"So, I guess we are who we are for a lot of reasons. And maybe we'll never know most of them. But even if we don't have the power to choose where we come from, we can still choose where we go from there."
― Stephen Chbosky, The Perks of Being a Wallflower
"Donc, je suppose que nous sommes qui nous sommes pour plusieurs raisons. Et peut-être qu'on ne saura jamais lesquelles. Mais même si nous n'avons pas le pouvoir de choisir d'où nous venons, nous pouvons toujours choisir où nous allons. »
― Stephen Chbosky, The Perks of Being a Wallflower
Chapitre 27 : Where We Go From There
L'enveloppe gisait sur le lit, là où il l'avait jetée, le parchemin froissé à moitié sorti de sa prison de papier. Harry était plus préoccupé par la manière dont Masque observait fixement Hedwige qui hululait régulièrement en réponse à cette attention un peu trop soutenue.
« Il va falloir que vous appreniez à vous entendre. » les gronda-t-il.
Le chat remua la queue avec mauvaise humeur mais se désintéressa finalement de sa proie potentielle pour aller paresser sur son oreiller. Quant à Hedwige, elle laissa échapper un bruit clairement désapprobateur.
« C'est pas gagné. » commenta Ron.
Harry gratta la tête de sa chouette et lui donna une friandise avant de se tourner vers son meilleur ami. Assis sur son propre lit, l'autre garçon fixait l'enveloppe du regard, tant et si bien que le Survivant aurait été incapable de dire s'il faisait référence à ses tentatives de réconcilier les deux animaux ou à ce que l'invitation impliquait.
Il avait fallu deux jours à Severus pour le convaincre de quitter l'infirmerie et trois pour qu'il cesse d'y retourner entre chaque cours, concentrant ses visites sur la pause déjeuner et le diner. Il n'y avait guère eu de place dans son esprit pour autre chose que le Professeur et ce qui se serait passé si… Il en cauchemardait. Malgré ses meilleurs efforts, malgré l'Occlumencie, il en cauchemardait.
Et ce qui se passait là-dehors n'aidait en rien.
Il était impossible d'ignorer la guerre. Certes, la vie à Pouldard n'en était pas affectée. Les horaires étaient les mêmes, les règles étaient un tant soit peu plus strictes – particulièrement en ce qui concernait les promenades dans le parc à la nuit tombée – mais la guerre planait tout de même dans l'air. Les visages étaient fermés, les professeurs arpentaient tous les couloirs d'un pas guindé, McGonagall avait perpétuellement l'air anxieux et Dumbledore s'enfermait dans son bureau lorsqu'il n'était pas à Londres pour conférer avec le Ministre. Le printemps était là mais le temps demeurait lourd et pluvieux, le ciel nuageux et gris – la faute à la présence massive de Détraqueurs aux quatre coins du pays.
Les murmures étaient probablement le pire.
Les rumeurs les plus extravagantes et alarmantes circulaient au point qu'il était impossible de démêler le vrai du faux. Voldemort aurait été vu ici, les Mangemorts auraient attaqué là… Tous les jours, une nouvelle histoire faisait surface, obligeant les quelques Aurors expérimentés encore en vie à aller enquêter. Harry avait cessé de compter le nombre de fois où Tonks et Kingsley Shacklebolt avaient fait la une de la Gazette, cette semaine là, démentant une énième apparition supposée.
Voldemort ne s'était pas montré.
Les Mangemorts se tenaient tranquilles.
Personne ne savait pourquoi.
Lorsqu'il l'avait interrogé, Severus avait balayé l'air de sa main tremblante et lui avait ordonné de réfléchir. Harry avait rétorqué qu'il aurait été beaucoup plus simple pour lui d'attaquer le Ministère maintenant. Le Professeur avait levé les yeux au ciel et soupiré, avant de décréter qu'un seul mois avec des Gryffondors avait gommé tout son enseignement.
Harry était parti contrarié, ce soir là, mais il était revenu le lendemain matin avec une réponse plus appropriée. Tout le monde s'attendait à ce que Voldemort attaque. En demeurant à Azkaban, le mage noir créait un climat d'angoisse, la certitude que la frappe était imminente plus terrible que l'attaque en elle-même.
Le pays tout entier retenait son souffle.
« On n'a pas le choix. » soupira-t-il, attrapant à la va-vite les livres qu'ils étaient venus chercher avant le début des cours. Il les fourra dans son sac, sans se préoccuper des parchemins qu'il froissait. Les Professeurs n'avaient que le mot B.U.S.E.s à la bouche, comme si les examens étaient encore la priorité de qui que ce soit – sauf peut-être d'Hermione. « Il faut qu'on sache combien il y a de… » Il baissa la voix et jeta un coup d'œil à l'escalier puis aux portraits qui ornaient les murs par habitude. « Tu-sais-quoi. »
Ron l'étudia pensivement du regard puis haussa les épaules.
« Donc, on s'en tient au plan ? » insista son meilleur ami. « Vous allez à la soirée, tu traines à la fin… Et tu lui demandes ? »
Ce n'était pas idéal, Harry était bien d'accord. Dumbledore était persuadé que sa relation avec Lily était la clef qui permettrait d'atteindre Slughorn mais il était un peu plus réservé sur le sujet. Hermione n'était pas totalement certaine que cela fonctionnerait non plus. Il avait passé suffisamment de temps à Serpentard pour n'être que trop conscient que ce plan manquait de finesse et que le vieux Maître des Potions était bien trop malin pour s'y faire prendre.
« C'est un dîner. » hasarda-t-il. « On fera en sorte qu'il boive. »
Une nouvelle fois, Ron haussa les épaules. Ce n'était pas vraiment comme s'ils avaient le choix de toute manière. Ils attrapèrent leurs sacs et dévalèrent l'escalier qui menait à la salle commune, peu enclin à arriver en retard en Métamorphose.
« Et pour Malfoy, on fait quoi ? » soupira Ron, alors qu'ils passaient le portrait de la Grosse Dame.
« Il a dit qu'il pouvait se débrouiller… » hésita Harry, sans pour autant chercher à dissimuler la touche d'inquiétude dans sa voix. « Je pensais que… » Il laissa sa phrase en suspens. Accompagner Malfoy dans les cachots, se montrer en sa compagnie aussi souvent que possible… Il avait espéré que le jeu en vaudrait la chandelle, que cela offrirait une protection tacite au Serpentard. À l'évidence, il s'était fourvoyé. « Attends qu'Hermione le voit. »
Les deux Gryffondors grimacèrent simultanément.
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« Tu dois les dénoncer. » grinça-t-elle pour la centième fois.
Comme pour l'irriter davantage, Draco poussa un soupir ennuyé.
« Je te l'ai dit. » répondit-il. « Le problème est réglé. »
Et par là, supposait-elle, il voulait dire que lui et Blaise avaient battu leurs adversaires et les avaient laissés enfermés au fin fond d'un placard de leur salle commune comme s'il s'agissait toujours de quelques farces juvéniles et non de Mangemorts en devenir qui désiraient 'lui donner une leçon'. L'hostilité des Serpentards à son égard ne cessait d'augmenter et il n'avait plus le poids de son nom pour le protéger.
Elle s'immobilisa au milieu du couloir désert, frappée une nouvelle fois par le fait qu'ils n'étaient pas aussi en sécurité au sein de Poudlard qu'elle aimait à le croire.
« Je n'ai rien, Granger. » insista-t-il.
Ses doigts effleurèrent sa paume mais elle retira sa main avant qu'il ait pu la prendre. Elle retraça du bout des doigts l'hématome sur sa joue, agacée de sentir son cœur s'emballer dans sa poitrine. Il avait raison, ce n'était rien… Et pourtant…
L'idée que deux septième année puissent lui tomber dessus alors qu'il était dans la salle de bain… Il n'avait pas véritablement fourni de détails mais elle pouvait parfaitement imaginer la scène. Il avait été vulnérable, sa baguette certainement pas à portée, et sans l'arrivée providentielle de Zabini…
Elle doutait qu'ils l'auraient assassiné. C'était aller trop loin. Il y avait peu de chances de s'en tirer avec un meurtre sans se faire prendre au sein d'une école verrouillée mais… Ils auraient pu le blesser beaucoup plus sérieusement qu'il ne l'était.
« Demande à McGonagall si elle peut te transférer dans un autre dortoir. » murmura-t-elle – supplia-t-elle presque – pour ce qui semblait être la millième fois depuis l'attaque de l'Allée des Embrumes. « Elle sera d'accord. Elle… »
« Nous en avons déjà discuté. » l'interrompit-il d'un ton ferme. « Crois-moi, s'il était temps de prendre la fuite, je le ferais et sans me retourner. Mais nous n'en sommes pas là. J'ai un nom et un héritage à défendre, Granger. Il ne sera pas dit que deux brutes effrayent l'héritier des Malfoys. »
« Ton père t'a renié. » lui rappela-t-elle, sans malice. Elle ne voulait pas le blesser mais…
« Renié, pas déshérité. » corrigea-t-il. Ses traits s'adoucirent et il se pencha, déposant un baiser sur ses lèvres. Ce n'était pas grand-chose, à peine une caresse, mais cela suffit à la distraire. Ce qui était sans aucun doute son intention. « Et ce n'est, de toute manière, pas le sujet de cette dispute. »
Elle leva les yeux au ciel et le repoussa suffisamment pour reprendre sa route, ajustant son sac sur son épaule. « Ce n'est pas une dispute. »
« Oh, si, ça l'est. » se moqua le Serpentard, en lui emboîtant le pas, refusant de se laisser distancer.
« Draco, je ne vois pas en quoi cela te concerne. » riposta-t-elle, avec agacement. « Si tu n'avais pas lu par-dessus mon épaule… »
« Si je n'avais pas lu par-dessus ton épaule, tu serais partie seule te jeter dans la gueule du loup, ou plutôt du serpent dans le cas qui nous occupe, sans une seule hésitation. » cingla-t-il. « À croire que tu n'apprends jamais de tes erreurs. Tu… »
Il s'interrompit brusquement lorsque deux Poufsouffles de troisième année déboulèrent au détour du couloir, à bout de souffle et probablement inquiets d'être en retard.
« On ne court pas dans les couloirs ! » les rappela-t-elle à l'ordre machinalement. « Cinq points en moins. »
« Chacun. » ajouta-t-il.
Les adolescents grommelèrent mais ralentirent leur course.
Hermione trouva cela sévère mais Draco aimait user et abuser de ses pouvoirs de préfet. Une dispute à la fois, décida-t-elle.
« La lettre venait de Tonks. » déclara-t-elle fermement. « Tu l'a vu comme moi. »
Il n'avait pas fait exprès de lire par-dessus son épaule, du moins elle ne le pensait pas. Elle avait été en train de le sermonner pour ne pas être aller trouver un professeur lorsque le courrier était arrivé. Un hibou lui avait déposé l'invitation à la soirée de Slughorn et il avait cru que c'était l'enveloppe qu'elle était en train d'ouvrir.
La note de Tonks était courte, il l'avait parcourue avant d'avoir réalisé son erreur.
Si Hermione avait su, elle aurait attendu pour la lire ou l'aurait mieux dissimulée.
« C'est ce que disait la signature. » répondit-il, d'un ton dubitatif. « Mais une signature se forge. » Elle ouvrit la bouche mais il éleva la voix avant qu'elle ait pu argumenter. « Tout comme une écriture. » Il secoua la tête. « Pourquoi ma cousine t'enverrait-elle voir Snape ? Que pourrait-il bien te vouloir ? Et pourquoi tant de discrétion ? Cela ne me dit rien qui vaille. »
C'étaient des questions qu'elle s'était posées elle-même durant les quelques secondes qu'il avait fallu à Draco pour déclarer qu'elle ne devait pas y aller et surtout pas seule, que cela pourrait très bien être un piège. Toutefois, elle avait pris sa décision sans une hésitation.
« Elle doit avoir ses raisons et je veux les entendre. » soupira-t-elle.
La lettre disait de se rendre à l'infirmerie avant le début des cours, seule, et sans attirer l'attention si possible, parce que Snape souhaitait la voir.
« Pourquoi ne t'a-t-il pas écrit directement ? » insista pertinemment Draco. « Pourquoi ne pas t'avoir fait demander par un autre Professeur ? »
Que la lettre vienne de Tonks était étrange, en effet. Quel lien la jeune Auror pouvait-elle bien avoir avec le Maître des Potions ? Elle n'en voyait qu'un: l'Ordre. Et s'il s'agissait de l'Ordre, la discrétion était de mise.
Elle avait songé à stupéfier Draco et à le cacher dans une salle vide, quitte à s'excuser plus tard, mais elle n'avait pas le courage de lever sa baguette contre lui.
Elle avait décidé que Snape saurait quoi faire pour le convaincre de les laisser seul.
« Peut-être que c'est une farce des jumeaux. » admit-elle. « Dans tous les cas, si la lettre n'est pas authentique, ça ne peut pas être bien méchant. Que veux-tu qu'il m'arrive dans l'infirmerie ? »
Le visage de l'adolescent s'assombrit.
« Snape. » lâcha-t-il. Ils arrivaient en vue des grandes portes qui menaient au domaine de Pomfresh et il lui attrapa le bras, mortellement sérieux à présent. « Il est dangereux. »
Plus maintenant, songea-t-elle avec une touche de regret. Pas à en croire Harry du moins.
L'état du professeur n'avait pas été rendu public, cependant, donc elle tint sa langue.
« Harry lui fait confiance. » argua-t-elle. « Je lui fais confiance. »
« C'est une erreur. » cracha-t-il. « Je ne sais pas comment il s'est attiré les bonnes grâces de Potter mais je suis certain d'une chose : il n'y a pas plus Serpentard que Severus Snape. Et je ne l'ai jamais vu douter de son engagement pour le Seigneur des Ténèbres. Jamais. »
« C'était un espion. » contra-t-elle avec impatience. « C'était son travail. Et tu viens de le dire… Il n'y a pas plus Serpentard que lui. C'était sans doute le meilleur espion qu'on pouvait avoir. »
« Peut-être que nous ne l'avons jamais eu. » murmura-t-il, jetant un coup d'œil nerveux alentour. « Cela t'a-t-il effleuré l'esprit ? Peut-être qu'il est un excellent espion… Une échappée miraculeuse… Il revient à moitié mort… Potter lui mange dans la main… Qui va douter de lui à présent ? »
Son regard gris était vrillé au sien, attendant sa conclusion. Les Serpentards étaient paranoïaques de nature, pourtant elle ne pouvait nier que…
Elle secoua la tête.
« Harry lui fait confiance. » répéta-t-elle. « Tu ne sais pas… Tu n'en sais pas la moitié. »
Son expression se durcit.
« Si Saint Potter lui fait confiance… » siffla-t-il avec ressentiment et une légère amertume. « Qui suis-je pour le contredire ? »
Elle pinça les lèvres et attrapa sa main, serrant brièvement ses doigts.
« Tu comptes pour moi. » protesta-t-elle. « Ce que tu penses compte. Mais… » Elle hésita. « Draco, j'ai plus d'informations que tu n'en as. »
« Peut-être. » gronda-t-il, dans un haussement d'épaules. « Mais je le connais. Et si tu refuses d'être prudente alors je le serais pour toi. Si tu veux voir Snape en privé, je reste avec toi jusqu'à ce que je sois certain que tu sois en sécurité. »
« De quoi as-tu peur ? » soupira-t-elle. « Même si tu as raison… Il ne peut rien me faire en plein milieu de l'école. »
« Imperio ne prend qu'une seconde à jeter. » contra-t-il, serrant à son tour sa main. « Je t'accompagne, Granger, ce n'est pas négociable. »
Elle laissa échapper un bruit irrité mais finit par lever les yeux au ciel. Il n'y avait pas plus buté que Draco Malfoy lorsqu'il décidait qu'il désirait quelque chose. Quoi qu'elle fasse, il trouverait un moyen de la suivre.
À contrecœur mais sachant qu'elle n'avait d'autre choix si elle voulait voir le Professeur avant le début des cours, elle entrebâilla la porte de l'infirmerie. Tout semblait calme à l'intérieur. Tonks avait été très claire dans sa missive, cependant : il était nécessaire, dans la mesure du possible, de ne pas se faire surprendre par Pomfresh.
Décidant que l'hématome sur la joue de Draco serait une excuse comme une autre, elle se glissa à l'intérieur aussi silencieusement qu'elle le put. L'infiltration n'avait jamais été son fort et, si Tonks avait eu la bonne idée de la prévenir la veille, elle aurait eu la présence d'esprit d'emprunter la cape d'invisibilité.
Un léger coup sur son épaule la fit se retourner vers le Serpentard… qui n'était plus là. Elle eut l'impression étrange qu'un filet d'eau ruisselait sur elle et, lorsqu'elle baissa les yeux vers sa main, elle distingua les dalles au travers.
Le sortilège de désillusion n'était pas parfait, les contours de leurs silhouettes étaient grossiers et ne tromperaient personne beaucoup plus d'une minute, mais c'était plus de présence d'esprit que ce dont elle avait fait preuve.
Ils avancèrent à pas de sioux le long de l'allée centrale, se dirigeant d'un accord tacite vers le lit du fond qui était entouré de rideaux tirés et, donc, imperméable aux regards.
Hermione jeta un coup d'œil en direction du bureau mais l'infirmière ne semblait pas être là.
Ils atteignirent le rideau sans encombre et elle se glissa à l'intérieur de la zone cloisonnée. Snape gisait sur son lit, le teint cireux, étrangement diminué dans le pyjama standard de l'infirmerie. Les paupières du Professeur s'ouvrirent immédiatement et ses yeux fixèrent l'endroit exact où elle se tenait.
Il ne fit, pourtant, aucun geste vers la baguette en bois noir posée sur la table de nuit.
« Qui est là ? » siffla-t-il. « Montrez-vous. »
Elle lança un finite et hésita.
« Professeur. » le salua-t-elle d'un hochement de tête. « Je ne voulais pas vous déranger. J'ai reçu une lettre qui… »
« Vous deviez venir seule. » remarqua-t-il, son regard fixé sur un point derrière son épaule. Elle réalisa, avec un temps de retard, que Draco tardait à rompre son propre sortilège. Il fallut plusieurs secondes avant que le Serpentard n'admette la défaite et n'apparaisse à leur vue. Snape parut plus amusé que contrarié. « Mr Malfoy, bien sûr. Que craigniez-vous donc, Draco ? Que j'assassine votre petite-amie ? »
« L'idée m'a traversé l'esprit. » rétorqua calmement Draco, d'un ton badin.
Au lieu d'en prendre ombrage, Snape eut une moue approbatrice.
« Il est de bon ton d'être prudent de nos jours. » commenta le professeur. « La confiance est un luxe que nous pourrions bien payer de nos vies. » Son expression se durcit. « C'est pourquoi vous comprendrez sans mal, Draco, que votre présence est inopportune. »
Draco ne répondit pas immédiatement et le silence s'étira le temps que le Maître des Potions tente de se redresser. Il y parvint tant bien que mal, avec de telles évidentes difficultés que le regard d'Hermione se dirigea automatiquement sur les mains pressées contre le matelas. Snape serrait les poings mais, même ainsi, il était impossible de rater les tremblements qu'Harry avait mentionnés.
Elle fut incapable de dissimuler son malaise. Harry ne semblait pas tout à fait se rendre compte de ce que cela impliquait, trop heureux que l'homme ait survécu, mais Hermione, elle… Hermione ne pouvait s'empêcher de penser à ce que l'art des potions avait de délicat et précis.
Elle se dépêcha de rediriger son regard vers le visage du Professeur mais c'était trop tard. Il avait remarqué son coup d'œil et elle n'avait probablement pas caché sa compassion avec autant de soin qu'elle l'aurait dû.
« Gardez votre pitié, Granger. » siffla l'ancien espion. « Ce n'est pas pour cela que je vous ai convoquée. » Les yeux noirs se déplacèrent vers le Serpentard qui se tenait derrière elle avec entêtement. « Draco. »
L'ordre était clair mais le cinquième année refusa d'une secousse de tête paresseuse. « Je reste. »
Cela déplut très visiblement à Snape, toutefois l'homme, après avoir étudié attentivement le Serpentard, accepta sa décision d'un battement de cils.
« Tant qu'il est tout à fait clair entre nous que si, par le plus grand des hasards, il m'arrivait malheur, Nymphadora Tonks saurait où orienter son enquête, tout aussi naturelle que ma mort puisse paraître… » exposa calmement le Professeur.
Hermione fronça immédiatement les sourcils. « Professeur… »
« Il y a un carnet dans le tiroir de la table de nuit, Miss Granger. Prenez-le. » l'interrompit-il d'un ton péremptoire.
Elle s'exécuta, trop consciente que Draco scrutait le moindre de ses geste, prêt à dégainer sa baguette s'il s'agissait d'un piège quelconque. Paranoïaque, songea-t-elle avec affection. Et par les temps qui courraient, il n'avait probablement pas tort de l'être. Elle faisait confiance à Snape, cependant, parce qu'elle avait une confiance totale en Harry.
Elle ouvrit le carnet avant que le Professeur ne l'y invite, trop curieuse de ce qu'elle y trouverait. Les pages étaient vierges. Elle jeta un regard inquisiteur à l'ancien Mangemort.
Au prix d'une concentration extrême, l'homme tendit un de ses poings fermés vers la table de nuit. Il s'humecta les lèvres et prit plusieurs profondes respirations avant de déplier les doigts et d'attraper sa baguette. Il dût s'y reprendre à deux fois et elle détourna pudiquement les yeux devant cette vulnérabilité dérangeante qu'il ne pouvait parvenir à dissimuler.
Derrière elle, Draco se détendit, comprenant peut-être finalement qu'il ne s'agissait pas d'une mise en scène et que Snape était bien qui il disait être : un espion démasqué.
« Approchez. » ordonna froidement l'homme, très visiblement furieux de ne pas avoir mieux dissimulé son infirmité.
Elle approcha donc, prenant garde de ne pas croiser son regard. La main qui ne peinait pas à garder une prise sur sa baguette enserra son poignet.
Le temps que Draco réagisse, il était trop tard.
Snape avait pressé sa propre baguette sur sa main et marmonné un sort qu'elle n'avait jamais entendu avant.
« Non. » cingla-t-elle, lorsque son petit-ami énonça les premières syllabes d'un expelliarmus hâtif. « Je n'ai rien. »
« Bien sûr que non. » cracha Snape avec un amusement amer. « Si j'avais voulu assassiner une élève, croyez-vous que je m'y prendrais de la sorte et en plein jour, Draco ? »
Hermione se désintéressa de la réplique acerbe du Serpentard, elle venait de rouvrir le carnet et ne put contenir un petit cri de surprise. Les pages étaient à présent remplies de l'écriture pointue de serrée du Professeur. Il s'agissait très clairement de recherches. Des pages et des pages de recherches sur…
« C'est un projet de potion ? » devina-t-elle.
« Elle est au stade de prototype. » corrigea Snape. « Les instructions exactes sont à la fin. Toutefois, il serait bon que vous lisiez l'intégralité du processus. Miss Tonks a noté à la fin les corrections que je pense bon d'apporter à la recette finale. »
Elle feuilleta le carnet jusqu'à trouver l'écriture familière de l'Auror. C'était succin. Augmenter la valériane…
« Les quantités ne sont pas spécifiées… » remarqua-t-elle.
« Il nous faudra expérimenter, je le crains. » répondit Snape avec amertume.
« Nous ? » releva-t-elle, légèrement surprise. L'explication était évidente, cependant. Il avait besoin que quelqu'un s'occupe de la partie pratique.
Draco fronça les sourcils. « Si vous avez besoin que quelqu'un prépare une potion, pourquoi tout ce secret ? Pourquoi ne pas demander à Slughorn ? » Snape leva un sourcil moqueur et le Serpentard grimaça. « Soit. Dans ce cas, pourquoi pas quelqu'un d'autre ? Dumbledore ou… »
« Vous seriez surpris d'apprendre que de nombreux Médicomages rechignent à utiliser une potion non-homologuée par le Ministère. » grinça Snape. « Or il se trouve que j'ai un besoin urgent de celle-ci. »
« Oh ! » s'exclama Hermione, après avoir avidement parcouru quelques pages. « Cette potion devrait contrer les effets de l'endoloris. »
Le professeur eut l'air contrarié. « Si vous comptez le crier sur tous les toits, Miss, autant autoriser Draco lui aussi à accéder à mes recherches. »
« Ce n'est pas la pire idée du monde. » rétorqua le Serpentard. « Nous formons un bon binôme en Potions et il me semble qu'il vaudrait mieux mettre toutes les chances de votre côté. »
Il jeta un coup d'œil dubitatif aux mains du Professeur.
« L'avez-vous déjà testée ? » s'enquit Hermione, les yeux rivées sur les pages du carnet. « Est-ce qu'elle fonctionne ? Si ça marche… Le nombre de gens coincés à Sainte Mangouste parce que… »
« Merci, Granger. Je n'ai guère besoin d'un cours sur les vies que l'Endoloris a gâché. » l'interrompit sèchement Snape. Il était évident que demander l'aide d'une élève lui coûtait énormément. Sa mâchoire était contractée et ses poings à nouveau serrés. « La formule n'est pas encore parfaite, toutefois l'efficacité est indéniable. » Il leva le bras et, après plusieurs profondes inspiration, déplia les doigts. Sa main tremblait énormément mais, au bout de plusieurs secondes, elle se stabilisa légèrement. Ses doigts tremblotaient toujours pourtant et il finit par laisser retomber son bras avec une grimace de frustration. « Il y a trois jours j'étais incapable de seulement bouger les doigts. »
« C'est fascinant. » déclara-t-elle, impatiente déjà de se mettre au travail. Flattée, aussi, que Snape ait pensé à elle pour préparer une potion aussi cruciale alors qu'il y avait probablement des élèves plus compétents, du moins sur le papier.
« Cela ne devrait pas se révéler beaucoup plus complexe que de préparer un chaudron de polynectar dans les toilettes des filles. » commenta Snape, pince-sans-rire.
Elle eut le bon ton de rougir.
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Sirius observa Ginny se hisser dans les branches basses d'un arbre avec un sourire d'approbation puis reporta bien vite son attention sur le groupe de quatrième année attroupé près du lac, plus ou moins bien dissimulé derrière les rochers. De là où il se tenait, il pouvait parfaitement apercevoir le brassard bleu qui les identifiait comme faisant partie du groupe d'Astoria.
Le groupe rouge, sous les ordres de Ginny, progressait lentement mais sûrement, les visages couverts de boue et les uniformes sciemment salis pour mieux se fondre dans le décors.
Il avait réparti équitablement les Serpentards et les Gryffondors dans chacun des groupes et leur avait fourni les brassards avant de les disperser dans le parc du domaine avec pour seule consigne de se servir de tout ce qu'ils avaient appris jusque là pour neutraliser et capturer l'ennemi.
« Intéressant choix de chefs d'équipe. » commenta Remus, en se glissant à sa droite.
« Pas les miens. » répondit-il dans un haussement d'épaules.
Il n'était pas surpris que Ginny se soit rapidement imposée comme le leader du groupe rouge mais avait été plus étonné de voir le groupe bleu se rallier autour d'Astoria.
Greengrass était discrète, beaucoup plus que sa sœur, et il ne se rappelait pas avoie entendu le son de sa voix, que ce soit en cours ou durant une des réunions de l'AD.
« C'est un type d'exercice un peu… poussé pour des quatrième année. » remarqua Remus, les sourcils légèrement froncés. « Ce sont des élèves, pas des soldats, Sirius. Si Dumbledore… »
« Snape a approuvé mes changements à son curriculum. » le coupa-t-il. « Et si ça leur permet de survivre à cette guerre, je ne pense pas que Dumbledore trouvera quoi que ce soit à y redire. »
Il résista à l'envie d'allumer une cigarette – McGonagall avait été on ne peut plus claire quant à ce qui lui arriverait si elle le surprenait en train de fumer devant les élèves – et jeta un coup d'œil agacé à Remus. La tension entre eux était toujours perceptible et certainement pas atténuée par cette aura d'autorité qui irradiait désormais du loup-garou. Sirius ne pouvait s'empêcher de penser que Remus cherchait toujours à lui imposer sa volonté et ne parvenait pas à comprendre qu'il n'avait rien à faire de toutes ces idioties de meute et d'alpha et d'il ne savait quoi encore.
« Je ne savais pas que tu avais repris l'entraînement d'Harry… » hasarda-t-il, parce que c'était la seule explication qu'il voyait à la présence de Remus dans le parc en ce froid après-midi de printemps. Remus passait généralement son temps au QG à coordonner l'Ordre et à rassembler autant de renseignements que possible sur la position des Mangemorts.
« Pas encore. » soupira son meilleur ami en se frottant les yeux. « Le temps me manque et il a d'autres préoccupations. »
À savoir passer tout son temps libre au chevet de Snape.
« Je vois. » marmonna-t-il. Ce n'était pas une raison pour relâcher l'entraînement. Au contraire, avec la guerre qui planait dans l'air, il devenait plus crucial que jamais qu'Harry apprenne à se battre au maximum de ses capacités et il était certain que Snape partagerait son idée. Si Remus n'avait pas le temps, il s'en chargerait lui. « Que fais-tu ici, alors ? Une urgence ? »
Ça ne pouvait pas être si urgent que ça, néanmoins, parce que le loup-garou ne semblait pas pressé. Les yeux ambres suivaient la progression du groupe rouge avec un amusement certain. Le groupe bleu ne semblait toujours pas s'être aperçu qu'ils étaient sur le point d'être attaqués…
« Je voulais parler à Severus. » déclara Remus avec une nonchalance un peu forcée. « La pleine lune n'est pas bien loin. »
Sirius éclata presque de rire, sans toutefois être très amusé.
« Snape ne va pas préparer ta potion Révèle-Loup, Lunard. » cingla-t-il. « Tu vas devoir te contenter de la bonne vieille potion Tue-Loup, j'en ai peur. Si tu demandes à Slughorn… »
Une lueur agacée passa dans le regard de son meilleur ami. « Il me faut la nouvelle potion. Suffisamment pour Laura et moi… Tu ne te rends pas compte… La potion Tue-Loup… Non, Sirius, il me faut la potion Révèle-Loup. »
Il n'aimait pas beaucoup la convoitise qu'il percevait dans la voix de son ami, la touche sauvage qu'il avait toujours attribuée au loup… Une nouvelle fois, il ne put s'empêcher de penser que cette nouvelle potion n'était pas la bénédiction que Remus ne cessait de décrire. Depuis que le loup-garou l'avait avalée… Certes, Remus était bien plus en paix avec lui-même et semblait bien moins fatigué et diminué. Sirius aurait été bien à mal de nier que son meilleur ami était même en bien meilleure forme qu'il ne l'avait jamais vu. Et pourtant… Et pourtant, finalement accepter la malédiction l'avait également changé sur d'autres points. Des points que Sirius n'était pas certain d'apprécier.
« Severus n'est pas en état de préparer quoi que ce soit. » cracha-t-il, un tant soit peu sur la défensive.
Sans que quiconque en ait réellement discuté, l'état de Snape n'avait pas été partagé avec l'Ordre. À sa connaissance, seuls McGonagall, Dumbledore, Andy, Pomfresh, Tonks et lui connaissaient précisément l'étendue des dégâts. Pour les autres… Eh bien, Snape était gravement blessé et était cloué au lit pour l'instant. Les détails avaient été passés sous silence. Personne ne voulait que Voldemort en apprenne davantage par le biais de ce mystérieux espion.
L'Ordre était, de toute manière, dispersé. À en croire les quelques missives qu'il avait échangées avec Nyssa, l'ambiance au QG était oppressante. La suspicion allait bon train et Sirius était heureux de pouvoir rester à Poudlard. Il n'était pas certain qu'il aurait véritablement supporté de demeurer enfermé au Square Grimmaurd à fixer les murs du regard en se demandant qui de ses amis les avait trahis ce coup-ci.
L'éclat sauvage dans les yeux de Remus se fit plus prononcé et un frisson mauvais descendit le long de l'échine de Sirius. S'il avait été sous forme canine, ses poils se seraient hérissés.
« Depuis quand l'appelles-tu Severus ? » demanda le loup-garou.
Était-ce de la jalousie dans sa voix ?
Sirius s'efforça de ne pas laisser son irritation l'emporter. Il n'avait pas apprécié la manière dont Remus avait forcé Laura à voler la potion et il n'avait pas non plus apprécié la manière dont il avait traité Tonks mais… Remus restait son meilleur ami.
« Écoute… Snape n'est pas en état de faire quoi que ce soit. » répéta-t-il, un peu moins agressivement. « Je lui demanderai s'il veut bien passer la formule à Slughorn. »
« Je peux le lui demander moi-même. » contra Remus avec un léger froncement de sourcils. « Je suis venu jusque ici… »
Sirius garda le silence quelques instants, feignant d'être plus passionné par l'avancée des quatrième année qu'il ne l'était réellement.
« Les visites de Snape sont limitées. Uniquement les personnes essentielles. » expliqua-t-il, au moment où Ginny hurla l'ordre d'attaquer.
C'était un petit mensonge. L'accès à la partie de l'infirmerie où était Snape était véritablement restreint, Pomfresh y veillait, mais aucun ordre n'avait été donné en ce sens.
« Et tu es une personne essentielle au bon rétablissement de Snape maintenant? » se moqua Remus sans aucune touche d'humour. La jalousie était pleinement assumée, à présent. « Qu'en est-il de Dora ? La dernière fois que Charlie est passé au QG, il m'a dit qu'elle venait tous les jours au château… »
« Elle coordonne la surveillance de Pré-au-Lard et de Poudlard entre le Département des Aurors et McGonagall. » rétorqua Sirius. « McGonagall est souvent à l'infirmerie… Je ne crois pas qu'elle vienne le voir lui tous les soirs. »
Qu'est-ce que sa cousine aurait pu avoir à dire à Snape aussi souvent ? C'était stupide. Il était plus probable qu'elle cherche à voir sa mère et Andy, comme McGonagall et Harry, était devenue, au grand dam de Pomfresh qui se plaignait d'être envahie, un visage récurent à l'infirmerie.
Remus laissa échapper un bruit moqueur mais, avant que Sirius ait pu lui demander quelle mouche l'avait encore piqué, le groupe bleu prit le dessus sur celui de Ginny. Il s'avéra que le plan d'Astoria avait été de feindre être surprise par l'attaque uniquement pour retourner l'effet de surprise.
Et ce fut efficace.
Bien que Ginny remportât son duel contre Astoria, le groupe rouge fut écrasé par le groupe bleu.
« Excellent ! » s'exclama-t-il avec un grand sourire. Il claqua des mains et les frotta l'une contre l'autre avec satisfaction avant de faire signe à ses élèves de revenir vers lui. « Excuse-moi, mais… »
« Vas-y. » offrit Remus.
Sirius aurait préféré que cela ne sonne pas autant comme s'il lui donnait la permission de couper court à la conversation.
Il fallut plusieurs minutes et tout un tas de finite et de légers sorts de soin avant que Sirius ait pu ramener les quatrième année dans sa salle de classe. La cloche sonna avant qu'ils aient pu réellement débriefer mais il leur rendit leur liberté d'un geste de la main, lançant un clin d'œil amusé à Ginny qui ne se remettait pas de la défaite cuisante qu'Astoria venait de lui infliger.
Il embrassa la salle de cours vide du regard, les mains sur les hanches, et se dit que, décidément, enseigner était bien plus amusant que ce à quoi il s'était attendu.
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Harry quitta la pièce, fulminant de sa propre idiotie et, plus encore, de celle de Dumbledore.
La vue de Malfoy et Hermione enlacés contre le mur un peu plus loin n'améliora pas son humeur mais il fit un effort, occludant une bonne partie de son irritation.
« Vu ton expression, j'en déduis que tu n'as pas obtenu ce que tu souhaitais. » se moqua Malfoy avec un de ses horripilants sourires en coin.
Hermione, elle, grimaça. « Je t'avais dit que ça ne serait pas aussi simple. »
Évidemment, que ça n'allait pas être aussi simple, songea Harry. Néanmoins, il avait dû subir un long et pénible dîner durant lequel Slughorn l'avait plus ou moins subtilement interrogé sur ses relations avec Severus et sur ce qu'il savait de l'espion – un sujet qui l'intriguait visiblement beaucoup – ne cessant cette ligne d'investigation que pour s'intéresser à Malfoy et sa tutrice. Ce qui pouvait tant fasciner Slughorn au sujet de Tonks demeurait un mystère.
De guerre lasse et à cours d'idées – et parce qu'il était certain que c'était ce que Dumbledore attendait de lui – il avait attendu la fin de la réunion du Club de Slug, avait trainé le temps que les autres élèves quittent la pièce puis avait demandé, exactement comme Tom Jedusor l'avait fait des années auparavant : Que savez-vous des Horcruxes, Professeur ?
Comme Harry l'avait pressenti, l'attaque frontale s'était soldée par un échec. Slughorn s'était braqué, l'avait accusé de conspirer avec Dumbledore et, lorsque Harry s'était hasardé à croiser son regard, il avait dressé des boucliers mentaux si puissants que le Survivant avait levé les mains et accepté la défaite.
Ce n'était pas ainsi qu'il convaincrait Slughorn.
Avec un soupir, il haussa les épaules. « Ça valait le coup d'essayer. » Il jeta un coup d'œil à Malfoy qui se tenait là, silencieux et impassible, mais ne ratait pas une miette de la conversation. Ce n'était pas qu'il doutait des allégeances du Serpentard, plus maintenant, mais il était impératif que l'existence des horcruxes demeure secrète. « Je vais passer à l'infirmerie… Tu retournes à la salle commune ? »
Hermione secoua la tête. « J'ai quelque chose à faire… »
Il leva les sourcils en guise d'interrogation mais elle n'expliqua pas davantage et, étant donné que sa main semblait être greffée à celle de Malfoy, il décida qu'il ne voulait pas savoir.
Ils se séparèrent au bout du couloir. Harry hésita à suggérer que le Serpentard ferait peut-être mieux de dormir dans leur salle commune afin d'éviter une autre embuscade de Mangemorts en devenir mais ravala la proposition au dernier moment. Malfoy avait quelque chose à prouver et il ne comprenait que trop bien son refus de céder face à la tyrannie toute relative des Serpentards plus âgés.
La porte de l'infirmerie grinça lorsqu'il la poussa et le bruit raisonna si fort dans le silence nocturne qu'Harry renonça à toute discrétion lorsqu'il traversa la pièce en direction de l'espace cloisonné par des rideaux tout au fond. À peine s'arrêta-t-il devant la porte du bureau de Pomfresh pour la saluer d'un signe de tête. L'infirmière était, de toute manière, bien trop occupée à papoter avec Andromeda Tonks. Elle lui fit signe de passer avec un sourire distrait.
Severus, lui, n'était pas du tout distrait. Si possible, il était encore plus renfrogné que lorsque l'adolescent lui avait rendu visite durant le déjeuner.
« Le couvre-feu n'est pas une option dont vous seriez dispensé, Mr Potter. » siffla le Maître des Potions avec un agacement certain.
Harry ne s'en émut pas. Le Professeur était cloué au lit depuis des jours sans pouvoir faire autre chose que dormir. Et dormir, il ne le savait que trop bien, signifiait s'abandonner aux inévitables cauchemars, d'autant plus à présent que ses boucliers mentaux avaient été réduits à néant.
Harry avait deviné que Severus employait une grande partie de ses journées à les reconstruire avec patience et minutie. C'était pratiquement la seule distraction que l'homme pouvait se permettre en dépit de toutes les mises en garde de Promfresh qui insistait pour qu'il se repose.
« Il reste cinq minutes. » rétorqua-t-il, avec une pointe de défi.
« Oh, tu peux donc regagner la Tour des Gryffondors en cinq minutes, n'est-ce pas ? » s'enquit Severus avec un intérêt faussement innocent. En un clin d'œil, cependant, son expression légèrement désapprobatrice – quoique amusée – fut remplacée par un masque neutre. S'il l'avait pu, Harry était certain qu'il aurait balayé l'air de la main pour couper court aux plaisanteries. « Alors ? » demanda le Professeur.
Harry secoua la tête et posa rapidement les protections habituelles qui leur permettraient de discuter sans crainte d'être espionnés. Il résuma brièvement le diner du Club de Slug et conclut : « Il a tout nié en bloc et je pense qu'il va m'éviter pendant un bon moment. C'était une idée idiote. »
« C'était une approche typiquement Gryffondor. Bien évidemment, qu'il s'agissait d'une idée idiote. » décréta Severus en pinçant les lèvres. « Dumbledore et ses bons sentiments… »
« C'est véritablement un Occlumens. » ajouta-t-il, après coup.
Le Professeur ne parut pas surpris.
« Je ne t'aurais pas encouragé à tenter un Legilimens même s'il ne l'avait pas été. » répondit Severus. « Tu as certainement des possibilités dans ce domaine, toutefois nous ne les avons jamais réellement travaillées et il serait dangereux de t'y risquer par toi-même. Suis-je clair ? »
« Limpide. » s'empressa-t-il d'acquiescer.
Il ne s'y serait pas risqué de toute manière. C'était une chose de sonder les boucliers mentaux de quelqu'un, une autre d'essayer de lire son esprit. Il n'était que trop conscient d'à quel point ce genre de magie pouvait vite dégénérer. Leur expérience en soixante-quinze l'avait prouvé plus d'une fois : la magie de l'esprit était à manier avec précaution.
Severus l'observa avec attention pendant quelques secondes puis dût s'estimer satisfait de ce qu'il lut sur son visage parce qu'il laissa échapper un soupir las. « Il nous faut pourtant ce souvenir… Il est impératif que nous découvrions combien d'horcruxes il y a en tout… »
« On sait qu'il y a une bague… » lui rappela-t-il. « Peut-être qu'on devrait essayer de la trouver… »
« Il ne la porte pas à cette époque-ci, ce qui suggère qu'elle est effectivement cachée quelque part… » déclara l'homme. « Quant à savoir où… Peut-être le Directeur a-t-il sa petite idée là-dessus… »
Le sourire d'Harry n'aurait pu être décrit autrement que malicieux. « Je pourrais poser la question. Innocemment. À tout hasard. »
« Tu pourrais. » approuva Severus avec un léger sourire du même genre. Ses yeux noirs brillaient d'amusement contenu. « Imaginons que tu sois inquiet de ne pas parvenir à arracher de réponse à Slughorn et que tu souhaites t'assurer que le sort entier de la guerre ne repose pas là-dessus… » Il fronça les sourcils et l'amusement fit place à un sérieux à toute épreuve. « Cela étant dit, ne le laisse pas t'emmener où que ce soit. Je t'interdis de quitter le domaine, tu entends ? Il serait bien capable de t'entraîner dans une chasse aux chimères et te connaissant… »
Son inquiétude était évidente et Harry se retrouva déchiré entre son envie de lui faire plaisir et la certitude que si l'occasion de trouver un horcruxe se présentait, il la saisirait.
Il savait pourquoi Severus était si anxieux de mettre les mains sur l'un d'entre eux. Sans doute, le professeur voulait-il tenter d'exterminer l'horcruxe sans abimer l'objet… Pour mieux le libérer, lui, de l'abomination qui lui rongeait l'âme.
« Vous m'avez dit de ne pas faire totalement confiance à Dumbledore. Je n'ai pas oublié. » promit-il. « Une question n'engage à rien. »
Severus n'eut pas l'air entièrement convaincu.
« Pour ce qui est de Slughorn… Il est peut-être temps de passer à des méthodes moins… conventionnelles. » décréta le Professeur. « Il y a une fiole de veritaserum dans ma réserve personnelle. Tu sauras le reconnaître ? » Harry hocha la tête. « Une goutte devrait faire l'affaire. Prends garde d'être discret et de ne pas être interrompu. Il serait non seulement fâcheux que quelqu'un surprenne une conversation à propos des horcruxes mais son utilisation sans mandat du Ministère est illégale. »
« Encore faut-il que j'arrive à lui faire boire quoi que ce soit. » soupira-t-il. « Il va se méfier… »
Severus eut un mouvement d'humeur. « Si je n'étais pas si inutile… »
S'il n'avait pas été prisonnier de l'infirmerie, Harry n'avait aucun doute qu'il serait déjà en route pour les cachots, prêt à user de Legilimencie, qu'importe ce que Dumbledore y trouverait à redire. Après tout, à présent, il n'avait plus de rôle à jouer et, donc, plus rien à cacher.
« Vous n'êtes pas inutile. » gronda gentiment Harry.
C'était peut-être la dixième fois que Severus faisait une réflexion de ce type depuis qu'il s'était réveillé. Il ne semblait pas comprendre que sa convalescence, bien que longue, était déjà miraculeuse.
L'adolescent avait surpris une discussion entre McGonagall et Pomfresh. La situation aurait put être bien, bien pire et le fait que le Professeur parvienne déjà à se resservir de ses mains, même avec difficulté, était prometteur.
« Vous serez bientôt sur pieds. » insista-t-il lorsque Severus se renfrogna dans un silence boudeur. « Sev. »
Comme à chaque fois qu'il s'était aventuré à utiliser ce surnom, le Maître des Potions le fusilla du regard mais sembla également se détendre légèrement.
« Peut-être. » marmonna l'homme sans s'engager tout à fait. « Tu devrais retourner à ta salle commune. Il est tard. »
Harry aurait voulu s'attarder davantage mais le Professeur était intransigeant. Il voulait qu'il retrouve une routine, se couche à des heures raisonnables et mange à l'heure des repas comme si le monde tournait toujours rond.
Comme si le château entier, tout comme le reste de la communauté magique, ne retenait pas son souffle en attendant que Voldemort ne se décide à frapper.
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L'ombre se glissa près de son lit près d'une demi-heure seulement après qu'Harry soit parti. Occupé à attraper, serrer, et relâcher une balle molle qu'il avait fait apparaître avec difficulté plus tôt dans la journée, uniquement pour répéter l'opération, Severus ne daigna pas relever la tête. Si les Médicomages l'avaient surpris à ce petit jeu, elles l'auraient sans doute sermonné et lui aurait répété, une nouvelle fois, qu'il devait se ménager.
Ni Pomfresh, ni Andromeda ne semblait vouloir comprendre qu'il était impératif qu'il récupère au plus vite.
« Aucun chariot renversé, tu es parvenue à ne pas trébucher et ton sort de désillusion est pratiquement parfait… » déclara-t-il nonchalamment, de sa voix lente et caressante. Peut-être plus caressante que d'ordinaire, il fallait l'avouer. « Je suis presque impressionné. »
« Presque. » releva Nymphadora avec amusement, en se laissant tomber sans aucune délicatesse sur le lit au niveau de sa hanche.
Il parvint à contrôler la grimace de douleur avant qu'elle ne déforme ses traits. Ses boucliers mentaux étaient loin d'être ce qu'il aurait aimé qu'ils soient, malgré les heures qu'il avait passées à les reconstruire ces derniers jours. Occluder lui donnait la migraine mais il s'efforçait toutefois de réparer les dégâts sans se soucier de l'inconfort dans lequel il se trouvait.
Rien, dans tous les cas, n'était comparable à la morsure brûlante de la Marque. En dépit de tous les baumes de soin, elle continuait de le torturer. Inlassablement, sans répit ou signe de faiblesse, le maléfice le rongeait… A chaque fois que Promfresh ou Andromeda changeait le bandage, il s'étonnait que la magie noire n'ait pas encore consumé sa chair.
La jeune femme extirpa une fiole de la poche de son blouson et la porta à ses lèvres. Il avala le liquide sans trop de considérations superflues. Il lui était moins pénible de laisser Nymphadora l'aider à boire une potion qu'il ne le lui était d'autoriser Pomfresh ou McGonagall à l'aider à manger. Être forcé de laisser une des deux sorcières lui donner la béquée sous peine de renverser le plateau entier… C'était humiliant.
« Tu as parlé à Hermione ? » murmura-t-elle, en jetant un coup d'œil anxieux par-dessus son épaule, probablement au cas où une des Médicomages aurait eu l'idée de venir vérifier que tout allait bien. « Il ne reste pas énormément de potion dans le chaudron. » Il répondit distraitement par l'affirmative, la laissant prendre une de ses mains au creux des siennes. « Les tremblements ont un peu diminué… »
« Pas assez. » cracha-t-il avec dépit.
Il parvenait à peine à tenir sa baguette. Quant à utiliser un sort complexe…
Nymphadora se frotta les yeux, avant de passer la main dans ses cheveux rose.
« Ollivander a disparu. » annonça-t-elle, après avoir posé des protections discrètes. Bien moins efficaces que les siennes, nota Severus avec désapprobation. « Je ne sais pas si c'est très important… La moitié du Chemin de Traverse est désert… La plupart des boutiques restent fermées… Il n'y avait aucune trace de lutte… Je l'ai signalé à Remus à tout hasard. Dumbledore veut que l'on rapporte toute disparition bizarre. Quoi que bizarre signifie de nos jours… »
Ollivander…
Il ignorait si cela avait une quelconque importance… Le Seigneur des Ténèbres ne l'avait jamais mentionné et le vieillard était suffisamment excentrique pour être parti chercher des ingrédients dans la nature en négligeant d'avertir qui que ce soit, guerre ou pas guerre.
« Qu'en est-il de la vampire ? » s'enquit-il. Nyssandra était la prochaine sur leur liste de suspects et il enrageait d'autant plus de ne pas pouvoir s'en occuper lui-même.
L'espion… Slughorn… Les Horcruxes… Autant de questions qu'il aurait réglé un peu plus rapidement – et agressivement – s'il avait été libre de ses mouvements. Et en pleine possession de ses moyens.
« Je ne sais pas. » avoua-t-elle avec un soupir. « Je ne sais plus… »
Il lui fallut se concentrer pour lever le bras sans perdre le contrôle mais il parvint à effleurer sa joue de ses doigts tremblants. Elle eut un faible sourire et guida sa main plus fermement jusqu'à son visage, appuyant sa joue contre sa paume.
« Tu es épuisée, Nymphadora. » remarqua-t-il, non sans en éprouver un certain sentiment de culpabilité. C'était sa faute si elle revenait tous les soirs en Écosse. « Tu devrais aller te reposer. Utilise mes appartement, si tu le souhaites. »
Elle ne pouvait pas se permettre d'être épuisée, c'était trop dangereux. Elle était sur le terrain tous les jours, risquait sa vie tous les jours. Et, lui, pendant ce temps là…
Son dégoût de lui-même augmenta encore d'un cran.
Toutefois, et comme souvent, elle ne le laissa pas s'enfermer dans ce genre d'humeur noire. Avant qu'il ait véritablement compris ce qu'elle était en train de faire, elle s'était allongée dans le mince espace entre son flanc et le bord du matelas, sa tête sur son épaule. Il referma son bras sur elle par réflexe, de peur qu'elle ne tombe. Ses doigts tressautaient sur sa hanche et il ferma le poing pour ne plus avoir à voir les tremblements incontrôlables.
« Je te fais mal ? » demanda-t-elle, un soupçon d'inquiétude dans la voix.
« Non. » mentit-il, simplement parce qu'il ne voulait pas qu'elle parte. Pas tout de suite. « Ta mère est dans le bureau de Pomfresh. » se sentit-il obligé de rajouter.
« Les protections me réveilleront si elle approche. » marmonna-t-elle dans son épaule, déjà à moitié endormie. « J'ai de l'expérience en la matière. »
Qu'elle se serve de lui comme oreiller aurait probablement dû le déranger davantage…
