Chapitre 3 - AG


Novembre 1995

Seule face à trois Aurors qui ne la quittaient pas du regard, Audrey n'en menait pas large. Elle avait été privée de sa baguette dès l'instant où ils étaient arrivés à Ilvermorny avec des mines sombres pour les emmener, ses amis et elle, au MACUSA. Leah, Amir et elle avaient été séparés dans des pièces différentes, sans avoir pu s'assurer que tout allait bien pour les uns et les autres, chacun assez secoué par ce qu'ils avaient vu. La jeune Graves n'avait pas aimé l'accusation à peine voilée dans les yeux et dans les propos du chef des Aurors qui ne s'était pas préoccupé de les écouter alors qu'ils essayaient de défendre leur cas. Certes, ils avaient erré dans les couloirs en pleine nuit malgré le règlement qui l'interdisait clairement mais ils n'étaient pas des tueurs pour autant.

Elle revoyait encore le corps immobile de Jonathan, les initiales gravées sur le bureau, et entendait le cri de sa meilleure amie qui tournait en boucle dans son esprit. Audrey n'avait pas prévu que leur soirée se terminerait sur une découverte aussi macabre, elle espérait trouver de l'aide auprès de la directrice, non pas le cadavre d'un camarade avec qui elle avait souvent plaisanté dans la fraîcheur d'une bibliothèque délaissée par la plupart des jeunes sorciers. Elle savait que cette image resterait ancrée dans sa rétine, elle n'était pas dupe à ce sujet, et le simple fait d'y songer la rendait malade. Jonathan était son ami, elle voulait connaître la vérité sur sa mort et non pas être accusée de cette façon par des gens qui n'avaient sans doute aucune idée de ce qui s'était passé en cette soirée.

La porte s'ouvrit sur une quatrième silhouette, aggravant le sentiment d'angoisse de la sorcière. Soit le MACUSA estimait qu'elle était une menace pour tout le monde, soit ils tentaient de l'intimider en déployant un bon nombre d'Aurors. Ce n'était pas elle, une jeune femme qui n'avait ni son diplôme de sorcellerie, ni sa baguette sous la main, qui risquait de leur faire du mal. Cependant, lorsque le nouveau venu s'avança pour rejoindre les autres, elle se sentit un peu plus rassurée. L'homme avait les traits tirés, sûrement sorti du lit par ses collègues, mais il portait sur elle une expression bienveillante qui contrastait avec celles de ses équipiers. Tobey Norton avait travaillé avec son père sur plusieurs missions, il avait mangé chez les Graves assez régulièrement et avait toujours été une figure apaisante pour Audrey. Il lui accorda un léger sourire, quoique teinté d'anxiété, et s'installa sur la seule chaise qui se trouvait en face de celle de la jeune sorcière.

« Excuse-les pour toute cette mise en scène, commença Tobey en jetant un coup d'œil en coin aux autres Aurors dont le visage était tout sauf avenant. La situation est plutôt … inédite, et ils sont assez tendus. Une fois que tu auras répondu à nos questions, tu pourras aller dormir.

— Je n'ai rien fait, déclara la jeune Graves alors qu'elle se redressait sur sa chaise. Et je ne pense pas être la seule à avoir les initiales AG à Ilvermorny !

— En effet, mais tu es la seule à être proche de notre victime. »

Victime. Voilà de quelle manière ils désignaient Jonathan désormais. Audrey déglutit en retenant des larmes, l'estomac noué par une vague de chagrin. Elle aurait dû être dans son lit, à se reposer d'une journée fatigante émotionnellement, et non pas là face à quatre Aurors dont trois la dévisageaient toujours comme si elle allait se mettre à leur jeter des sortilèges. Elle était épuisée à cause de sa rencontre effrayante avec les voix désincarnées mais elle savait que le MACUSA ne la relâcherait pas avant d'avoir eu des réponses – et malheureusement, elle doutait du genre d'informations que désiraient vraiment ces hommes.

« J'aimerais que tu reprennes le fil de la soirée depuis le début, Audrey. Raconte-moi exactement ce que tu as fait avant de découvrir le corps de ton ami, lui ordonna-t-il en faisant apparaître un parchemin vierge et un modèle de plume à papote qui notait avec précision chaque mot prononcé sans en déformer les propos. »

Elle sut à cet instant qu'elle ne pourrait pas faire preuve d'honnêteté envers Tobey, ni envers aucun autre des Aurors. Il lui était impossible d'évoquer les voix, ce sentiment glacé d'être la proie d'une présence indésirable, l'impression d'urgence qui l'avait étreinte et poussée à se confier à ses amis. Elle se contenta donc de parler de sa visite à la bibliothèque que tenait Jonathan, assurant qu'il était encore à vie à ce moment-là. Elle ajouta qu'elle avait rejoint Amir et Leah dans leur salle commune puis qu'ils s'étaient couchés dans leurs dortoirs respectifs. Du coin de l'œil, elle vit la plume écrire dans un rythme soutenu, suivant ses paroles comme si une main invisible lui imposait l'angle de ses lettres.

Vint la question qu'elle redoutait tant, celle où il lui faudrait mentir pour ne pas passer le restant de ses jours surveillée dans un établissement spécialisé pour les cas ingérables. Tobey voulut savoir ce qui l'avait poussée à rendre une visite nocturne à la directrice d'Ilvermorny, et la raison pour laquelle elle avait emmené ses amis dans sa promenade. Audrey inventa un prétexte, expliquant que sa magie avait eu quelques imprévus peu habituels, assurant ensuite qu'elle avait préféré chercher un conseil chez une figure d'autorité plutôt que de risquer de faire du mal à ses camarades de dortoir. L'excuse coula sur sa langue avec une facilité déconcertante alors qu'elle soutenait le regard indéchiffrable de l'Auror. Il stoppa la plume à papote d'un geste de la main, sans se servir de sa baguette et sans formuler de sortilège, fixant la jeune Graves.

Après un soupir, il se leva, demandant aux trois autres Aurors de le rejoindre à l'extérieur de la pièce. La sorcière les vit sortir et fronça les sourcils, surprise par ce comportement qui lui paraissait absurde. Tobey finit par revenir, sans ses collègues, tenant entre ses doigts la baguette de la jeune femme. Il posa le morceau de bois sur la table, hors de portée de sa propriétaire, puis croisa ses mains devant lui.

« Je sais que tu es innocente, Audrey, mais ce serait plus simple pour nous deux si tu arrêtais de mentir. Pourquoi avoir enfreint le règlement en pleine nuit ?

— J'avais besoin de parler à la directrice, se justifia-t-elle. Je … »

Formuler ses inquiétudes n'était pas aisé, elle avait le sentiment que la moindre phrase serait mal interprétée. Pourtant, Tobey avait connu sa famille et serait sans doute le moins prompt à la juger. Il avait été présent les premiers temps, lorsque les voix hantaient son esprit, avant la solution trouvée par Walter et Virginia pour la tirer de ses sombres cauchemars éveillés, avant ce silence bienvenu dans sa tête, avant ce sentiment d'être enfin une sorcière aussi normale que les autres.

« La plume n'écrit plus et je ne dirai rien à mes collègues. Sois honnête avec moi, s'il-te-plaît. »

Audrey murmura qu'elle n'avait pas l'intention d'entraîner Leah et Amir dans une enquête criminelle et qu'elle ne voulait qu'un peu de réconfort. Affrontant l'expression de l'Auror, elle ajouta que les troubles de son passé étaient de retour, mais de manière plus angoissante. Le regard de Tobey se troubla alors qu'il se tendait sur sa chaise, bien moins assuré en cet instant que lors de la présence de ses collègues.

« Je croyais que Walter avait su endiguer le problème, souffla-t-il en posant instinctivement la main sur sa propre baguette qu'il gardait dans la poche de son pantalon.

— Je le pensais aussi mais c'est revenu avec … »

Elle ne termina pas sa phrase, refusant de mettre des mots sur ce deuil encore trop proche. Tobey comprit les propos derrière son silence, sans pour autant reprendre une posture plus calme. Il jeta un coup d'œil sur la baguette de la jeune femme, la saisit entre ses doigts, la fit tourner un instant puis la reposa avant de la lui tendre.

« Nous n'avons aucune raison de te garder ici, soupira-t-il. Le fait que vous ayez découvert le corps n'est pas une preuve. Quant aux initiales, c'est bien trop indirect et cela pourrait avoir plusieurs significations, y compris une vengeance personnelle contre toi.

— Contre moi ? s'étonna Audrey en reprenant sa baguette. Je n'ai pas … je n'ai eu d'ennuis avec personne. »

Elle était sincère, elle n'avait jamais rencontré de difficultés avec d'autres élèves d'Ilvermorny. Ceux qui ne souhaitaient pas lui parler ne le faisaient pas, quant aux autres, elle était assez polie ou les évitait elle-même, ne s'attachant qu'à son parcours personnel sans s'interposer dans celui de ses camarades. Tobey la regarda avec une expression désolée, marmonnant que ce n'était pas à lui de lui apprendre certains détails sur sa famille. Après s'être passé une main sur le visage, il tira sa propre baguette de sa poche, dessina un sortilège dans les airs et fit apparaître un arbre généalogique. Audrey n'en avait jamais vu de semblable, il s'étirait doucement, comme une plante en train de grandir, révélant des noms qu'elle connaissait bien puisqu'il s'agissait de ceux de sa famille, du côté des Graves.

Surprise d'apercevoir des branches à des endroits où il n'y aurait pas dû en avoir, Audrey se pencha un peu sur la table, recherchant ce qui n'allait pas. Elle repéra son prénom, inscrit en-dessous de ceux de Walter et de Virginia, et relié aux leurs par des pointillés qui indiquaient l'adoption. Elle remonta au prénom de son père et trouva celui de son oncle, Howard, qu'elle n'avait jamais connu puisqu'il était mort avant que les Graves ne l'adoptassent. Ce fut avec un certain étonnement qu'elle découvrit que son oncle avait eu une femme, Alina, et une fille, Astrid. En regardant à la génération supérieure, elle lut le prénom de son grand-père, Percival, celui de sa femme, Catherine, et un autre lien qui menait à une sœur, Anna. Sa gorge s'assécha quand elle comprit la raison pour laquelle Tobey venait de lui montrer cet arbre.

« AG, souffla-t-elle en se réinstallant correctement sur sa chaise. Mais qui sont ces femmes ? Mon père n'en a jamais parlé, il m'a dit … je sais qu'il a eu un frère mais … »

Elle était incapable d'aligner deux pensées cohérentes, l'esprit en ébullition. Walter n'avait jamais rien caché sur sa famille, parce qu'il en était fier, même s'il avait essayé de se démarquer sans utiliser le nom de ses parents, et ces révélations surprenaient Audrey. Plus encore la réalisation que trois autres femmes possédaient les mêmes initiales qu'elle, ce qui aurait pu être un simple détail mais se révélait bien plus important en cet instant.

« Vous croyez qu'une de ces trois-là me veut du mal, c'est ça ? s'enquit la jeune femme sans cesser de se demander quel en aurait été le motif.

— Anna, la sœur de ton grand-père, a fui Ilvermorny dès qu'elle a eu dix-sept ans, elle n'a jamais terminé sa dernière année d'études. Le bureau des disparitions a un dossier à son nom depuis ce jour-là, et plus personne ne l'a revue. Nous ignorons si elle a eu des enfants, ils devraient apparaître sur cet arbre si tel était le cas mais la magie peut nous jouer des tours. Alina est encore en vie, elle habite du côté moldu, à Sacramento. Quant à Astrid, elle a trois ans d'écart avec toi, elle a développé des dispositions magiques après ses onze ans et n'a pas pu aller à Ilvermorny. »

Audrey accueillit toutes ces informations dans le silence. Anna, Alina et Astrid, trois femmes dont elle ignorait encore tout, trois femmes qui appartenaient à sa famille mais dont elle n'avait jamais entendu parler, comme si Walter et Virginia avaient décidé de dissimuler leur existence – ou comme si ses parents eux-mêmes n'avaient jamais su qu'il y avait plus de membres dans l'arbre généalogique.

« J'aimerais rentrer à la maison, souffla Audrey. Je peux partir ? »

Tobey acquiesça, s'excusa à mi-voix de l'avoir autant bousculée puis l'invita à se lever. Ils quittèrent la pièce dans laquelle ils se trouvaient et traversèrent un long couloir où s'alignaient de nombreuses portes. La jeune femme ne prêtait pas attention aux noms sur les bureaux, ni aux personnes qu'ils croisèrent, plongée dans ses pensées. Si l'Auror lui avait partagé une telle révélation, ce n'était sûrement pas sans raison valable, il devait sans doute soupçonner l'une des Graves, bien que ce fût difficile d'établir un lien entre leur famille et la mort de Jonathan. Tout ce qu'Audrey retenait, c'était le fait qu'elle ne reverrait plus jamais son ami et qu'elle allait sans doute se sentir coupable bien longtemps, parce qu'elle l'avait vu le matin-même de sa mort et parce qu'elle était l'une des rares élèves à passer du temps avec lui à la bibliothèque.

Ce fut avec un soulagement évident qu'elle aperçut enfin Virginia, anxieuse. Mère et fille se serrèrent dans les bras l'une et l'autre, sous les regards inquisiteurs des Aurors et ceux, bien plus doux, d'Amir et de Leah. Audrey vint ensuite enlacer ses amis, apaisée par leur présence, échangeant des questions muettes par le biais de ses yeux. Un simple hochement de tête lui répondit de la part de ses deux amis, ils lui assuraient que tout irait bien pour eux et elle esquissa le premier vrai sourire de la journée. Virginia proposa aux deux camarades de sa fille de dormir chez elles malgré les protestations des deux concernés ; il était hors de question pour eux de retourner à Ilvermorny cette nuit-là et Virginia comptait bien leur offrir un toit.

« Les Aurors n'ont prévenu aucun de vos parents, déplora-t-elle en dardant sur Amir et Leah un coup d'œil navré.

— C'est mieux comme ça, marmonna Amir avec un rictus amer. Ils ne comprennent pas vraiment tout ce qui est lié à la communauté magique alors autant leur éviter une frayeur inutile. »

Le jeune homme ne cachait pas sa différence, sans pour autant s'en vanter. En tant que né de parents non-magiques, ce n'était jamais simple pour lui et Audrey devina dans ses propos qu'il préférait encore les tenir à l'écart plutôt que de les inquiéter en parlant de meurtres. Amir peinait déjà à avoir une relation saine avec les membres de sa famille, ajouter un élément comme celui qui les avait conduits au MACUSA n'apporterait que des ennuis supplémentaires au jeune homme. Quant aux parents de Leah, ils étaient en voyage en Europe pour glaner de nouveaux ingrédients afin d'innover dans le domaine des baguettes ; ils finiraient bien par apprendre à un moment ou à un autre la vérité puisque le petit frère de Leah était lui-aussi à Ilvermorny.

Ils quittèrent le MACUSA afin de pouvoir transplaner tranquillement. Audrey était encore secouée par les révélations de Tobey mais elle les dissimula à sa mère, prétextant être fatiguée. Quelques coups de baguettes suffirent à Virginia pour ajouter des lits de camp dans la chambre de sa fille et déplacer des meubles, offrant un peu plus d'espace aux trois amis. Ils acceptèrent avec un certain enthousiasme le chocolat chaud qu'elle leur proposa avec un sourire un peu triste, et se rendirent compte qu'ils avaient bien besoin de se changer les idées après leur passage au MACUSA. Tous les trois étaient épuisés par cette journée qui n'en finissait pas, tout en étant maintenus en éveil par la pression qu'il venait de subir de la part des Aurors.

Audrey attendit d'être enfin seule avec ses amis pour leur faire part de la récente découverte à propos de sa famille. Elle préférait ne pas en parler avec Virginia dans un premier temps car elle savait que sa mère se mettrait dans tous ses états en apprenant l'existence de tous ces Graves jusqu'alors inconnus dans leur arbre généalogique. La jeune sorcière avait suffisamment tenu entre ses mains les travaux de son père sur leur famille pour en déduire que si Anna, Alina et Astrid Graves n'apparaissaient nulle part, ce n'était sûrement pas sans raison. Elle avait entendu de nombreux récits sur les familles de Sang-Pur qui choisissaient d'effacer certains noms de leurs arbres s'il y avait des unions ou des comportements qui les déshonoraient et elle se demandait si les Graves avaient délibérément suivi le même chemin ou si une cause plus obscure se cachait derrière ces trois femmes.

« Tu es sûre que ton père n'a jamais mentionné ces trois-là ? s'enquit Leah avec une curiosité presque aussi grande que celle qu'elle ressentait.

— Certaine. Il a déjà évoqué oncle Howard et son statut de cracmol mais jamais il n'a dit que j'ai une cousine. »

Pour Audrey qui avait vécu quelques années dans un orphelinat, apprendre qu'elle avait manqué la possibilité de tisser des liens avec d'autres membres de sa famille d'adoption lui laissait comme un goût amer. À l'époque où elle vivait avec les autres orphelins, elle s'intéressait un peu à la généalogie, espérant un jour retrouver la trace de sa famille, puis elle avait mis de côté ses véritables racines car elle se sentait aimée et désirée par ses parents adoptifs. Tobey venait de bouleverser toutes ces années de silence en déterrant des secrets que Walter et Virginia eux-mêmes semblaient ne pas connaître – ou alors son père lui avait menti en affirmant qu'il n'avait ni tante ni nièce mais elle avait confiance en lui.

Son meilleur ami tendit un bras vers elle et serra sa main dans la sienne avec affection, lui murmurant qu'il la comprenait. Audrey lut dans son regard toute sa sincérité et elle le remercia, la gorge nouée par la reconnaissance qu'elle éprouvait. Peut-être avait-elle connu la solitude à l'orphelinat mais elle avait eu la chance d'être adoptée par un couple qui l'aimait et qui n'avait jamais fui devant ses capacités étranges. Amir, lui, avait perdu ses liens avec les siens, il n'était soutenu que par ses parents, les seuls à essayer de voir au-delà de sa nature de sorcier.

« Je ne savais pas que certaines personnes développaient des pouvoirs après leur onze ans, remarqua Leah en fronçant les sourcils et en remontant machinalement ses lunettes. C'est bien ce que t'a dit Tobey, c'est ça ?

— Oui, confirma Audrey. D'après lui, ma cousine a montré des signes de magie trop tard, elle n'a pas pu aller à Ilvermorny.

— Mais elle a quand même dû apprendre à les maîtriser, non ? s'enquit Amir. Enfin, je ne m'y connais pas très bien mais on ne peut pas laisser une sorcière dans la nature sans qu'elle reçoive le bon enseignement.

— Avant la naissance des écoles de magie, les gens se débrouillaient bien. »

Poussée par la curiosité, Audrey avait souvent parcouru les livres de la bibliothèque d'Ilvermorny au sujet des différents établissements magiques. Dans le passé, bien longtemps auparavant, avant même que les Européens ne découvrissent l'Amérique, il y avait déjà des sorciers qui apprenaient à gérer leur magie, pour éviter d'être vus par les moldus et pour échapper aux multiples procès et leur fin tragique. Les écoles de magie avaient seulement pour but d'éduquer les sorciers en plus grand nombre.

« Mais tous ces gens avaient des signes de magie bien plus tôt encore, insista Amir. Après onze ans, c'est … c'est plus qu'inhabituel. Je veux dire … on sait que les cracmols ne présentent pratiquement rien de magique mais des sorciers ?

— Oncle Howard était un cracmol, peut-être qu'il y a eu … un problème ? »

Tout n'était qu'hypothèse de la part d'Audrey, elle n'était pas spécialiste dans les transmissions de la magie au sein des familles. Son père ne lui avait jamais caché la nature de cracmol de son oncle, ce n'était pas un secret honteux, il en parlait à ceux qui côtoyaient leur famille malgré les regards méprisants de tous ces sorciers qui estimaient qu'un tel manque de magie déshonorait la lignée complète. Audrey n'avait jamais compris cette hiérarchie qui existait au sein de la communauté magique, ce dédain vis-à-vis des moldus et des sorciers nés de parents moldus. Il existait une loi stricte en Amérique pour éviter de trop gros mélanges mais les dernières années avaient fini par démontrer qu'il fallait bien plus qu'un règlement pour empêcher l'amour de s'épanouir.

Tout en serrant son oreiller dans ses bras, Audrey songea que peu d'options s'offraient à elle. Pour avoir les réponses à ses questions, il n'y avait qu'un seul endroit où chercher des preuves : le bureau de Walter. Elle n'y avait pas remis les pieds depuis le décès de son père mais elle ne connaissait aucun autre recoin de la maison susceptible de lui fournir quelques pistes à explorer. Walter avait accumulé des livres et des parchemins de toutes les sortes et, plus que tout, il gardait précieusement la correspondance de Percival et Catherine Graves, ses propres parents. Audrey n'avait jamais eu la chance de les rencontrer mais son père en parlait beaucoup, avec une évidente tendresse. Si l'une des AG était la sœur de Percival, peut-être en était-il fait mention dans l'une des lettres ?

Puisqu'elle n'avait pas d'autre solution en tête, elle partagea ses conclusions avec ses amis. Elle ne les obligeait pas à venir avec elle dans le bureau de Walter, elle était capable d'y aller seule et de récupérer ce dont elle avait besoin mais Amir fut tout aussi buté qu'elle. Après la macabre découverte qu'ils venaient de faire à Ilvermorny, il ne comptait pas la laisser se promener seule, y compris chez elle. Leah fut aussi catégorique que leur ami, et marqua ainsi un point final à toute discussion. Ils quittèrent donc tous les trois la chambre d'Audrey et se glissèrent en silence dans le couloir, en veillant à ne pas réveiller Virginia dont le sommeil était devenu plus léger depuis la mort de son mari.

Audrey ne se sentait pas fière de partir à la recherche d'informations sans prévenir sa mère mais elle avait le sentiment que Virginia n'aurait aucune réponse à lui fournir sur ces trois femmes. L'arbre généalogique que Tobey lui avait montré flottait encore dans ses pensées, avec ces branches dont elle ignorait tout, avec ces noms qui paraissaient lui murmurer que des secrets trainaient encore dans les ombres de la famille Graves. Sans s'appesantir sur ce sujet, Audrey arriva enfin devant sa destination et esquissa un sourire tendu.

Un lumos suffit pour éclairer le bureau et révéler aux trois jeunes sorciers la pièce où rien ne semblait avoir été dérangé depuis la mort de Walter. Audrey s'avança vers les tiroirs les plus proches, récupérant les nombreux documents qui portaient des dates antérieures à son arrivée chez les Graves – voire des dates plus vieilles encore que son père adoptif. La plupart des parchemins n'étaient que des notes de ses ancêtres sur des événements magiques qui ne l'intéressaient pas à cet instant présent mais qu'elle garda dans un coin de son esprit.

« Je crois que j'ai trouvé ! souffla Amir devant l'une des commodes. Ce ne sont pas les lettres des Graves mais … il faut que tu viennes voir. »

Il y avait une note d'incertitude dans la voix de son meilleur ami, ce qui la surprit. Audrey délaissa le bureau pour rejoindre Amir, prenant en main les papiers qu'il lui tendit. Il s'agissait d'une demande officielle d'adoption, mais pas la sienne, contrairement à ce qu'elle aurait pu supposer en premier lieu. Elle découvrit ainsi que son oncle Howard avait été adopté, ce qui ne correspondait pas à tout ce qui lui avait été raconté jusque-là. En détaillant un peu plus les documents, elle buta sur un nom qu'elle n'aurait jamais imaginé lire autrement que dans les livres qui parlaient des combats menés par le MACUSA.

« Gellert Grindelwald, murmura-t-elle avec une pointe d'angoisse. »

Cet homme, un mage noir, avait semé la terreur dans le monde entier avant d'être vaincu cinquante ans plus tôt. Il n'avait pas disparu des mémoires, de nombreux sorciers craignaient encore son nom et soupçonnaient plusieurs de ses disciples d'avoir passé le flambeau à une nouvelle génération. Cependant, elle ne comprenait pas pour quelle raison le nom de Grindelwald était en lien avec celui de son oncle.

Elle savait que les Graves avaient combattu le mage noir, Walter lui avait vaguement indiqué que son père, Percival, était Auror à l'époque pendant laquelle Grindelwald avait sévi, de même que Catherine. Nombreux étaient les Aurors à avoir affronté cet homme, et nombreux aussi étaient ceux qui y avaient perdu la vie. Au MACUSA, l'un des murs arborait les noms des hommes et femmes qui étaient morts pour ramener la lumière à une époque désormais révolue, Audrey les avait lus et relus tant de fois qu'elle avait le sentiment de les connaître sur le bout des doigts.

« Ton oncle était bien le fils de ta grand-mère mais pas de ton grand-père, nota Leah qui observait les documents par-dessus son épaule. Regarde, là. L'adoption d'Howard Wilson, né de père inconnu et de Catherine Graves, née Wilson, par Percival Graves est à ce jour reconnue par le MACUSA. Tu sais si Catherine a aimé quelqu'un d'autre avant lui ? »

Si la question était des plus légitimes, Audrey en ignorait cependant la réponse. Les histoires de cœur de ses grands-parents ne figuraient pas au programme des récits que lui racontait son père. Il lui avait surtout parlé de l'amour sans faille qui unissait Percival et Catherine, sans évoquer d'autre prétendant ou de relation passagère.

La vue du document rappela à Audrey sa propre adoption. Le parchemin, qu'elle avait déjà aperçu à plusieurs reprises, clamait L'adoption d'Audrey X, née de parents inconnus, par Virginia Graves, née Carver, et Walter Graves, est à ce jour reconnue par le MACUSA. Cela rendait officielle sa situation de fille sans nom de famille, aux parents absents et invisibles, mais elle ne s'en préoccupait plus. Seuls demeuraient Walter et Virginia.

« Je ne comprends toujours pas, répéta-t-elle. Mon père n'a eu aucun mal à me dire que son frère était un cracmol mais pourquoi me cacher qu'ils n'étaient pas vraiment frères de sang ?

— Comment considères-tu Walter et Virginia ? lui demanda Amir.

— Comme mes parents, bien sûr.

— Ton père a dû estimer que ce n'était pas nécessaire de préciser que ton oncle Howard n'était que son demi-frère, il l'aimait sans doute autant que toi tu es attachée à tes parents. »

Audrey regretta de ne pas y avoir pensé, c'était si évident. Songeuse, elle remit en place les différents documents, toujours aussi curieuse de savoir pourquoi Grindelwald était nommé dans ces papiers. Elle n'avait rien de bien nouveau concernant les autres AG de la famille, ce qui l'intriguait. D'autant plus que Tobey avait émis l'hypothèse d'une quelconque vengeance, ce qui lui paraissait absurde. Pourquoi des femmes qu'elle ne connaissait pas chercheraient à lui faire du mal ? Une jalousie mal placée de la part de sa cousine ? Encore fallait-il considérer que cette dernière fût au courant de son existence, ce qui n'était pas une certitude.

Sans réponse à ses questions, elle décida de ne pas traîner plus longtemps dans le bureau de son père. Walter lui manquait déjà énormément et, même si elle redoutait ce don qui la liait aux esprits et aux fantômes, elle aurait tout donné pour pouvoir lui parler une dernière fois. Elle fit sortir ses amis et verrouilla ensuite la porte avant de refaire en sens inverse le chemin qui menait à sa chambre. Amir fut le premier à s'endormir, sa respiration devenue lente créa un bruit de fond dans la pièce silencieuse, bientôt rejointe par celle de Leah. Audrey peina à trouver le sommeil, les minutes filaient et Morphée lui échappait, rendant sa nuit peu reposante.

Au petit matin, lorsque Virginia vint les réveiller pour leur annoncer que le petit-déjeuner était prêt et servi, sa fille se retourna dans son lit en maudissant son expédition nocturne. Les paroles de Tobey et les documents avaient déversé en elle un flot d'interrogations qui ne cessaient de se mélanger dans son esprit. Sans compter qu'ils n'avaient que peu dormi, entre la découverte du corps de Jonathan, l'interrogatoire au MACUSA et leur recherche infructueuse. Elle laissa ses deux amis se préparer avant elle, puis se rendit à peu près présentable avant de descendre à son tour dans la cuisine où une douce odeur éveilla son estomac. D'un coup de baguette, Virginia fit voler jusqu'à elle son bol de lait, une expression soucieuse sur le visage.

« Que se passe-t-il ? s'enquit Audrey en récupérant une biscotte sur la table.

— Le ministère a envoyé un courrier à tous les parents, répondit sa mère. Ilvermorny a été évacuée et fermée jusqu'à Noël.

— Noël ? s'exclama Leah dans un sursaut. Mais c'est dans plus d'un mois ! Et il y a les examens à la fin de l'année !

— Qu'ont-ils donné comme explication ? demanda Amir qui arborait soudainement un air fermé.

— Ils ont indiqué qu'un volume anormal de magie avait été détecté dans les sous-sols de l'école, ce qui met en danger la vie de tout le personnel et des élèves. Je pense qu'ils ont élaboré un meilleur prétexte pour les familles moldues. »

Tout cela, conjugué aux découvertes de la veille, coupa l'appétit d'Audrey. Un de ses amis était mort, personne ne savait à cause de qui ou de quoi, et l'école n'était désormais plus un endroit sûr. Son regard plongé dans son bol, elle tenta de ne pas penser aux voix qui l'avaient assaillie dans le passage secret mais elle ne parvint pas à éloigner ses souvenirs. Elles avaient dit qu'Ilvermorny leur appartenait, n'était-ce pas une indication déjà précise de ce qui risquait de se produire ? Peut-être ne pourraient-ils jamais y retourner si l'affaire n'était pas résolue.

« Il y a autre chose, souffla Virginia avant de passer une main dans ses cheveux défaits. »

Ce tic était familier à Audrey, sa mère effectuait ce geste à chaque fois qu'elle était nerveuse. Virginia poursuivit en leur apprenant que Tobey lui avait communiqué plusieurs informations. Les trois jeunes gens promirent de garder le silence, conscients qu'ils n'étaient pas censés en apprendre plus, et l'écoutèrent avec une extrême attention. D'après les renseignements des Aurors et de la police magique, plusieurs départs de feu avaient été découverts à tous les étages, assez minimes pour ne pas être perçus par les sortilèges de détection qui protégeaient l'école. Par chance, rien n'avait vraiment brûlé, mais cela avait fini par convaincre le MACUSA de faire fermer Ilvermorny.

Une nausée malvenue s'empara d'Audrey, ses doigts se serrèrent sur la porcelaine. À feu et à sang, avaient chanté les voix dans les couloirs. Prends ta baguette et enflamme ce monde, avaient-elles hurlé en la suivant et en attisant sa détresse. Elle ne croyait pas aux coïncidences, encore moins dans une communauté comme la leur où la magie était présente à chaque coin de rue.

« Ce sont les morts, les véritables coupables, murmura-t-elle. »

Elle entendit distinctement le bruit que fit le couteau de Virginia lorsqu'il lui échappa des mains. Audrey aurait dû lui dire qu'elle était à nouveau hantée par ces voix, plutôt que de s'enfermer dans le mutisme en supposant réussir à s'en sortir seule. Sa mère darda sur elle un regard indéchiffrable avant de lui demander depuis combien de temps elle souffrait du retour des voix.

« Depuis la mort de papa, avoua Audrey.

— C'était ce que nous craignions. »

Ces quelques mots balayèrent toutes les autres questions de la jeune Graves sur sa famille, sur les femmes inconnues et sur Grindelwald. Finalement, personne, pas même Walter et Virginia, ne pouvait faire taire ce monde invisible qui la dévorait à petit feu.