ils puissent pousser le bleuté à l'attaquer, et à les séparer énervait plus le Phantomhive que n'importe quoi d'autre depuis bien longtemps. Être utilisé comme une arme contre soi-même était inacceptable. La dignité, la fierté, et la moralité de Ciel ne l'acceptaient pas. Sebastian était en mesure de sentir l'intensité de ces pensées dès qu'il mit un pied dans la pièce. Le soupir audible de l'homme suffit à attirer l'attention du Phantomhive.

- Qu'y a-t-il, Sebastian ? demanda-t-il d'un ton impatient ; le fait que son majordome ait, apparemment, développé un tempérament n'aidant pas.

- Cela fait trois jours, et vous n'avez pas quitté cette pièce une seule fois, monsieur, dit l'homme en se remettant à ranger. Et l'école ? Nous sommes lundi.

- Ah bon ? demanda le bleuté, surpris.

Il jeta un œil à la date affichée sur son ordinateur. Lundi après-midi. Il avait manqué l'école.

- Effectivement… Peu importe. Ce n'est pas comme si je n'avais pas déjà tout appris autrefois.

- J'ai bien peur que cela importe, jeune maître, répondit Sebastian d'un ton grave. Vous avez des amis qui sont inquiet pour vous, et le pauvre Alois ne sait quoi leur dire, puisqu'il ne sait pas non plus ce que vous faites.

- Je travaille, enfin. Il devrait le savoir.

- Il le sait, mais il ne sait pas vous en êtes, ou pourquoi vous refusez de lui parler.

L'homme regarda son maître, remarquant une brève expression de culpabilité traverser le visage du garçon.

- Je lui ai déjà dis. C'est pour le protéger. Ce n'est pas comme si j'aimais être enfermé ici, non plus, dit Ciel en croisant les mains.

- Il semblerait que Monsieur Trancy voit les choses autrement, dit Sebastian.

- Alors pourquoi ne me parle-t-il pas ?

- Car vous êtes celui qui a demandé à ne pas être dérangé, monsieur. Il ne fait que respecter votre demande.

Son maître croisa les bras et fronça les sourcils. Il ne semblait pas comprendre les actions du blond.

- D'ordinaire, il ferait comme il lui chante, dit le garçon.

- Les circonstances ont changées, répondit le majordome. Si je puis me permettre, vous étiez vraiment dans tous vos états, après « l'incident ». Alois a déjà essayé de vous parler, monsieur, mais cette tactique a échouée. Ainsi, il en essaye une nouvelle ; vous laisser de « l'espace ».

- Cela ne peut sûrement pas être cela… dit le bleuté.

- Mais ça l'est. Nous l'avons tous vu, monsieur, interrompit Sebastian, et le garçon fut quelque peu surpris par l'impolitesse soudaine du majordome. Les choses ne tournent pas rond par ici.

- Que veux-tu dire ? demanda Ciel.

- Une maison ne peut fonctionner sans son maître, répondit l'homme en se dirigeant vers le bureau. Le manque de communication a déstabilisé l'équilibre des choses. Revy refuse d'étudier, Luka se fait un sang d'encre, Alois est entré en dépression et recommence à avoir des crises, et quant à moi…

Il marqua une pause, tentant de trouver la suite. Qu'éprouvait-il exactement ? Il ne savait pas. Il n'avait jamais « éprouvé ».

- Je… n'aime pas voir les choses se détériorer, conclut Sebastian, tentant de résumer ses pensées sur le sujet.

Son maître resta assis silencieusement, détournant le regard de l'homme afin de fixer les piles de papier sur le bureau.

Le Phantomhive était en pleine réflexion, essayant de comprendre précisément ce qu'il avait fait. Revy refuserait certainement de coopérer une fois que l'on ne lui demandait plus, et Luka était sûrement inquiet à propos de son grand frère et de l'état de la relation du blond. Puis il y avait Alois… Alois ? Déprimé ? Tandis que Ciel réfléchissait, cette idée devint plus que plausible. Son bien-aimé était plutôt sensible, et il avait besoin d'attention. Ciel était comme le mur porteur de la sociabilité du blond, lui permettant de se sentir à l'aise en compagnie des gens « normaux » sans ressentir d'anxiété, tout comme le blond aidait Ciel à interagir normalement avec les autres sans donner l'impression qu'il voulait les voir mort. Ciel aidait Alois à ne pas craquer, et Alois aidait Ciel en l'encourageant à être plus « sociable ». Lorsque le blond était dans l'incertitude, il perdait tous ses moyens. Quand il apprit les dernières nouvelles du blond, le bleuté se sentit immédiatement responsable. C'était comme s'il essayait d'attirer de nouveau l'attention du Phantomhive, même s'il ne s'en rendait pas compte lui-même. Le cœur lourd, Ciel soupira.

- … Aie-je mal agi depuis le départ ? demanda-t-il avec hésitation à son majordome.

L'homme vêtu de noir sourit doucement.

- Oui, répondit-il clairement. En fait, je dirai que vous vous êtes assez mal comporté. Je pense qu'il est grand temps d'ouvrir la porte et de laisser votre partenaire vous assister.

- Je ne sais pas si c'est une bonne idée, protesta Ciel. Cette affaire ne mène qu'à des impasses…

- Pas pour l'affaire, monsieur, répondit Sebastian. Pour votre « problème personnel ».

Ciel se raidit, troublé par ce que le majordome savait.

- Comment sais-tu ?

- C'est simple, répondit l'homme. Si je ne pouvais pas détecter ce qui ne va vraiment pas chez monsieur, alors quel genre de majordome serais-je ?

- Un majordome qui s'occupe de ses oignons… murmura le bleuté en se levant. Alors, que proposes-tu que je fasse ?

- Eh bien, monsieur, je dirai que se faire pardonner serait approprié.

- Je ne me fais pas pardonné, se vexa le garçon.

- Pas même pour l'homme que vous aimez ? demanda Sebastian et le visage du bleuté vira au rouge.

Il avait dit cela de nombreuses fois au blond, mais entendre son majordome parler de son affection était extrêmement embarrassant, d'une certaine façon.

- Je… Je ne sais pas comment… dit Ciel, et l'homme fit son sourire espiègle bien à lui.

- Eh bien, dans ce cas, je suppose qu'il est temps d'apprendre-

Ils furent interrompus lorsque la porte du bureau s'ouvrit brusquement, et les deux démons sursautèrent avec surprise. Là, se trouvait la menace blonde elle-même, les yeux écarquillés, et la peur marqué sur le visage. Il avait l'air mortifié.

- La Table Ronde, dit Alois. La Table Ronde veut nous voir. Nous tous.