J'avoue, je craignais vos retours sur ce passage mais apparemment, c'était pas si affreux que ça. Ou alors, vous êtes trop polis/sympas pour ne pas me démonter en bonne et due forme parce que j'ai ruiné cette scène avec Astarion. ^^'

Journal des reviewers

Seulie : Ma pauvre, tu es comme Silesta, tu ne fais pas semblant quand tu es pas bien ^^'' J'espère que tu vas vite te remettre sur pied et que la suite fera une sorte de remède pour t'aider ;)
Merci pour ton retour. Si je suis parfaitement honnête, j'étais en train de me dire « Mince, j'ai toujours pas de retour alors qu'elle est au taquet d'ordinaire. Soit elle est vraiment pas bien, soit j'ai ruiné le truc au point de la dégoûter. » XD Je suis rassurée de constater que ce n'est pas la seconde option.

Slyths : Les touches F5 et F8 vont fumer ! XD Attention aux options qui font mal par contre. Je les ferai jamais celles-ci, même par curiosité. Mais quand tu prends les bonnes, c'est un peu plaisir et une pure émotion.
J'espère avoir collé au personnage. Mais bon, si je me base sur le dialogue « cut-scene sans avoir croisé Araj », Astarion est quand même bien accroché (pour dire « I want us to be something real », c'est qu'il y a quand même quelque chose). Du coup, je pense ne pas être trop à côté de la plaque.

Annabesse : Il fallait bien remédier à ce problème de reflet :) C'est un point qui avait été soulevé par la communauté et beaucoup de gens se désolaient qu'on ne puisse le faire.

Show must go on (hélas)


CHAPITRE XXVI – UN PIED DANS LA TOMBE

« Un elfe ou demi-elfe ? Quinze ans environs ? Un membre de votre compagnie de cirque ? Ou un demi-frère, peut-être ?

_ Je l'ignore. »

Tout en se rhabillant, Astarion et Silesta discouraient à propos de la vision onirique de cette dernière. Trop absorbée par ses pensées qui refusaient de lui laisser le moindre indice sur l'identité de cet adolescent inconnu, la jeune femme s'évertuait à refaire encore et encore le même croisement avec ses cordons sans parvenir à le faire correctement. Les traits de ce visage s'estompaient avant de se reformer par vague dans sa tête sans jamais se figer avec netteté. Quoi qui retenait sa mémoire, c'était quelque chose de vraiment coriace. D'ailleurs, plus le temps passait et plus Silesta étaient convaincue que son amnésie n'avait rien de normal. Elle aurait pu se réjouir d'avoir avancé d'un petit pas mais le cœur n'y était pas. Ce garçon ne lui évoquait rien et elle ne voulait même pas songer à la voix de femme entendue dans le lointain.

Astarion termina de boutonner sa veste et eut un petit gloussement moqueur.

« Entre ça et votre espèce de somnambulisme, votre esprit est aussi retors que Lae'zel.

_ Somnambulisme ? Comment ça ? » réagit aussitôt la jeune femme en se levant du lit.

Le vampire lui expliqua que pendant qu'elle rêvait, sa main avait fait d'étranges mouvements, comme si son index cherchait à écrire ou tracer quelque chose sur les draps.

« Je vous aurais bien glissé une plume entre les doigts pour vous aider mais hélas, j'étais quelque peu entravé », s'amusa-t-il avec une pointe de coquinerie.

Silesta ne lui demanda même pas s'il avait pu déterminer ce qu'elle avait cherché à écrire car elle devinait déjà la réponse. Décidément, depuis l'incident du susurreau, les phénomènes étranges liés à son amnésie ne faisaient que se multiplier. Le rituel d'Isobel ne saurait mieux tomber.

La jeune femme se hâta de mettre fin à sa lutte acharnée contre son corset puis s'attaqua à remettre ses bottes, perdue quelque part dans le dos de son compagnon qui s'était hasardé à un coup d'œil dans le miroir, sans succès d'y voir son reflet, hélas. Un étrange sentiment naquit de son ventre. Une fois la porte de cette chambre passée, cette douce et intimiste bulle ne serait plus. Ils redeviendraient deux aventuriers pris dans une terrible course contre la montre, cernés de mille dangers par lesquels ils pourraient mourir d'un instant à l'autre. Une part d'elle voulait égoïstement rester dans cette chambre pour ne jamais perdre cette félicité qui avait su les garder loin de toute cette folie le temps d'une nuit.

Elle papillonna des paupières en réalisant qu'elle s'était un peu trop laissé porter par sa contemplation car Astarion la surveillait avec amusement.

« Ne soyez pas si triste, ma douce. Nous aurons bien d'autres occasions.

_ Quelle suffisance, grommela-t-elle en réarrangeant ses cheveux machinalement. Qu'est-ce qui vous rend si sûr que je pensais à vous ? »

Le roublard haussa les sourcils d'une très fière espièglerie et croisa les bras.

« Je songeais plus à une occasion d'en apprendre davantage sur vos blocages mémoriels mais je ne dirais pas non à d'autres éventuelles escapades sensorielles. »

Un ange passa, le temps pour l'embarras le plus total de s'emparer de la jeune femme rousse.

« Oh, vous ! »

Comme il fallait s'en douter, Astarion fut plus rapide que le coussin qui fut jeté dans sa direction. Satisfait de sa petite fourberie, le roublard ouvrit la porte et s'apprêta à sortir mais s'arrêta. Il eut un silence entre ses pensées puis se tourna vers celle à qui il avait ouvert son âme la veille.

« Appelez-moi n'importe quand, n'importe où. Dès que vous me perdez. »

Et la porte se referma sans un bruit sur son ombre, laissant une Silesta pantoise qui se sentait rosir malgré elle, le cœur battant. Elle sourit doucement. Quoi que ces mots voulaient dire réellement, ils résonnèrent fort en elle. Non, elle n'était pas une proie, pas une victime, pas une conquête de plus sur un tableau de chasse et elle n'avait pas plus idée qu'Astarion de ce qu'elle représentait exactement pour lui. Tout ce qu'elle savait lui suffisait : il avait accepté sa présence à ses côtés.

La jeune femme termina de s'arranger, récupéra ses affaires et quitta à son tour la chambre après un dernier regard au lit défait.

Au rez-de-chaussée, le brouhaha d'animation s'était déjà installé, insensible à tout ce qui se passait autour. Affamée par sa nuit fort peu reposante, Silesta alla se commander une petite collation et découvrit un peu plus loin Gayle qui était en train de caresser affectueusement le chat sphynx avec qui elle avait parlé la dernière fois. Elle alla rejoindre son allié occupé à gratter le menton de l'impérieux félin, impressionnée de voir comment il se laissait faire.

« Je n'entends plus ce qu'il dit mais ses ronronnements parlent pour lui », s'amusa-t-elle.

Le magicien d'Eauprofonde eut un sourire entendu.

« Un peu de douceur dans ce monde de chaos ne peut faire de mal à personne », approuva-t-il.

Silesta eut un silence. Pourquoi avait-elle l'impression qu'il y avait un message caché ? Elle se racla la gorge et chercha à ne pas faire trop faire éterniser le sujet.

« Vous avez un chat qui vous attend à Eauprofonde ?

_ Un tressym. Mes parents avaient refusé de me laisser adopter un chat alors j'en ai invoqué un. Ma Tara. Fascinante créature d'une intelligence rare, répondit-il doucement avant de bomber le torse de fierté. Bel avantage de recevoir une éducation magique, en plus d'avoir accessoirement un talent considérable. »

Emporté par une douce nostalgie, Gayle raconta à son interlocutrice que Tara était le seul soutien qui était resté à ses côtés lorsqu'il avait été frappé par la malédiction de l'orbe. Une année durant, le magicien s'était cloîtré dans sa tour et il n'avait pu compter que sur la fidélité de son amie à quatre pattes qui lui avait fourni des objets magiques à consommer pour se stabiliser.

Silesta fut plus que peinée et sonnée d'entendre cette triste anecdote. Avec sa personnalité si solaire quoiqu'un peu parfois prétentieuse sur les bords, Gayle n'avait donc personne d'autre dans sa vie à part Mystra et son tressym ? Cette pensée lui fit tout drôle. Sous ses airs enjoués, l'homme cachait quelque chose de bien terne.

« Sans Tara, je ne sais pas ce qu'il serait advenu de moi. Et je ne lui ai guère donné de raisons d'être fière de moi »

La jeune femme entendit la pointe de tristesse qui perlait dans ces paroles. Il se disait déjà que son destin ne lui permettrait plus de retrouver son compagnon félin.

« Vous la reverrez. Rien n'est joué tant que l'on n'a pas exploré toutes les possibilités. Et puis, vu que j'aime aussi les chats et que vous m'avez tellement fait rêver sur la magnificence de votre ville, je me dois maintenant d'en juger par moi-même. Ce sera l'occasion pour vous de me présenter à Tara. »

Gayle se laissa à sourire malgré lui. L'optimisme de Silesta était sans aucun doute sa plus grande arme dans cette histoire. Après tout, n'avait-elle pas réussi à apprivoiser Astarion comme il avait pu l'entrevoir ? Est-ce qu'au moins cet elfe roublard se préoccupait d'elle comme elle s'inquiétait de lui et des autres ? Gayle l'espérait de tout cœur car il savait que lorsque la réelle peur s'emparerait de Silesta, si elle venait à se retrouver seule face à elle-même... elle serait la plus vulnérable. Lui avait déjà – un peu - vécu et savait quelle serait sa fin alors que son amie, elle, recommençait à peine une nouvelle vie cernée par l'incertitude.

« Avec joie. Je suis sûr qu'elle vous adorera. »

Les deux amateurs de félidés furent peu après rejoins par le reste de leur équipe pour le petit-déjeuner.

L'appétit presque vorace dont fit preuve Silesta par rapport aux autres n'échappa à personne et si Ombrecoeur s'était cantonné à un très léger sourire amusé et Gayle à un silence respectueux, Lae'zel se permit de faire remarquer ouvertement à l'humaine qu'un estomac trop plein de nourriture et un esprit trop allégé par la jouissance ne formaient pas une association très sûre pour la suite de la progression. Ce fut à cet instant que la jeune femme rousse prit pleine conscience que sa liaison avec Astarion n'était plus un secret pour personne. Elle eut un blanc durant lequel elle ne sut trop quoi répondre à ses alliés.

Heureusement – ou malheureusement – pour elle, ce fut Astarion qui prit les devants :

« Ignorez-les, ils sont juste jaloux. Ne rougissez pas d'être une femme de goût. »

Au moins, les choses étaient dites et la situation claire.

Après le repas, nos amis allèrent retrouver Jaheira pour lui faire part de ce qu'ils avaient découvert aux Tours de Hautelune. La druidesse écouta leur rapport dans un silence religieux, son visage sévère fermé par une haine frémissante pour Ketheric Thorm, cet ennemi qu'elle n'avait pas su éliminer et qui avait tant semé la mort sur son passage.

« Si la source d'immortalité de Ketheric est dans ce mausolée, je ne vous retiendrai pas davantage. Détruisez-la ou mieux encore, retournez-la contre lui. Mes troupes seront prêtes à marcher sur Hautelune dès que ce monstre sera affaibli. Soyez prudents et que les dieux vous gardent. »

Après leur avoir indiqué précisément sur une ancienne carte de Reithwin l'emplacement de leur destination, Jaheira libéra ses alliés providentiels et ceux-ci quittèrent l'auberge de l'Ultime Lueur, prêts à se frotter à de nouveaux dangers.

Le mausolée de la famille Thorm se trouvait tout au nord de la ville et non loin de l'auberge si l'on utilisait la route par le fleuve. Le choix fut vite fait : s'il y avait gain de temps plus une diminution du risque de se retrouver encore nez à nez avec des ombres, il n'y avait pas à hésiter. Les aventuriers reprirent la barque qu'ils avaient empruntée à Hautelune et firent cap sur le bout de terre rocheux situé de l'autre côté de l'eau.

La navigation fut rapide et sans encombre et ils accostèrent sur le quai d'une minuscule zone de pêche où ils eurent la déplaisante surprise de se faire alpaguer par une petite bande de créatures étranges mi-humanoïdes mi-poissons que la malédiction n'avait pas tués sur le coup. Ces pauvres Kuo-Toas maudits par les ténèbres et aux armes rudimentaires ne firent pas long feu face à nos aventuriers expérimentés mais ils leur laissèrent une charmante odeur de poisson pourri sur leurs vêtements pour ne pas être vites oubliés dans la mort.

Après avoir quitté la petite plage de sable gris, le groupe regagna les hauteurs de la cité pour fouler le pavé d'un lieu plus lugubre encore que ce qu'ils avaient déjà pu voir : le cimetière. En temps normal, ce type d'endroit n'aspirait pas à un quelconque sentiment positif, inutile de préciser qu'au cœur de la malédiction des ombres, le sinistre était à son paroxysme.

La lueur malade du ciel étouffé se reflétait tristement dans le gris du granit des pierres qui émergeaient de terre tels des champignons. Même les riches caveaux des familles aisées avaient perdu leur prestance et n'étaient plus que des portes vers des ténèbres insondables qu'il valait mieux éviter. Arbres et racines noueuses avaient l'air encore plus menaçants et l'épaisseur de l'air le rendait plus étouffant que jamais.

Alors qu'ils arpentaient les allées silencieuses, nos amis se laissèrent à lire les épitaphes gravées en l'honneur de ceux et celles qui n'étaient plus. Des femmes, des hommes, des enfants, des amis, des époux, des frères et sœurs... Silesta voyait passer tous ces liens de parenté sans que rien ne l'atteigne. Le mot « famille » devenait de plus en plus abstrait pour elle.

« Vous avez de la famille ? » murmura-t-elle d'une drôle de voix à Astarion qui marchait en silence près d'elle.

Le vampire tordit les lèvres subrepticement. La seule « famille » qu'il connaissait depuis sa transformation était Cazador et ses six « frères et sœurs » ; six autres rejetons engendrés par ce psychopathe qui insistait toujours pour dire qu'ils formaient tous une famille. Même quand il mutilait ses « enfants ».

« J'étais dans les premiers et d'autres sont arrivés quelques années plus tard, raconta le roublard avec ce même détachement de préservation qui le maintenait sain d'esprit. Cazador nous torturait tous mais j'avais un traitement de faveur. Selon lui, mes cris constituaient une mélodie bien plus douce à ses oreilles. »

Silesta écoutait, saisie d'effroi. Non content d'avoir vécu une vie de tourments indescriptibles, il fallait en plus qu'Astarion fût le souffre-douleur préféré ? Elle garda le silence face à l'elfe qui se replongeait dans d'abominables souvenirs. Ses yeux d'ordinaires si pétillants ployèrent sous un début de peine.

« Moi j'ai pu m'échapper, mais les autres ? Je les plains sincèrement. »

L'humaine eut aussi une pensée pour ces pauvres gens qui n'avaient pas eu la chance de son compagnon de s'en sortir et sur lesquels Cazador avait très certainement reporté toute sa frustration en guise de représailles. Plus elle en apprenait sur ce bourreau ignoble, plus la jeune femme se sentait investie d'une envie de le détruire à mains nues.

Le groupe termina son ascension au sommet du cimetière pour atteindre l'entrée défraîchie d'une crypte creusée directement dans la montagne. Rien qu'aux enjolivures gravées dans le pourtour et la complexité des motifs forgés dans la grille, il était aisé de deviner que le caveau appartenait à une lignée noble et puissante.

Alors que nos amis s'apprêtaient à entrer, une voix traînante sema quelque vers autour d'eux :

« Tant d'empressement et si peu de prudence, il se pourrait que vienne votre dernière danse. Prenez garde à ce qui dort loin dans la nuit, ou la tombe fraîchement creusée deviendra votre lit. »

Le poète diabolique apparut juste devant eux dans une gerbe de flammes et fut accueilli par un même mouvement synchrone de froncement de sourcils.

« Qu'était-ce que cela ? lança Lae'zel à Raphaël. Un avertissement ?

_ Vous en feriez-vous pour nous, cambion ? » se gaussa Gayle avec une fausse fierté.

Le diable réfuta aussitôt. Non, bien sûr que non ; il ne faisait que préserver ses investissements.

« Cependant, je vous apprécie bien, vous savez ? À ma manière, s'entend, précisa Raphaël sans se départir de sa splendide prestance. Aussi me suis-je dit qu'il faudrait que je vous prévienne d'un danger qui vous guette au-devant. »

Il se terrait quelque part dans les ténèbres et le silence de cette montagne une créature qui, tout comme leur serviteur, avait des penchants quelques peu... infernaux. Et si cette terrible créature venait à s'échapper de sa prison, elle entraînerait une terrible pestilence sur le royaume.

« Pour être très clair, ce diable est l'incarnation du carnage absolu, déclara le démon sans se cacher de l'aversion qui l'animait. Si vous veniez à le croiser, tuez-le sans sommation. Il n'y aura pas d'autre alternative avec lui. »

Tous se laissèrent un instant pour considérer ces paroles et ils se firent une même remarque : il était très suspicieux de voir le si confiant et magnifique Raphaël émettre une autre émotion que son charme commercial. C'était plus que louche.

« Mais encore ? fit Ombrecoeur, les sourcils arqués. Vous ne nous dites pas tout. »

La furtive grimace fautive qui traversa le visage du gentilhomme leur confirma que la cléresse avait fait mouche. Le diable finit par sourire, bon perdant et prédateur à la fois.

« Nous nous connaissons de longue date, cet être et moi. J'admets aussi sans honte que je ne me désolerai pas s'il venait à rester prisonnier des ténèbres ou si sa tête venait à se détacher de son corps. » Sa légèreté se durcit en une détermination glaciale. « Ne commettez pas l'erreur de le sous-estimer, ce pourrait être la dernière chose que vous feriez. Frappez vite, juste et fort car vos chances de victoires ne sont pas en votre faveur, hélas. »

L'homme se tourna vers le plus pâle membre de son auditoire et lui adressa un large sourire.

« Oh, et n'allez surtout pas croire que j'avais oublié votre petite doléance, Astarion. » Le vampire se redressa aussitôt, tout ouïe. « Quand cette bête sera morte, je m'engage à vous livrer le secret de vos stigmates. Nous serons quittes. »

Astarion eut un bref moment d'hésitation puis se rasséréna très vite. Le marché lui parut bien plus équitable qu'il ne l'aurait redouté. Raphaël ricana.

« Vous me vexez. J'apporte toujours un grand soin aux marchés que je propose. À très vite, dès que vous aurez envoyé cette bête... au diable. »

Une gerbe de flammes plus tard, le silence du cimetière retomba autour d'eux dans une chape lugubre. Excellent. En plus de devoir sans doute se frotter à tout un tas de périls potentiellement mortels pour récupérer Chantenuit, voilà qu'ils auraient à gérer en plus un démon sanguinaire, à moins que ce ne fût lui, le gardien de la relique. Seul Astarion paraissait à des années-lumière de ce type de considération ; ne comptait pour lui que sa récompense promise en échange de sa mission.

« Croyez-vous vraiment qu'il tiendra parole si nous faisons ce qu'il dit ? l'interrogea Lae'zel qui n'était clairement pas en confiance.

_ À tout prendre, entre un diable et un vampire, je ferai nettement plus confiance au fiélon, affirma le roublard sans détour, presque hargneux. Et puis, je crois qu'il nous aime bien. S'il se sert de moi, j'en ai conscience autant que je me sers de lui.»

Restée spectatrice silencieuse, Silesta voulait de tout cœur être aussi assertive que lui mais elle ne pouvait s'y résoudre. D'un côté, Raphaël n'exigeait que de tuer l'un de ses ennemis mais quel ennemi... La description qu'il en avait fait faisait froid dans le dos. De toute façon, elle ne pouvait plus rien faire. Astarion était décidé à prendre son destin en main une bonne fois pour toute et ce peu importe les risques impliqués. Elle ne pouvait plus que le soutenir dans son entreprise et être là pour lui.

« Sur ce, si nous allions donc voir de plus près les nouveaux périls qui nous guettent ? » proposa Gayle avec un élégant geste des mains vers l'entrée du mausolée.

Le mausolée de la famille Thorm était aussi immense et luxueux qu'il inspirait le malaise. Les sombres salles qui abritaient les tombeaux de pierre étaient plus vastes encore que celles qu'ils avaient traversées à Hautelune. Certaines tombes étaient isolées entre les barreaux de fer noir et or de grilles entoilées tandis que d'autres avaient leur petite alcôve particulière. Candélabres, chandeliers et autres lanternes brillaient ici et là de faible lumière à peine visible comme si elle se faisait aspirer dans les ténèbres. Quoique usés par le temps, certains gisants dormaient de manière si réaliste que les visiteurs s'attendaient presque à les voir se redresser de leur couvercle de tombe pour fondre sur eux.

Aussi sinistre et froid était ce mausolée, ce qui le rendait particulièrement étrange et malsain aux yeux qui le contemplaient était la profusion de squelettes exhumés et d'ossements qui gisaient tout autour. Des pilleurs de tombe, était-il facile de penser au premier abord. Néanmoins, les pilleurs de tombe n'avaient pas pour habitude de créer de morbides effigies en assemblant crânes et os comme un artisan assemblerait le corps d'une poupée.

Gayle eut un frisson quand il eût fini d'analyser l'une de ces nombreuses œuvres macabres.

« Des idoles à l'effigie de Myrkul, l'un des Trois Dieux Morts, décrivit-il d'une voix lugubre.

_ Thorm transforme les os de ces ancêtres en offrandes au dieu de la Mort alors qu'il était censé vénérer Dame Shar ? comprit Ombrecoeur avec répugnance et colère. Cet homme est encore plus corrompu que je ne le pensais. Il change d'allégeance plus souvent qu'une fille de joie ne change ses draps. Il ne mérite pas de vivre plus longtemps. »

Toujours prudents en guettant les ombres par crainte de tomber sur l'ennemi de Raphaël, leur progression les mena dans une dernière salle aussi grande que la première, à la différence que celle-ci ne contenait qu'une seule tombe magnifiquement ornée et sculptée de marbre blanc. Un autel funéraire se tenait en plein centre de la pièce, entouré de quatre colonnades tout aussi richement décorées et de bougies. Alors que la première salle n'était qu'obscurité, celle-ci rayonnait presque sous les flammèches qui dansaient par dizaines. D'abord impressionnés par tout ce faste, l'admiration des aventuriers retomba aussitôt à la vue du couvercle de la tombe jeté au sol, laissant la dernière demeure de son occupant grande ouverte... et vide.

Intriguée de savoir à qui avait été dédiée toute cette attention, Silesta s'approcha lentement de la plaque de marbre déposée au pied du cercueil.

« Ci-gît Isobel Thorm. Ma fille, ma vie. »

Elle avait lu dans un souffle à peine audible mais il eut la capacité d'interrompre ses quatre autres amis dans leur mouvement. Silesta redressa la tête et les regarda, incertaine.

« Isobel. Comme... ?

_ Comme Isobel, la prêtresse de Séluné. »

Il y eut un silence où chacun pensa de même et leurs yeux s'agrandirent de stupéfaction.

« S'il ne s'agit pas d'une coïncidence, elle devait en avoir assez de faire la sieste, plaisanta Astarion face au cercueil vide. Quoi qu'il en soit, nous sommes dans un cul-de-sac. »

Le roublard avait effectivement raison. Il n'y avait pas d'autre issue ici hormis celle par laquelle ils étaient arrivés. Leur regard se porta naturellement en face d'eux et l'aspect d'un pan de mur situé de l'autre côté de la salle attira leur attention. Entouré de colonnades, il était assez large pour former une porte et les traces qui le striaient laissaient penser à des marques de raclement. Restait à savoir comment ouvrir ce passage. Ils se dispersèrent pour élargir le champ de recherche.

Absorbée dans la contemplation des tableaux qui ornaient les murs, Silesta émergea soudainement de ses pensées lorsqu'elle sentit une dalle s'enfoncer sous son talon. Elle bascula son corps en arrière dans une pirouette agile et sentit une brûlure strier sa cuisse. Un bruit mat mit fin au sifflement qui passa près d'elle. Quand elle se redressa, une trace carmine rougissait son pantalon et une flèche s'était plantée dans le mur près d'elle.

« Des pièges. Comme c'est aimable de la part des Thorm, ironisa Astarion.

_ Pas de mal ? s'enquit Gayle auprès de sa cadette en se figeant par prudence.

_ Non. Gardons l'œil ouvert et laissons notre maître des ombres déployer ses talents. »

Pendant que le roublard s'occupait de sécuriser le secteur en désarmant les trappes piégées, la saltimbanque se fit un rapide bandage autour de sa blessure et s'attarda de plus près sur le tableau qu'elle regardait avant son accident de toute façon, elle ne devait plus bouger tant que la zone n'avait pas été nettoyée.

C'était une représentation des Tours de Hautelune sous une nuit resplendissante bénie par l'astre lunaire, sans doute à l'époque de leur magnificence quand la région était encore normale. Les couleurs étaient délavées et la toile salie par le temps et pourtant, le château peint respirait cette même noblesse que l'on pouvait entrevoir sur le vrai, pour peu que l'on mettait de côté les ravages des âges.

La jeune femme promena ses yeux de pluie le long du cadre et chercha une éventuelle plaque mais elle ne trouva qu'un curieux renfoncement au pied du tableau. Elle mit un genou à terre et pressa ce qui ressemblait à un bouton. Un déclic survint. Elle se pétrifia, craignant avoir déclenché une nouvelle catastrophe, mais rien ne se produisit.

« Je pense avoir fait le tour, annonça Astarion en jetant un dernier coup d'œil circulaire autour de lui. Mais la présence de grilles d'aération me laisse dubitatif. Je pense que nous aurons une très mauvaise surprise si nous faisons un pas de travers pour ouvrir cette porte.

_ Comme appuyer sur un mauvais bouton, par exemple ? » essaya Silesta d'une petite voix coupable.

Elle fit part de sa découverte après avoir été lourdement mais silencieusement jugée pour son imprudence par les regards peu rassurés de ces compagnons.

« Si l'on part du principe que ces tableaux font bien partie de l'énigme pour accéder à la suite, il faut maintenant déterminer dans quel ordre enclencher les autres. À supposer également que vous avez sélectionné le bon premier tableau », grinça Lae'zel qui avait aussi trouvé un mécanisme sous une autre fresque.

Silesta se mordit la joue et jeta un coup d'œil au passage fermé. Après tout, ce n'était que de la vieille pierre, non ?

« Et si l'on faisait directement exploser la porte ? J'ai ma fiole de sang et Gayle a la Brillante Rép...

_ Sachez mon amie que l'explosion n'est pas nécessairement la meilleure des solutions, n'est-ce pas ce que vous pensiez encore ce matin ? lui rappela Gayle gentiment, toujours aussi second degré.

_ Une idée éclatante. Las, je m'abstiendrais aussi d'essayer de détruire la dernière demeure de la fille chérie de Ketheric Thorm, approuva Astarion qui d'un autre côté admirait le sens de l'expéditif chaotique de sa protégée. Homme qui a justement truffé de pièges la dernière demeure de sa fille chérie. »

Silence et sourire d'excuse gênés.

Tout en priant que leur fougueuse alliée n'eût pas signé leur arrêt de mort par son impatience, chacun prit un moment pour détailler les deux autres tableaux qui ornaient la chambre mortuaire. Sur le premier, un homme en armure au visage dur et implacable siégeait sur un trône sombre et sur l'autre, ce même homme se tenait le visage, agenouillé au pied d'un tombeau éclairé par un doux rai de lumière blanche.

Les secondes s'égrenèrent pendant que se faisait le cheminement de leurs pensées. Ce fut Ombrecoeur qui brisa le silence en premier, le nez froncé.

« De la splendeur à la tragédie, de la tragédie à l'infamie. La déchéance d'un homme. »

Pour Ombrecoeur, ces peintures étaient très loquaces : Ketheric Thorm avait été brisé par la mort de sa fille Isobel et, emporté par la douleur insupportable de cette perte, il était devenu l'homme froidement résolu qu'il était aujourd'hui. Cette tombe devant laquelle il pleurait était la transition entre le beau paysage majestueux qu'avait vu Silesta et l'oppressant charisme sombre que dégageait le dernier tableau.

Le visage de Gayle s'assombrit en écoutant cette théorie tristement plausible.

« La voix du désespoir est la plus attrayante des sirènes qui peut nous entraîner dans les abîmes aux profondeurs inimaginables.

_ Puissiez-vous garder cela en mémoire », souffla Silesta avec un regard entendu et plein d'espoir à son aîné.

Il n'y avait plus qu'à vérifier si leur solution à leur énigme était la bonne. Ombrecoeur activa le bouton sous le tableau de l'homme éploré. Pas de mauvaise réaction. Lae'zel se rendit auprès du portrait du général sur son trône et après une dernière consultation des yeux auprès de ses camarades, activa le dernier bouton. Un raclement gronda dans le mur et le passage scellé s'ouvrit plus loin.

La sortie secrète menait dans une obscure galerie directement creusée dans la montagne. Des braseros brûlaient sur les côtés pour éclairer le chemin menant à une courte volée de marches vers une plate-forme. À terre gisaient les restes brisés de cadavres caparaçonnés dons les ossements s'accumulaient parfois en tas compact comme des feuilles mortes amassées en automne pour dégager une allée. Des lances perforaient des cages thoraciques vides et des épées et des haches s'enfonçaient dans des cous brisés.

Le groupe avança sur la plate-forme sur laquelle était incrustée une gemme mauve brillante. Au-delà s'étendait un immense gouffre qui semblait sans fond. Une fois qu'ils furent tous sur le plateau, des torches s'allumèrent dans les hauteurs autour d'eux et éclairèrent les deux statues colossales qui gardaient les lieux. Tous reconnurent une nouvelle fois cette femme droite de toute sa prestance, les bras croisés sur sa poitrine en tenant un cimeterre dans chaque main et son visage partiellement caché par sa large coiffe en éventail.

« Dame Shar ? » murmura Ombrecoeur avec stupeur.

Astarion se chargea d'appuyer sur la gemme. La plate-forme se mit en branle puis entama une lente descente dans les profondeurs vers un étage inférieur qui cette fois ne menait pas dans une grotte mais dans les fondations d'un immense complexe aux murs et décorations finement travaillés dans le marbre noir et la pierre peinte d'or. Cette architecture ressemblait beaucoup à une partie de celle que nos aventuriers avaient pu trouver dans la Malforge.

« Un nouveau temple de Shar... ou la continuité des Tréfonds Obscurs, siffla Astarion, impressionné par la magnificence des lieux. Il est grandiose. Enfin, dans le genre « délabré et accusant le poids des siècles »...

_ Je le savais, s'ébaudit Ombrecoeur en scrutant tout autour d'elle. Je sentais bien que ma déesse m'avait préparé quelque chose. Elle voulait que je trouve cet endroit. Allons-y, vite. »

Ils longèrent le couloir qui se présentait à eux, bordé de vasques plus grandes qu'eux et de morceaux de statues écroulées vers une immense porte circulaire qui s'ouvrit devant eux.

Éclairée par un arc de cercle de runes parme, une élégante statue de Shar trônant en plein centre de la nouvelle salle les accueillit, semblant danser lascivement sur son piédestal. Subjuguée par ce qu'elle voyait, Ombrecoeur avança sans se méfier vers la représentation de sa déité pour lui présenter ses hommages mais elle fut tout à coup brutalement éjectée en arrière par une formidable force invisible. La demi-elfe vola sur quelques mètres et retomba lourdement sur le sol.

« Ombrecoeur ! Rien de cassé ? s'inquiéta Silesta en aidant la jeune femme un peu sonnée à se relever.

_ N-Non, je vais bien...

_ Un champ de force magique, expliqua Gayle, ses sens de magicien en alerte. Il va falloir nous en défaire si nous voulons avancer. »

Une voix suave de femme imprégna le silence :

« Les guerriers de Shar ne doivent jamais se laisser prendre, ni se laisser abuser. Rien de bon n'attend ceux qui ne sont pas dignes de moi. »


Ouaaais! Le temple de Shar ! Un donjon bien sympa avec son lot d'événements bien marquants. Et quelle ambiance !