Toutes ces choses étranges qui lui arrivaient depuis un certain temps étaient devenues définitives. C'était fini, plus personne ne la voyait.
Lorsque ses pleurs finirent par se tarir, elle se releva et dépoussiéra sa jupe. Encore tremblante, elle frotta ses yeux rougis et essaya de reprendre une respiration plus calme, sentant son cœur décélérer progressivement jusqu'à ce qu'elle ne l'entende plus battre. Ses pensées redevinrent claires, elle put réfléchir un instant.
Elle est Hermione Granger, une Gryffondor courageuse. Elle avait aidé Harry à maintes reprises, combattu une bande de Mangemorts fous, avait survécu à la guerre et ses horreurs. Elle s'était même fait une place dans un monde qui ne l'acceptait pas, devenant une sorcière brillante et reconnue. Elle était pleine de ressources, elle ne se laisserait pas abattre, surmonterait ça et trouverait une solution. Rien n'arrivait par hasard, tout avait une explication logique et rationnelle.
Elle se dirigea vers sa classe, encore pleine d'espoir que ce ne fût qu'un mauvais rêve. Elle ouvrit la porte précautionneusement, et entra alors que le cours avait déjà commencé. Encore une fois, personne ne s'aperçut de sa présence. Alors, elle tenta par tous les moyens de se faire remarquer. Elle parla aux garçons, à Neville, au professeur, les appelant plusieurs fois, faisant bouger leurs affaires, écrivant sur des parchemins qu'elle était là. Mais les garçons finirent simplement par penser que c'était Peeves qui leur faisait encore une mauvaise blague et avoir peur.
Elle comprit que plus personne ne la voyait ni ne l'entendait, mais qu'on continuait de la sentir. D'abord, parce qu'à chaque fois qu'elle avait touché quelqu'un pour qu'il la remarque, ils avaient fait un bond de cinq mètres comme s'ils avaient vu un fantôme. Après avoir percuté deux ou trois élèves à qui elle donnait presque une crise cardiaque, elle décida de faire plus attention, ne voulant pas tuer quelqu'un.
Le soir, lorsqu'elle arriva devant la porte de sa chambre de préfète, le tableau ne la laissa pas entrer. Tout d'abord, il ne la regarda pas, puis le chevalier plissa les yeux et sembla la remarquer.
Elle donna le mot de passe, mais elle dut s'y reprendre à plusieurs reprises pour avoir une réponse du tableau.
"Ce n'est pas le bon mot de passe.
— Casse-noisette, dit-elle à nouveau.
— Mot de passe incorrect.
— Mais enfin ! C'est moi qui ai choisi ce mot de passe !"
Énervée, elle se dirigea vers le tableau de la salle commune et se faufila derrière un élève qui entrait. La pièce était remplie de monde et elle dut slalomer entre les élèves pour les éviter de les percuter. Elle s'installa dans un coin, là où personne ne pourrait la toucher par inadvertance, puis attendit. Quand enfin, la salle commune se vida, elle se coucha dans le canapé. Enroulée dans la couverture devenue fine au fil des années et rongée par les mites, elle garda ses yeux fortement fermés et supplia Merlin que tout redevienne comme avant. C'est impossible, se répéta-t-elle. C'est impossible de disparaître, jamais personne n'a disparu comme cela, sans que rien n'arrive. C'est un cauchemar. Mais lorsqu'elle se réveilla, rien n'avait changé. La salle commune commença à se remplir et en disant bonjour aux premiers arrivants elle dut se rendre à l'évidence qu'elle était toujours invisible aux yeux de tous. Les jours suivants, elle tenta de vivre normalement, enfin presque. Elle allait en cours, faisait ses devoirs et le soir des recherches à la bibliothèque pour résoudre son problème.
Rien, dans aucun livre, ne lui donna de réponse. C'était comme si elle était la première à disparaître ou peut-être que tous ceux qui comme elle avaient disparu n'avaient jamais réussi à revenir pour raconter ce qu'il leur était arrivé.
Il y avait bien quelques bons côtés à son soudain effacement. Si elle gardait un objet dans les mains, celui-ci disparaissait. Ce qui parfois rendait Madame Pince folle alors qu'elle cherchait un livre qu'Hermione gardait. Mais surtout, elle pouvait rester à la bibliothèque aussi longtemps qu'elle le voulait et entrer dans la réserve sans se faire prendre. C'était une bien maigre consolation, mais c'était toujours mieux que rien.
Le temps passa et rien ne changea. Elle était constamment entourée de monde, mais c'était comme si elle n'avait jamais été aussi seule de sa vie. N'avoir aucun contact humain pendant si longtemps commençait à lui peser. Elle n'avait jamais été une personne très sociable, mais elle aimait tout de même discuter avec ses amis, rire avec eux, parler à ses professeurs, donner un coup de main à ceux qui lui demandaient. Alors pour paraître moins seule, elle suivait Harry et Ron partout. Elle allait même voir leur entraînement de Quidditch. Elle mangeait à côté d'eux, riait à leurs blagues. Vers la fin du mois de novembre, la neige était arrivée, elle s'amusait parfois à leur lancer des boules de neige qui leur arrivaient en plein visage et commençait une bataille entre eux. Mais bien sûr, ils ne la visaient jamais.
Sa vie devenait monotone, triste, entièrement teintée de gris. Elle ne se souvenait plus de la dernière fois où elle avait entretenu une conversation avec quelqu'un, autrement que pour s'énerver contre ces fichues recherches qui ne donnaient rien. Elle vivait comme un fantôme, même pire qu'un fantôme. Ils étaient peut-être morts, mais ils avaient une vie bien plus vivante et remplie que la sienne. Ils pouvaient au moins discuter avec des gens et même simplement être reconnus.
Ses affaires avaient disparu avec sa chambre. Son uniforme et sa cape d'automne, qui étaient tout ce qu'elle avait sur elle le matin où elle avait disparu, ne suffisaient plus avec le froid. Tous les occupants de Poudlard avaient revêtu leur cape d'hiver, leurs écharpes et bonnets. Elle pouvait laver ses vêtements d'un coup de baguette, mais les sorts de nettoyage avaient tendance à les abîmer lorsqu'elle les utilisait trop souvent. Et elle voyait ses chaussettes avoir de plus en plus de trous. Elle avait du mal à se réchauffer dans le vieux château de Poudlard, pas très bien isolé, et s'éternisait devant les cheminées qu'elle croisait, passant parfois des heures sans réussir à ne ressentir autre chose que le froid sec qui faisait couler son nez.
Elle décida, pour sa survie bien sûr, ne voulant pas tester l'isolement et la maladie en même temps, car sa morale l'avait tordue pendant plusieurs jours après, d'accompagner Ron et Harry à Pré-au-Lard. Elle entra dans le premier magasin de vêtements qu'elle trouva et emprunta quelques affaires. Elle n'avait pris que le nécessaire pour ne pas avoir froid, de nouvelles chaussettes, une cape plus chaude et d'autres choses qui pourraient lui servir contre l'hiver. Elle n'était plus en uniforme, mais après tout si on ne la voyait plus, peu importe qu'elle ait l'uniforme ou pas.
Elle avait voulu retrouver Harry et Ron pour rentrer, mais ne les avait pas trouvés. Alors, les pieds et les mains gelés par le froid, elle était rentrée seule, comme chaque jour depuis ce matin d'automne.
Un problème s'était imposé. Où allait-elle mettre ses nouvelles affaires ? Elle gardait son sac d'école à côté d'elle, mais il n'était pas assez grand pour tout y ranger. L'avantage de vivre dans un château, c'est qu'une grande partie n'était pas habitée. Elle s'était donc mise en marche pour trouver une pièce inoccupée. Elle avait d'abord pensé à utiliser la salle sur demande, mais impossible de l'ouvrir correctement. Derrière la porte apparaissait toujours une pièce vide, avec des murs ressemblant simplement à ceux des couloirs de Poudlard sans jamais montrer ce qu'elle demandait. Elle avait déambulé pendant un certain temps dans le château, ne trouvant que sur des endroits remplis de toiles d'araignée et en très mauvais état : le parquet rongé par des insectes, le plafond rempli de trous et des fuites d'eau rendaient chaque pièce invivable. Elle monta jusqu'au troisième étage puis redescendit jusqu'au cachot. Ce fut dans ces souterrains qu'elle tomba par chance sur des appartements plutôt petits, mais qui feraient l'affaire. Il y avait pas mal de ménage à effectuer, mais au moins, le parquet n'avait pas de trous, le plafond ne menaçait pas de s'écrouler et surtout, il y avait un lit simple, une armoire et une toute petite salle de bain. Elle espérait grandement que la directrice n'en aurait pas l'utilité. Si elle tombait sur les affaires d'Hermione, elle aurait vite fait de tout débarrasser.
Elle se mit alors à la tâche. Sa baguette en main, elle dépoussiéra tout, décrocha les occupants à huit pattes des coins, passa un très long moment à remettre en état comme elle le pouvait la douche et l'évier et surtout, remercia Ginny et tous ses magazines qui lui avaient permis d'apprendre autant de sorts ménagers. La pièce n'était pas aussi chaleureuse que ses anciens appartements de préfète, mais pour la première fois depuis des semaines, elle avait un endroit à elle. Elle pouvait s'y réfugier et ne pas s'inquiéter que quelqu'un lui prenne ses affaires par mégarde, ne lui marche dessus ou s'asseye sur elle, ne sachant même pas qu'elle était là.
Elle alluma un feu dans la petite cheminée puis s'écroula sur son lit, épuisée. Elle regarda le plafond un temps. Elle écouta les bruits de canalisation, le feu qui crépitait, sa respiration ralentie et sans même se changer, elle tomba de fatigue dans un sommeil qui fut léger pour la première fois depuis plusieurs semaines.
