Titre : Se regarder en face
Genres : Angst, romance, "Prise de tête : le ship", un peu de mon classique humour douteux
Rating : M
Personnages/Pairings : Isagi Yoichi/Michaël Kaiser, Shidô Ryûsei/Itoshi Sae en arrière-plan, mentions de quelques autres personnages et relations
Disclaimer : Les personnages et l'univers de Blue Lock appartiennent à Muneyuki Kaneshiro et à Yusuke Nomura.

Résumé :
« Ha ! Ne me dis pas que tu croyais vraiment qu'il pourrait y avoir quelque chose entre nous, Yoichi ? Ne me fais pas rire. »

Des mois après avoir quitté le Japon et coupé les ponts avec Yoichi Isagi, avec qui sa relation n'a jamais rien voulu dire et auquel il ne pense de toute façon déjà plus, Michaël Kaiser apprend que celui-ci et son équipe s'apprêtent à débarquer en Allemagne pour un stage d'entraînement. Ce serait plus facile de rester indifférent s'il n'avait pas regretté leur rupture à chaque instant depuis, sans doute.

Note de l'auteur : Hola ! Me revoilà sur le fandom avec ce monstrueux "OS" (entre plein de guillemets mdr), dédié à nulle autre qu'à la fantastique Zofra ! Je l'ai écrit pour un échange de Noël qu'on a décidé d'organiser juste pour nous deux, et pour une raison qui m'échappe à moi-même je me vois pas le couper, donc je poste la totale :D
Zofra, j'ai essayé d'écrire à la fois un de tes ships préférés et un type de scénario que je sais que tu aimes beaucoup, mais pour lequel je suis pas nécessairement la plus douée... donc j'espère que tu seras pas trop déçue XD Ceci dit, j'ai vraiment été super contente d'écrire ce texte pour toi, donc merci d'avoir bien voulu faire cet échange avec moi x3 J'espère sincèrement que le résultat te plaira, même juste un peu !

Remerciements : À Dany P'tit Pois, ce héros. Merci bro de m'écouter me plaindre et galérer depuis trois semaines, j'y serais jamais arrivée sans ton soutien et sans ton aide :')

Avertissement : C'est assez logique étant donné les personnages, mais ce texte contient des spoilers sur le manga, évitez-le si vous n'êtes pas encore arrivé-e au chapitre 243 :)


Se regarder en face

C'est un jour de novembre comme les autres, au départ.
Froid et morne. Le ciel gris, mais sans neige, juste comme s'il s'apprêtait à pleuvoir – sans pourtant de pluie depuis la veille. Un vent glacial qui se glisse sous leurs maillots et des feuilles mortes, sombres et trempées, qui jonchent le béton des gradins par dizaines.

Un entraînement comme les autres, aussi. Maussade. Sans réel intérêt, ça fait longtemps qu'il s'en est rendu compte, dans une équipe qui n'est pas vraiment la sienne ; et chaque fois qu'il se tient immobile, les mains jointes dans le dos et les crampons enfoncés dans l'herbe humide, lui rappelle le passage inexorable des secondes qui le rapprochent de son vingtième anniversaire. Tic, tac. L'échéance dont il verrait presque l'ombre dans le paysage terne, entre les arbres décharnés dont les branches se balancent au loin. Tic-

Le coach tape dans ses mains. Son attention se recentre. De lui-même, son regard reprend sa place.

Bon, écoutez bien. La dernière fois a été un franc succès, donc ce sont les types de Blue Lock qui vont venir chez nous le mois prochain.

Malgré lui, comme activés par un mécanisme sur lequel il n'a aucun contrôle, ses deux yeux s'écarquillent.
Et aussitôt, tout au fond de sa poitrine, en même temps que les images incontrôlables envahissent à nouveau son esprit – Michaël Kaiser sent son cœur manquer un battement.

Blue Lock. Ce qui signifie forcément, de façon on ne peut plus inévitable-
Yoichi Isagi.

Le garçon qui-


Les faits étaient simples, en réalité. Si courants, presque, si ordinaires qu'ils en devenaient risibles.

Quelques mois plus tôt, à des centaines de kilomètres de son confortable duplex de Bogenhausen et dans le cadre d'un contrat stupide, qui n'aurait dû lui servir que de vulgaire marchepied vers son réel objectif, le grand Michaël Kaiser du Bastard München avait vécu l'idylle- On ne pouvait même pas appeler ça une relation- L'aventure, à la rigueur- la plus… Ça lui faisait mal de le reconnaître, et pour rien au monde il ne le dirait à voix haute, mais la plus stimulante et la plus intense de sa vie. Seulement, ce genre d'histoires n'étaient pas faites pour durer, comme tout le monde le savait, et au bout des quelques semaines pour lesquelles son équipe avait signé, il avait bien fallu que… Ce n'était pas comme s'il y avait eu la moindre chance qu'il puisse rester au Japon, de toute manière, ni même qu'il le veuille, alors…

… alors qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire, hein ? Si Yoichi Isagi et lui ne se revoyaient plus jamais ? Ce petit Japonais qui n'avait l'air de rien, au départ, avec son allure de mauviette facile à manipuler, à tailler en pièces- Et peut-être qu'il avait fini par montrer sa vraie nature, d'accord, peut-être bien que Michaël l'avait sous-estimé, peut-être même qu'il avait réussi à le faire sortir de ses gonds à peu près autant qu'à l'exciter ; mais ça ne voulait rien dire. Y compris les fois où il l'avait saisi par le col, plaqué contre un mur, les fois où Michaël l'avait laissé attraper sa lèvre entre ses dents et glisser une main fébrile dans son short, les heures qu'ils avaient passées à se faire mutuellement jouir dans une chambre d'hôtel quelconque ou dans le lit de Yoichi lui-même – ça n'avait jamais rien voulu dire. Yoichi ne pouvait pas ignorer qu'ils appartenaient à des mondes différents, et que peu importe à quel point les jours post-Blue Lock avaient été… grisants… au final, ils étaient destinés à n'être que ça : éphémères.

Vraiment, c'était lui l'imbécile. Yoichi. Pour la façon dont il l'avait regardé au dernier jour, la main tendue pour caresser sa joue, comme si-

Michaël l'avait repoussée, cette main. Évidemment.

« Ha ! Ne me dis pas que tu croyais vraiment qu'il pourrait y avoir quelque chose entre nous, Yoichi ? Ne me fais pas rire. »

Puis il avait pris sa valise et il était parti sans attendre de réponse, sans même se retourner. Juste comme il avait toujours été prévu qu'il le fasse. En se fichant bien de laisser ou non un Japonais derrière lui, car il avait un avion à prendre, après tout, et c'était ailleurs que se trouvait sa vie ; peut-être pas aux côtés du Bastard München, peut-être pas même en Allemagne ni avec Ness, mais à coup sûr pas avec quelqu'un d'aussi oubliable et insignifiant que…

(Mensonges. Mensonges.
Il a beau se le dire et se le répéter encore, depuis des mois, il n'a pas oublié et il n'y croit plus lui-même-
Son poing serré sur la poignée de sa valise jusqu'à ce que ses ongles marquent la peau de ses paumes, ses yeux qui ne le brûlaient que plus encore à son arrivée à l'aéroport, le souvenir du regard sidéré et perdu et blessé de Yoichi, gravé dans sa mémoire, l'inquiétude insoutenable dans les yeux de Ness sitôt qu'il les avait posés sur lui. Ce vol qui lui avait paru interminable, avec son portable éteint mais si lourd dans sa poche, le sommeil qui ne venait pas malgré la fatigue dans tout son corps ; et dans sa tête en boucle les pensées traîtresses, l'imagination maudite aux mille images ridicules, et si, et si, et si.)

… Le lendemain, avec la nonchalance adaptée, il avait jeté son téléphone à Ness et lui avait ordonné de bloquer cette bande de clowns du projet Blue Lock sur tous ses réseaux. Ness s'était aussitôt exécuté, bien sûr. L'air abasourdi, peut-être, un peu, mais ça n'avait pas duré assez longtemps pour que Michaël soit obligé de s'en soucier le moins du monde ; et il n'avait posé aucune question, de toute façon. Parce qu'il savait où était sa place. Parce que lui, au moins, il était capable de remplir son rôle sans jamais en dépasser les limites. Parce que s'il y avait quelqu'un, dans cette équipe et dans n'importe quelle autre, sur qui il pouvait compter pour comprendre et obéir, plutôt que d'essayer vainement de se soulever et de lui tenir tête… C'était Alexis Ness et personne d'autre.

La vie avait repris son cours, ensuite. De façon on ne pouvait plus normale.
La chaleur de l'été, infiniment moins étouffante en Europe qu'elle avait pu l'être à l'autre bout du monde, avait laissé la place aux couleurs chaudes de l'automne ; l'équipe des U-20 du Bastard München, elle, avait continué de l'emporter inlassablement à toutes ses rencontres. Les entraînements l'avaient essoufflé autant qu'avant. Les victoires, même amicales, l'avaient satisfait autant qu'avant. Et dans le miroir après les douches, à chaque fois que lui était apparue la rose bleue dont les ronces s'enroulaient autour de son bras gauche, de son épaule jusqu'au dos de sa main, en symbole de tout l'impossible que lui seul savait pourtant rabaisser à sa portée – il n'avait pas détourné le regard.

Et c'était tout. Il n'y avait rien de plus à raconter – l'histoire s'arrêtait là. Quelques mois si vite passés, sans importance à l'échelle d'une vie entière, que Michaël avait d'ailleurs pratiquement oubliés ; et rien, absolument rien qui ne naîtrait jamais de tout ça. C'était certain.
Aussi ordinaire et risible qu'il l'avait promis, n'est-ce pas ?

Oh, Michaël n'était pas stupide, bien sûr. Il savait pertinemment qu'il reverrait un jour Yoichi Isagi ; qu'il le veuille ou non, l'as de Blue Lock avait toute sa place sur le terrain, dans l'équipe du Japon ou ailleurs, peu importe qu'on puisse ou non en dire de même de ses incapables de petits copains. Il avait juste espéré, c'était vrai, le temps d'un instant et naïvement, bêtement, que ce serait le plus tard possible, peut-être à l'occasion d'un match de championnat ou de la Coupe du Monde – un contexte où il serait facile de l'ignorer, dans tous les cas, en dehors des un-contre-un voués à être brefs dans le feu de l'action, mais…

Où était le problème, au final, si ce n'était pas le cas ? Ce n'était pas comme s'il avait besoin de temps, non plus. Au bout de toutes ces semaines et de tous ces mois. Lorsque ses paupières retombaient et qu'il se laissait vaguement aller à se rappeler ce garçon, le bleu indéfectible de ses yeux, le goût incandescent de sa peau – le vide s'était fait de lui-même. Il n'en avait presque aucun souvenir. Il n'y pensait même plus. S'il le croisait, lorsqu'il le croiserait, il n'était même pas certain qu'il le reconnaîtrait, à vrai dire, alors, ce n'était pas comme s'il y avait la plus petite chance qu'il ressente la moindre- appréhension-

(Du moins, c'est ce qu'il aimerait croire- Pff-
À qui est-ce qu'il essaie de mentir, au juste ? À qui est-ce qu'il nourrit l'espoir ridicule, pathétique, de faire avaler toutes ces conneries ? Il peut dire tout ce qu'il veut, le clamer haut et fort, au fond de lui, il sait- Il l'a toujours su-
Le début du mois de décembre arrive comme la vague de froid soudaine qui gèle les arbres et verglace le sol et dès les premiers pas de l'équipe japonaise sur le terrain d'entraînement du Bastard München il le voit. Son visage est dur et sa posture déterminée et même alors qu'il n'est ni le coach ni le capitaine ni le joueur en tête de file il le voit. Fascinant Yoichi Isagi aux yeux si bleus et à la présence imposante dont on ne peut détourner le regard, alors que sa silhouette est banale, mais les muscles et la force qui se cachent sous cet uniforme sombre il les connaît par cœur- Irrésistible Yoichi Isagi qui a un jour été sien, il n'y a pas si longtemps, entre les draps moelleux de sa chambre d'hôtel cinq étoiles et tout à lui, rien qu'à lui-
Son cœur brûle. Il a tout foutu en l'air et il le sait. Son estomac se tord. Il a tout gâché, il l'a fait exprès. Et pourtant dès qu'il le regarde – il en a la certitude, plus rien en lui ne peut le nier, tout est toujours pareil, il l'aime.)


Oh, Yoichi était loin d'être un imbécile, bien sûr.
Oui, même lorsqu'il n'était pas exclusivement question de football, ça va ! Il voulait bien reconnaître qu'il n'était pas toujours une lumière, et que c'était dans son intérêt que la plupart de ses bulletins scolaires restent enfouis à jamais d'ailleurs, mais il y avait des choses dont il se rendait compte, tout de même – il n'avait jamais cru au petit numéro de ce type, en l'occurrence. Michaël Kaiser. Pas à son grand jeu du complexe de supériorité ou à ses entrées en scène soi-disant magistrales, non- Ça, ça ne faisait aucun doute qu'il avait tout l'ego surdimensionné et (partiellement) mal placé nécessaire pour aller avec- Mais le sketch qu'il lui avait joué des mois plus tôt… La dernière fois…

Dans sa propre chambre, chez ses parents. Le matin de son départ pour l'Allemagne. Après avoir passé la moitié de la nuit à gémir son nom, comme si de rien n'était, en le mettant au défi d'y aller plus fort – tout ça pour qu'au moment précis où Yoichi avait tendu la main… alors qu'il voulait juste l'embrasser encore une fois…

« Ha ! Ne me dis pas que tu croyais vraiment qu'il pourrait y avoir quelque chose entre nous, Yoichi ? Ne me fais pas rire. »

Yoichi n'avait pas eu besoin que l'oreillette qu'il gardait en permanence s'efforce de lui transmettre un quart du venin qui imprégnait ses paroles – il l'avait entendu et ressenti même sans la traduction, merci bien. (Comme un coup de poignard dans l'estomac. Aussi sec et aussi impitoyable.) Et c'était vrai qu'il avait douté, sur le coup ; lui qui était souvent le plus rapide à envisager la suite de l'action et à réagir sur le terrain, il s'était laissé paralyser, il avait autorisé l'incompréhension à entraver sa gorge et à compresser sa poitrine ; mais sitôt qu'il y avait vraiment réfléchi, ensuite… Une fois Kaiser parti, évidemment, sa valise à la main et la porte de sa chambre puis de la maison refermée sur son passage, son taxi démarrant d'ores et déjà dans la rue dehors…

… C'était impossible, non ? L'insupportable, exaspérant, indomptable Michaël Kaiser – dès leur première rencontre, dès la toute première seconde, il n'en avait fait qu'à sa tête, en se fichant bien des règles et de la bienséance qu'on essayait de lui imposer. Avec Yoichi, ils s'étaient tour à tour détestés, fascinés, disputés, rapprochés, rendus fous et désirés, désirés à la folie ; mais jamais Yoichi n'aurait pu ne serait-ce que songer à le mettre dans son lit si Kaiser ne l'avait pas voulu tout autant, voire plus encore que lui. Kaiser rendait coup pour coup et sa riposte était rarement moins hargneuse, moins intense que l'originale, après tout. La première fois qu'ils s'étaient embrassés, ça avait été plus que mutuel, Yoichi en était certain, et toutes les fois suivantes… Ce n'était pas toujours lui qui avait forcé Kaiser à s'agenouiller, hein. Clairement pas lui qui lui avait arraché son short le premier. Et la force de son étreinte lorsqu'il avait les bras passés autour de sa nuque, l'éclat dans son regard lorsque les lèvres de Yoichi effleuraient les pétales de la rose dans son cou, le rouge à son visage lorsque Yoichi répliquait sans sourciller à ses tentatives de le déstabiliser d'un mot trop doux ou d'un sourire, ce genre de trucs… Yoichi savait qu'il ne l'avait pas imaginé. Il n'y avait juste… Aucune chance… N'est-ce pas-
Alors c'était impossible. Il n'y avait pas moyen que Kaiser ait juste- pendant toutes ces longues semaines, de ce premier tir intercepté à leur dernière nuit dans les bras l'un de l'autre- fait semblant.

(C'était lorsqu'il en avait eu la confirmation, il lui semblait bien, que la colère avait enfin remplacé la douleur.)

Ne me dis pas que tu croyais vraiment qu'il pourrait y avoir quelque chose entre nous, gna gna gna – et puis quoi encore ! À d'autres ! Franchement, quel abruti déclamait ça, avec tous ses grands airs, et puis décampait plus vite qu'un gardien débutant face à un shoot de Noël Noa, tout en oubliant le chargeur de son portable dans la chambre de son prétendu plan cul ?! Quand il le reverrait, ah, Yoichi avait tout de suite su qu'il allait le lui faire bouffer-

-et donc, non, il n'avait jamais douté du fait qu'il le récupérerait un jour. Jamais. Même s'il ignorait quand, et même s'il ignorait comment, Kaiser et lui étaient voués à se revoir ; d'ici là, il fallait juste qu'il prenne son mal en patience. Il n'y avait aucune raison que ce soit plus frustrant que d'attendre d'avoir une occasion de jouer contre l'ancienne équipe des U-20 du Japon, ou plus difficile que de survivre à Blue Lock pour devenir le meilleur buteur du monde entier – et ça ne l'était pas, d'ailleurs !

Il était tout à fait capable de continuer sa vie, toute sa vie s'il le fallait, sans se soucier de Kaiser. À vrai dire, il n'y pensait même pratiquement jamais. Même la nuit, même lorsqu'il se retrouvait seul dans sa chambre et que ses parents dormaient dans la leur, c'était rare qu'il se rappelle les moments qu'ils y avaient passés ensemble ; qu'il se remémore son sourire narquois ou son air suffisant. Les paroles avec lesquelles il s'était moqué de ses posters et de ses figurines de Noël Noa. Le son de sa voix trop railleuse- Si je parle trop, tu n'as qu'à me faire taire, hm, Yoichi- Tous les trucs comme ça…

Quand la durée d'un mois depuis le départ de Kaiser avait été franchie, puis deux, puis trois, Yoichi n'y avait même pas fait attention, parce qu'il n'avait jamais perdu de temps à compter le temps sans lui. Pas même les jours ou les nuits, encore moins les heures. Quand sa mère s'était inquiétée et lui avait demandé, plus douce que jamais, si Mi-kun lui manquait, c'était uniquement parce qu'il aurait été trop compliqué de lui expliquer la vérité qu'il ne l'avait pas contredite. (Qu'il l'avait laissée le serrer dans ses bras, le visage enfoui dans son épaule.) Il n'y avait pas d'autre raison. Même pas en rêve.

(La dernière fois qu'il avait pleuré pour le foot remontait à presque une année ; c'était hors de question qu'il pleure pour Michaël Kaiser.)

Puis, tout à coup, avec l'aide de Reo et de leur équipe de U-20 made in Blue Lock dont celui-ci avait été désigné capitaine, tout s'était enchaîné, et-
Plus de dix heures d'avion, une journée de voyage interminable, au moins trois aéroports plus tard, c'était en même temps que les premiers gels de décembre qu'il avait enfin – enfin – foulé le sol allemand et que son souffle, lent, calme, s'était changé en buée dans l'air froid et sec de Munich. Que les battements de son cœur, lourds dans sa poitrine, avaient ralenti la cadence au profit de la certitude que ça y était. Dans quelques minutes ou quelques heures ou quelques jours, il allait le revoir. Ils allaient, comme les deux adultes qu'ils étaient, dans ce pays du moins maintenant que Yoichi avait fêté ses dix-huit ans, ils allaient discuter, calmement, et une fois que cet imbécile de Kaiser lui aurait présenté ses excuses, ils allaient trouver une solution-

… Ça avait été le plan, du moins. Lorsqu'il était entré sur le terrain à la suite d'Ego, de Reo, de Rin et des autres. Lorsque ses pas s'étaient enchaînés sur le gazon encore humide, machinalement, ses bras croisés dans son dos avec une docilité qui n'était qu'apparente et ses sourcils froncés de détermination – oh, pas de gagner, non, pas seulement, mais aussi de le chercher parmi tous ses petits camarades du Bastard München, de le trouver, d'un regard ardent qui ne laisserait plus la place au moindre doute, et-
-et à l'instant où les yeux de Yoichi s'étaient arrêtés sur la silhouette du grand Michaël Kaiser, décidément reconnaissable entre mille avec cette coupe de cheveux bicolore ridicule et cette touche de maquillage pour mettre en valeur son visage stupidement sublime, celui-ci n'avait rien trouvé de mieux à foutre que de tourner la tête ?!

À peine arrivé dans les vestiaires, Yoichi serra les dents – dans l'espoir que la rage qui le consumait intérieurement veuille bien rester intérieure, sait-on jamais – et s'efforça de ne pas faire claquer la porte en métal du casier qu'on lui avait attribué. Ce pauvre casier ne lui avait rien fait, après tout. Il avait beau être estampillé Bastard München, affublé de leur logo ridicule dans leurs couleurs affreuses avec cette épée débile au milieu, ce n'était pas lui qui venait de passer trois heures à regarder ailleurs à chaque fois que Yoichi essayait de capter son attention. Ou de se dépêcher, comme par hasard, de se placer le plus loin possible de lui lorsqu'il était question de se mettre en rang. Non, bien sûr, il n'y en avait qu'un pour se permettre de l'éviter purement et simplement- De façon tout sauf discrète, en plus- Au lieu de venir lui présenter les foutues excuses qu'il méritait !
À croire que c'était si compliqué que ça, quand on s'appelait Michaël Kaiser, de ne pas tourner les talons à chaque fois qu'il s'approchait et de prononcer les mots pardon, Yoichi, je ne pensais pas ce que j'ai dit-

Plutôt que de le claquer, au final, Yoichi se contenta de refermer son casier d'un geste furieux – et c'est alors qu'un toussotement délibéré dans son dos attira toute son attention.

« Yoichi. »

Une fois encore, pas besoin du traducteur automatique pour le comprendre ; cette voix-là aussi, il la reconnaissait sans peine par-dessus les sons un peu trop mécaniques à son oreille, et le temps d'une seconde, il se haït d'être déçu que ça ne soit pas celle qu'il avait espérée. Puis il retint un soupir, pivota sur ses talons et soutint le regard du joueur – faussement ! – sagement adossé aux casiers en face du sien.

Dans la catégorie des mecs qui lui tapaient sur le système, Alexis Ness ne se classait pas trop mal non plus, quoiqu'un peu différemment. Kaiser pourrait tuer un homme que ce type-là trouverait moyen de le reprocher à la victime ; après quoi il s'arrangerait pour faire disparaître le corps sans laisser de traces, et surtout, sans que son cher Kaiseeer n'ait à lever le petit doigt. Après leurs… échanges de ces derniers mois, peu importe à quel point ceux-ci avaient pu être édifiants, Yoichi était particulièrement bien placé pour le savoir.
Et tout portait à croire qu'il était là pour en faire la démonstration aujourd'hui encore.

« Je constate, reprit-il, sa condescendance naturelle toujours aussi insupportable, que tu n'as toujours pas parlé à Kaiser. »

Pardon ?!
Il avait eu la décence de ne pas l'ajouter à voix haute, mais Yoichi pouvait lire sur son visage le carton jaune ! hautain qu'il mourait d'envie de lui lancer. Ce lèche-bottes à deux balles. Il avait de la chance d'être le seul à comprendre à peu près ce qui se passait dans la tête d'abruti de Kaiser, parce que sinon…

« Je te signale, répondit Yoichi sur le même ton, sans détourner les yeux, que ton Kaiser emploie toute l'énergie dont il dispose à m'éviter, en ce moment. Juste comme ça. »

Pour toute réponse, Ness haussa un sourcil, l'air de lui demander en quoi c'était son problème. Puis, voyant que Yoichi ne réagissait pas, il se contenta de fermer les yeux, le visage exagérément las, et de laisser échapper un long, trop long soupir.

« Dépêche-toi, c'est tout, ajouta-t-il simplement, comme si ça lui en coûtait de le dire – et sans doute que c'était le cas, en fait. Il ne va pas t'attendre toute sa vie.
– Ça tombe bien, parce que moi, ses excuses, j'ai pas l'intention de les attendre bien longtemps non plus. »

Ah, un œil qui se rouvre. Un large sourire aux lèvres, cette fois-ci, mais ça faisait longtemps que ça ne trompait plus personne, ni à Blue Lock ni sans doute au Bastard München non plus : il irradiait de colère, et Yoichi sentit une satisfaction narquoise réchauffer sa poitrine.
Kaiser n'allait pas l'attendre toute sa vie – et puis quoi, encore ? La simple présence de Ness ici, au premier jour de leur stage d'entraînement, lui prouvait tout ce qu'il avait besoin de savoir. (Yoichi l'avait bien attendu jusqu'ici, lui.) Qu'il essaie de lui mettre la pression ; ils verraient bien si ça suffirait à épargner tout effort et toute remise en question à son précieux Kaiser.

« La ferme, Yoichi de merde. Pour ta gouverne, s'il ne se passe plus jamais rien entre vous deux, ça m'ira très bien aussi.
– Va te faire foutre, Ness. »

Ness ne répondit pas ; mais tout dans la façon dont il se redressa ensuite avant de quitter les vestiaires criait que le compliment était on ne peut plus réciproque.

Eh bien soit : tant mieux. (Les sentiments de Kaiser n'avaient pas changé. Tant mieux.) Grand bien lui fasse. Ce n'était pas son petit numéro d'intimidation à la con qui allait convaincre Yoichi de changer d'attitude envers Kaiser, bien au contraire – si celui-ci n'avait rien de mieux à faire que de lui envoyer son insupportable laquais, même involontairement, plutôt que d'oser lui parler en face… Alors Yoichi avait bien l'intention de ne pas le laisser s'en tirer comme ça. S'il espérait lui faire baisser les bras, le faire repartir au Japon sans qu'ils aient échangé trois mots et sans qu'il se soit excusé – il pouvait toujours rêver.
(Et peu importe, en fin de compte, qu'il doive peut-être une partie de la conviction que cet idiot de Kaiser l'aimait encore à nul autre que Ness – avec une attitude pareille, il se mordrait la langue jusqu'à se l'arracher plutôt que de le reconnaître.)


CONTACT : Alexis Ness

samedi 26 août

Vous (19:28)

C'est quoi son problème, à Kaiser ?!

mardi 29 août

Alexis Ness (21:34)

Quelle audace d'oser encore m'adresser la parole après ce que tu as fait, Yoichi.

Alexis Ness (21:35)

Si Kaiser n'a plus rien à te dire, je ne vois pas ce qui te fait croire que ça sera mon cas.

Vous (21:41)

Après ce que J'AI fait ? Tu te fous de ma gueule ?

Vous (21:47)

Dis à l'autre abruti qu'il a oublié son putain de chargeur quand il a pris ses jambes à son cou après m'avoir plaqué

Alexis Ness (21:49)

Kaiser n'est pas un abruti. Carton rouge, Yoichi de merde.

Alexis Ness (22:12)

Qu'est-ce que tu racontes ? Comment ça, *il* t'a plaqué ?

(Yoichi est en train d'écrire…)


Et donc, au bout d'à peine une semaine d'entraînements en commun, tous les matins de huit heures à midi puis trois heures encore dans l'après-midi, Michaël en avait la conviction : Yoichi ne pouvait juste pas s'empêcher de le chercher du regard, à chaque fois qu'il en avait ne serait-ce que l'ombre d'une occasion.

Foutu Yoichi. Foutu Blue Lock. Foutue équipe japonaise des U-20, avec leur foutue envie de venir s'entraîner en Allemagne, sans raison, juste comme ça, pour oublier qu'ils n'étaient qu'une bande d'incapables qui ne lui arrivaient pas à la cheville, et surtout – foutu Yoichi. Cela faisait des mois que Michaël était parti en claquant la porte, juste après lui avoir asséné un coup d'autant plus fatal que c'était la vérité ; il savait que ça n'aurait jamais pu marcher entre eux et il savait que Michaël ne voulait pas que ça marche, que ça ne servait même à rien qu'ils reviennent là-dessus ; merde, ça faisait même une semaine entière que Michaël s'évertuait à tourner la tête et à prendre la direction opposée dès qu'il faisait mine d'approcher, alors- Avec tout ça, il ne pouvait pas lâcher l'affaire ?!

(Bien sûr que non. Yoichi Isagi n'est pas, n'a jamais été du genre à lâcher l'affaire – belliqueux, indécemment fier, revanchard, ce ne sont pas les échecs qui l'empêchent d'essayer encore et encore, et il est prêt à se déconstruire et à se reconstruire sans cesse, jusqu'à obtenir ce qu'il veut. Que ça soit la victoire ou la vengeance ou les deux.
C'est justement ça qui lui a plu chez lui.
C'est justement ça, entre autres, qui lui plaît encore tellement.)

Agacé, non, hors de lui et le cœur lourd dans sa poitrine, Michaël se força à inspirer normalement et à enfiler son pull à col roulé. Heureusement, leur coach avait eu l'intelligence de refiler aux Japonais le vestiaire d'à-côté, ce qui signifiait qu'il n'avait pas besoin de se les coltiner en dehors des entraînements – ni lorsqu'il se changeait, ni lorsqu'il se préparait le matin ou qu'il s'étirait le soir. Encore moins sous la douche. Sitôt qu'il passait la porte du vestiaire, il avait la paix, ce n'était plus que lui et ses affaires, et…
Dans son dos, face à son propre casier, Ness était étrangement silencieux. Il avait beau connaître sa place, d'habitude, le connaissant, Michaël se serait attendu à au moins une tentative de commentaire de sa part, quand bien même il ne lui aurait fallu qu'une seconde pour la réprimer si elle lui déplaisait ; et lorsqu'il s'éclaircit la gorge, ce jour-là, il comprit que le moment était venu.

« Tsk », fit-il alors, sans se retourner – mais étant donné la position de leurs casiers, par rapport à tous ceux du reste de l'équipe, il ne faisait aucun doute que c'était à lui qu'il s'adressait. « Ce satané Yoichi est toujours aussi insupportable. »

Michaël ne répondit pas. Oh, il était d'accord, bien sûr ; c'était juste que…
Qu'y avait-il à ajouter à ça ? Pour une fois, de façon assez surprenante d'ailleurs, Ness avait raison. Le sentiment qui tordait son estomac à la simple idée que Yoichi le regardait sur le terrain, tout le temps, à chaque fois qu'il n'avait les yeux ni sur le ballon ni sur les cages, sans savoir si c'était pour le faire revenir ou le haïr, ne pouvait être que de l'exaspération. Rien d'autre.

(Et l'indicible espoir aux prises avec la raison inflexible dans sa poitrine, et s'il voulait- contre non, c'est impossible, oh, il les fait taire tous les deux.)

« Il devrait être à tes pieds, Kaiser », poursuivit Ness. Le ton sûr et la voix qui l'ancrait dans la réalité – si bien que Michaël n'eut pas même à retenir un soupir.

Évidemment. Il n'y avait pas besoin d'y réfléchir, en fait, pour être frappé par l'évidence : rien que sur le terrain, déjà, il pouvait bien être le meilleur joueur de Blue Lock, l'espoir de la nation ou il ne savait trop quoi, il n'était pas Michaël Kaiser, par conséquent il ne pourrait jamais briguer que la deuxième place. Au mieux. Et ça, c'était sans même mentionner tout… le reste ; s'il avait vraiment fait tout le voyage depuis le Japon juste pour le revoir… s'il était désespéré au point de ne vouloir plus qu'un seul regard, une seconde d'attention de sa part, un mot de plus pour changer le cours de sa misérable existence…
Qu'il se mette à genoux, qu'il l'implore comme un gueux aux pieds de son empereur, qu'il rampe – c'était la moindre des choses, non ?

(Non. Il sait très bien que non.
Pas après la façon dont il s'est comporté. Pas alors que c'est lui qui a tout fait foirer.)

Un instant de silence, encore, puis Michaël réalisa que cela faisait plusieurs secondes qu'il fixait son maillot de rechange, les sourcils froncés et le tissu froissé au creux de son poing. Il se reprit d'un coup ; se hâta de le fourrer dans son sac de sport, et se força à se concentrer sur ce qui importait vraiment, comme… rassembler ses affaires. Remettre ses baskets de ville. Quant à Ness, qui attendait patiemment une réponse, ou peut-être pas…
Michaël hésita un instant – chose rare dont il n'autoriserait personne à avoir conscience, même vaguement. Mais Ness était loin d'être personne. Et finalement, dans le souffle qu'il s'était permis au lieu d'un soupir, il se décida.

« Ness, est-ce que tu crois que je… »

Il ne termina pas sa phrase, se retint de se mordre la lèvre ; mais ce n'était pas nécessaire. Ni d'aller jusqu'au bout de la question ni de souhaiter que personne ne l'ait réellement entendue. Quoi qu'il ait été sur le point de dire, de toute façon, personne ne pouvait le prouver, et c'était n'importe quoi, un moment d'égarement, qui ne se reproduirait plus – à coup sûr pas une preuve de… faiblesse…

« Je pense que tu es quelqu'un de formidable », se fit à nouveau entendre la voix de Ness, aussi calme et infaillible que toujours. Comme s'il ne doutait pas une seconde de ce qu'il racontait, et qu'en même temps c'était la chose la plus naturelle au monde. « Et je pense qu'il devrait s'estimer heureux que tu t'intéresses à lui, même de loin. »

Il n'en mérite pas autant, n'ajouta-t-il pas – mais Michaël l'entendit quand même. Sans doute l'un des effets secondaires qu'il y avait à s'entraîner et à passer presque tout son temps avec ce type depuis des années, hm ? Il s'exprimait sur un de ces tons, en plus. Presque agacé d'avoir à énoncer de telles évidences. Pfft. Encore un peu, et il serait peut-être temps de lui rappeler que ce n'était pas à lui de s'occuper des grands discours, dans cette relation-
En attendant, Michaël esquissa un sourire. Presque narquois et presque satisfait. Acquiesça d'un mouvement de tête à peine perceptible ; après quoi il attrapa d'une main la bandoulière de son sac et se dirigea vers la sortie des vestiaires.

« Ah, Kaiser ? »

Avant d'avoir fait trois pas, il pivota sur ses talons et lança à Ness un coup d'œil interrogateur – autant pour l'inviter à poursuivre que parce qu'il… n'avait toujours pas fini de s'habiller, son t-shirt aux longues manches noires à peine entre les mains. Qu'est-ce qu'il foutait, depuis tout à l'heure, au juste ? À part l'écouter sans bouger comme un abruti ?
Son sourcil haussé croisa le regard de son coéquipier, et celui-ci eut au moins la décence d'avoir l'air embarrassé. Pas désolé, ceci dit.

« Tu sais… » finit-il par ajouter, d'abord un peu incertain – jusqu'à ce que son attitude change et qu'il soutienne à nouveau son regard. « Tu sais, tu es le seul qui puisse rendre l'impossible possible. »

Lorsqu'il se tut, le sourire qui éclairait son visage était on ne peut plus confiant.

(Presque assez confiant pour faire taire ses propres doutes, et toutes les hypothèses insupportables dans sa tête.)

Alors, Michaël fit le pas qui le séparait encore de Ness ; juste assez pour lui coller à l'épaule le poing qu'il méritait et lui répondre en un souffle.

« Ouais. À demain, Alexis. »

Et demain, oui, ils verraient, si Michaël Kaiser était du genre à reculer devant un défi aussi ostensiblement lancé- si c'était vraiment son genre d'éviter la confrontation et de se laisser intimider par des types qui, à côté de lui, valaient à peine plus que rien-
Ce foutu Yoichi n'avait qu'à bien se tenir.

(En espérant qu'il ne le repousse pas, en tout cas, pas tout de suite- Et qu'à terme, peut-être… Avant qu'il ne reparte… Si c'est pour ça qu'il est là, avec un peu de chance, si ce n'est pas pour le sortir de sa vie une bonne fois pour toutes… Il veuille encore de lui.)


Non mais- C'était quoi, ça ?!
Alors Yoichi traversait la moitié de la planète, littéralement un continent entier, juste pour revoir le salaud qui l'avait largué du jour au lendemain sans explications quand bien même il l'aimait encore, comme confirmé presque noir sur blanc par les messages de son fidèle sous-fifre, et après avoir passé une semaine à l'ignorer de façon tout à fait délibérée- Juste au moment où Yoichi commençait à en avoir assez, et à se dire que Kaiser n'avait qu'à venir lui présenter ses excuses lui-même, s'il voulait avoir une chance qu'il lui pardonne-
Ce type s'était mis à chercher son regard en retour ?

Les joues anormalement tièdes et le cœur battant la chamade, merde, Yoichi garda les yeux rivés sur le terrain face à lui et s'efforça de ne pas se laisser déconcentrer du match d'entraînement en train de se jouer – mais c'était peine perdue. Il le sentait. Le regard de Kaiser, toute son attention rivée sur lui ; ils étaient assis loin de l'autre, encore heureux, mais tant que Kaiser ne jouait pas et lui non plus…

Yoichi avait cru à une hallucination, au départ. La première fois qu'il l'avait remarqué, ce matin ; en arrivant avec le reste de l'équipe, toujours menés par Reo (qui n'avait même pas besoin de son propre traducteur pour se débrouiller en allemand), et que nul autre que le grand Michaël Kaiser s'était tourné vers lui sitôt qu'il avait posé un pied sur le terrain. Ça n'avait pas de sens – pas après toutes ses tentatives infructueuses d'attirer l'attention de Kaiser ces derniers jours, et pourtant…

Pourtant, il ne l'avait pas quitté des yeux de toute la journée.
Et Yoichi commençait à réaliser qu'il ne savait plus quoi faire.

C'était vrai, quoi ! Courir après Kaiser, attendre six mois et se taper quinze heures d'avion pour le retrouver, en s'imaginant toutes les façons dont il pourrait lui demander des comptes quant à ce sketch de rupture désastreux, (dont il pourrait le convaincre de revenir ensuite,) c'était une chose ; mais se rendre compte, tout à coup, qu'en dépit de tous les signaux qu'il lui avait envoyés jusqu'ici Kaiser était prêt à lui parler, maintenant, et pire encore, qu'il cherchait à lui parler… Que, pour une fois, ils voulaient la même chose…
… Yoichi n'avait aucune idée de pourquoi, mais il n'avait pas pu s'empêcher de l'éviter à son tour. Rah, et puis de toute façon, lui parler, pour lui dire quoi ?! Ce regard qu'avait Kaiser, quand il l'apercevait du coin de l'œil – ce n'était pas celui d'un mec rongé par les remords qui désespérait d'avoir l'occasion de s'excuser. Et ce n'était pas non plus celui qu'il avait pu avoir le passé, hautain et narquois, auquel il avait suffi de répondre en se montrant plus railleur encore. Kaiser…

Ce n'était pas qu'il avait changé, en quelques mois. Sans doute pas. Ce n'était pas que Yoichi ne voulait plus de lui, non plus. Ça lui faisait mal de le penser, mais sûrement pas. C'était juste que ça avait été tellement plus facile, avant- Quand toute leur relation ne consistait qu'à enchaîner les sarcasmes en se fichant bien de qui aurait le dernier mot, tant qu'à la fin Kaiser le dévorait du regard et que, les mains dans ses cheveux blonds ou autour de son cou, Yoichi devenait seul maître des émotions qui animaient ce visage parfait- Quand ils n'avaient pas besoin de parler pour se comprendre, en fait. Parce que malgré tous leurs désaccords et toutes leurs chamailleries, ils étaient sur la même longueur d'onde.

… Ou du moins, c'était ce que Yoichi avait cru. Et il s'était planté, visiblement.

À quoi est-ce qu'il s'attendait, en débarquant en Allemagne comme ça des mois plus tard, au juste ? Pas à ce que Kaiser l'ignore sciemment, c'était clair – mais pas non plus à ce qu'il le fixe d'un air aussi… sérieux. Peut-être à ce qu'il lui balance un truc du style rampe à mes pieds, Yoichi, si tu veux que je te reprenne ? Ça aurait été assez son genre ; ça aurait été tellement plus simple. Mais il fallait croire que les choses ne pouvaient pas juste être simples, avec Michaël Kaiser-
Et malgré ça Yoichi, aussi maso qu'à son habitude, ne le désirait que plus encore. Quand bien même il faisait naître en lui tant d'émotions que Yoichi n'aurait pas pu en nommer la moitié, quand bien même la seule chose qui était sûre, c'était qu'il lui semblait plus inaccessible que jamais- Dans toute sa complexité, comme un casse-tête épuisant qu'il est pourtant hors de question qu'on laisse tomber avant d'avoir réussi à le résoudre – tout en sachant pertinemment qu'il le fascinait trop pour qu'il s'en lasse un jour, jamais. Pour ça, pour y parvenir, il lui fallait juste un plan- Une stratégie dont les éléments n'étaient pas encore assemblées dans son esprit- Une nouvelle pièce-

(Et pitié, faites que Ness ait raison. Peu importe à quel point ça sonnait ridicule et stupide, à quel point ce serait inutile et insensé et injuste qu'au final, ce ne soit qu'une très mauvaise blague… faites que Ness n'ait pas menti.
… Parce qu'il n'était pas sûr qu'il parviendrait à s'en remettre si c'était le cas.)

C'est ainsi qu'il passa les jours qui suivirent à continuer d'éviter Kaiser.
Pas par lâcheté. Absolument pas ! Ni par peur qu'une discussion avec lui se termine mal ou quoi que ce soit d'autre – par stratégie, c'était tout. Pour se donner le temps de trouver une idée. Heureusement, pour ça, il pouvait sans peine compter sur le reste de son équipe ; bon, peut-être pas toute son équipe, étant donné que Barô était toujours d'aussi bon conseil et que, maintenant que Reo et lui sortaient (enfin) officiellement ensemble, Nagi le foudroyait du regard à chaque fois qu'il essayait de s'adresser à son chéri, en général depuis le dos du chéri en question d'ailleurs, mais… Il y avait toujours Rin, pour l'écouter se questionner sur la suite du programme d'entraînement et lui offrir quelques grognements monosyllabiques en échange. Ou Chigiri, quand il ne le plantait pas en pleine conversation pour aller embêter Kunigami qui passait par là. … Sinon, Rin restait une bonne alternative ; même s'il refusait toujours ses propositions d'aller visiter Munich d'un non dégoûté, au moins, il était là. Pas plus tard que la veille, un compliment sur l'adorable strap en forme de petit hibou qu'il avait accroché à son portable avait même valu à Yoichi un hm presque agréable. Et en général, discuter avec Rin signifierait qu'ils seraient rejoints en moins de deux par Bachira, et ça… ça résolvait au moins le problème de l'absence de réponses.

C'est au bout du quatrième jour de cette tactique imparable, au final, que Yoichi se découvrit un nouvel allié – au moment où, juste après l'entraînement, un bras qu'il ne reconnut pas tout de suite s'abattit sur son dos avec une nonchalance à laquelle il ne s'attendait pas.

« Hé, la star. Je me demandais un truc. »

Pris de court, il écarquilla les yeux, plus surpris encore de constater que c'était Shidô qui avait, de lui-même, pris l'initiative de lui adresser la parole – lui qui, en dehors du terrain, avait plutôt tendance à ne rechercher le contact que de Sae (éventuellement de Rin, mais ça finissait rarement bien, surtout lorsqu'il avait le malheur de l'appeler beau-petit frère)… ou à rester seul, dans son monde, à proximité de Sae… Ce n'était pas que Yoichi ne l'appréciait pas, en soi ; à titre personnel, il ne lui avait jamais rien fait, et le duo qu'il formait avec Sae sur le terrain comme dans la vie privée était redoutable, même s'il aurait parfois été préférable que leur vie privée reste privée ; c'était juste qu'ils ne se côtoyaient pas particulièrement, alors…

Avant que Yoichi ne puisse s'interroger davantage, toutefois, ou même essayer de se dégager de sa prise, Shidô poursuivit, à mi-voix mais avec un naturel indéniable :

« Il se passe quoi, avec ton blondinet ? J'étais sûr que vous vous sauteriez dessus dès le premier jour, pourtant. »

Cette fois-ci, Yoichi s'étouffa avec sa salive. Quoi ?!
Que Kaiser soit blondinet, non, son blondinet, passe encore, il voulait bien, mais- D'une, c'était quoi cette question ?! Et de deux, comment est-ce qu'il pouvait savoir que Kaiser et lui- Enfin, d'accord, Bachira était au courant, et Chigiri avait deviné, et sans doute que Reo et par extension Nagi s'en doutaient un peu aussi, mais- À moins qu'un de ceux-là ait cafté, ils n'étaient pas non plus allés le crier sur tous les toits !

Sans pitié, Shidô, lui, se contenta d'éclater de rire.

« Hahaha ! Tu devrais voir ta tête ! » s'esclaffa-t-il, hilare, au point qu'il dut le lâcher pour se reprendre. Lorsqu'il fut à nouveau maître de lui-même, il accompagna la suite de sa tirade d'un coup de coude, léger mais pas pour autant indolore. « Arrête ça, c'est évident. Dès que l'autre regarde pas, vous vous bouffez des yeux exactement comme avec Sae-chan quand on- »

Tout à coup, sans raison apparente, il se tut aussi subitement qu'il avait pris la parole. Yoichi haussa un sourcil, mais ne reçut aucune réponse.
S'il avait tourné la tête, ne serait-ce qu'un instant, il aurait constaté que le regard de Shidô venait de croiser l'air perpétuellement neutre d'un certain Itoshi Sae, à quelques mètres d'eux – et que son aura en apparence indifférente signifiait en fait bien ne t'avise pas de finir cette phrase si tu ne veux pas dormir par terre ce soir.

« Enfin, bref, continua finalement Shidô, pas plus déstabilisé que ça. J'en déduis que c'est votre première dispute de couple ?
– Non, répondit Yoichi du tac-au-tac, on est pas… »

Mais il ne termina pas sa phrase : Kaiser et lui, ils n'étaient pas quoi, au juste ? Pas en train de se disputer ? Ouais, à d'autres. La seule raison pour laquelle ils ne se disputaient pas activement, c'était parce qu'ils évitaient activement de se parler, tantôt du fait de l'un, tantôt du fait de l'autre, et il n'était pas sûr que ça compte. Sinon quoi – pas un couple ?
Techniquement, il supposait que c'était vrai, depuis le départ de Kaiser cet été. Peut-être même depuis bien avant ça, aussi, maintenant qu'il y réfléchissait. Tout ce qu'ils avaient fait, après tout, c'était coucher ensemble, et passer tout le temps où ils ne couchaient pas ensemble à se chamailler comme des idiots, bien que l'un d'eux deux soit nettement plus idiot que l'autre ; et ils n'avaient jamais ouvertement décidé de former un… couple, dans l'absolu. Quand bien même Yoichi était parti du principe que… Quand bien même Yoichi savait qu'il y avait des sentiments, d'un côté comme de l'autre.

(Du moins, il l'espérait. Et ce n'était pas pour autant que cela faisait moins mal de s'en rendre compte.)

… Bon sang, depuis quand et à quel point est-ce qu'ils avaient négligé les conversations importantes qu'ils auraient dû avoir, en fait ? Comment est-ce qu'ils…

Lorsque Shidô se mit à lui tapoter sur l'épaule, cette fois-ci avec une quasi-douceur que jamais personne ne lui aurait soupçonnée, Yoichi se ressaisit.

« Aw, allez, t'en fais pas, fit-il. Tu vas le récupérer, ton blondinet.
– Ça va, Shidô. J'ai pas besoin de ta pitié, et encore moins que tu te foutes de ma gueule. »

Malheureusement, c'était peine perdue : cette fois encore, essayer de raisonner avec Shidô eut à peu près autant d'effet que de s'évertuer à expliquer à Nagi que non, ce n'était pas parce qu'il voulait parler à Reo qu'il cherchait à lui piquer Reo. Il aurait dû s'en douter, avec le recul.

« Tu sais quoi, la star ? Je crois que j'ai même une super idée. »

Il ne savait pas quoi, non – ce qu'il savait, en revanche, c'était qu'il n'était certain ni d'avoir confiance en l'idée en question, ni d'avoir ne serait-ce qu'envie de la découvrir.

(Et pourtant, s'il y avait la moindre petite chance que ça permette à son cœur de ne plus s'emballer à la simple idée d'adresser la parole à Kaiser- la moindre petite chance que ça l'aide à affronter, merde-

Il n'avait pas le choix. Comme à dix minutes de la fin du match, lorsque la situation avait l'air désespérée… Il fallait qu'il tente le tout pour le tout – ou il ne se le pardonnerait jamais.)


CONTACT : Sae

mercredi 3 décembre

Sae (18:53)

Samedi, 10h. Je t'envoie l'adresse.

Vous (20:38)

Hors de question que je paie un de tes trucs hors de prix.

Sae (21:04)

Je t'assure que tu as besoin de cette entrevue davantage que moi.


Et puis quoi, encore ?

Pas impressionné le moins du monde, Michaël croisa les jambes et porta à ses lèvres sa tasse de café encore bouillant, d'un geste si fluide qu'il en était parfait et le sourcil haussé. Confortablement installé dans le fauteuil qui lui faisait face, Sae, lui, ne lui accorda même pas un regard ; au lieu de ça, il se contenta de plonger le bout de sa cuillère dans la montagne de chantilly au lait de coco qui surplombait son chocolat chaud vegan pauvre en calories dont le prix se comptait en deux chiffres, et qu'il venait d'annoncer que ce ne serait certainement pas lui qui paierait.
Il avala sa cuillère, l'air toujours aussi imperméable à ce qui l'entourait, et Michaël se laissa aller à un bref soupir, pour la forme. Soit. Ce type avait de la chance qu'il ait effectivement une question ou deux à lui poser – maintenant, le tout, ce serait… de les lui poser…

Soudain mal à l'aise, Michaël réajusta la position de ses genoux et parcourut la salle d'un coup d'œil. L'établissement n'étant pas (financièrement) accessible à la populace, il était loin d'être complet ; en tout cas, personne n'entendrait rien de leur discussion, c'était sûr ; mais de là à parler de ça à Sae Itoshi… Même si Michaël ne le détestait pas, au contraire – il avait au moins l'avantage de savoir se rendre utile sur le terrain, lui –, et qu'il était presque indirectement concerné…
Les images de ces derniers jours lui revinrent et son estomac se noua, lui interdisant toute gorgée de café supplémentaire. Yoichi qui tournait la tête sitôt qu'il essayait d'attraper son regard… Foutu Yoichi qui se dépêchait d'aller voir ailleurs à chaque fois qu'il envisageait de l'approcher… Imbécile, imbécile de Yoichi qui n'en avait toujours que pour le même incapable, Michaël ne savait même pas pourquoi, et- Rah, comment demander à quelqu'un s'il y avait quoi que ce soit entre son frère et le garçon qui nous- ? Bref-

(Et si Ness avait tort, cette fois-ci ? Et s'il ne faisait que se bercer d'illusions depuis le début ? Et si tout avait- Et s'il avait bien tout foutu en l'air, en fin de compte, et que ce qu'il voulait tant lui dire depuis son arrivée, avec son regard aussi déterminé qu'impitoyable, c'était que-)

Michaël n'était plus si sûr que ça soit une bonne idée.

« Alors, commença soudain Sae, quoique toujours plus occupé par son chocolat chaud que par leur début de conversation. Tu voulais me parler d'Isagi Yoichi. »

Le cœur de Michaël manqua un battement. Non ? Enfin, peut-être, oui, mais- Il n'en avait parlé à personne, jusqu'ici. Que Ness ait tout deviné, bon, passe encore, même si ça ne l'enchantait pas, mais Sae… Lui qui n'avait même jamais fichu les pieds dans l'enceinte de Blue Lock, si ce n'est pour un pauvre match qu'il avait encore réussi à perdre…

« … Je voulais te parler de ton frère », corrigea-t-il, sans détourner les yeux, le ton aussi neutre que possible.

La remarque eut au moins le mérite de faire réagir Sae : son air impassible laissa aussitôt place à une grimace que, même avec tout l'effort du monde, il aurait été difficile de qualifier autrement que de dégoûtée.

« Laisse tomber. Il est pas intéressé.
– Parfait, alors, parce que ça n'a rien à voir », rétorqua Michaël du tac-au-tac, à peine agacé. Lui et cet insupportable mioche de Rin Itoshi ? Pardon ? Il voulait bien que ses goûts en matière d'hommes ne soient pas toujours irréprochables, il n'y avait qu'à voir celui qui occupait malgré lui toutes ses pensées depuis des jours (des mois), mais- « Je ne suis pas intéressé non plus. »

Tous deux se fixèrent quelques instants, le temps qu'un sourcil désapprobateur se hausse au-dessus de l'œil turquoise de Sae – comme si ça ne viendrait à l'idée de personne de sensé de ne pas vouloir de son petit frère, bien sûr, alors que tout le monde devait se l'arracher, agréable comme il était – et que le regard bleu clair de Michaël refuse de fléchir. Puis Sae dut lâcher l'affaire, car après une nouvelle gorgée de chocolat chaud, il reprit.

« Ryûsei m'en a parlé. Il faut que tu te réconcilies avec Isagi. »

Ah.
Alors quoi, si Sae en savait autant, Michaël devait en déduire que- Que non seulement Yoichi avait parlé de leur situation à quelqu'un, mais qu'en plus, pour ce faire, il n'avait trouvé personne de plus approprié que Ryûsei Shidô ? Yoichi de merde, quelle espèce de petit-

(Et en même temps, si Yoichi a parlé, c'est que-
Si Yoichi a eu besoin d'une oreille attentive… Plus que ça, si Yoichi a demandé conseil, voire de l'aide… Non, il ne doit pas se réjouir, ça ne veut sans doute rien dire, mais- S'il y a une chance, même ridicule, même infime, pour que Yoichi regrette- À nouveau, aussi stupide que ça puisse être, que ça soit bel et bien, l'espoir lui serre la gorge et son cœur manque un battement.)

« Enfin, c'est ce qu'il voulait que je te dise, ajouta Sae, tout en touillant son chocolat chaud avec une placidité à nouveau à toute épreuve. Moi, je m'en fous, en fait.
– … Et donc ? » l'interrogea Michaël au bout d'une seconde, en s'efforçant tant bien que mal d'assimiler ce qu'il venait d'apprendre et de ne surtout, surtout pas paraître… troublé, ou déstabilisé, ou ce genre de connerie. Parce qu'il ne l'était pas. « Tu m'as fait venir juste pour me dire ça ? Ou alors quoi – tu vas m'expliquer comment toi, tu te réconcilies avec ton Ryûsei, et gentiment me dire d'aller faire pareil ? »

Son ton s'était fait narquois sur la fin, moqueur comme il en avait l'habitude- moqueur comme c'était si facile, en particulier lorsque la conversation prenait ce genre de direction- Mais Sae ne parut pas s'en formaliser. Au lieu de ça, il eut l'air de réfléchir un instant.

« … Moi, j'attends juste qu'il m'envoie un message », finit-il par répondre, très sérieusement.

Et, Michaël se devait d'ajouter, de façon on ne peut plus utile, ma parole. Comme s'il suffisait juste d'attendre, et qu'alors que cela faisait des jours qu'il évitait jusqu'à son regard, sans même parler de tout contact potentiel avec lui en dehors du terrain, Yoichi allait juste lui-
… Comme si, en fait, Yoichi avait seulement encore la possibilité de lui envoyer un message. Alors que, tous ces mois plus tôt, au lendemain d'un voyage interminable et le cœur en cendres, il avait fait bloquer à Ness- Son numéro, ses réseaux sociaux et ceux de ses petits camarades, jusqu'aux appels provenant du Japon, absolument tout.

(Et il pourrait débloquer son numéro, bien sûr. Ouvrir les paramètres de son propre portable et enchaîner les bons boutons et le retirer de sa liste noire et confirmer son choix. Répéter l'opération sur toutes les plateformes, tous les réseaux, pour tous les participants de Blue Lock, mais-
Recevoir d'un coup tous les messages que Yoichi a pu, peut-être, lui envoyer ces derniers mois.
Ou constater peu à peu, à chaque seconde avec plus de certitude, qu'il n'a même pas essayé de lui en écrire.
Il ne sait pas ce qui serait le pire – il croit bien qu'il n'est prêt ni pour l'un, ni pour l'autre.)

En face de lui, Sae s'éclaircit la gorge.

Lorsque le regard de Michaël se recentra sur l'autre joueur, il remarqua qu'il avait sorti son téléphone, justement ; une fois n'est pas coutume, il y pendait une espèce de petit accessoire en forme de… mouette… ? Un peu bizarre, et de tout le temps qu'il l'avait côtoyé il n'avait jamais vu Sae avec un truc pareil, mais il supposait que ça pouvait compter comme mignon. Au Japon, ça devait bien être le cas. À moins que ça ne soit une idée farfelue de son petit ami tout aussi excentrique – auquel cas, Michaël ne voulait pas le savoir.
… Est-ce qu'il aurait dû, lui aussi, offrir ce genre de trucs ridicules à Yoichi ? Non-

« Il va organiser un cinéma la semaine prochaine », fit Sae, toujours aussi indifférent. Michaël, lui, dut mettre une seconde à réaliser de qui il parlait – ah, son énergumène de copain. Évidemment. « Peut-être un resto. » Tout en parlant, il se remit à pianoter sur l'écran. « Faudra que tu y ailles. Ah, et il passe me chercher dans cinq minutes, donc… »

Puis, sans un mot de plus, avant que son interlocuteur n'ait le temps ne serait-ce que d'appréhender ce qu'il venait de lui annoncer – comment ça, il faudrait qu'il aille ? et pour faire quoi, au juste ? –, il engloutit le reste de son chocolat chaud hors de prix et se leva, prêt à… tout bonnement lui fausser compagnie.

Michaël cligna des yeux, une fois, songea à protester ; mais se contenta finalement de pousser un soupir. Soit, d'accord. C'était loin d'être la première fois que Sae Itoshi faisait sa diva, et ce n'était pas comme si n'importe quel mot de sa part aurait la moindre chance d'y changer quoi que ce soit, de toute manière. Et comme il avait décidé qu'il ne dépenserait pas un centime…
Las, Michaël se laissa retomber son fauteuil, son café encore tiède entre les mains, et réajusta la position de ses jambes en même temps que son regard suivait les mouvements de Sae. En même temps qu'une question, vaguement, traversait son esprit.

« … Au fait », finit-il par l'interpeler tandis qu'il enfilait son manteau. Ses mots eurent l'effet escompté, car l'autre joueur s'arrêta un instant et lui jeta un regard interrogateur. « Et ton frère ?
– Hm ? »

Nouveau haussement de sourcil.
Cette fois-ci, par contre, Michaël faillit le prendre mal. À d'autres ! Comme si ça ne faisait pas des mois, des années, littéralement depuis qu'ils se connaissaient que tout ce que ce type avait à raconter avait toujours, systématiquement, un lien avec son petit frère, en bien ou en mal – il n'allait pas lui faire croire qu'il n'avait plus rien à en dire. Et pour une fois que Michaël avait eu la gentillesse de lui poser la question… Alors que lui-même venait de lui faire la grâce de le laisser émettre quelques suppositions sur sa vie privée sans les contredire immédiatement, en plus…

« Tu sais de quoi je parle », insista-t-il, sans rien laisser paraître de son agacement (ou presque). Pour toute réponse, Sae termina d'enfiler son manteau, qu'il boutonna avec soin jusqu'au col ; ensuite, seulement, il lui accorda une seconde pour croiser son regard… et tourna la tête aussitôt.

« … Je lui ai offert un truc pour son anniv. »

Ce fut la seule information, presque marmonnée à voix basse, à laquelle Michaël eut droit : après cela, Sae eut tôt fait de pivoter sur ses talons et de quitter le café, le visage à moitié enfoui dans son écharpe rose et son portable à la main, sans plus lui adresser un regard. La drôle de petite mouette se balançant au rythme de ses pas comme si elle souhaitait prendre son envol, mais hésitait encore à se lancer.
… À moins que Michaël n'aille simplement chercher trop loin – pff, comme à chaque fois, cette conversation l'avait fatigué plus que de raison. Alors il s'autorisa à fermer les yeux, sa tasse presque froide entre les mains, et tâcha de terminer son café sans penser à ce qui pourrait l'attendre, si elle avait bien lieu, à cette fameuse sortie cinéma le lendemain.

(Sans y réfléchir une seconde. Sans même imaginer que le plan de Sae et de son mec soit celui qu'il a tout l'air d'être, prévisible, cliché, angoissant, excitant, au point que le sang dans ses veines en frémisse, et surtout- Surtout, sans se poser la question. La seule question.
Et lui, est-ce qu'il sera bien là-)


Yoichi s'était toujours considéré comme quelqu'un de plutôt patient, dans les faits – mais franchement, là, ça commençait à devenir sacrément débile. Et il n'était pas certain de savoir combien de temps encore il allait tenir. Encore quelques jours de ce grand n'importe quoi à peine descriptible, dont chaque seconde jouait avec ses nerfs presque autant qu'avec sa dignité, et c'était presque sûr qu'il allait…

(Il allait craquer. Son cœur allait exploser.)

Pff.
La super idée de Shidô avait pris la forme d'une soirée au cinéma, au final. Avec Shidô lui-même, bien sûr, Sae qui n'aurait jamais refusé d'accompagner son petit ami ; le reste de leur équipe, y compris Bachira surexcité d'aller voir un film en allemand sous-titré anglais auquel il n'allait définitivement rien comprendre, et Rin que quelqu'un avait dû réussir à convaincre de venir, on ne savait comment on ne savait pourquoi ; mais aussi quelques joueurs de l'équipe allemande, évidemment, et parmi eux- Sans aucune surprise-

Une putain de soirée cinéma. À presque quinze.

Dans son col roulé crème par-dessus un jeans étroit, sous son long manteau noir qui faisait ressortir la pâleur de sa peau, Kaiser était juste à tomber – depuis combien de temps est-ce que Yoichi ne l'avait pas vu habillé comme ça, déjà ? Autrement qu'en uniforme du Bastard München ou en training estampillé Blue Lock ? Et en vêtements d'hiver, en plus, c'était la première fois, et- Merde, si Yoichi n'avait pas pu détacher son regard des t-shirts qui lui collaient au corps cet été, là, c'était- Mais merde, à quinze, quoi !

Durant tout le temps qu'il leur avait fallu pour acheter leurs tickets et rejoindre la bonne salle, Yoichi avait mis un point d'honneur à ne pas laisser ses yeux s'attarder sur la silhouette de Michaël Kaiser – ce qui était majoritairement passé inaperçu, sauf bien sûr pour ceux qui savaient à quoi prêter attention… c'est-à-dire ce salaud de Shidô, qui n'avait pas arrêté de lui jeter des haussements de sourcils suggestifs et autres coups d'œil hilares. (Et probablement Sae aussi, mais Sae avait au moins eu la décence de garder l'air aussi impassible qu'à son habitude.) Sitôt qu'ils avaient trouvé leurs places, cependant, il avait fallu que l'autre enfoiré attrape Kaiser au dernier moment- Sans aucune gêne à foutre ses sales pattes sur son bras- Et bref, en prétextant vouloir s'installer plus à droite avec son Sae-chan, ou il ne savait pas trop quelle connerie, avec la subtilité d'un mauvais passeur tentant une feinte médiocre, il avait essayé de faire asseoir Kaiser juste à côté de lui, mais…

Heureusement, Yoichi avait réussi de justesse à placer Rin entre Kaiser et lui. Rin l'avait foudroyé du regard, bien sûr, mais parfois, certains sacrifices étaient nécessaires – et puis, ça lui était vite passé lorsque Bachira, assis de l'autre côté de Yoichi, avait eu l'excellente idée de lui lancer un pop-corn pour attirer son attention. Merci, Bachira. Un vrai pote. Pour un peu, Yoichi en aurait laissé échapper une larme d'émotion ; enfin, si ça n'avait pas impliqué qu'il passe tout le film entre les taquineries de Bachira et la colère silencieuse de Rin, ensuite… À quelques sièges seulement des commentaires tout sauf discrets de Shidô, que la moitié de la salle devait entendre… Juste devant Nagi et Reo qui ne devaient pas arrêter de s'embrasser (pitié, faites que ça ne soit que ça), à en juger par le bruit qu'ils faisaient, et la façon dont Reo soupirait que ce n'était pas l'endroit mais ne stoppait pas son mec pour autant…

… Et avec, de temps à autre, à peine éclairé par la lumière du grand écran, un aperçu du visage de Kaiser au coin du regard. Calme, l'air concentré sur le film, et beau à en crever. Si près de lui, et pourtant-

Yoichi mourait d'envie de se retrouver seul avec lui. Presque autant que son estomac se contractait à l'idée de devoir lui adresser la parole, et le regarder en face pour de vrai, cette fois-ci.

(Il fallait qu'il lui parle. Il fallait qu'il lui parle, mais-
De quoi ? Par quoi commencer ? Quels mots utiliser ? Merde- Il le voulait avec lui, pour lui, rien qu'à lui, même si Ness avait menti, même s'il n'attendait de lui parler que pour lui confirmer que tout était bien fini entre eux, et il n'avait pas la moindre foutue idée de comment le lui dire-)

Par chance, ou par malchance, à ce stade, il n'en savait plus rien, ça n'arriva pas : ni après l'interminable séance de cinéma, ni à l'occasion du resto qu'ils organisèrent un soir la semaine suivante, pas davantage durant la visite de la ville qu'ils firent dans les jours qui suivirent.

Et c'était que ça devenait vraiment débile – parce qu'à chaque fois, alors même qu'il avait été le premier à clamer qu'il n'avait pas d'amis, l'été dernier, qu'il n'avait pas de temps à perdre avec ça, eh bien, Kaiser était là. Et tout en sachant que Kaiser serait là, alors même qu'il s'évertuait toujours autant à éviter de croiser son regard, Yoichi venait aussi. Et tout en constatant à chaque fois qu'ils étaient présents tous les deux, alors même que les autres gars de Blue Lock commençaient à bien s'entendre avec les Allemands, que Ness leur offrait une visite commentée de la vieille ville de Munich ou qu'un de ses coéquipiers prenait Shidô et Sae en photo devant un monument quelconque, que Reo faisait goûter à Nagi une spécialité locale qu'un autre leur avait conseillée-
Kaiser et lui n'étaient toujours pas foutus de se parler.

Ou de se regarder, d'ailleurs, ou même de se tenir à moins de deux putains de mètres l'un de l'autre, en fait. Peu importe à quel point tous leurs potes s'efforçaient de les y encourager, de moins en moins subtilement- Merde, à ce point-là, Yoichi était presque persuadé que Shidô en avait parlé à la moitié du Bastard München et qu'ils envisageaient sérieusement de les enfermer seuls dans un vestiaire-
Et c'était quoi le pire, au final : les regards en coin qu'il percevait de plus en plus souvent rivés sur lui ? Les messes basses qu'il entendait de plus en plus fort durant les pauses à l'entraînement ? Ou le fait que Kaiser, Kaiser, après l'avoir ignoré puis cherché des yeux puis s'être laissé embarquer dans toutes ces conneries, avait juste- n'avait juste, durant toutes ces sorties à la con, juste pas l'air d'être affecté, lui ?!

Avec ça, les dernières semaines du mois de décembre étaient arrivées à une vitesse alarmante, que Yoichi n'aurait pas pu prévoir avec toute la métavision du monde – et ce n'est que lorsqu'il frissonna, les mains fourrées dans les poches de sa veste un peu trop fine pour la saison, le nez difficilement enfoui dans l'écharpe autour de son cou et chacune de ses expirations visibles dans l'air glacial, tout juste réchauffé par les couleurs et les lumières du marché de Noël, qu'il réalisa vraiment que les températures étaient tombées en-dessous du zéro depuis longtemps, en fait.

Le temps d'une seconde, il laissa son regard parcourir les alentours. Ils visitaient le traditionnel… Christkindlmarkt, enfin, d'après le guide touristique en anglais auquel il n'était pas sûr de tout comprendre, aujourd'hui. En attendant les derniers retardataires, Reo souriait, la main de Nagi glissée avec la sienne dans l'une de ses poches tandis que, de l'autre, il montrait quelque chose sur son portable à un Chigiri moins démonstratif, mais tout aussi pris par leur conversation. Un peu plus loin, chose rare – mais de moins en moins ces temps-ci –, Birkenstock avait l'air d'expliquer quelque chose à Kunigami, qui ne tarda pas à lui répondre d'un coup de coude… embarrassé… ? Ness était là aussi, bien sûr. Et juste à côté de lui, Kaiser était…

… Présent. Ahem. Emballé dans un manteau clair dont la coupe laissait paraître un haut noir à col montant, cette fois-ci. Les jambes rendues plus longues encore par un pantalon étroit assorti. Les mains gantées d'un simili cuir léger. En train de discuter avec Ness, et…

(Irrésistible. Indifférent. Yoichi n'arrivait pas à en détourner les yeux, et pourtant-
Son air parfaitement neutre. Pas tout à fait aussi suffisant qu'à son habitude, allez savoir pourquoi, mais- Comme si ça ne lui faisait rien, tout ça. Comme s'il ne crevait pas d'envie de tourner la tête, lui, juste de quelques degrés, juste afin que leurs regards se croisent – comme s'il ne crevait pas tout court de se dire que quelques mois plus tôt, à peine quelques mois plus tôt, une sortie comme ça, ils ne l'auraient faite qu'à deux-
Merde ! Qu'ils ne l'auraient faite qu'à deux, et qu'il aurait passé son temps à essayer d'agacer Yoichi, et que Yoichi aurait passé son temps à se laisser agacer ou à répliquer ou à les deux – parce que c'était ça, eux deux ! C'était ça, leur relation ! Et c'était ça que Yoichi voulait, exactement ça, avec peut-être un peu moins d'incertitudes et un peu plus de la main de Kaiser dans la sienne, mais tout sauf cette saloperie de mascarade à la con-)

Soudain, Kaiser fit mine d'entamer un mouvement imperceptible et Yoichi tourna aussitôt la tête. Non. Pas ici, entourés de leurs coéquipiers et à quelques mètres encore des premiers chalets du marché de Noël, c'était… Ce serait…
Par chance, son regard s'arrêta sur Rin sitôt qu'il redressa les yeux ; l'air toujours aussi antipathique qu'à l'accoutumée, quoi d'autre, mais sans doute disposé à le secourir une nouvelle fois, Yoichi en était presque sûr ; alors il n'en fallut pas plus pour qu'il fasse les trois pas qui le séparaient de son rival et ami, prêt à l'interpeler.

« Ah, Rin- »

Il n'eut même pas le temps d'obtenir un tu veux quoi ou un non désagréable en réponse, cette fois-ci, cependant. À peine l'intéressé eut-il vaguement haussé un sourcil dans sa direction que, comme sorti de nulle part, Bachira se jeta sur lui pour attraper son bras des deux mains, attirant du même coup toute son attention-

« Désolé, Isagi ! » s'exclama ce dernier comme il lui tirait la langue avec malice, l'air absolument tout sauf désolé. Tandis que Rin le fixait de deux grands yeux écarquillés au point que ça en devenait presque comique – et que Bachira ne bougeait pas d'un iota, pas gêné le moins du monde de s'accrocher comme ça à lui en public. « Il y a quelque chose qu'il faut troop que je montre à Rin-chan, alors Rin-chan et moi, on va partir devant ! À tout à l'heure ! »

Un clin d'œil dans la direction de Yoichi, encore, puis il eut l'air de trouver moyen de sortir Rin de la transe ébahie dans laquelle il l'avait plongé lui-même ; et juste comme ça, en quelques secondes… La foule du marché de Noël les avala, et ils furent partis. Même plus visibles au loin. Juste disparus entre les chalets, tout illuminés sur le ciel qui s'assombrissait à vue d'œil.

Abasourdi, Yoichi mit quelques instants encore à se reprendre, les paupières closes, et laissa échapper un soupir. Bachira…
Puis il fit à nouveau demi-tour sur lui-même, prêt à rejoindre le petit groupe de Chigiri, dans ce cas-là, ou même celui de n'importe quel autre gars de Blue Lock, il n'avait pas vraiment de quoi faire son difficile – et c'est là qu'il comprit.
Car il n'y avait plus de petit groupe de Chigiri, en fait. La panthère rouge de l'équipe japonaise, à la silhouette pourtant immanquable d'habitude, était même introuvable sur la petite place où se pressaient les visiteurs du marché de Noël, ceux qui s'y rendaient et ceux qui en revenaient ; de même que Reo, Nagi (ce qui faisait parfaitement sens si Reo n'était plus là, cela dit)… et Kunigami et tous les autres. Même Birkenstock n'était plus là, merde- Même Ness n'était plus là, et si Ness n'était plus là, ça ne pouvait vouloir dire qu'une chose-

À l'entrée du marché de Noël le plus traditionnel de la ville de Munich, au milieu des autres visiteurs qui se faisaient de plus en plus nombreux à mesure que le jour déclinait, Yoichi leva les yeux au ciel, inspira profondément, et appuya une paume lasse contre son front – au moment même où des pas se faisaient entendre derrière lui et où, bon sang, qu'il haïssait le reconnaître, une présence dont il aurait deviné chaque détail entre dix mille s'arrêtait à ses côtés. Grand, les bras croisés, le dos droit et à plusieurs centimètres de distance, par sécurité.

(Comme si quelque chose d'aussi stupide, un peu de distance- Comme si quelque chose d'aussi stupide allait empêcher ses entrailles de se contracter et son cœur de s'emballer. Comme si ça avait la moindre chance de suffire.)

« Eh bien. »

Le souffle de Yoichi se bloqua dans sa gorge.
Bordel. C'était idiot, c'était tellement idiot, mais- Ce que cette voix lui avait manqué.
Bien sûr, il l'avait entendue, ces dernières semaines, durant les entraînements et même durant toutes les activités sans queue ni tête de ces derniers jours, mais… Mais depuis combien de temps est-ce qu'elle n'avait pas été dirigée vers lui ? Pour lui, et seulement pour lui ? Que le traducteur automatique de l'entreprise Mikage aille se faire foutre, soudain, Yoichi voulait l'entendre à nouveau, et ne l'entendre qu'elle, sans robot vide d'émotion pour la retransmettre à son oreille-

« Quelle chance de se retrouver seul à seul avec toi, dis-moi. »

-jusqu'à ce que les battements effrénés de son cœur s'arrêtent d'un coup.
Puis reprennent de plus belle – mais pas pour les mêmes raisons.
C'était quoi, ce ton railleur ? C'était quoi, cette façon de lui parler, hautaine, suffisante, moqueuse, tout ce qui faisait Michaël Kaiser bien sûr, mais- Alors que cela faisait des mois, alors que Yoichi attendait ce moment depuis qu'il avait posé pied sur le sol allemand, si ce n'était depuis encore bien, bien avant- Alors que ce sale traître de Ness lui avait presque confirmé par message que Kaiser ne rêvait que de le retrouver, merde, enfin, son meilleur ami et confident autoproclamé lui-même n'avait pas pu croire que Kaiser ait pu vouloir le plaquer au début, alors- Il lui foutait quoi, là, au juste ?!

D'un mouvement rageur, Yoichi n'attendit plus une seconde et se tourna pour faire face à l'autre garçon – le poing serré, les sourcils froncés, et les yeux rivés droit sur lui, cette fois-ci. Sans la moindre hésitation.

« Parce que tu crois que ça me fait plaisir, à moi, peut-être ?! »

C'est alors qu'il le vit-
Le regard de Kaiser. Si bleu. Si clair. Celui qui avait occupé toutes ses pensées lorsque le foot n'y était pas, jusqu'à l'été dernier, celui dont il avait rêvé presque toutes les nuits depuis, mais aussi…
La surprise, l'incompréhension, la douleur, tout mélangé qui le traversa en un éclair. Invisible si Yoichi n'y avait pas fait si attention. Indécelable si Yoichi n'avait pas passé des semaines de sa vie perdu dans ce regard, à s'efforcer d'en maîtriser la plus infime émotion.

(Et merde – il l'avait. La pièce manquante. Il la tenait.)


S'il fallait être tout à fait honnête, quand bien même il ne le formulerait jamais comme ça devant quiconque, Michaël avait conscience qu'il n'était pas quelqu'un de patient – et pourtant jamais il n'aurait eu envie que le temps s'étire, encore et encore, jusqu'à l'infini plus qu'en cet instant.

« Quelle chance de se retrouver seul à seul avec toi, dis-moi. »

Il savait qu'il se retrouverait seul avec Yoichi, pourtant. Après les événements des derniers jours, tous les moments où il avait bien failli finir à côté de lui ou en face de lui ou près, trop près de lui, il aurait fallu qu'il soit complètement idiot pour ne pas voir clair dans le jeu auquel Sae et son copain avaient décidé de jouer- Et après le regard que lui avait lancé Ness, les sourcils haussés d'inquiétude en hésitant encore à se laisser emporter par Shidou qui lui tirait le bras, ce n'était même pas comme s'il n'avait pas eu la chance de refuser, de partir lui aussi, mais-

(La silhouette de Yoichi, de dos, qui se découpe sur les illuminations de la ville où il a grandi. Ses épaules fines, et pourtant tout sauf frêles, solides sous la neige dont les premiers flocons commencent à peine à tomber – et s'il dit quelque chose, est-ce qu'il se retournera ? Et s'il lui adresse la parole, et s'il entame la conversation, et s'il prononce son prénom…)

C'était hors de question qu'il se laisse- hors de question qu'il laisse quoi que ce soit le déstabiliser, bien sûr. Il était encore capable de dire ce qu'il voulait à qui il en avait envie, et ce n'était pas quelqu'un comme Yoichi Isagi qui allait l'en empêcher ! Alors il s'était avancé, avec toute la confiance qu'il était normal qu'il ait, et il n'avait pas eu le moindre doute, non- Les mots qui s'étaient échappés d'entre ses lèvres étaient exactement ceux qu'il avait prévus, sur le ton qu'il fallait pour les dire, parfaitement-
Et lorsque Yoichi s'était effectivement retourné pour lui répondre, il n'avait pas été prêt.

« Parce que tu crois que ça me fait plaisir, à moi, peut-être ?! »

… Mais quand, déjà, avait-il seulement été prêt ? Ces yeux d'un bleu plus incandescent que le rouge flamme- Cette fierté, cette colère, ce rejet catégorique de ses mots et de tout ce qu'il était- C'était Yoichi Isagi. Yoichi Isagi comme au premier jour. Yoichi Isagi comme à leur première rencontre, quand ça avait été si drôle de le faire partir au quart de tour et de se réjouir qu'il se consume de jalousie et de haine – mais avant que Michaël ne fasse l'expérience de sa contre-offensive, de l'étendue de sa force, de son entêtement acharné… avant qu'il ne connaisse son sourire et sa tendresse…

(Tu as perdu, Kaiser. Tu l'as perdu-)
(Non-)

Sans même s'en rendre compte, Michaël écarquilla les yeux. Fit un pas en arrière. N'arriva plus à chasser, le temps d'une seconde, la conviction que ça y était- Comme le ballon qui lui échappait à la dernière seconde de la dernière action, comme le score final qu'il voyait apparaître en cauchemar avant d'avoir disputé le match, c'était la fin, il allait tomber-

-et c'est alors qu'il le vit.
Le regard de Yoichi. Toutes les nuances de bleu sombre et profond, le reflet de la nuit dans l'océan où il avait passé tout l'été à se noyer et même les mois d'avant, mais- Cette intensité rivée sur lui, comme à chaque fois, comme il voulait que ça reste le cas toujours, et au cœur de tout ça…
L'ombre d'un doute. Pour diluer la colère pure. Puis ses yeux qui s'ouvrirent en grand ; un mouvement de surprise dans ses épaules ; un tressaillement dans sa main, aussi, comme un mouvement dans sa direction, comme un réflexe avant qu'il ne se ravise ; et puis ce fut l'hésitation, un nouvel éclair de détermination, l'embarras… Un tourbillon d'idées et d'émotions que Michaël ne parvenait plus à lire. Une main dans ses cheveux noirs, de l'agacement dans la courbe de ses lèvres.

(Son propre estomac lourd, écrasé par l'espoir.)

« … Bah tu sauras que oui ! » finit par s'exclamer Yoichi, les paupières closes et les joues roses – sans doute plus fort qu'il ne l'aurait voulu, car ensuite, il continua à voix basse. Plusieurs longues secondes plus tard. « … Oui, ça me fait plaisir, merde. T'as qu'à crever si ça te plaît pas. »

Tout en parlant, l'air toujours aussi… gêné, c'était à peine croyable, mais aussi gêné que s'il s'était pris les pieds dans le ballon et qu'il s'était rétamé tout seul sur le terrain, au beau milieu d'un stade de dizaines de milliers de personnes avec retransmission live dans le monde entier- Yoichi rouvrit un œil – et peut-être bien que Michaël allait crever, en effet.
Oh, pas de mécontentement, non. Encore moins d'outrage face aux paroles de Yoichi ; ça lui ferait trop plaisir. Mais des battements assourdissants de son cœur dans sa poitrine- De la température étourdissante de son visage, lorsqu'il attrapa à nouveau son regard- Simplement de savoir que…

Irréprochable, comme à l'accoutumée, Michaël serra un poing digne devant ses lèvres et se contint. Il n'allait pas se mettre à sourire comme un imbécile heureux, non plus. Impossible. Pas pour Michaël Kaiser du Bastard München, non, impensable-

« … Pfft. »

(Pft, c'est quoi – cet éclat de rire bref et trop sincère ?
À nouveau, Yoichi le regarde.
Et son cœur brûle. Mais plus pour les mêmes raisons.)

« Je crois que je vais plutôt te montrer ce que c'est qu'un vrai marché de Noël, Yoichi, hm ? »

Il n'existait pas d'univers dans lequel Yoichi aurait pu refuser, bien sûr. Après avoir fait tout ce chemin, du fin fond du Japon jusqu'ici en Allemagne, juste pour croiser à nouveau son regard, Michaël en était (presque) sûr, et alors qu'il venait d'admettre à voix haute que ça l'enchantait d'être avec lui (que ça lui faisait plaisir, que ça lui faisait plaisir), il n'allait tout de même pas dire non… N'est-ce pas… ?
Moins d'une seconde plus tard, le sourire que lui adressa Yoichi fut toute la réponse dont il avait besoin.

(Et le soulagement qui s'empare de sa poitrine – heureusement. Heureusement.)


Il n'irait pas jusqu'à dire que ça ne l'emmerdait pas de le reconnaître, mais- C'était vrai. Il n'existait pas d'univers dans lequel Yoichi aurait dit non. Peu importe à quel point c'était ridicule, d'un point de vue extérieur, et il savait que ça lui vaudrait toutes les moqueries du monde si par malheur certains de ses enfoirés de coéquipiers venaient à l'apprendre, et le pire, c'était qu'il ne pourrait même pas le leur reprocher, mais-
Le marché de Noël traditionnel de Munich. Alors que l'après-midi, courte à l'approche du solstice d'hiver, touchait à sa fin et que la nuit tombait. Dans la foule dense, des centaines de visiteurs en manteaux d'hiver qui flânaient autour des chalets tout de lumières décorés, au milieu des premiers flocons de neige de la saison, et… Avec Kaiser. Tout à fait à sa place, lui, dans sa ville et ses traditions, sans aucune difficulté à lire les panneaux ou à échanger quelques mots avec les commerçants, alors que Yoichi galérait encore à se rappeler ne serait-ce que le taux de change entre l'euro et le yen – Kaiser qui lui avait souri.

Merde… Qu'il le veuille ou non- Le cœur de Yoichi manquait un battement à chaque fois qu'il y repensait. Il n'avait pas réalisé… Le petit air narquois de Kaiser… L'éclat de malice dans son regard… Et surtout, ses yeux, ses yeux bleus plongés dans les siens. Rivés sur lui et personne d'autre. Ça faisait tellement longtemps, et maintenant…

Alors qu'ils s'étaient arrêtés devant un stand de décorations de Noël, Yoichi osa un coup d'œil dans sa direction. Le temps d'une seconde, leur regard se croisa ; leurs yeux s'écarquillèrent ; leur visage se détourna de l'autre, comme par réflexe, acquis naturellement au bout de tous ces jours à s'éviter comme des idiots (bien que, une fois encore, l'un d'eux soit nettement plus idiot que l'autre)… Et puis, sans qu'ils aient besoin de se concerter, leurs yeux se retrouvèrent – et Yoichi serra les poings dans les poches de sa veste en même temps qu'il sentait ses joues traîtresses se mettre à chauffer plus que de raison.

(Merde, pourquoi est-ce qu'il fallait que… Il fallait vraiment qu'il craque à ce point pour ce connard, c'était ça, hein ?
Épuisant, insupportable, exaspérant Michaël Kaiser ; et Yoichi, bouffon d'entre les bouffons, qui n'avait pas trouvé de meilleure idée que de tomber amoureux de lui.)

… Venant de Kaiser, ceci dit, il se serait attendu à davantage qu'un haussement de sourcil vaguement amusé en retour. Plutôt à ce qu'il lui fasse une remarque du genre, quoi, Yoichi, tu ne peux déjà plus te passer te moi, ou à ce qu'il lui tire la langue, au moins ça ; alors, cette réaction…
Sans réfléchir, Yoichi envoya un coup de coude léger dans le bras de l'autre garçon, comme il l'avait déjà fait des tonnes de fois, pour attirer son attention.

« Une chance que tu sois si populaire ici, lui lança-t-il. Comme ça, ils ont pas oublié d'en faire un à ton effigie. »

En même temps qu'il parlait, il pointa du doigt l'une des figurines décoratives en vente sur le stand, en l'occurrence le lutin affublé d'un bonnet de Père Noël le plus souriant et le plus ridicule, aux grosses joues les plus drôles qu'il pouvait voir. Quant à Kaiser, qui s'était penché pour mieux voir l'objet en question, il pouffa. (Heureusement.)

« Estime-toi heureux, Yoichi, répondit-il avec autant de naturel. Ta popularité n'arrive pas au vingtième de la mienne, et pourtant, ils ont pensé à toi aussi. »

Et d'un geste discret, presque imperceptible à quiconque sinon à Yoichi, il eut l'audace de lui montrer la figurine d'un chien, un genre de bouledogue à la gueule ouverte dont il était évident qu'il avait été sculpté pour faire rire, mais…
Sans s'appuyer sur lui pour autant. Sans poser les deux mains sur ses épaules avec condescendance, ni la paume dans le bas de son dos à la façon du salaud qu'il était, encore moins le bras carrément sur sa tête pour accentuer leur différence de taille pourtant – presque ! – inexistante ; toutes ces choses qu'il aurait faites… et qu'il avait faites sans la moindre hésitation, par le passé. Jusqu'à l'été dernier. Avant même leur première nuit ensemble, en fait ; déjà du temps où ils n'étaient que coéquipiers dans Blue Lock et que son seul but dans la vie avait eu l'air d'être de foutre Yoichi en rogne. Alors pourquoi… À moins qu'il ne l'ait imaginé…

Ils poursuivirent leur visite du marché de Noël et bientôt, Yoichi dut se rendre à l'évidence : ce n'était pas son imagination. Que ce soit en déambulant le long des chalets colorés ; lorsqu'ils s'arrêtaient devant un stand qui avait l'air d'intéresser l'un d'entre eux ; ou même lorsqu'il était question de goûter un échantillon de pain d'épices offert – ils se tenaient côte à côte, pourtant. Et son épaule effleurait presque celle de Kaiser. Et ils faisaient les mêmes commentaires amusés sur les mêmes choses, et ils avaient envie de goûter aux mêmes friandises, et ils n'avaient presque plus d'hésitation à s'échanger des regards rapides, mais… Kaiser ne passait pas le bras autour de ses épaules en le raillant sur sa taille ou sa carrure. Kaiser n'essayait pas de le convaincre d'ouvrir la bouche pour qu'il puisse y fourrer un échantillon de biscuit ou de nougat, le ton aussi mielleux que moqueur. Merde, à l'instant, ils avaient décidé de prendre un verre de vin chaud pour deux, au cas où notre petit Japonais ne le supporterait pas, n'est-ce pas, Yoichi ? – et Kaiser ne s'était même pas précipité pour être le premier à boire dedans, en s'assurant que Yoichi devrait le lui arracher des mains s'il voulait en avoir ne serait-ce qu'une gorgée, alors…

Rah, c'était quoi son problème, encore ?
Yoichi aurait parié que ça allait mieux, pourtant ! Maintenant qu'ils avaient enfin réussi… bon, d'accord, peut-être pas à discuter, peut-être pas autant qu'ils auraient dû ; mais cette fois, il lui avait dit l'essentiel, au moins, non ? Kaiser savait qu'il- qu'il avait envie d'être avec lui, là, en ce moment… que peu importe à quel point il fronçait les sourcils ou répondait par des insultes à ses remarques, il était heureux, bordel, même si c'était la honte – il était heureux d'être à ses côtés ! Sans un seul de leurs coéquipiers pour se foutre de leur gueule, en plus, cette fois-ci ; juste… eux deux, au milieu d'une foule de touristes et de Munichois qui ne leur prêtaient pas attention, et…

(Est-ce qu'il avait mal interprété ? Non- La surprise mêlée de soulagement sur son visage tout à l'heure, et même là, l'air satisfait avec lequel il l'emmerdait à nouveau, même avec un peu d'hésitation, il n'avait quand même pas tout inventé- Ou alors…)

À nouveau, il jeta un regard en direction de l'autre garçon. À nouveau, leurs yeux se croisèrent, ils maintinrent le contact une seconde peut-être ; puis à nouveau, contre toute attente, Kaiser ne lui tira pas la langue et Kaiser ne lui fit pas de remarque désobligeante. Au lieu de ça, il ne tarda pas à tourner la tête, encore – si ce n'est que Yoichi suivit son regard, cette fois-ci. Jusque sur les gens qui les entouraient ; sur les familles et leurs enfants, brièvement, un frère et sa sœur qui se chamaillaient ; et puis à peine un instant de plus sur un jeune couple hilare… un homme qui ajustait le bonnet de sa compagne… et enfin, un peu plus longtemps, sur le stand en face de celui auquel il s'était arrêté…

(Réfléchis. Observe. La pièce manquante pour communiquer avec Kaiser – être attentif non pas à ce qu'il racontait… mais à la façon dont il réagissait.)

… Décidément, il n'arrêterait jamais de le faire tourner en bourrique, hein ?
Et lui, quel genre d'abruti… Pour aimer ça à ce point…

Non sans un soupir, Yoichi passa une main dans ses cheveux, puis finit par se décider. En moins d'une demi-seconde, il pivota sur ses talons, fit les quelques pas qui le séparaient du stand d'en face, sans se soucier du regard incrédule de Kaiser qu'il sentait sur lui, merci bien ; après quoi il n'eut qu'à user de ses meilleures gesticulations, accompagnées de trois des quatre mots qu'il connaissait en allemand (bonjour, merci et s'il vous plaît, pas merde), et quelques euros plus tard – il n'avait toujours aucune idée de combien cela faisait en yens –, il était l'heureux propriétaire de l'objet qui avait arrêté les yeux de Kaiser les deux fois où ils étaient passés devant ce chalet.
Un renard en peluche à l'air radieux, aussi roux que le gros nœud à son cou était bleu. Tout doux entre ses mains nues, et après réflexion, il lui semblait que ça avait coûté vachement cher, mais bon… Si c'était pour faire plaisir à Kaiser

« Tiens », asséna-t-il, presque comme un reproche, sitôt qu'il revint vers lui et fourra la peluche entre les mains de l'intéressé. Puis il réalisa que son ton avait été un peu sec, face aux yeux écarquillés de l'autre garçon, et s'éclaircit rapidement la gorge. Redressa rapidement la tête. « … Et pour ta gouverne, tu sauras que- J'ai jamais arrêté de te considérer comme mon petit ami, moi. »

En face de lui, une fois n'est pas coutume, Kaiser resta interdit mais n'eut pas le réflexe de laisser tomber le renard en peluche ou de le lui lancer à la figure… Ce qui était déjà bon signe, Yoichi supposait. Maintenant, s'il pouvait juste répondre à sa déclaration avec un peu plus d'enthousiasme… Avant que Yoichi ne commence à croire qu'il n'avait rien compris, en fin de compte, et que non, en fait, quoi qu'il se soit passé entre eux, le grand Michaël Kaiser n'avait pas du tout envie de s'abaisser à être son-

Attends, c'est lui, ou bien ce type venait de soupirer ?

« Je dois en déduire qu'il n'y a vraiment rien entre ce mec et toi, c'est ça ? »

Pardon ? Entre lui et… hein ?
Yoichi était tellement abasourdi par la question qu'il ne s'offusqua même pas de la façon dont il l'avait formulée ou de l'agressivité qui paraissait presque dans sa voix ; seule l'incompréhension imprégna sa réponse, cette fois-ci.

« Quel mec ? »

Et le pire, c'était que Kaiser avait l'air parfaitement au clair sur la situation, lui- Comme s'il s'agissait d'une évidence que Yoichi, trop bête, avait simplement loupée depuis tout ce temps- Mais…

« Le frère de Sae.
– … Attends, tu parles de Rin ? »

S'il avait été en train de boire, Yoichi se serait étouffé avec son vin chaud. Une chance que ce soit Kaiser qui en ait terminé le verre pendant qu'il avait le dos tourné, au final. Mais pour en revenir à la question présente- C'était quoi ces conneries-
Et son regard fuyant… Son espèce de moue boudeuse

« Kaiser, Rin, c'est le copain de Bachira ! s'exclama Yoichi, encore ébahi. Il sort avec mon meilleur pote ! »

Non, mais, il n'en revenait pas- Alors c'était ça, le truc qui le bloquait depuis tout à l'heure ? S'il n'osait pas se comporter à nouveau comme d'habitude avec lui, ce n'était pas parce que c'était encore trop tôt, ou parce qu'il n'était plus si sûr de vouloir d'une relation avec Yoichi en fin de compte, mais c'était parce que… parce qu'il croyait que Yoichi avait profité de son simulacre de rupture à la con pour se trouver quelqu'un d'autre ? Et pas n'importe qui, Rin, en plus ?! Pfft- Il se croyait vraiment si oubliable que ça, ou bien-

Après coup, Yoichi ne serait probablement jamais capable de dire ce qui, de la situation ou de l'air proprement ahuri de Kaiser, avait été la première cause de son fou rire. Mais si c'était ce qu'il fallait pour laisser sans voix le grand Michaël Kaiser… Pour que son air d'habitude si digne et hautain passe par la réticence, la gêne, et puis tout l'embarras du monde à son tour…
Merde, le cœur de Yoichi battait dans sa poitrine et bientôt, il en aurait la tête qui tourne. Il n'avait qu'un petit ami, un seul, et ce n'était certainement pas Itoshi Rin, non. Pas que Rin manque de qualités, bien sûr, mais… Pourquoi vouloir de lui alors qu'à la place, il pouvait avoir le type le plus ridicule, insupportable, et malgré tout le plus captivant que cette Terre ait jamais porté ?

L'hilarité enfin passée, Yoichi n'hésita plus : de sa main nue, il attrapa les doigts gantés du garçon qu'il aimait, comme il avait envie de le faire depuis tout à l'heure. Exactement comme il mourait d'envie de le faire depuis qu'ils étaient arrivés au marché de Noël, en fait – et le mieux, la chose qui changea l'amusement à son visage en une chaleur omniprésente, une joie presque étourdissante… C'est que Kaiser se laissa faire.
L'air encore un peu incertain, de son côté, mais ça ne serait plus un problème longtemps. Yoichi en faisait la promesse.

« … Yoichi », appela-t-il, presque en un souffle. Le sourcil froncé, mais sans lâcher sa main. « Est-ce que- Tu es… » Le temps d'un instant, il baissa les yeux. Les redressa et tourna la tête. « Vraiment sûr ?
– J'ai l'air d'avoir des doutes, là ? »

Et oh, il espérait que ce n'était pas le cas, parce que- Maintenant, il pouvait le dire, il n'en avait plus aucun-
Il savait ce que signifiait ce regard. Et il comprenait toutes les questions que traduisait cette attitude. Bon, d'accord, peut-être pas toutes, mais- Et si tu finis par changer d'avis, c'est ça ? Et si tu le regrettes ? Et si la situation de l'été dernier se représente, et si je dis à nouveau des choses que je ne pense pas ? Quand bien même ça ne serait pas la liste exhaustive, c'étaient de bonnes questions, tout ça – bien sûr qu'ils ne pouvaient pas prévoir de l'avenir serait fait. Et bien sûr que si les paroles de Kaiser exprimaient à nouveau la méprise et le rejet, par réflexe, par mécanisme de défense, plutôt que la douleur et l'incertitude et la peur, Yoichi en souffrirait. Mais malgré ça…

« … Je sais », finit-il par ajouter simplement, le regard sûr et rivé dans celui de Kaiser. De son petit ami. « C'est plus facile d'être cruel que d'être vulnérable, hein ? »

Kaiser ne répondit pas. Au bout d'une seconde, toutefois, il resserra les doigts sur les siens – et Yoichi lui adressa un nouveau sourire en retour. Il savait.

« Mais sérieusement, continua-t-il, Micha. Tu m'as séduit en étant le pire enfoiré que j'aie jamais connu. Je vais pas te lâcher juste parce qu'il s'avère que tu as des sentiments. »

Même si c'étaient des sentiments compliqués, contradictoires, dont il avait honte ou tout à la fois. Même si c'étaient des sentiments trop forts, incontrôlables, qu'il ne parvenait ni à exprimer ni à canaliser – toutes ces émotions dont il savait que faire, eh bien, Yoichi était prêt à les recevoir. Même si ça devait impliquer qu'ils se disputent, même si ça devait impliquer qu'ils se disent des horreurs et qu'ils se fassent souffrir encore – sans concession, et dans leur totalité.
D'autant plus que… S'il fallait vraiment qu'il soit complètement honnête…

« … Surtout pas alors que je suis pas forcément mieux… »

Ça ne lui faisait pas plaisir de l'admettre, hein ! Loin de là ! Mais quand il réfléchissait à la façon dont il avait agi ces dernières semaines, lui aussi- Rah, s'il avait bien voulu ravaler un minimum sa fierté, peu importe à quel point c'était toujours si impensable face à Kaiser, et tout de suite aller lui parler en face, plutôt que de procrastiner encore et encore… S'il était allé le chercher comme il avait toujours prévu de le faire, plutôt que d'avoir bêtement, bêtement peur de le perdre pour de vrai…

(Et dire qu'en fin de compte, Ness avait dit vrai-)

D'un coup, Yoichi sentit sa main tirée en arrière, et elle s'engouffra dans la poche tiède du manteau de Kaiser au moment même où l'épaule de celui-ci, toujours un peu plus haute, à peine !, se collait à la sienne. Lorsqu'il leva, non, tourna les yeux dans sa direction, il ne le regardait plus, l'air pas affecté le moins du monde par ce que Yoichi venait de lui dire ; au lieu de ça, son visage était neutre, parfaitement détendu, ses paupières closes sous les flocons toujours légers du marché de Noël de Munich…

(Et les doigts, sous ses gants, serrés un peu plus fort autour des siens.)

« Je confirme, lança-t-il. Encore un plan sur lequel tu devras te contenter de la seconde place, mon Yoichi.
– Oh, la ferme, Micha. »

(La réponse qui ne s'était pas fait attendre. Et surtout, surtout, pas un mot sur le fait que- mon Yoichi- Mon Yoichi-)

À la seconde où leur regard se croisa, cette fois-ci, Kaiser- Michaël esquissa un sourire fier, moqueur, taquin, et lui tira aussitôt la langue. Alors, franchement, qu'est-ce que Yoichi aurait pu faire d'autre – qu'est-ce qu'il pouvait bien faire d'autre, ouais, que de lui balancer un coup d'épaule pour la forme, et de lui rendre la pareille ?
Et si son idiot de petit ami ne trouvait rien de mieux à faire que de se pencher vers lui, jusqu'à ce que leur front s'effleure presque, rien de plus malin que de froncer les sourcils-

« Quoi, encore ? »

Et s'il s'avérait que rien qu'à l'intensité de son regard, rien qu'à la courbe de ses lèvres fines, Yoichi devinait soudain parfaitement où il voulait en venir- Sans même qu'il n'ait besoin de le dire à voix haute, quand bien même ils étaient en public, Yoichi, j'ai envie de t'embrasser- Et merde, si ses joues chauffaient aussitôt, si son crétin de cœur s'emballait aussitôt à cette idée-

« Rah, tu fais chier ! J'arrivais à ne pas y penser, jusqu'ici ! »

Rien ne lui disait qu'il pourrait un jour lire en Michaël Kaiser comme dans un livre ouvert. C'était vrai. Et rien ne lui disait que même s'il y arrivait un jour, ça suffirait ; ça ne voulait pas dire qu'ils n'auraient pas besoin de se disputer encore, de se séparer encore, de se fuir et de se chercher encore ; mais…
Mais ils étaient Michaël Kaiser et Isagi Yoichi. Du Bastard München comme de n'importe quelle autre foutue équipe, pour ce que ça changeait. Alors, qu'ils doivent puiser jusque dans leurs dernières ressources, qu'ils doivent y consacrer le restant de leur vie – sur le terrain comme en dehors, s'il existait au monde un couple capable de relever avec brio n'importe quel challenge… En particulier celui-ci…

(Ça ne pouvait être qu'eux. Et ce serait toujours eux. Ensemble.)


À la seconde où il referma la lourde porte d'entrée derrière lui, les mains encore tremblantes d'avoir mis plus d'un instant à la déverrouiller, Michaël laissa tomber son trousseau de clés à même le sol, frémit en sentant les lèvres de Yoichi s'écraser sans douceur contre les siennes – et répondit avec autant d'enthousiasme à son baiser.

Oh, il était possible que ça ne soit pas la meilleure des idées. Que ce ne soit pas la décision la plus brillante à prendre, pour la première soirée que Yoichi passait chez lui – pour sa première soirée en tête-à-tête avec son petit ami. Alors qu'ils n'avaient peut-être pas encore discuté encore qu'ils l'auraient dû, que leur couple- leur couple était encore récent, quoique son Yoichi n'ait pas l'air du même avis, mais…
Pff. Il était en train d'embrasser Yoichi. Si ce n'était pas exactement ce qui était prévu- Pas tout à fait ce qu'ils avaient en tête, lorsqu'ils avaient terminé leur visite du Christkindlmarkt et que, là où son imbécile de Yoichi avait commencé à s'inquiéter de retrouver les autres (et puis quoi, encore ?), Michaël lui avait fait remarquer qu'il n'habitait qu'à une quinzaine de minutes en taxi- Franchement, qu'est-ce qu'il en avait à faire ? Au bout de toutes ces semaines et de tous ces mois… À nouveau, comme avant, embrasser Yoichi

Ses doigts froissant le col de son manteau, tandis que ceux de Michaël se perdaient entre les plis de son écharpe couverte de flocons fondus. Ses cheveux rendus humides par la neige, dont les mèches les plus longues chatouillaient son front. Et il ne savait pas lequel d'eux deux avait attiré l'autre à lui le premier, mais- Merde, c'était tellement bon de le retrouver. Le bout de son nez encore glacé par les températures extérieures, tout contre son visage…. Sa langue chaude portant encore le goût du Glühwein qu'ils avaient partagé un peu plus tôt, par contraste…

(Son cœur qui s'emballe dans sa poitrine et son estomac qui se tord d'anticipation, d'excitation. Parce que Yoichi est chez lui. Ses mots qui se prennent dans sa gorge et ses joues qui le brûlent presque. Parce que Yoichi est entre ses bras, à nouveau, enfin – parce que Yoichi a envie de l'embrasser, lui aussi. Parce que Yoichi apprécie de passer du temps avec lui, et qu'il n'a jamais cessé de le voir comme son petit ami, et que-
Michaël le veut, ici ou ailleurs, l'endroit importe peu, tant que c'est au calme, pour lui et pour lui seul, à l'abri de toutes les oreilles et de tous les regards, avec sa poigne ferme dans ses cheveux et ses lèvres insistantes contre les siennes – Yoichi, Yoichi, Yoichi.)

Yoichi n'eut qu'à mordiller sa lèvre inférieure pour lui arracher un gémissement, faire glisser son manteau le long de ses épaules, et le faire réaliser qu'il commençait déjà à bander dans la foulée. Merde. Ça faisait tellement longtemps… Et le tumulte d'émotions qui se disputaient ses entrailles était si fort. Il se fichait bien de l'heure qu'il était ou que toutes les lumières soient encore éteintes, malgré la nuit tombée, il avait juste besoin de- Yoichi.
Yoichi qui, d'un coup d'œil, comprenait ce qu'il lui fallait – puis le lui donnait. Yoichi qui, leurs chaussures jetées dans l'entrée, le guidait à travers son appartement avec assurance, comme si l'endroit lui appartenait, alors que c'était la première fois qu'il y mettait les pieds. Yoichi qui le repoussait d'un geste presque brusque, pour le faire asseoir sur canapé d'angle, dans l'immense salon au-delà du vestibule, et se débarrassait de sa propre veste avant de s'installer à califourchon sur ses genoux. Yoichi si confiant, ses lèvres humides, ses yeux brillants de satisfaction et de désir… Bien content de le prendre de haut, dans cette position… Et sublime dans la pénombre, sur fond de la baie vitrée d'où jaillissaient les couleurs lointaines de Munich, avec une main dans sa nuque – les doigts tirant ses cheveux pour le forcer à lever la tête, qu'il ne regarde que lui…

Michaël adorait ça. Le cœur battant, incapable de s'arracher au spectacle. Michaël adorait tellement ça qu'il ne savait pas comment il avait pu espérer, sérieusement, être capable de s'en passer un jour.

(Conneries. Il en a besoin comme d'eau et d'oxygène – Yoichi au-dessus de lui, Yoichi entre ses draps, juste… Yoichi. Son petit ami. Et tout ce temps passé à s'efforcer de se mentir à lui-même, comme un putain d'imbécile, alors que- Il l'aime. Il l'aime. Il en est absolument dingue.)

« Tu es le mec le plus insupportable de cette planète, souffla Yoichi en s'emparant de sa mâchoire pour le guider dans un nouveau baiser, plus langoureux encore que les précédents. J'ai tellement envie de toi que je pourrais te crever.
– Hmm, Yoichii… » Et alors quoi, si c'était tordu ; ça l'excitait terriblement. S'il fallait que l'un d'eux deux crève l'autre de désir, rien ne prouvait que ce serait Yoichi qui l'emporterait, et il était prêt à relever le défi n'importe quand. « Ça me flatte.
– Lequel des deux ? »

Cette fois-ci, Michaël parvint à esquisser un sourire arrogant, les yeux toujours rivés dans ceux de Yoichi. De Yoichi si près, si chaud, si tangible contre son corps, qui ne le quittait plus non plus – ni de son regard tout aussi provocateur, ni de ses baisers tout aussi brûlants.

« Les deux, évidemment. »

Il n'en fallut pas plus pour que Yoichi resserre sa prise dans ses cheveux et s'empare à nouveau de sa langue, bien sûr.
Mais que ce soit pour le gémissement qui s'échappa aussitôt d'entre ses lèvres en réponse, le naturel avec lequel ses doigts à lui trouvèrent la ceinture de Yoichi, le frisson qui remonta sa colonne vertébrale lorsqu'ils effleurèrent la bosse qui commençait à se former en-dessous – c'était loin d'être un problème. Tout comme c'était loin d'être un problème qu'il ait de plus en plus envie de passer outre les préliminaires, si on se fiait à la façon dont Yoichi ne tarda pas à répondre à ses semblants de caresses. Tout en soupirs, ses hanches se mouvant d'elles-mêmes, à la recherche presque désespérée de son contact... Et d'accord, peut-être que c'était la partie qu'ils préféraient tous les deux, d'habitude, enfin, qu'ils avaient tous les deux préférée cet été- Se faire mourir d'envie l'un l'autre avant d'enfin, enfin s'apporter la satisfaction qui les sauverait de la folie pure, mais- Après tout ce temps, plus d'une saison complète, ça faisait si longtemps… Et ça, tout ça, leurs rapports et tout le reste, ça lui manquait tellement…

« Michaël », l'appela la voix de Yoichi, haletante. Sans qu'il n'y prête beaucoup d'attention, tout d'abord, occupé qu'il était à tâter franchement le sexe de l'autre garçon à travers son pantalon, maintenant – et à s'imaginer comme il le voulait. « Michaël. » Entre ses cuisses. Ou bien au bout de sa langue. Ou bien tout au fond de lui. « Micha ! »

Le surnom le fit réagir ; en même temps qu'il stoppait net ses mouvements, ses yeux mi-clos s'écarquillèrent. Le front presque appuyé contre le sien, Yoichi avait les joues rouges et le souffle court et l'air plus intense que jamais, et il était juste- incroyablement canon, super craquant, irrésistible. Dans cette situation, Michaël ne se voyait lui dire non pour rien au monde. Tant qu'il l'avait avec lui.

« J'ai envie- », commença-t-il, avant de se reprendre. D'inspirer brièvement. La main descendue le long de sa gorge, deux doigts glissés entre le col de son pull en laine et sa peau tiède. Encore un peu, et ils caresseraient le tatouage dans son cou. Un peu plus fort, et ils commenceraient à lui couper le souffle. « J'ai envie qu'on fasse l'amour. Pour de vrai. Pas sur le canapé. »

Un frisson – quoique pas désagréable, loin de là – remonta le long de sa colonne vertébrale et Michaël déglutit. Qu'on fasse l'amour. C'était ce qu'il avait dit. Pas qu'on baise. Pas qu'on couche ensemble et pas de te prendre. Pas en vitesse sur la première surface exploitable disponible, comme ça avait pu être le cas parfois (souvent) juste après Blue Lock, quand à l'issue d'un un-contre-un serré ou d'une dispute enflammée le besoin de l'autre les avait submergés au point que ça ne puisse pas attendre, pas même une seconde, mais… Pour de vrai. En prenant leur temps. Plus juste pour s'amuser, mais comme deux hommes qui…
Michaël redressa la tête et trouva le regard de Yoichi rivé sur lui – dans l'attente de sa réponse. Mais aussi impatient que lui-même se sentait.

« D'accord, souffla-t-il. D'accord. Ma chambre est à l'étage. »

Quelques instants plus tard, il se laissait tomber- Non, il autorisait Yoichi à le renverser sur ses draps de satin noir, et l'idée ne lui vint même pas à l'esprit de faire la moindre remarque, même pour le faire réagir, même pour la forme, lorsque celui-ci s'installa au-dessus de lui.

En même temps, avec la langue de Yoichi cherchant à nouveau la sienne- Avec la main gauche de Yoichi à plat contre son cœur tambourinant, froide, séparée de sa peau nue par la seule épaisseur de son pull en laine légère- Avec sa main droite qui pressait ses deux poignets contre le matelas, avant de glisser jusque contre sa paume… d'entrelacer leurs doigts… C'était tellement-
Son membre était dur à lui faire mal, maintenant. Le désir embrasait son estomac jusqu'à sa poitrine. De là où il avait pressé sa cuisse entre ses jambes, il sentait bien que Yoichi bandait aussi – et merde, c'était tellement bon avec lui. En-dessous de lui. Ou au-dessus, s'il le voulait, honnêtement, Michaël se fichait pas mal de la position, tant qu'il pouvait l'avoir. Tant qu'il pouvait n'être qu'à lui.

« 'peux pas croire que t'aies vraiment des draps pareils », susurra Yoichi à son oreille, la voix déjà un peu rauque et à bout de souffle – mais étant donné les entraînements qu'ils subissaient tous les jours depuis des semaines, il n'y avait que l'excitation pour lui faire perdre son sang-froid comme ça, et Michaël tressaillit à cette idée. Merde, il avait tellement envie de lui, et de savoir que Yoichi le désirait comme ça lui aussi… « Ou plutôt si, en fait, évidemment que t'allais avoir des trucs comme ça, hein ? »

Son ton railleur. Son sourire fier, lorsqu'il se redressa pour regarder Michaël en face. Et ses yeux, bordel, ses yeux- Tellement- Trop bleus-
Ça y était, c'était certain. Michaël avait l'impression qu'il allait devenir fou. À moins qu'il ne le soit déjà – parce qu'il était bien capable de lui faire perdre la tête, cet enfoiré, hein ? Comme si ce n'était pas précisément ce qu'il se tuait à faire depuis que Michaël avait croisé son regard pour la première fois, au premier jour de Blue Lock- Et pour preuve- Il ne répondit pas, ne réfléchit même pas, ne se rendit pas compte que son esprit était vide. Au lieu de ça, l'une de ses mains attrapa brusquement Yoichi par le col de son pull, pour le ramener contre lui et l'embrasser encore, dévorer ses lèvres, l'étreinte des doigts de Yoichi plus serrée encore autour de son autre main – c'était le Paradis. Ou peut-être l'enfer sur Terre, tant qu'il n'aurait pas joui. Peu importe. Il n'avait pas besoin d'un orgasme pour savoir qu'il n'y avait qu'une chose qu'il désirait réellement. Yoichi. Et tous ces mois avec sa main pour seule partenaire en désespérant d'un jour pouvoir à nouveau le-

Alors que les doigts de Michaël trouvaient la fermeture éclair du pantalon de Yoichi, enfin, prêts à en libérer son sexe dur au bout de leurs contacts et de leurs caresses appuyées, ils furent chassés d'un seul coup et Michaël rouvrit brusquement les yeux. Hein ?! Mais qu'est-ce qu'il foutait, cette espèce de-
Au-dessus de lui, l'intéressé n'avait pas l'air déstabilisé le moins du monde, toutefois. Un bref sourire aux lèvres, étonnamment… sincère ? plutôt que fier ou provoquant ? si ce n'était pas- si ce n'était pas doux, si ce n'était pas tendre – d'un geste lent, il ramena la main de Michaël jusqu'à lui et pressa son front contre le sien.

« Micha, murmura-t-il, avant de se mettra à embrasser chacun de ses doigts à son tour. Micha. »

Les yeux bleu sombre et déterminés à nouveau plongés droit dans les siens, et l'air tellement- Wow-
Petit à petit, la respiration de Michaël ralentit, au fur et à mesure que les battements de son cœur s'accéléraient. Ça ne faisait aucun sens, mais Yoichi, ce foutu Yoichi ne faisait aucun sens. Son regard était magnifique, et lorsqu'il plaça la main libre de Michaël contre sa nuque, cette fois-ci, sa peau était parcourue d'autant de frissons qu'elle était brûlante.

« J'ai envie de tester un truc », continua-t-il de souffler. Puis il pressa son bassin contre le sien pour les soulager tous les deux, même pour une seconde, et Michaël lutta pour ne pas fermer les yeux tandis qu'un nouveau soupir de plaisir s'échappait d'entre ses lèvres. « Tu me fais confiance ? »

... C'est quoi, cette merde.
Il était allongé en-dessous de lui, fou d'envie, prêt à se soumettre à lui tout entier, en train de se forcer à penser à autre chose pour ne pas jouir beaucoup trop tôt, et- Ça devait bien faire une demi-heure qu'il le laissait l'embrasser et le caresser à sa guise- Et cet idiot lui demandait sérieusement si- ?!
Pour toute réponse, Michaël dégagea son bras et le jeta en travers de son visage, quand bien même ses joues n'étaient pas en feu et son cœur n'était pas en train de fondre. Pas du tout.

« Tu le sais très bien… Yoichi de merde… »

Cela dut lui suffire, heureusement, car Michaël n'eut même pas besoin de rouvrir les yeux pour savoir qu'il souriait.

« Si ça fait trop, on fait comme ça, d'accord ? »

Tandis qu'il parlait, Michaël sentit ses deux mains descendre le long de son corps ; s'arrêter au niveau de ses cuisses, finalement, chaudes à travers le pantalon trop serré qu'il portait encore, délicates d'une façon qui faisait virevolter les papillons dans sa poitrine ; son index se soulever, rien qu'un peu… Tapoter quelques fois- non, trois fois, le code à retenir… Et puis Yoichi se redressa, et puis-

Le sourire infiniment doux, plus inhabituel que tout sur ce visage et pourtant sincère, parfaitement à sa place. Les yeux rivés dans les siens, tout du long, pour s'assurer que ça ne lui déplaisait pas. Et les doigts qui, lentement, délicatement, attrapèrent l'oreillette qu'il portait en permanence et la retirèrent – en même temps que, de son autre main, d'un geste ferme et confiant, Yoichi se défaisait de la sienne à son tour.

Toujours allongé au-dessous de lui, le souffle soudain court, Michaël l'observa déposer les deux traducteurs sur la table de chevet la plus proche, avant de reprendre sa position initiale – à genoux entre ses jambes. Les mains fermes, réconfortantes, brûlantes sur ses jambes. En ne regardant que lui. Les sourcils à peine froncés, l'air toujours aussi intense, les traits sublimes du buteur le plus beau et le plus à craindre du Japon entier, et…
Et lorsqu'il prononça quelques mots, une phrase peut-être, ça avait l'intonation d'une question, à moins que ça ne soit pas le cas, Michaël ne comprit pas ; mais sitôt qu'un éclair de doute traversa le bleu profond des yeux de son Yoichi un long frisson remonta le long de sa colonne vertébrale et tout de suite, tout de suite, Michaël le ramena contre lui.

Merde. Les mains contre son ventre, hésitant entre caresser ses muscles fermes et arracher sa ceinture, sa foutue ceinture, il fallait que Yoichi comprenne qu'il était plus que temps qu'il enlève son putain de t-shirt- Parce que l'excitation allait le tuer, parce qu'il avait besoin de le sentir contre lui et en lui et vite- Mais comment lui dire alors que s'il parlait Yoichi ne comprendrait pas ? Quels mots utiliser alors qu'aucun de ceux qu'il connaissait n'appartenait à la langue de Yoichi, que de tous ceux qu'ils utilisaient depuis le début, ils n'en avaient pas un seul en commun- Si ce n'est son prénom sur sa langue et ses doigts fébriles contre sa peau et son regard fiévreux droit dans le sien-

À l'instant d'après, Yoichi se débarrassa de son t-shirt, revint entre ses bras et le pressa contre le matelas d'un même geste – et à partir de là Michaël ne se posa plus la moindre question.

À quoi bon, de toute façon ? À quoi bon s'interroger, alors que- Les paumes de Yoichi, larges et décidées, sur son torse, qui le caressaient à travers son pull fin, et puis qui se glissaient en-dessous et qui le faisaient frémir de la tête aux pieds. Les lèvres de Yoichi, sa langue, qui ne tardèrent pas à rencontrer sa peau, au niveau de son estomac, puis à remonter jusqu'à sa poitrine et à son cœur. Yoichi qui redescendit, ensuite- Encore, encore, jusqu'à ce que sa main immobilise fermement sa hanche et que ses doigts se saisissent de la fermeture éclair-

(Et en même temps qu'il embrasse sa peau Yoichi lui parle et Michaël ne comprend pas. Et en même temps qu'il le prend en main, qu'il le caresse, exactement comme il aime, exactement comme si ça ne faisait pas des mois qu'il n'avait pas effleuré son membre, Yoichi lui parle et Michaël ne comprend pas – mais c'est tout sauf un problème.
C'est bon. C'est bon. Michaël n'avait jamais réalisé – le japonais est une langue superbe. La voix de Yoichi, même essoufflée, surtout susurrée contre lui, entre ses cuisses, est une voix superbe. Et dire que depuis toujours il ne l'entend qu'au travers d'un traducteur automatique qui prétend en retranscrire le ton mais que jamais, jamais il ne l'écoute- Jamais il ne s'en délecte, jamais comme ça, sans filtre, sans rien entre eux, sans autre choix que de se raccrocher à ses gestes et à ses regards pour vraiment l'atteindre-)

À bout de souffle, une main en travers du visage et l'autre dans les cheveux de Yoichi, les doigts encore serrés sur ses mèches sombres après avoir joui sur sa langue, Michaël le regarda se redresser, les yeux troubles ; puis lui rendre la pareille, le dévorer du regard, lentement, lécher ses lèvres ; puis avoir l'air de chercher quelque chose, marmonner quelques sons qu'il distinguait mais auquel il aurait été bien en peine de donner un sens, et…
Et Michaël n'eut pas à réfléchir un instant pour attraper son poignet, attirer son attention, et glisser dans sa main les préservatifs et le lubrifiant qu'il gardait dans sa table de chevet. Lui voler un baiser amusé au passage. Lui intimer, dans sa propre langue, de ne pas le faire attendre au passage.

(Au moment où Yoichi le pénètre, il jure, et Michaël n'a pas besoin de connaître un mot de japonais pour savoir qu'il ne tiendra pas longtemps. Ça ne fait rien – Yoichi n'a pas besoin de connaître un mot d'allemand, non plus, pour savoir qu'il lui fait du bien. Il le comprend à son regard, il le devine à ses baisers, il le sait à son sourire.
Et tous les mots qu'il lui murmure encore- Et tous les bouts de phrase qu'il balbutie, péniblement, entre deux efforts ou deux soupirs-
Michaël n'a pas la moindre preuve de ce qu'ils signifient – mais fou de plaisir, le cœur tambourinant dans la poitrine, ivre de Yoichi, son petit ami, il s'imagine que c'est j'ai envie de toi. T'es magnifique. Tu me rends dingue et je peux pas vivre sans toi- Reste, pitié, reste avec moi . Je t'aime, Micha-

… Car c'est bien ce que ses paroles à lui veulent dire.)


C'est un jour de décembre comme les autres, en apparence. Vu de loin. Peut-être.
Froid et sombre. La nuit tombée depuis longtemps, mais le ciel encore étonnamment clair, parce qu'il a neigé dans la journée – sans pourtant que la neige ait tenu. Les pavés de Munich humides et glissants et presque déserts et les gens, les habitants comme les touristes, déjà tous rentrés chez eux ou en chemin.

Dans sa chambre, à l'étage de son confortable duplex de Bogenhausen et entre ses draps doux au toucher, Michaël Kaiser se concentre sur le trajet des doigts d'Isagi Yoichi. Sur son torse, jusqu'à la naissance de sa gorge… Le long de ses épines et de sa rose, le temps de quelques secondes… Contre sa mâchoire et puis son visage…. À ce rythme, il calque son souffle encore erratique sur les caresses de son petit ami. Cherche son regard encore vague, et ne cache pas sa satisfaction de le trouver.
Yoichi lui pose une question en japonais, que Michaël ne comprend pas, mais ce n'est pas grave. Plutôt que de s'en agacer ou d'être frustré, Michaël préfère hausser un sourcil ; regarder, amusé, son beau Yoichi écarquiller ses beaux yeux et puis se redresser, encore nu, pour partir à la recherche de leurs oreillettes tout en continuant de pester dans sa langue maternelle ; et puis, alors qu'il se penche pour les ramasser, attraper sa main et le ramener contre lui d'un coup sec. Le faire retomber droit dans ses bras – juste pour l'embêter.

Lorsqu'il relève la tête, Yoichi a l'air aussi gêné qu'agacé, les sourcils hésitant entre le froncement de frustration ou d'embarras, les joues roses dans tous les cas, et Michaël éclate de rire. Oh, quel homme ridicule. Michaël en est fou amoureux. C'est alors que, soudain, les émotions contraires dans les yeux de Yoichi se changent en la détermination que tout Blue Lock et le monde entier ne lui connaissent que trop bien, et- Cinq ou six secondes plus tard, une paume décidée posée sur son torse et l'attention entière rivée sur lui, comme dans leurs meilleurs moments sur le terrain- Murmurés, sans crier gare, juste quelques mots, avec la prononciation la plus désastreuse qu'il lui ait été donné d'entendre dans sa vie.

Ich möchte bei dir bleiben.
(Je veux rester à tes côtés.)

… Et foutu, foutu, maudit Yoichi Isagi.
L'as de Blue Lock, hein. Le meilleur buteur du Japon – lui-même, toujours le plus humble, dirait du monde (pff – il peut rêver). Mais aussi, en dépit des malentendus et des désaccords et de toute la distance…
Le garçon que Michaël Kaiser est certain, désormais, qu'il veut pour tout le reste de sa vie à ses côtés.


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Au beau milieu du Christkindlmarkt au centre de Munich, et pour la huit ou douzième fois au cours du dernier quart d'heure – ce qui représentait déjà trois à sept fois de moins que nécessaire ! –, Alexis Ness jeta un regard à l'écran désespérément vide de toute notification de son téléphone portable et fronça les sourcils.
… Ce n'était pas qu'il pensait avoir pris la mauvaise décision, dans l'absolu. Encore moins qu'il n'avait pas confiance en Kaiser, ah, ça, non ! Ça ne lui faisait pas plaisir de le dire, bien sûr, mais si c'était ce que Kaiser avait choisi… Il ne pouvait pas dire qu'il comprenait ni qu'il approuvait, mais si c'était ça, le type que son meilleur ami voulait…

Non, finalement, c'était plus fort que lui ! Les dents serrées, il ferma le poing et s'autorisa malgré tout à marmonner et à le maudire. Encore une fois.

« Si ce satané Yoichi lui brise encore le cœur… »

Pour information, son argument selon lequel c'était Kaiser qui avait rompu l'été dernier et donc Kaiser qui lui avait brisé le cœur, pas l'inverse, n'était pas recevable. Carton rouge, Yoichi. En fait, quiconque osait sous-entendre que Kaiser était responsable ne méritait que d'être exclu du terrain et de la ligue entière, ni plus ni moins.

« Hé, relax, bouclettes. Je te promets que ça les aura juste aidés à conclure. »

Immédiatement, Ness redressa la tête et lança un regard noir au joueur à l'origine de tout ce plan – et qui avait, d'une façon ou d'une autre, réussi à le convaincre d'y participer. Ness ignorait encore comment il avait fait, en conséquence de quoi son bon sens lui dictait de s'en méfier comme de la peste, voire pire.
Pour toute réponse, Ryûsei Shidô afficha un large sourire lourd de sous-entendus et croisa nonchalamment les bras derrière sa tête-

« D'ailleurs, eut-il le culot d'ajouter, ça doit être le cas en ce moment-même- »

Ness s'éclaircit bruyamment la gorge.
Et le pire, c'était que ce gros rustre n'était même plus célibataire, à ce qu'on lui avait dit ! Mais comment est-ce que Sae Itoshi faisait pour le supporter ?!

« Bref ! » reprit Shidô, l'air calmé – ou en tout cas, faussement calme. Faussement normal. Le ton naturel qui cachait forcément quelque chose. « Et si tu venais plutôt m'aider à choisir un pull moche pour Sae-chan ? T'as qu'à en prendre un pour blondinet aussi ! »

Un pull moche ? Et puis quoi, encore ? Kaiser- Il n'était pas certain d'apprécier le surnom, par ailleurs, même s'il contenait bien une part de vérité, Ness ne validait pas l'impertinence sous-jacente qu'il y décelait- Mais Kaiser ne méritait que des vêtements de première qualité qui le mettaient en valeur ! À coup sûr pas un pull moche-
Même si… Lorsqu'il prit la peine de diriger un véritable regard vers le chalet devant lequel Shidô s'était arrêté, où s'alignaient des dizaines de pulls de Noël colorés aux messages inspirés, quoique certains plus que d'autres, il devait reconnaître que… Sans dire que cela plairait à Kaiser, bien sûr, mais… Si c'était pour être assorti à son cher Yoichi… Ou pour, en le taquinant à ce sujet, mettre hors de lui son cher Yoichi…
Trop pris par les images qu'il était en train de se faire, Ness ne vit pas le sourire de Shidô s'élargir à ses côtés.

« Ohh », l'entendit-il simplement dire, plus amusé que jamais – avant de sentir, d'un coup et sans douceur aucune, son bras s'abattre en travers de ses épaules et le faire sursauter. « J'aime ta façon de penser, bouclettes. On fait une bonne équipe, toi et moi, tu crois pas ? »


Et voilààà si vous êtes arrivé-e jusqu'ici, bravo et merci d'avoir survécu à l'OS le plus long que j'aie posté de ma vie ! Je suis désolééee... Encore joyeux Noël Zofra x33