Enjoy & Review!
"It happens in the epilogue. The stories after the stories. Warriors who have fought return home, but find they no longer belong. The battle has changed them, warped them, to the point where they are strangers. They protected the society they love, but in so doing made themselves into something that could never again belong to it."
Starsight – Brandon Sanderson
« Ça se passe dans l'épilogue. Les histoires après les histoires. Les guerriers qui ont combattu rentrent chez eux, mais s'aperçoivent qu'ils n'y ont plus leur place. Combattre les a changés, les a déformés, jusqu'à être devenus des étrangers. Ils ont protégé la société qu'ils aiment mais, ce faisant, se sont transformés en quelque chose qui ne pourra plus jamais y appartenir. »
Starsight – Brandon Sanderson
Chapitre 47 : Warped
Il s'était écoulé trois jours depuis Cardiff et la brûlure sur son épaule la dérangeait toujours. Tonks n'avait toujours pas trouvé le temps d'aller la montrer à un Médicomage, se contentant de la soigner avec un baume qu'elle avait déniché au fond d'un tiroir de l'ancien bureau de Fol'Œil.
Peut-être que c'était ça le problème, songea-t-elle distraitement, en faisant jouer l'articulation de son épaule, tout en se penchant sur la carte étalée devant eux. De l'autre côté de la large table, les manches retroussées jusqu'aux coudes, exhibant ses propres brûlures et coupures en cours de guérison, Kingsley fixait lui aussi le gigantesque parchemin du regard comme si la solution allait miraculeusement apparaître.
Nymphadora avait depuis longtemps conclu qu'ils auraient beau étudier les plans d'Azkaban sous toutes les coutures, ils n'auraient pas plus d'idées. Mis à part un assaut frontal, elle ne voyait pas ce qui fonctionnerait.
Ils étaient seuls dans la salle de briefing pour le moment mais les plus jeunes recrues entraient et sortaient sans cesse pour leur porter un message ou relayer des informations, leur faire passer des mémos colorés en provenance de différents Départements, utilisaient la moindre excuse pour entrer dans la pièce. Elles ne cessaient, en bref, de venir les importuner…
Il fallait dire que, dans la partie principale du Département, l'ambiance était plus que morose.
Ils n'avaient même pas eu l'occasion de se battre et cela, les Aurors avaient du mal à le digérer. Lorsqu'ils étaient arrivés à Cardiff, il n'y avait eu aucun Mangemort à affronter. Juste une Marque des Ténèbres dans la nuit noire et un paysage apocalyptique là où la ville s'était tenue. Ils avaient cherché des survivants toute la nuit, avaient fouillé les décombres, déterré cadavre sur cadavre… Elle s'était blessée en essayant de sortir un chien qui avait miraculeusement réchappé du massacre de débris encore fumants, incapable de voir quoi que ce soit d'autre mourir cette nuit là.
Cardiff avait été un charnier comme elle n'en avait encore jamais vu.
Dumbledore était arrivé tard dans la nuit, la majorité des membres de l'Ordre avec lui, sauf les Professeurs qui étaient restés à Poudlard pour protéger l'école.
D'autres sorciers et sorcières avaient fait le déplacement de tout le pays, vers l'aube, une fois que le bruit avait commencé à courir. Pour aider. Pour essayer de faire sens d'une horreur telle que personne ne parvenait à l'expliquer.
La théorie qui avait atterri sur le bureau du Ministre, venue directement des tréfonds du Ministère, était que Cardiff se situait sur une ligne de pouvoir particulièrement forte et que Voldemort, quel qu'ait été son sortilège, s'en était très visiblement servie pour amplifier la destruction.
Objectif accompli.
La destruction avait été totale.
Les Moldus étaient en panique. Même les plus réticents d'entre eux à remarquer l'étrange ne pouvaient ignorer la disparition d'une ville aussi importante. Il n'y avait eu aucun moyen de couvrir la chose ou de seulement tenter de gérer les retombées. Le Code International du Secret Magique n'avait jamais été autant en danger.
Elle avait accompagné Scrimgeour chez le Premier Ministre Moldu, s'était tenue là, toujours couverte de cendres, de poussière et de sang, pendant que John Major perdait son calme et invectivait le Ministre de la Magie. Scrimgeour avait à peine réagi, comprenant sans doute que l'homme avait tous les droits de lui demander des comptes. Ils étaient arrivés à se mettre d'accord sur une histoire de tremblement de terre à l'ampleur catastrophique.
Percy et Kingsley les avaient attendus lorsqu'ils étaient revenus au Ministère avec la mauvaise nouvelle que le Magenmagot était en séance exceptionnelle et les attendait. Percy lui avait jetée un coup d'œil et, sans même demander l'autorisation, lui avait jeté un sortilège de nettoyage. Comme si ça avait été sa priorité…
Parce qu'ils étaient le numéro un et la numéro deux du Département des Aurors, c'était à elle et à Kingsley que les membres du Magenmagot avait demandé des comptes, à peine moins hostiles avec Scrimgeour, leur reprochant leur incompétence, les accusant presque d'être responsables de tous les échecs répétés du Ministère…
Tonks qui, jusque là avait évolué dans un état second, avait fini par perdre son calme et leur faire remarquer, malgré les tentatives de Kingsley et de Scrimgeour pour la faire taire, que s'ils avaient perdu moins de temps à s'acharner à faire passer Harry et Dumbledore pour des fous et un peu plus à se préparer pour le retour de Voldemort – déclenchant plusieurs bruits choqués au son de son nom – les choses auraient sans doute été différentes.
Ils avaient réclamé sa tête au bout d'une pique.
Dégoutée, fatiguée, elle avait craché qu'elle démissionnait.
Scrimgeour avait calmement déclaré que si elle partait, il partait avec elle, et Kingsley avait renchéri, laissant le Magenmagot extrêmement mécontent mais fort embêté car la vérité qu'ils préféraient tous ignorer était que, sans eux, le Ministère ne tiendrait pas une journée.
C'était il y a trois jours.
Et, depuis, elle et Kingsley cherchaient désespérément une solution plus proactive que d'attendre que les Mangemorts les attaquent.
« Café ? » soupira son partenaire, s'écartant de la table pour aller remplir sa tasse à la petite table dans le coin qui offrait thé ou café chaud à volonté. L'un comme l'autre était absolument révoltant mais ils subsistaient pourtant de ça et des sandwich insipides de la cafétéria depuis des jours : le café en intraveineuse, couplé de manière fort peu intelligente à des doses régulières de philtre de force.
Elle accepta et se laissa tomber sur une des chaises, observant les allées et venues de leurs collègues à travers les vitres qui donnaient sur l'open space. « Je n'en peux plus de regarder cette carte. »
« Même si on trouvait la faille… » remarqua Kingsley, en posant sa tasse nouvellement remplie devant elle, avant de fermer la porte d'un coup de baguette et de baisser la voix. « Soit on se fie à cette prophétie et on jette en pâture un ado de quinze ans à Voldemort, soit on espère que Dumbledore peut le vaincre. »
« Je croyais que tu étais son plus grand fan ? » se moqua-t-elle, sans hostilité. Elle n'avait pas assez d'énergie pour être hostile. Elle n'avait plus assez d'énergie pour rien.
Elle n'avait même pas assez d'énergie pour être triste ou en colère ou pour ressentir quoi que ce soit d'autre qu'une profonde lassitude.
« Je crois qu'Albus Dumbledore est le plus grand sorcier de ce siècle et qu'il est le seul à pouvoir nous sortir de là, oui. » répondit calmement son ami. « Mais Voldemort a détruit une ville entière. Seul. D'un unique coup de baguette. »
C'était ce qu'ils avaient pu tirer des rares témoins.
Voldemort. Seul. Un geste. Et puis le désastre.
Elle ferma les yeux, se frotta le visage… « Peut-être qu'on peut se servir de Grindelwald. »
Elle ne plaisantait même plus, c'était le plus triste. Et, là où elle aurait rechigné à se servir de qui que ce soit, fusse un mage noir, quelques semaines plus tôt, à ce moment là, elle n'éprouvait pas le plus petit remord de le suggérer.
« Il faudrait en discuter avec Dumbledore. » répondit Kingsley, ayant sans doute considéré la chose lui-même. « Il faut réunir l'Ordre. Ça fait trop longtemps. »
« Ces réunions sont une blague et le resteront tant qu'on n'aura pas trouvé par où filtrent les informations. » rétorqua-t-elle. « Tu sais que… » La porte s'ouvrit sans prévenir, l'interrompant. Elle jeta un regard noir à la jeune fille qui se tenait sur le seuil. « Qu'est-ce qu'il y a ? Et personne ne t'a jamais appris à frapper ? »
Pas une autre urgence, supplia-t-elle silencieusement, elle n'était pas en état d'aller se battre ou d'aller récupérer des cadavres.
Quant au fait qu'elle se comportait parfois comme Fol'Œil avec les jeunes, elle ne voulait même pas y penser.
« Désolée. » s'excusa la recrue, après s'être raclé la gorge. Elle entra dans la pièce, une large enveloppe à la main. « C'est sur votre bureau depuis ce matin, je me suis dit que c'était peut-être important. »
Nymphadora attrapa l'enveloppe par réflexe et la lâcha tout aussi rapidement, se reprochant immédiatement son manque de prudence.
L'enveloppe n'était pas une de celles qu'utilisaient les Départements du Ministère.
« D'où ça sort ? » demanda-t-elle sèchement, en faisant léviter la lettre dans les airs d'une torsion du poignet. Le sceau était vaguement familier. Deux S entrelacés en relief sur de la cire verte…
Elle avait vu le tampon sur le bureau de Severus, dans ses appartements, elle s'était même moquée de lui parce qu'il s'était fait faire un sceau sur mesure comme les Sang-Purs…
« Je ne sais pas. » offrit la jeune fille. « C'était déjà là quand j'ai posé un mémo sur votre bureau ce matin et je viens d'y retourner pour porter des papiers à signer et c'était toujours là alors… »
Tonks ne se détendit pas pour autant, jetant plusieurs sorts de détection sur l'enveloppe.
La jeune recrue l'avait touchée, elle aussi, et ne paraissaient pas s'en porter plus mal, mais cela ne voulait rien dire. Certains poisons étaient lents.
« Qu'est-ce qu'il y a ? » demanda Kingsley, congédiant la recrue d'un geste.
Ses sorts ne donnaient rien.
Elle claqua la langue, incapable de s'ôter de l'idée que quelque chose clochait.
« Je ne suis pas sûre. Ad Vinculat. » murmura-t-elle, s'assurant que le sortilège de confinement ait pris avant de décacheter l'enveloppe d'un coup de baguette. S'il lui prenait l'envie d'exploser, à présent, les dégâts seraient contenus à la sphère magique. Il ne se passa rien. D'un autre coup de baguette, elle fit léviter une carte et un écrin hors de l'enveloppe. La carte était rectangulaire, ornée de discrètes arabesques aux coins et elle en avait également vues des similaires sur le bureau de Severus, avec son nécessaire à correspondance. Il n'y avait rien d'écrit dessus mis à part la signature qu'elle savait être la sienne. Excepté que la signature était trop nette pour ses mains tremblantes et qu'elle avait été tracée à la plume et pas au stylo bille. « Tu veux bien jeter un sort de détection, s'il te plait ? Je ne trouve rien. »
Kingsley s'exécuta puis secoua la tête. « Je ne trouve rien non plus. Ni sur l'enveloppe, ni sur la carte, ni sur l'écrin. »
Avec réticence, elle annula le sort de confinement et celui de lévitation, laissant le tout retomber lentement sur la table. Elle ne fit aucun geste pour toucher quoi que ce soit.
Ce fût le moment que choisit Scrimgeour pour entrer dans la pièce, uniquement pour se figer lorsqu'il remarqua l'attitude tendue des deux Aurors.
« Que se passe-t-il ? » s'enquit le Ministre.
« Apparemment Tonks n'est pas très bijoux. » répondit Kingsley, sur le ton de la plaisanterie.
Ou, du moins, ce qui passait pour de la plaisanterie lorsqu'on était épuisé physiquement et moralement.
Tonks ne se laissa pas distraire, étudiant les trois objets, sourcils froncés. Elle jeta deux autres sorts de détection, plus poussés, qu'elle avait trouvés dans un des grimoires de Severus lors de sa convalescence dans les cachots. Ils ne révélèrent rien de plus.
« Severus Snape. » grogna Scrimgeour, en approchant suffisamment pour lire la carte. « Oserais-je demander pourquoi un Mangemort… Pardon, un ancien Mangemort tourné espion sur le tard vous envoie des bijoux ? »
« Je préfèrerais que vous restiez à distance, Monsieur le Ministre. » déclara-t-elle, en s'interposant entre lui et la table. « Je ne suis pas certaine qu'il y n'ait aucun risque. »
Ce n'était pas parce qu'elle ne trouvait rien qu'il n'y avait rien à trouver.
« Avec un ancien Mangemort, le contraire serait étonnant. » commenta l'ancien Auror, non sans sarcasme. « Mais vous le défendez toujours si farouchement dès que son nom vient dans la conversation, je suis surpris que… »
« Je suis quasiment certaine que ça ne vient pas de lui. » l'interrompit-elle, avec agacement.
« Ce n'est pas son écriture ? » demanda Kingsley, en attirant la carte plus près de lui du bout de sa baguette pour mieux l'examiner.
« Si. » confirma-t-elle. « Mais je pense que la carte date de quelques mois. Sa signature ne serait sans doute pas dure à se procurer. Le sceau sur l'enveloppe était aussi le sien mais il ne serait pas bien difficile à répliquer, non plus… » Kingsley et Scrimgeour échangèrent un coup d'œil qui en disait long. Elle lâcha un soupir. « Je sais que j'ai l'air paranoïaque mais… »
« Ça fait trois jours que nous campons ici, Tonks… » la coupa gentiment son partenaire. « N'est-il pas possible que tu lui manques, tout simplement ? »
Elle espérait bien qu'elle lui manquait parce que, lui, il lui manquait. Violemment. Elle aurait tout donné pour quelques minutes volées en tête à tête. Une étreinte, un baiser… Elle se serait contentée d'une conversation par cheminette.
Mais elle n'avait pas le temps.
Elle n'avait pas quitté le Ministère depuis Cardiff, avait dormi dans son bureau lorsqu'elle avait pris le temps de fermer l'œil quelques heures et les seuls contacts qu'elle avait eus avec Severus étaient le patronus qu'elle lui avait envoyé pour l'informer qu'elle allait bien et celui qu'il lui avait envoyé la veille. Le faon n'avait délivré aucun message particulier mais elle l'avait enlacé tout de même, avait posé la joue contre son flan, s'émerveillant de sa consistance, et s'était laissée imprégner de l'affection qui s'en dégageait.
Elle savait que c'était sa manière maladroite de lui dire qu'il pensait à elle.
De là à lui faire parvenir au Ministère une lettre avec un écrin à l'intérieur ?
« Ça ne lui ressemble pas. » insista-t-elle.
Percy passa la tête dans la salle de réunion, un épais agenda serré contre son torse. « Monsieur le Ministre, vous avez rendez-vous par cheminette avec le Président de la Magie français dans quinze minutes. »
« Weasley, trouvez-moi comment cette enveloppe est arrivée sur le bureau de Tonks. » ordonna le Ministre, en sortant sa baguette.
« Mais, monsieur… » protesta son assistant.
« Tout de suite. » l'interrompit Scrimgeour, avant de jeter un sort sur l'écrin. « Je ne détecte rien d'alarmant. Puis-je ? » Elle haussa les épaules, le regardant ouvrir l'écrin d'un coup de baguette. Il laissa échapper un sifflement admiratif. « Eh bien, on ne se moque pas de vous. »
Le plus ironique était qu'elle serait tombée amoureuse de la bague si elle n'avait pas été persuadée qu'il y avait quelque chose de très, très louche dans cette histoire.
Elle était très visiblement ancienne, une antiquité sans doute. L'argent était ouvragé, s'enroulait en spirales autour d'une large pierre d'ambre ovale qui avait la couleur chaude du miel. Un peu grande mais elle aurait pu la porter à l'index ou au pouce et elle n'aurait pas dépareillée des autres bagues qu'elle portait parfois.
Le bijou était magnifique et la mit immédiatement mal à l'aise.
À la seconde où la pierre fût exposée à la lumière, la température baissa brusquement de quelques degrés.
Ça aurait pu être mis sur le compte de la fatigue ou de la paranoïa…
« Fais monter un Langue de Plomb ou un Briseur de Sorts s'il y en a un dans le bâtiment. » demanda-t-elle à Kingsley. « Ça ne vient pas de Severus. Ma main à couper. »
Kingsley ne discuta pas, sans doute percevait-il lui aussi l'aura sombre qui se dégageait du bijou, et quitta la pièce.
Lorsqu'ils furent seuls, Scrimgeour poussa un léger soupir. « Loin de moi l'idée de vous dire qui fréquenter… »
« Tant mieux parce que je ne le prendrais pas bien. » l'interrompit-elle, sans se soucier de son impertinence.
Le Ministre lui jeta un regard sévère mais ne la reprit pas. « Il ne sera pas un atout pour votre carrière. »
« Je ne suis pas avec lui pour ma carrière. » rétorqua-t-elle.
Scrimgeour la dévisagea longtemps puis reporta son attention sur la bague. « Êtes-vous certaine qu'il ne s'agit pas simplement d'un geste d'affection ? Les hommes, aussi idiots soient-ils, se rappellent parfois que leur moitié apprécie ce genre d'attentions. »
Elle secoua la tête. « Il ne m'enverrait jamais ce genre de choses ici. » Ils ne s'écrivaient déjà pas en temps normal, n'avaient jamais échangé de cadeaux, alors le faire directement sur son lieu de travail ? Non, Severus ne ferait pas ça. « Et il ne m'offrirait pas de bague. »
C'était trop connoté.
Un collier ou un bracelet, à la rigueur, lui auraient paru moins suspects.
Une bague…
Severus maîtrisait trop la subtilité pour ça.
« Je maintiens, c'est donc un idiot. » déclara le Ministre, d'un ton paternaliste qui lui fit lever les yeux au ciel.
Percy revint à la charge sur ces entrefaites. « Personne ne sait comment l'enveloppe est arrivée là. Monsieur le Ministre, le Président français. »
« Oui, oui… » répondit Scrimgeour, en agitant la main. « Faites-le patienter quelques minutes. »
« Vous n'êtes pas obligé de rester, vous savez. » lâcha-t-elle. « J'ai déjà un suspect en tête. »
« Un autre Mangemort ? » suggéra-t-il, pince-sans-rire.
« Severus n'est plus un Mangemort depuis longtemps. » s'agaça-t-elle, en le fusillant du regard. Ses cheveux virèrent au rouge. « Il a risqué sa vie de trop nombreuses fois et a payé un trop gros prix pour que je vous laisse l'insulter comme ça, Ministre de la Magie ou pas. »
« Monsieur le Ministre. » soupira Percy, d'un ton déterminé. « Je me dois d'insister… »
« Quelques minutes, Weasley. » insista-t-il.
Percy n'avait pas l'air content du tout lorsqu'il partit et le lui fit comprendre d'un regard noir comme si c'était elle qui avait dérangé l'emploi du temps du Ministre.
Ce n'était pas tout à fait faux, supposait-elle.
« Vous méritez mieux. » décréta Scrimgeour, avant de lever une main en signe de paix. « Mais ce ne sont pas mes affaires et vous êtes suffisamment intelligente pour savoir ce que vous faites. Parlez-moi de votre suspect. »
« Il y a pas mal de gens qui veulent ma peau mais on m'a laissé entendre que Lestrange était proche de son frère. » expliqua-t-elle.
Kingsley revint accompagné d'un sorcier d'une quarantaine d'années qui ne se présenta pas mais portait les robes caractéristiques des Langues de Plomb. Ils attendirent tous en silence pendant que l'homme examinait enveloppe, carte, écrin et bague.
Il ne trouva rien sur les trois premiers mais, après plusieurs minutes, et quelques sortilèges déclara que la bague faisait l'objet d'une malédiction. L'aurait-elle passée à son doigt qu'elle se serait soudain mise à saigner par tous les orifices jusqu'à ce que l'hémorragie la tue. Cela aurait duré une poignée de minutes et aurait été très douloureux.
Charmant.
« N'avions-nous pas saisi l'inventaire du coffre des Lestrange ? » demanda Scrimgeour, nettement moins amusé qu'il ne l'avait été un peu plus tôt.
« Ce que Gringotts avait bien voulu nous donner. » marmonna Kingsley, aussi renfrogné que lui.
Nymphadora soupira. Elle aurait volontiers partagé leur indignation et leur colère, principalement parce qu'ils ne savaient toujours pas comment la bague était arrivée là, ce qui tendait à prouver qu'elle avait été déposée et que, donc, ils étaient infiltrés – non qu'il y ait véritablement un doute à ce sujet, le Ministère était un moulin – mais elle ne parvenait pas à rassembler assez d'énergie pour se sentir choquée qu'on ait essayé d'attenter à sa vie.
Le stratagème était grossier.
C'était presque vexant.
« Monsieur le Ministre… » Percy venait de réapparaître, plus déterminé que jamais.
« Allez-y. » soupira Tonks. « Je vais consulter l'inventaire… »
Mais ce n'était pas comme s'ils pouvaient faire beaucoup plus que de confirmer d'où venait l'attaque.
Scrimgeour pinça les lèvres, un air soucieux sur le visage. « Inspectez votre bureau de fond en comble et passez le reste des locaux au peigne fin. Discrètement. » Il lui jeta un regard embarrassé. « Une nouvelle fois, ce ne sont pas mes affaires, mais il y a un avantage certain à vos… fréquentations : Poudlard sera toujours plus sûr que votre appartement. Ne rentrez pas chez vous et certainement pas seule. » Elle voulut protester mais il lui jeta un regard sévère. « Ne prenez pas la chose à la légère. Ne vous en déplaise, il y a des personnels clefs que nous ne pouvons nous permettre de perdre et vous en faites partie. Poudlard ou l'une des cachettes de l'Ordre du Phoenix mais pas chez vous, Tonks. »
Elle était toujours irritée par cet ordre, deux heures plus tard, lorsqu'elle s'installa finalement pour consulter l'inventaire du coffre des Lestrange, après avoir fouillé son bureau sous tous les angles. Elle n'aimait pas l'idée de se laisser chasser de chez elle.
D'un coup, elle comprenait mieux l'insistance de Draco à demeurer dans les cachots.
Les Lestrange avaient beaucoup d'artefacts magiques ou non, de bibelots et autres pierres précieuses dans leur coffre. Une coupe apparemment inestimable, quatre colliers ensorcelés, une autre tonne de bric-à-brac…
Des pages et des pages…
Les Gobelins avaient rechigné à leur donner ne serait-ce qu'un inventaire vague et avaient visiblement décidé de les noyer sous la paperasse dans le but de diminuer la rupture de confidentialité avec leurs clients… Clients qui avaient toujours le droit de se servir dans leur coffre, recherchés ou non, parce que la banque magique respectait ses propres règles.
Il y avait bien quelques bagues catégorisées comme magiques sur la liste… Quant à savoir si c'était l'une d'elles ou non…
« Tu trouves ? » demanda Kingsley, au bout d'un moment.
Elle referma l'inventaire avec un soupir. « Non. Il y a plus important, de toute manière. Prêt à recommencer à étudier les plans d'Azkaban jusqu'à saigner des yeux sans l'aide d'une bague maudite ? »
Pour toute réponse, son partenaire offrit d'aller chercher davantage de café.
°O°O°O°O°
Sirius ne se souvenait pas de quand il avait pénétré dans la chambre de son frère pour la dernière fois.
Cela dit, il ne se souvenait pas de quand il avait parlé à son frère pour la dernière fois.
Que s'étaient-ils dit ? Avait-il été désagréable ? Agressif ? Avait-il reproché à Regulus de trop jouer au parfait Sang-Pur comme il le faisait souvent ? L'avait-il une nouvelle fois mis en garde contre l'influence de Bellatrix ? L'avait-il ignoré ? Rabaissé ? S'étaient-ils disputés ?
Il ne se souvenait pas.
On savait rarement qu'une conversation allait être la dernière…
Il dût se faire violence pour passer le seuil de la pièce, après avoir caressé du bout des doigts les initiales gravées sur la porte, tâchant de ne pas trop briser le silence qui régnait sur la maison. Remus était dans la bibliothèque et recherchait une explication à ce qui avait bien pu se passer à Cardiff comme si cela aurait pu faire une quelconque différence. Nyssa devait encore dormir puisque le soleil brillait toujours haut.
Remus avait eu l'air hagard lorsqu'il l'avait croisé en arrivant, toujours choqué par le degré de destruction dont il avait été témoin. Il n'avait pas eu les mots pour l'expliquer à Sirius, s'était contenté de l'étreindre… C'était peut-être le seul bon côté de son empoisonnement, décida-t-il. S'il n'avait pas été aussi malade, il aurait peut-être insisté pour accompagner Dumbledore et l'Ordre, même si le Directeur avait spécifiquement demandé aux Professeurs de demeurer au château, alertes et prêts à réagir en cas d'attaque. Les images dans la Gazette avaient été terribles mais n'étaient rien à côté de la réalité, à ce qu'il paraissait.
Cependant, s'appesantir sur ce qu'il ne pouvait pas changer n'aiderait personne, se rabroua-t-il, en allumant les lumières d'un lumos informulé. Il ferma silencieusement la porte dans son dos et fit quelques pas dans la pièce, son regard s'attardant sur le blason familial peint au dessus de la tête de lit, sur le Toujours Pur quelque peu fané par les ans, et sur les multiples coupures de journaux placardés au mur. Une collection entière d'articles consacrés à Voldemort.
Sa mission consistait à fouiller la chambre. Chercher le médaillon ou des indices.
Comme si ça avait été aussi simple.
Comme si se tenir au milieu de cette pièce n'était pas un crève-cœur.
Comme si les sentiments ambivalents qu'il éprouvait pour Regulus n'avaient pas menacé de le paralyser depuis des jours.
Ce n'était pas à cause du poison qu'il avait gardé le lit toute la journée, le lendemain de leur chasse à l'horcruxe, mais parce qu'il était assommé par la révélation que Regulus ait pu faire quelque chose d'aussi…
Où était son frère ?
Severus paraissait certain qu'il était mort mais il avait aussi pensé que l'Ordre l'avait tué or Sirius était certain que ce n'était pas le cas. Et si ce n'étaient ni les Mangemorts, ni Voldemort, ni l'Ordre… S'il n'y avait pas de corps… Était-il possible que son frère ait fui quelque part avec l'horcruxe pour essayer de le détruire ? Allait-il trouver un jeu de piste qui le mènerait à Regulus ? Un Regulus qui respirait toujours ?
Regulus aurait trente-quatre ans, à présent. À quoi ressemblait-il ? Quel genre d'homme était-il devenu ? Était-il possible que…
Folie, murmura une voix à l'arrière de sa tête. La voix de la raison.
Sirius ferma les yeux et souffla lentement. Cela faisait des mois qu'il n'avait plus imaginé de fantômes dans chaque coin sombre, qu'il avait cessé de se torturer avec le passé… Depuis qu'il était libre, depuis qu'Harry était revenu et que Severus le tenait occupé avec leurs recherches…
Mais le papier portant la signature de son frère n'avait pas quitté sa poche depuis trois jours.
Remplis la mission avant que Remus ne vienne voir ce que tu fabriques, se morigéna-t-il, en se forçant à bouger, à soulever la pile de livres abandonnés sur la commode… On aurait dit que le temps s'était figé dans la chambre, comme si son propriétaire allait revenir d'une seconde à l'autre. Tout avait été laissé tel quel mais il n'y avait pas une trace de poussière, cela ne sentait pas le renfermé, comme si le ménage avait été fait récemment… Kreattur sans doute. Pour mieux le torturer, lui.
Severus avait offert de l'accompagner.
Il aurait dû accepter.
Mais il n'était pas un gamin et cela était beaucoup moins suspect que lui fouille la chambre de son frère que de se faire prendre la main dans le sac avec l'ancien espion.
Sauf que Severus l'aurait obligé à se concentrer et l'aurait empêché de prêter attention aux spectres imaginaires qui ne vivaient que dans sa tête. Parce que Regulus n'était plus le gamin de huit ans que Sirius était en train d'imaginer sauter sur le lit et qui voulait tout savoir sur Poudlard.
Concentre-toi, se dit-il.
Bien évidemment, il n'y avait pas de flèches lumineuses désignant la cachette du médaillon. Il fouilla tous les endroits où son frère aimait gardait ses secrets – du moins, là où il avait aimé les cacher à l'époque où ils se parlaient encore – il souleva la latte branlante sous le lit mais n'y dénicha que des magasines, certains Moldus, qui avaient très visiblement été volés dans sa propre chambre.
Il fit coulisser le faux fond du placard, les rouages étaient grippés et crissèrent suffisamment fort pour alerter le reste de la maison probablement mais personne ne vint poser de questions alors il jeta un lumos pour éclairer l'intérieur de la cloison… Les robes noires et le masque d'argent finement ouvragé lui retournèrent l'estomac.
Il fouilla les tiroirs de la commode par acquis de conscience, remuant le linge mangé par les mites sans rien y trouver, retourna la vieille malle au pied du lit sans que rien ne lui saute aux yeux, avisa un coffret sur la table de nuit qui refusa de s'ouvrir, se souvint avec un temps de retard du Noël où Narcissa l'avait offert à son frère…
Mot de passe. Le coffret était protégé par un mot de passe, elle en avait eu un similaire. L'avait-elle encore ?
« Toujours Pur. » murmura-t-il, absolument pas étonné lorsque cela fonctionna. Regulus n'était pas le plus imaginatif.
Il y avait des lettres à l'intérieur.
Il en parcourut une ou deux, ne fût par surpris que la majorité d'entre elles soient de Bella… Il n'y avait rien là-dedans sur les horcruxes mais il emporta quand même la liasse juste au cas où pour les lire plus tard, pour vérifier qu'il ne ratait rien.
Il ouvrit et feuilleta les quelques livres dans la pièce au cas où quelque chose serait caché à l'intérieur mais ne trouva rien d'important.
À court d'idées, il attrapa une des photos, l'équipe de Quidditch de Serpentard. Son frère était devant au milieu, sérieux comme à son habitude alors que l'équipe chahutait autour de lui malgré les tentatives de Terrens pour y mettre bon ordre.
« Pourquoi est-ce tu n'es pas venu me trouver ? » siffla-t-il, plus en colère qu'il ne l'avait réalisé.
Si Regulus était venu lui demander de l'aide…
Parce que tu ne m'aurais pas écouté, répondit la voix de son frère, aussi nette que s'il s'était tenu dans la pièce.
« Sirius ? »
Il sursauta, pivotant automatiquement en levant sa baguette vers la voix, bien réelle, qui n'appartenait pas à un fantôme.
Nyssandra se tenait sur le seuil, une expression curieuse sur le visage. Elle ne portait qu'un tee-shirt, un tee-shirt qui lui appartenait, ses cheveux étaient en bataille et sa peau était encore marquée des plis des draps. Elle était belle à lui donner envie de la dévorer et le désir immédiat qui lui tordit le ventre l'aida à se recentrer bien davantage que ses tentatives ridicules de se répéter qu'il n'était pas fou.
« Qu'est-ce que tu fais ? » demanda-t-elle, sans jugement ou suspicion.
Pourquoi l'aurait-elle jugé ou suspecté alors qu'il se tenait dans la chambre d'un frère décédé à parler à sa photo, se dit-il, ce n'était sans doute pas la chose la plus étrange qu'il ait jamais faite.
« Je… Je n'ai pas arrêté de penser à lui, ces derniers jours. » lâcha-t-il. Ce n'était même pas un mensonge. « Je ne sais pas pourquoi. » Ça, c'était un mensonge, mais un qu'il couvrit en reposant lentement le cadre, lui tournant à moitié le dos. « Il est encore tôt pour toi, non ? »
« J'ai entendu du bruit. »
Il ne sursauta pas lorsqu'il sentit ses mains se poser sur ses épaules, descendre le long de ses bras… Elle s'était déplacée vite et en silence mais il n'avait jamais commis l'erreur d'oublier qu'elle était un prédateur mortel. Il ne résista pas lorsqu'elle l'enlaça, inclinant la tête lorsqu'elle frotta son nez contre son cou, lui offrant sa carotide…
Elle ne l'avait jamais mordu et elle ne le ferait pas.
Mais il aimait jouer avec le danger.
« Tu veux me parler de lui ? » demanda-t-elle doucement.
Il voulait la traîner hors de cette chambre et jusqu'à la sienne.
Il voulait la pousser sur le lit et oublier toute cette merde, prétendre pour un petit moment que la situation n'était pas aussi affreuse qu'elle l'était.
Il fût donc surpris de s'entendre lui raconter une stupide anecdote, d'un temps où Regulus n'était pas encore devenu le parfait héritier que lui n'était pas. Ses yeux le brûlaient, sa gorge le démangeait. Il le mit sur le compte de la poussière inexistante.
Il ne voulait plus éprouver ces remords, ce sentiment de gâchis, alors il se tourna, s'interrompant en plein milieu d'une phrase, et l'embrassa jusqu'à ne plus pouvoir respirer.
°O°O°O°O°
Nymphadora passa les grilles de Poudlard un peu avant l'heure du diner, non sans avoir fait un tour à Pré-au-Lard d'abord pour s'assurer que tout était en ordre. Quitte à se retrouver bannie de chez elle par ordre express du Ministre, elle avait décidé qu'elle pouvait se rendre utile – plus utile qu'au Ministère où Kingsley avait fini par décréter qu'ils n'arriveraient à rien tant qu'ils ne se seraient pas correctement reposés et lui avait interdit de passer une nouvelle nuit dans son bureau.
À Poudlard, l'air sentait bon l'été, le ciel était d'un bleu sans nuage et si les quelques élèves qui s'étaient installés dans le parc étaient un peu moins exubérants qu'à l'accoutumée, l'ambiance était tout de même relativement normale. Le contraste avec Londres, le Ministère ou le Chemin de Traverse était tel que cela lui fit presque un choc.
« Tonks. » appela la voix familière et chaleureuse de la sous-directrice alors qu'elle venait juste de passer les grande portes et se tenait, indécise, dans le hall d'entrée.
« Professeur. » la salua-t-elle, s'obligeant à sourire mais doutant fort d'être parvenue à dissimuler la lassitude et la fatigue incrustées sur son visage. « Vous m'évitez d'avoir à vous chercher dans toute l'école. »
« Minerva. » corrigea la sorcière, pas pour la première fois. « Que puis-je pour vous ? Vous venez juste de rater Albus, il est parti pour Londres à l'instant. »
« Rencontrer le Ministre, je sais. » soupira-t-elle.
Elle avait fait remarquer qu'il aurait été judicieux qu'elle ou Kingsley soit présent parce que Scrimgeour comptait discuter avec lui des possibilités d'attaquer Azkaban mais le Ministre semblait penser qu'elle et son partenaire tenaient à peine debout. À se demander où il était allé chercher tout ça.
McGonagall la dévisageait par-dessus ses lunettes avec un œil critique. « Venez avec moi, ma chère. »
Tonks ne chercha même pas à protester, se retrouvant, sans surprise, installée dans le bureau de la Directrice de Maison des Gryffondors, une tasse de thé généreusement sucrée à la main et une assiette remplie de petit sandwiches devant elle. Elle devait être plus fatiguée qu'elle ne le pensait parce que, sur l'ordre impérieux de la sorcière, elle but et mangea avec avidité et ne put qu'admettre une fois rassasiée qu'elle se sentait un plus alerte.
Elle jeta un regard coupable à la vieille femme qui l'observait avec désapprobation.
« Vous et Severus êtes bien pareil. » la rabroua-t-elle. « Vous êtes toujours la dernière personne dont vous vous souvenez de prendre soin. Oserai-je demander depuis quand vous ne vous êtes pas nourrie ? »
« J'ai mangé un paquet de chips à midi ? » avoua-t-elle, en grimaçant. Puis elle se souvint qu'elle était une Auror confirmée et pas une élève sous son égide et se racla la gorge. « Comment ça se passe avec les nouveaux Aurors que je vous ai envoyés ? »
McGonagall pinça les lèvres. « Eh bien, ils semblent parfois oublier qu'ils ne sont plus des élèves et je les retrouve fréquemment dans leurs anciennes salles communes avec leurs amis. Mais je suppose que vous le savez déjà. »
Elle soupira, se laissant aller un peu trop pour être professionnelle dans le confortable fauteuil qui faisait face au bureau de la sous-directrice. « J'ai dû redéployer les Aurors à la retraite qui servaient de formateurs et il faut bien que je case les recrues quelque part. Préférablement là où ils ne se feront pas tuer à la première baguette levée. »
Le Professeur hocha la tête. « Oui, c'est ce que Severus m'a dit. »
« Je vais être honnête, laisser l'école sans davantage de protection ne me plait pas, surtout avec votre… invité de marque. » lâcha-t-elle. « Mais, objectivement, j'ai besoin des Aurors plus expérimentés ailleurs et… Sirius est ici. Charlie et Anthony sont là, la plus grande partie du temps. Je suis ici assez souvent. Bill et Remus arriveraient dans la seconde. Sans parler de vous, Severus et de Dumbledore. La vérité c'est que Poudlard ne manque pas de gens qui savent se battre et seraient capable de tenir le temps que le Ministère redirige les Aurors. Ce n'est pas le cas d'autres zones plus vulnérables. »
« Je comprends bien. » soupira la sous-directrice. « Envoyez-nous vos recrues, nous leur trouverons bien quelque chose à faire pour les occuper. »
Elle se força à la remercier d'un sourire puis se frotta les yeux.
« Vous devriez aller vous reposer. » conseilla McGonagall, non sans compassion. « On m'a dit que Cardiff… »
« Je préfèrerais ne pas en parler. » la coupa-t-elle, en se levant brusquement. « Savez-vous où… »
« Dans son laboratoire, avec Horace. » répondit la sorcière, avant qu'elle ait pu terminer sa question. « Utilisez ma cheminée, si vous le souhaitez. »
La tentation de s'éviter une traversée du château était trop forte et elle accepta avec gratitude, émergeant dans le bureau du Directeur de Maison plutôt que dans ses appartements – de une, parce qu'elle n'avait pas envie de trébucher sur le pare-feu, de deux parce qu'elle n'était pas certaine qu'elle aurait résisté à l'envie de simplement aller s'écrouler sur le lit.
Les pierres humides et glissantes du passage secret qui menait à son laboratoire la firent grommeler entre ses dents. Elle trébucha trois fois mais finit par atteindre la porte. Elle frappa puis entra sans attendre.
Si Slughorn eut l'air surpris de la voir débarquer par la porte dérobée qui menait au bureau plutôt que par celle qui donnait sur le reste des cachots, il le cacha bien vite.
Quant à Severus, il avait dû sentir son intrusion au travers des protections. Ils n'avaient jamais discuté le fait qu'il les avait modifiées pour qu'elle puisse passer sans difficulté mais elle ne pouvait nier apprécier la manière dont sa magie embrassait la sienne à chaque fois qu'elle les franchissait. Au début, il lui avait fallu se frayer un chemin au travers ou attendre qu'il les lève pour elle… C'était un petit détail mais cela signifiait beaucoup.
« Je dérange ? » demanda-t-elle, bien que la question soit idiote.
Évidemment qu'elle dérangeait, ils étaient clairement en train de travailler.
« Donne-moi dix minutes. » réclama Severus, la regardant à peine.
Parce qu'il n'avait vraiment été inquiet pour elle ou parce que Slughorn les étudiait sans avoir l'air ?
Elle alla se percher sur la seule station de travail vide de la pièce, celle qu'ils avaient utilisée pour préparer l'antidote, agrippant le rebord de la table si fort que le bois laissa des échardes dans ses paumes. Elle n'écoutait pas leur débat sur les quantités de telle ou telle plante qu'il faudrait rajouter, observant sans vraiment la voir la faible lueur qui émanait de leur chaudron…
Ses jambes pendaient dans le vide, trop lourdes, et elle ne tarda pas à courber la nuque, laissant ses cheveux bruns retomber de par et d'autre de son visage…
Dix minutes s'étaient-elles écoulées lorsque les chaussures du Maître des Potions entrèrent dans son champ de vision ?
Lentement, elle releva la tête, réalisant qu'ils étaient seuls. À quel moment Slughorn était-il parti ?
« Dans quel état t'es-tu mise ? » murmura Severus, un peu tristement.
Il repoussa ses cheveux bruns en arrière pour mieux dégager son visage, l'étudiant avec attention. Elle aurait voulu se laisser aller complètement, tomber même, en sachant qu'il la rattraperait, pleurer, peut-être hurler…
Elle cilla et l'impulsion disparut mais trop tard pour ne pas qu'il la lise dans ses yeux.
« Tu ne mentais pas lorsque tu disais travailler sur tes boucliers. » remarqua-t-il, d'un ton neutre.
L'Occlumencie était la seule chose qui lui avait permise de rester debout, ces derniers jours, mais elle n'était pas sûre de totalement la contrôler. Ce n'était pas elle qui avait levé les boucliers, ils s'étaient mis en place tout seuls à Cardiff, comme si son esprit avait voulu se protéger de l'horreur ambiante. Et depuis elle ne ressentait plus rien ou très peu.
C'était reposant.
Un peu effrayant.
Cela aussi, il dût le lire sur son visage.
« Nymphadora… »
Il lui caressa la joue. Le geste était si tendre qu'il lui fit mal.
Elle baissa les yeux, s'efforçant de retrouver un peu d'entrain. « Juste pour être sûre… Tu ne m'as rien envoyé au Ministère aujourd'hui, hein ? »
« Bien sûr que non. » répondit-il, en fronçant les sourcils. « Pourquoi ? »
« On a déposé une enveloppe sur mon bureau avec ton cachet, une de tes cartes avec ta signature et une bague très légèrement maudite. » plaisanta-t-elle.
Ou essaya.
Cela tomba à plat.
Il avait l'air horrifié. À nouveau, il toucha son visage, ses yeux l'inspectant avec davantage de minutie, cherchant une blessure ou…
« Tu n'as rien ? » demanda-t-il.
Elle eut un bruit amusé. « Lestrange doit croire que je suis vraiment idiote. »
Severus secoua la tête, se rapprochant encore. Elle écarta automatiquement les jambes pour lui laisser plus de place, n'ayant rien contre l'idée de le sentir proche. Assise sur le plan de travail, comme elle l'était, leurs visages étaient presque au même niveau.
« Mon sceau, ma signature… » ragea-t-il. « Tu aurais très bien pu t'y laisser prendre. »
Elle leva les yeux au ciel. « Oh, s'il te plait… Ce n'est pas comme si tu avais l'habitude de me faire ce genre de surprises, ce n'est pas vraiment ton style. Je me serais méfiée même si ça avait été un simple bouquet de fleurs. »
Elle avait voulu le rassurer mais il l'observait maintenant avec incertitude et une vulnérabilité qu'elle devinait largement gommée par ses boucliers mentaux.
« Est-ce quelque chose que tu voudrais ? » hésita-t-il. « Des fleurs ou des attentions plus… romantiques. »
Il prononça le mot comme s'il l'avait personnellement offensé.
Elle n'avait jamais voulu lui donner l'impression de se plaindre ou de réclamer quelque chose. Grimaçant un peu, elle joua avec un des boutons de ses robes. « Ce n'est pas ton style. »
« Mais cela te ferait plaisir. » déduisit-il.
« Je n'ai pas besoin que tu me séduises. » se moqua-t-elle gentiment, en rencontrant son regard. « Je suis déjà tombée sous ton charme, au cas où tu l'aurais oublié. »
« Mais cela te ferait plaisir. » répéta-t-il, comme si c'était la seule chose qui importait.
Elle passa les bras autour de son cou, resserrant légèrement les jambes pour l'obliger à s'approcher encore…
« Tu sais ce qui me ferait plaisir, là tout de suite ? » murmura-t-elle, en effleurant ses lèvres des siennes.
Elle sentit la chaleur de ses paumes sur ses cuisses puis sur sa taille.
« Un bain, un repas chaud et une nuit complète de sommeil ? » suggéra-t-il, avec ce qui n'était pas tout à fait du sarcasme mais pas tout à fait de l'humour non plus.
« Aussi, mais plus tard. » admit-elle, cherchant sa bouche pour un baiser qu'il lui refusa. « Severus. »
Le gémissement frustré lui arracha un ricanement.
Elle le fusilla du regard, bien que ça manquait un peu de force. « Tu es cruel. »
« Très. » confirma-t-il. « Et toi épuisée. »
Elle l'était.
Suffisamment pour qu'elle sente les larmes lui monter aux yeux lorsqu'il se déroba à nouveau alors qu'elle tentait de l'embrasser. Il dût comprendre qu'elle n'appréciait pas le jeu parce qu'il fronça les sourcils et plaça une main sur sa joue, la forçant à incliner légèrement la tête en arrière.
« Nymphadora ? »
Elle n'avait pas les mots.
Elle ne savait pas comment expliquer qu'elle ne voulait ni se prélasser dans l'eau chaude, ni avaler quelque chose de bon ou même s'abandonner au sommeil, que l'idée même de faire l'une de ces choses lui tordait le ventre parce que c'était un luxe que tant de personnes n'auraient plus et…
« Nymphadora. » répéta-t-il, un peu plus fermement, son pouce retraçant lentement sa pommette. « Parle-moi. »
Elle secoua la tête, la voix rauque. « Je ne veux pas parler. Je veux juste… Je veux ressentir quelque chose. »
Son regard sombre cherchait le sien mais elle détourna les yeux.
« Si tu baisses tes boucliers… » conseilla-t-il.
« Je ne veux pas baisser mes boucliers. Je veux me sentir vivante. » répliqua-t-elle, un peu trop sèchement. « Et je te garantie que baisser mes boucliers ne m'aidera pas de côté-là. »
Si elle lâchait prise…
Non…
Non.
« Tu veux me faire plaisir ? Tu veux faire quelque chose pour moi ? » insista-t-elle. Il ne recula pas lorsqu'elle chercha à l'embrasser, cette fois-ci, mais il n'y répondit pas vraiment non plus. « C'est ça que je veux. »
« Tu es fatiguée. » protesta-t-il. « Et très visiblement bouleversée. »
« Et toujours très agacée quand des hommes essayent de m'expliquer mes propres sentiments comme si j'étais trop stupide pour savoir ce que je veux. » siffla-t-elle, l'attirant plus près, laissant sa main s'égarer entre leurs deux corps, éprouvant une satisfaction un peu trop prononcée lorsqu'elle l'entendit inspirer brusquement. « Oui ou non, Severus ? »
Il était si près de refuser.
Elle le lut dans ses yeux, la certitude que c'était une mauvaise idée ou qu'il ne devrait pas accepter par pur principe, parce qu'elle n'était pas entièrement maîtresse d'elle-même…
Mais elle savait ce qu'il aimait, elle savait comment le faire céder, et, lorsqu'il ferma les paupières sous l'effet de ses doigts, elle sut aussi qu'elle avait gagné.
Et il n'était pas particulièrement heureux qu'elle l'ait obligé à capituler. Il n'avait jamais vraiment aimé perdre la main mise sur la situation et n'aimait pas être manipulé, surtout pas par elle à qui il faisait confiance.
Il l'embrassa avec violence, arracha sa veste avec une agressivité à peine contrôlée…
Toutefois, ce n'était pas son contrôle légendaire qu'elle voulait à l'instant et cela lui convenait très bien comme ça.
Leurs mains étaient impatientes, exigeantes, se repoussant l'une l'autre pour aller plus vite, pour prendre le dessus, pour…
Cela ressemblait plus à un duel qu'à autre chose. S'il attaquait, elle répliquait. S'il reculait, elle allait le chercher. Il était en colère après elle, une colère rentrée, une colère soigneusement maîtrisée pour ne pas qu'elle transparaisse dans ses gestes, une colère qui enflait à mesure qu'elle le provoquait, et elle…
Elle, elle ne pouvait plus réfléchir.
Elle ne pouvait que ressentir.
Et c'était exactement ce qu'elle avait voulu.
Alors elle fit tout ce qui était nécessaire pour le faire sortir de ses gonds.
°O°O°O°O°
Severus était irrité et pas aussi satisfait qu'il aurait dû l'être étant donné ce qui venait de se passer.
Il n'était pas tout à fait certain d'à quel moment ils avaient réussi à retourner dans ses appartements, encore moins de comment ils étaient parvenus jusqu'à sa chambre, la dernière demi-heure était d'un flou quasiment total, perdue en sensations plutôt qu'en réflexions.
Ce qu'il savait, à cet instant précis, en revanche, c'était qu'il regrettait un peu d'avoir cédé à ses avances. Pas parce qu'il n'en avait pas tiré du plaisir mais parce qu'il n'était pas convaincu que, malgré ce qu'elle prétendait, cela lui avait fait du bien. Ils avaient eu de nombreux échanges au cours des derniers mois : passionnels ou tendres, sensuels ou légers, rapides ou étirés à la limite du supportable… Aucun de leurs rapports n'avait jamais été aussi brutal que celui-ci et il n'était pas certain d'être à l'aise avec ça.
Son dos le piquait là où elle l'avait griffé et il devinait qu'elle ne tarderait pas à arborer les marques de ses doigts sur ses hanches et ses poignets sous forme d'hématomes.
Or il ne voulait pas laisser de bleus sur son corps. Jamais. Pour aucune raison que ce soit. Pas même si elle l'encourageait en murmurant son nom à son oreille. Il y avait d'autres manières de se faire plaisir que d'attiser la colère de son partenaire jusqu'à ce qu'aucun d'eux ne soit plus maître de ses actes.
Couchée sur le ventre, s'en s'être préoccupée de remonter les draps sur son corps nu, elle refusait à présent de le regarder, gardait la tête résolument tournée et le regard rivé au mur, trop intensément pour qu'elle ne soit pas en train de penser à des choses déplaisantes. Chacun de ses muscles était tendu.
Rarement auparavant avait-il senti cette distance entre eux et jamais après l'amour.
La main qu'il posa sur son dos était hésitante. Elle tressaillit mais ne protesta pas, ne chercha pas à s'en débarrasser, alors il retraça distraitement sa colonne, étudiant avec un agacement certain la brûlure en passe de guérison sur son épaule. Soit, elle n'avait pas pris le temps de la soigner, soit le baume qu'elle avait utilisé était de piètre qualité. Il en avait un pot dans la réserve et prévoyait déjà d'en étaler une bonne dose sur la blessure avant de la laisser quitter son lit. Le problème était qu'il faudrait, pour ça, aller chercher l'onguent et qu'il n'était pas entièrement certain qu'elle serait toujours là quand il reviendrait.
Il ne savait pas comment interpréter son humeur à l'instant.
Cela faisait des semaines qu'il constatait, avec inquiétude, son abattement croissant mais il ne savait pas quoi dire ou quoi faire pour lui remonter le moral. Ce n'était pas comme si ce qui la tracassait était trivial, après tout. Ce n'était pas comme s'il était lui-même d'un optimisme délirant ou libre de tout tracas.
« T'ai-je fais mal ? » demanda-t-il, trop anxieux pour seulement tenter de le cacher. Il l'avait empoignée avec tant de brutalité, l'avait poussée sans ménagement, était pratiquement certain qu'elle s'était cognée contre une étagère à un moment… Elle n'avait pas été beaucoup plus tendre avec lui mais il ne se préoccupait guère de son propre sort. Ce n'était pas à elle de faire attention, c'était à lui. C'était lui qui avait le passif génétique d'une brute.
Au moins, la question eut le mérite d'attirer son attention.
« Non. » protesta-t-elle immédiatement, tournant légèrement la tête pour croiser son regard. « Non, Severus, bien sûr que non. »
Elle ne mentait pas.
Sa respiration se fit un peu plus facile et il se détendit légèrement. Il continua à caresser son dos, cataloguant, sans même s'en rendre compte, les quelques coupures en passe de se refermer, principalement sur ses épaules et ses bras et les hématomes déjà jaunis. Rien n'était aussi alarmant que la brûlure mais il comptait bien s'en occuper aussi avant qu'elle ne reparte sauver le monde.
Elle n'avait pas vu de Médicomage après Cardiff, cela était certain.
Il aurait dû prendre contact avec elle, décida-t-il, s'assurer qu'elle prenait correctement soin d'elle.
Mais elle n'était pas revenue à Poudlard et ils n'avaient pas pour habitude d'échanger d'hiboux – il ne faisait pas confiance à la poste sorcière, en règle générale, et encore moins depuis que le Seigneur des Ténèbres avait repris le pouvoir. Lorsque le silence était devenu insupportable, il lui avait envoyé un patronus qui était censé ne lui apparaître que lorsqu'elle serait seule. Mais il n'avait pas su quoi dire…
Il ne savait toujours pas quoi dire à l'instant mais savait qu'il devait dire quelque chose, que cela créerait un mauvais précédent s'il se taisait.
« Je ne suis pas étranger au besoin de trouver un… dérivatif face à des souvenirs dérangeants. » lâcha-t-il lentement, tâchant de mesurer chaque mot parce que la dernière des choses qu'il souhaitait était de la faire fuir. Il continua à caresser sa peau nue, attentif à ne pas toucher les petites plaies, aussi insignifiantes soient-elles. « Je n'ai aucune objection à ce que tu te serves de moi comme distraction, Nymphadora. Lorsque tu le souhaites. Comme tu le souhaites, que ce soit pour parler ou plus. Cependant… Plus jamais de cette manière ci. » Il déglutit péniblement, cachant mal, sans doute, le regret dans sa voix lorsqu'il effleura les marques que ses doigts avaient laissé dans le creux de sa taille. « Il est dangereux pour toi d'essayer de me mettre en colère lorsque… Je ne voudrais pas… »
Elle roula sur le côté pour lui faire face, alarmée. « Severus, tu ne m'as pas fait mal. »
« Mais j'aurais pu. » contra-t-il. Son visage se ferma lorsqu'il se mit à occluder. « Ne m'utilise pas comme un instrument de punition parce que tu te sens coupable. »
« Je n'ai jamais dit que je me sentais coupable. » protesta-t-elle, en s'asseyant, ramenant le drap sur sa poitrine.
« Tu n'en as pas besoin. » rétorqua-t-il. « C'est évident. »
Elle le fusilla du regard, écartant d'un coup de tête agacé les cheveux bruns qui lui tombaient dans les yeux. « Oh, bien sûr… Tout est toujours évident pour toi, hein ? Tu sais tout mieux que tout le monde. Mieux que moi, très visiblement. »
Il ouvrit la bouche et la referma immédiatement, au prix d'un très, très gros effort.
Sous l'irritation, la colère, dans sa voix, il y avait une véritable détresse. Et beaucoup d'impuissance.
« Je ne vais pas me disputer avec toi. » l'avertit-il.
« Trop aimable. » répliqua-t-elle.
Il s'assit lui aussi, appuyant les bras sur les genoux et regardant partout dans la pièce plutôt que vers elle. Il occluda la colère, il occluda le sentiment d'injustice…
« Je ne suis pas venue ici pour me disputer… » reprit-elle, un peu essoufflée, un peu trop sur la défensive.
« Trop aimable. » railla-t-il, avant de pouvoir s'en empêcher.
« Tu sais quoi… » s'énerva-t-elle. « Vas te faire voir ! »
Il attrapa son bras avant qu'elle ait pu rejeter le drap pour mieux faire une sortie fracassante. Preuve qu'elle ne devait pas avoir très envie de s'en aller, elle se figea, la tête baissée, sans rencontrer son regard.
« Nymphadora. » gronda-t-il, sans autant d'hostilité qu'il aurait pu y mettre. Elle courba un peu plus le dos. Il soupira, tirant gentiment sur son bras. « Viens ici. »
À son grand soulagement, elle ne lui résista pas et se fondit dans ses bras, se recroquevillant contre lui comme si elle voulait disparaître.
« Je suis désolée. » murmura-t-elle.
Il déposa un baiser sur le sommet de son crâne, resserrant son étreinte autant qu'il l'osa. « Inutile. »
« Si. » insista-t-elle. « Je suis affreuse depuis tout à l'heure et je ne sais même pas pourquoi… »
Il s'apprêtait à lui répéter que, au risque de se voir à nouveau accusé de lui expliquer comment elle se sentait, elle était très visiblement éreintée et que cela expliquait ses sautes d'humeur, lorsqu'il sentit l'intrusion dans ses protections. Aucune résistance, à peine un avertissement, parce que la personne était autorisée à entrer comme bon lui semblait.
« Il y a quelqu'un à la porte. » lâcha-t-il, en s'extirpant du lit, cherchant son caleçon sans le trouver.
« Harry ? » demanda-t-elle, en remontant à nouveau le drap sur elle.
« Non. » grimaça-t-il.
La porte d'entrée s'ouvrit et se ferma avec une négligence flagrante. « Servilus ? »
Où étaient passé ses sous-vêtements ? Ou ses vêtements, d'ailleurs ?
Il était conscient qu'ils en avaient semés quelques uns dans le laboratoire et probablement dans son bureau mais…
« Sirius ? » chuchota Nymphadora, avec une certaine panique. « Pourquoi est-ce qu'il peut rentrer comme il veut ? »
« En cas d'urgence. » expliqua-t-il, abandonnant sa quête de vêtements pour attraper la robe de chambre jetée au bas du lit. « Une erreur de jugement momentanée que je vais m'empresser de corriger. »
« Hello ? Snape ? »
La voix de Black était presque à la porte de la chambre.
Il lutta pour nouer la ceinture avec des mains peu coopératives et se dépêcha de sortir avant qu'il ait pu lui venir l'idée saugrenue d'entrer. Il prit grand soin d'à peine entrebâiller la porte et de la refermer derrière lui.
Black se figea, visiblement surpris de le voir apparaître tout à coup. Ou bien, se dit Severus, alors que l'homme l'étudiait de haut en bas avec un rictus moqueur, c'étaient les jambes pâlichonnes qui dépassaient de la robe de chambre et les pieds nus qui l'avaient surpris.
« Qu'est-ce que tu fais là ? » siffla-t-il, d'un ton menaçant. Aussi menaçant qu'il pouvait l'être, du moins, quand il ne portait qu'un morceau de laine sur le dos.
Black, pour sa part, ne semblait pas s'être aperçu qu'il était à deux doigts de recevoir un maléfice en plein visage. Il était trop occupé à le dévisager avec un sourire narquois horripilant, les sourcils levés.
« Je viens au rapport. » répondit-il. « Et toi, qu'est-ce que tu faisais ? »
« Je prenais une douche. » mentit-il. Stupidement. Depuis quand avait-il à se justifier sur ce qu'il faisait chez lui ? Il tâcha d'occluder le puéril sentiment de panique qui l'avait envahi, comme s'il avait été pris en faute.
« Oui, ça m'arrive de prendre ce genre de douche, moi aussi. » se moqua ouvertement Black. « J'en ai pris plusieurs avec Nyssa, tout à l'heure, d'ailleurs… »
Severus fit la grimace, n'ayant ni l'envie, ni le besoin, ni l'inclination de connaître ce genre de détails.
« J'espère au moins que tu t'es assuré qu'Harry ne risquait pas d'interrompre ta… douche. » continua l'Animagus.
L'accusation était si offensante qu'il oublia momentanément de l'envoyer paître. « Harry révise avec ses amis et n'a aucune intention de mettre les pieds ici, ce week-end. Pour qui tu me prends ? »
« Pour quelqu'un qui prend des douches au milieu de la journée et sème ses affaires partout. » ricana Black. « Si tu cherches ton caleçon, il pend au miroir là-bas. »
Il indiqua, d'un geste paresseux du pouce, par-dessus son épaule, le vieux miroir un peu opaque dans l'entrée. Auquel était effectivement accroché son caleçon.
Il y avait des humiliations dont même l'Occlumencie ne pouvait le sauver.
Le visage écarlate, il esquissa un geste pour attraper Black et le raccompagner à la porte par la peau du cou lorsqu'il y eut un bruit sourd derrière lui, suivi d'une bordée de jurons à peine étouffés.
Si Black avait été amusé jusque là, il jubilait à présent. « Attends, ce n'était pas une douche solitaire ? Il y a quelqu'un ? » Severus refusa de répondre et tenta, à nouveau, de l'attraper pour le traîner jusqu'à l'entrée mais l'homme esquiva avec un petit rire. « Servilus ! Tu ne m'as jamais dit que tu avais réussi à séduire Sinistra, petit cachotier ! Salut, Aurora ! »
« Ce n'est pas Aurora ! » grinça-t-il, parvenant finalement à l'attraper, un peu trop conscient du silence pesant de l'autre côté de la porte.
« Oh. » lâcha l'Animagus, en se laissant entraîner sans trop de résistance. « Désolé ! » cria-t-il, en direction de la chambre, avant de dévisager Severus. « C'est qui alors ? »
Ça aurait sans doute été un très bon moment pour tout avouer.
Sans doute.
Seulement, il rechignait à dire à Black qu'il fréquentait sa petite cousine – une cousine qu'il considérait très visiblement comme une petite sœur ou une nièce – alors qu'il était si évident qu'ils venaient de… Ce n'était pas qu'il tenait tant que ça à l'amitié de l'autre sorcier mais il s'était habitué à une relation plus cordiale et il était pratiquement certain de pouvoir deviner comment ce genre d'annonce serait prise étant donné le contexte…
Non, non, il n'allait certainement pas dire à Black qu'il couchait avec Nymphadora alors que son caleçon pendait au miroir de l'entrée. Caleçon qu'il décrocha au passage et enfouit dans sa poche, comme pour mieux effacer les preuves.
Il était chez lui, se répéta-t-il pour tromper son malaise, il était chez lui et y faisait ce qu'il y voulait.
« Ça ne te regarde pas. » gronda-t-il.
« Excuse-moi, c'est peut-être la future belle-mère de mon filleul, ça me regarde un peu ! » protesta son rival, en se tordant le cou pour regarder derrière lui, espérant visiblement que la jeune femme allait sortir de la chambre pour éclaircir le mystère. « Ou bien est-ce que c'est juste une histoire de fesses ? »
Severus parvint à ouvrir la porte d'entrée et à le pousser à l'extérieur mais uniquement, il en était conscient, parce que Black se laissa plus ou moins faire. « Bonsoir, Black. »
« Attends ! » exigea l'homme, avant qu'il ait pu lui claquer la porte au nez. Il était redevenu sérieux. Trop sérieux. Et il baissa la voix. « Je n'ai rien trouvé. »
Oubliant momentanément sa honte ou ce que la situation avait de gênant, Severus fronça les sourcils. « Tu es certain d'avoir cherché partout ? »
Black hocha la tête. « Il n'y avait rien dans sa chambre. Juste le costume du parfait Mangemort, masque inclus. »
« Dans ce cas, il faut fouiller le reste de la maison. » soupira-t-il. Ce qu'il avait espéré éviter.
« Ce soir ? » proposa l'Animagus.
Il hésita. Agir sous le couvert de la nuit aurait été intelligent…
Seulement, il ne voulait pas laisser Nymphadora, pas lorsqu'il était évident qu'elle n'allait pas bien.
« Demain après-midi. » décida-t-il. « Nous emmènerons Bill. Après tout, tu as bien le droit d'engager un Briseur de Sort pour évaluer ta collection d'artéfacts familiaux, n'est-ce pas ? »
Absolument pas dupe de la raison pour laquelle il ne voulait pas aller au Q.G. ce soir là, Black se remit à sourire comme l'abruti qu'il était. « Tu es sûr que ce n'est pas Aurora ? » Severus ferma la porte – et verrouilla les protections – mais ça ne l'empêcha pas d'entendre le rire dément de l'Animagus. « McGonagall ? Chourave ? Pomfresh ? »
Le Maître des Potions s'éloigna en secouant la tête, en se demandant si Harry lui en voudrait véritablement s'il assassinait légèrement son parrain. Peut-être un autre poison, songea-t-il, en rouvrant la porte de sa chambre, un qui…
Son petit fantasme de vengeance mourut dans l'œuf.
Nymphadora se tenait debout près de la commode où elle avait très visiblement récupéré le tee-shirt qu'elle utilisait d'ordinaire comme pyjama et qu'elle ne cessait d'oublier, pas si accidentellement que ça, dans la salle de bain. Il déduisit que c'était en l'enfilant qu'elle s'était cogné.
Il déduisit aussi que les chances qu'elle n'ait pas entendu les stupidités de Black étaient très minces.
D'abord, parce que sa poitrine se soulevait beaucoup trop vite.
Ensuite, parce que, malgré un effort visible, ses yeux étaient pleins de larmes dont certaines avaient débordé.
Et, enfin, parce que ses cheveux étaient un mélange entre le noir d'encre qui signifiait qu'elle était furieuse et un vert vif qu'il n'avait encore jamais vu.
Préventivement, il leva les deux mains devant lui, résistant à peine à l'envie de jeter un bouclier, se morigénant de ne pas avoir pensé à récupérer sa baguette plus tôt. « Nymphadora… »
« Sinistra ? » siffla-t-elle,
Il ne paniqua pas. Il refusait de paniquer. Il n'avait absolument rien fait de mal.
« Nymphadora… »
L'étui de cuir qu'elle portait habituellement sanglé sur son avant-bras était par terre à côté du lit, baguette toujours à l'intérieur. Elle le repéra, fit plusieurs pas vers lui, mais s'immobilisa lorsque Severus s'interposa, mains toujours levées.
« Il est inutile de perdre ton calme pour… » tenta-t-il.
« Perdre mon calme ? » répéta-t-elle. « Pourquoi est-ce que je perdrais mon calme ? Je suis très calme. »
Elle était tout sauf calme.
Mais étant donné qu'elle choisit de sortir en trombe de la chambre plutôt que d'essayer de récupérer sa baguette – que Severus, après un moment de considération, poussa davantage sous le lit juste au cas où il aurait besoin d'attraper la sienne en premier – il décida de ne pas le lui faire remarquer à voix haute.
Il la suivit.
Que pouvait-il faire d'autre ?
« Pourquoi est-ce que Sirius pense que tu couches avec Sinistra exactement ? » cracha-t-elle, en arpentant son salon de long en large.
« Parce que c'est un idiot qui saute sur la première conclusion venue plutôt que d'utiliser son cerveau. » lâcha-t-il.
« Et la première conclusion sur laquelle il pouvait sauter c'est que toi tu sautes Sinistra ? » tonna-t-elle, avec suffisamment de colère pour que sa magie lui échappe.
La tasse qu'Harry avait abandonnée sur la table basse et qu'il n'avait pas encore trouvé le temps de ramener dans la cuisine explosa.
Severus s'était retrouvé en danger de mort suffisamment de fois pour ne pas traiter la situation à la légère.
Ce n'était, de toute manière, pas tant sa colère qu'il redoutait que la douleur sur son visage, dans sa voix.
« Il a mal interprété une chose que je lui ai dite et il s'amuse depuis à me trouver des idylles parmi nos collègues. » expliqua-t-il, en s'efforçant de garder un ton placide, apaisant.
Elle lâcha un bruit qui n'avait pas grand-chose d'amusé. « Si c'est vrai, pourquoi est-ce que tu ne lui as pas dit la vérité ? Pourquoi est-ce que tu ne lui as pas dit que tu n'étais pas libre ? »
Il leva les yeux au ciel. « Je ne porte qu'une robe de chambre et tu voulais que je choisisse ce moment là pour lui dire ? Je suis à peu près certain de savoir ce qu'il aurait visé avec son diffindo… »
Elle ne trouva pas sa plaisanterie amusante.
« Ça fait des mois qu'on est ensemble ! » rétorqua-t-elle. « Et tu n'as toujours pas trouvé l'occasion de le lui dire ? »
« Le bon moment ne s'est jamais présenté. » se défendit-il.
Et, très bien, peut-être était-il un peu réticent à entacher leur relation nouvellement amicale. Or il craignait fortement que Black ne soit pas vraiment bien disposé à l'idée qu'il fréquentait sa cousine.
Il n'était, après tout, pas Remus Lupin et ne méritait pas l'approbation instantanée qui allait avec son amitié.
« Mais, visiblement, il y a eu un bon moment pour parler de Sinistra ! » contra-t-elle, en attrapant un presse-papier sur une étagère uniquement pour le reposer à un endroit différent. « Je te préviens, si je découvres que tu couches avec elle… » Elle ramassa un coupe papier, il retint sa respiration mais elle se contenta de le poser ailleurs. « C'est un fossile ! Elle doit avoir… »
« Elle est plus jeune que moi. » se sentit-il obligé de l'interrompre.
Une erreur vu le regard noir qu'elle lui jeta. « Pile ton genre, dans ce cas ! »
Elle referma la main sur un bibelot, ce coup-ci. Une statuette en forme de dragon qu'Albus lui avait ramenée d'un voyage en Chine quelques années auparavant…
Un objet au demeurant contondant.
« Nymphadora, c'est ridicule ! » explosa-t-il, n'y tenant plus. « Que fais-tu avec ça ? »
« J'essaye de me retenir de ne pas te le jeter à la tête ! » riposta-t-elle. « Ou d'aller pousser cette idiote de la Tour d'Astronomie ! Et, ce, si je ne lui fais pas manger un de ses foutus télescopes d'abord ! »
Un peu alarmé par le sérieux, le désespoir, dans sa voix, il traversa la pièce et lui arracha le dragon des mains. Bien heureusement, elle se laissa faire. Mais, en un sens, il aurait presque préféré qu'elle continue à hurler parce que les larmes qui coulaient sur ses joues…
Il les essuya du revers de la main, suprêmement mal à l'aise.
« Je ne veux pas te perdre… » souffla-t-elle, en cherchant son regard. « Je ne veux pas… Je la tuerai, je te jure que j'en suis capable… Ou… Ou peut-être pas… Mais je l'enfermerai quelque part et… »
« Inutile de planifier un kidnapping. » l'interrompit-il, son irritation se transformant lentement en amusement. « Je n'ai jamais été intéressé par Aurora. »
Ce n'était pas tout à fait vrai.
Ils avaient tous les deux été à Serpentard, ce qui leur avait fait un point commun. Qu'elle ait été pendant longtemps la seule autre enseignante en dessous de la barre des cinquante ans leur en avait fait un autre. Il aurait été malhonnête de nier qu'ils s'étaient brièvement tournés autour l'année où elle avait rejoint le corps professoral. Mais ce n'était pas allé beaucoup plus loin.
Severus n'avait jamais cherché de relations amoureuses.
Et il n'était pas suffisamment stupide pour lui avouer une vague attirance qui datait d'années auparavant et n'avait abouti à rien.
« Le vert n'est pas ta couleur. » se moqua-t-il gentiment, en tirant légèrement sur une des mèches colorées.
Elle n'était apparemment pas encore prête à en rire.
« Je ne veux pas te perdre. » répéta-t-elle, en agrippant l'épaisse laine de la robe de chambre avec une telle détresse que…
Il soupira, encadrant son visage de ses mains tremblantes pour mieux l'obliger à le regarder en face. « Tu ne vas certainement pas me perdre parce que j'aurais soudain décidé que je te préférais Aurora Sinistra. Elle ne t'arrive pas à la cheville, tu en es consciente ? Aucune femme ne t'arrive à la cheville. Tu es la seule que je vois. La seule à qui je pense. La seule que je… »
Il s'interrompit, rougissant légèrement et avec l'impression d'en avoir trop dit.
Il ne s'attendait pas vraiment à ce qu'elle éclate en sanglots.
Elle avait l'air à moitié horrifiée, à moitié paniquée. Probablement parce qu'elle venait de réaliser la scène qu'elle était en train de lui jouer.
« Je suis… Je suis désolée ! » hoqueta-t-elle. « Je ne sais pas… Je ne sais pas ce que j'ai… Je… »
Il l'attira contre lui parce qu'il ne voyait pas bien quoi faire d'autre. Il était à court de potions calmantes ce qui, étant donné les tendances d'Harry aux crises de panique et les examens qui approchaient, risquait de devenir un problème. Ses mains étaient loin d'être stables mais, dans un bon jour, peut-être pourrait-il essayer de… Une potion simple serait peut-être accessible s'il ne s'attendait pas à un résultat parfait ?
« Tu es épuisée. » la gronda-t-il. « Et puisque tu n'es pas sujette à ce genre de crises d'hystérie d'habitude, je pense, sans grande peur de me tromper, que tu as aussi besoin d'évacuer. »
Elle s'accrochait désormais à lui avec désespoir mais contrôlait plus ou moins ses sanglots. Elle secoua la tête et enfouit le visage dans le creux de son épaule.
Il lui caressa les cheveux, à peine rasséréné de voir que le noir et le vert avaient cédé la place au brun plus naturel. « L'Occlumencie est un outil extrêmement utile. Toutefois, on m'a fait remarquer à plusieurs reprises, et à raison, qu'en abuser n'était pas… sain. Ces sentiments que tu fuis en les emmurant derrière tes boucliers… Tu as besoin d'y faire face. »
« Je ne peux pas. » refusa-t-elle.
Il plaça une main à l'arrière de sa tête, appuya la joue contre sa tempe. « Je suis là. Tu n'es plus seule. »
« Tu ne comprends pas… » sanglota-t-elle. « Cardiff, c'était… Je ne peux pas. »
Il l'attira vers la chambre, ayant dans l'idée qu'elle allait soit s'écrouler de sommeil, soit s'écrouler de chagrin et que, dans les deux cas, ils seraient toujours mieux installés au lit. Elle se laissa faire, se rallongea docilement uniquement pour se blottir contre lui lorsqu'il la rejoignit sous les draps, comme si elle ne supportait pas l'idée de le lâcher.
Il la prit dans ses bras.
« Baisse tes boucliers et dis moi. » insista-t-il.
« Severus… » le supplia-t-elle.
« Je suis là. » répéta-t-il patiemment. « Explique-moi. »
Elle expliqua.
Lentement.
Par à-coups.
Entre deux crises de larmes.
Elle lui décrivit le désastre, le trou dans la baie, la fumée, les flammes, le cratère, les bouts de métal tordus et brûlants qui avaient été des immeubles, le désordre apocalyptique qui n'avait aucun sens…
L'odeur atroce de la mort qui se mêlait au spectre de la magie noire qui planait sur les lieux.
Les morts, en morceaux pour la plupart.
Ceux qui étaient en surface et ceux qu'ils avaient déterrés encore et encore en cherchant des survivants.
L'horreur.
L'impuissance.
La sensation que plus rien n'aurait jamais de sens parce qu'elle ne parvenait pas à comprendre ce qu'elle avait sous les yeux.
Elle parla jusqu'à ce que sa voix devienne rauque et qu'il ne reste que les larmes chaudes qui roulaient dans son cou.
Il continua de lui caresser inlassablement les cheveux, s'attendant honnêtement à ce qu'elle s'endorme mais lorsque ses pleurs se tarirent, elle était toujours bien réveillée – et luttait tellement pour le rester qu'il commençait à penser qu'il y avait un problème plus sérieux qu'un simple choix de ne pas privilégier son repos.
« Je suis désolée. » murmura-t-elle.
« Pourquoi ? » demanda-t-il, l'esprit toujours occupé par son récit glaçant.
Albus leur avait fait un résumé concis à son retour de Cardiff et Bill, qui était venu s'occuper de la Marque la veille, lui avait également décrit la chose avec un choc et une horreur évidents mais l'Ordre n'était arrivé qu'à l'aube et Nymphadora avait fait partie des premiers à arriver sur les lieux. Il n'imaginait pas à quel point la scène avait dû être pénible pour ceux qui avaient répondu à l'urgence.
Son rire sonna faux et un peu trop fatigué. « Tu n'as que l'embarras du choix… Pour t'avoir pleuré dessus pendant vingt minutes ? Pour t'avoir fait une crise de jalousie ? Pour t'avoir forcé la main tout à l'heure alors que tu n'avais pas très envie de… »
« Je t'assure que tu n'auras jamais besoin de me forcer la main pour ça, avoir envie de toi n'est jamais un problème. » plaisanta-t-il, déposant un baiser sur son front. Il ne résista pas lorsqu'elle chercha ses lèvres, savourant la tendresse du baiser pour l'excuse que c'était, aussi inutile soit-elle. « Quant au reste… Sais-tu que c'est la première fois qu'une femme est jalouse de mes fréquentations ? C'est presque flatteur, au fond. »
Elle rit à nouveau, enfouissant le visage dans son cou.
Il aurait préféré que son amusement n'ait pas cette lisière d'hystérie qu'il attribuait à l'épuisement mais il préférait les rires aux larmes.
« Juste pour clarifier, toutefois… » insista-t-il. « Il n'y a que toi. » Elle resserra le bras qu'elle avait passé autour de sa taille. « Je ne suis pas certain d'où tu penses que je trouverai le temps de t'être infidèle, par ailleurs. »
La taquinerie ne lui arracha pas de nouveau rire.
« On est en train de perdre. » lâcha-t-elle, d'un ton las.
Et voilà, se dit-il, ils touchaient enfin au cœur du problème.
« Poudlard, c'est comme… » reprit-elle lentement. « C'est comme l'œil au milieu de la tempête. À chaque fois que je viens ici… » Elle souffla longuement, descendit un peu jusqu'à ce qu'elle puisse caler la tête sur son torse. La manière dont elle écarta légèrement les pans de la robe de chambre d'abord, pour que son oreille soit contre sa peau ne lui échappa pas. C'était son cœur qu'elle voulait entendre. Une preuve de vie. « La tempête, elle est là dehors. Et on est en train de perdre. Je pense… Je pense qu'on a déjà perdu. »
Il posa une main sur son épaule, attentif à éviter la zone de la brûlure. « Ce n'est pas un bon état d'esprit. »
« Mais c'est la vérité. » riposta-t-elle, avec un peu trop de désespoir. « Tout à l'heure… Tout à l'heure, je me suis dit que j'aurais aussi bien fait de passer la bague de Lestrange parce que c'est comme ça que ça va finir de toute manière. Tout le monde va mourir et… »
Il la tira à côté de lui pour pouvoir la regarder en face, un peu trop brutalement peut-être, mais…
« Non. » cingla-t-il. « Tu ne peux pas raisonner ainsi. Si tu commences à raisonner ainsi… »
Ce serait terminé.
Elle mettrait juste une seconde de trop à jeter un bouclier, juste un instant de trop à esquiver un sort de mort, juste un..
Il croisa son regard, n'eut pas à pousser beaucoup pour effleurer son esprit… Elle avait finalement baissé ses boucliers et n'offrait aucune résistance. Il ne voulait pas envahir son intimité de cette manière mais cela ne l'empêcha pas de sonder les émotions à la surface, le désespoir un peu trop prononcé l'effrayait.
Il cilla, mettant un terme à l'échange, pas tout à fait sûr qu'elle avait seulement senti l'intrusion vu l'état de nerfs dans lequel elle était.
« J'ai passé ma vie entière à attendre la mort, Nymphadora. » avoua-t-il.
Il ne se souvenait pas d'un moment où il n'avait pas craint pour sa vie. Un de ses premiers souvenirs était le corps meurtri de sa mère qui se trainait sur le sol de la cuisine, la certitude qu'il serait le prochain. Cela ne s'était jamais arrangé. Pendant des années il avait attendu le coup de trop, l'accident qui l'enverrait se briser la nuque contre le coin d'une table ou la plaie trop profonde ou mal placée qui le laisserait se vider de son sang. Et puis, plus tard, le Seigneur des Ténèbres et, à certains moments Dumbledore, avaient remplacé Tobias.
La mort lui avait toujours rôdé autour. Sa forme Animagus n'était pas un hasard.
Et il avait attendu.
Attendu et attendu.
« Crois-moi lorsque je te dis que ce n'est pas une bonne manière de vivre. » lâcha-t-il, trop d'émotions dans la voix.
« J'ai peur. » confessa-t-elle. « Là dehors… Ce n'est vraiment pas beau, là-dehors, Severus. »
Partons.
C'était sur le bout de sa langue, seulement muselé par la certitude que ni elle, ni Harry, n'y consentiraient.
L'idée était pourtant là, dans un coin de sa tête, depuis un moment. Partir. Ne pas se retourner. Créer une nouvelle vie ailleurs.
Il aurait pu le faire, en aurait été parfaitement capable… Ou du moins c'était ce dont il aurait voulu se convaincre.
« Rien ne t'oblige à y retourner. » offrit-il à la place. Ce qui était tout aussi stupide. Il la connaissait mieux que ça.
Son sourire était triste et il l'effaça du bout des doigts.
« Je t'interdis de mourir. » gronda-t-il. « Je t'interdis de mourir après m'avoir donné envie de vivre. Nous survivrons à cette guerre, toi, Harry et moi, même si je dois tuer le Seigneur des Ténèbres à mains nues, tu m'entends ? »
Elle l'embrassa avec ce même désespoir qui brillait dans ses yeux.
Il mit un terme au baiser mais garda les paupières closes, le front pressé contre le sien, se sentant tout à la fois ridicule et trop fatigué pour s'en préoccuper.
« Ne m'oblige pas à te perdre, Nymphadora. » supplia-t-il.
Parce que cette seule idée lui donnait l'impression qu'on lui ouvrait la poitrine en deux pour mieux lui arracher le cœur.
Il était déjà passé par là.
Il refusait de le revivre.
« Je ferai de mon mieux. » promit-elle. Elle pressa un court baiser sur ses lèvres, puis un autre. « Sinistra ne sait pas ce qu'elle perd. »
Il accueillit la tentative de plaisanterie d'un bruit amusé, rouvrit les yeux pour mieux la regarder, se força à revenir aux considérations pratiques…
« Tu as besoin de dormir. » déclara-t-il. Elle secoua immédiatement la tête. Il lui jeta son regard le plus sévère mais elle était immunisée depuis le temps. « Tu ne tiendras pas à ce rythme. » Devinant le problème, il se tourna pour pécher une fiole dans le tiroir de sa table de nuit. « Potion de Sommeil-sans-Rêves. Pour ce soir uniquement. »
« Non… » refusa-t-elle, mais il sentait qu'elle était tentée. « S'il y a une urgence… »
« S'il y a une urgence, ils se passeront de toi. » décréta-t-il, en plaçant la fiole dans sa main. « Tu as besoin de repos, Nymphadora. Tu n'aideras personne en te faisant tuer. »
Elle hésitait encore.
Et il n'était pas au-dessus d'une petite manipulation bien placée pour la forcer à prendre soin d'elle-même.
« S'il te plait. » insista-t-il, en dégagea ses cheveux de son visage. « Mon amour. »
Les mèches brunes virèrent immédiatement au rose sous ses doigts et le regard qu'elle lui jeta lui indiqua qu'elle n'était pas tout à fait dupe de son manège mais cela n'avait pas d'importance parce qu'elle déboucha la fiole et l'avala après seulement un moment d'hésitation. Elle se pelotonna contre lui et il la laissa faire, satisfait de la savoir en sécurité.
Étant donné son état de fatigue, il ne fût pas surpris qu'elle s'endorme dans la seconde.
Il resta là un long moment, à écouter sa respiration profonde et régulière, à fixer le plafond du regard, sa main se perdant parfois dans la masse de ses cheveux bruns…
Le sommeil le fuyait. Il jeta un Tempus, s'étonna presque qu'il soit encore si tôt mais comprit pourquoi son corps n'était pas prêt au repos. Après une légère hésitation, parce qu'il n'aimait pas l'idée de la laisser alors qu'elle était si vulnérable, il s'assura qu'elle était bien installée, au chaud, et se glissa hors du lit.
Il se rhabilla en silence, pantalon et chemise, sans s'embarrasser de ses lourdes robes, avec la vague idée qu'il allait jeter un dernier coup d'œil à l'examen de Potions pour les A.S.P.I.C.s auquel il manquait toujours au moins deux questions et, peut-être, s'il avait le temps, étudier à nouveau l'ébauche de rituel qu'ils comptaient employer pour transvaser l'horcruxe. Une fois qu'ils l'auraient trouvé.
Mais d'abord…
Ramasser leurs vêtements fût un jeu de piste.
La plupart était dans le tunnel qui menait de ses appartements au bureau du Directeur de Maison. Et dans celui qui allait au laboratoire, encore que quelques uns avaient été jetés dans la pièce. La dernière chose qu'il ramassa fût la veste en cuir de la jeune femme qui avait atterri dans un chaudron heureusement vide.
Secouant la tête à leur stupidité, il rebroussa chemin, les bras chargés de vêtements, de sa canne et de chaussures, déjà reconnaissant que personne ne l'ait pris sur le fait. L'intervention de Black était suffisamment humiliante comme ça.
Ce fût, bien évidemment, au moment où il avait cette pensée précise, alors qu'il traversait son bureau, que le patronus apparut dans la pièce.
Severus fusilla le phœnix argenté du regard comme si le patronus avait été capable d'aller rapporter à son maître ce dont il venait d'être témoin – encore qu'avec Albus, il n'aurait jamais parié contre l'impossible.
« Venez dans mon bureau, Severus. » exigea Dumbledore. L'ordre n'était même pas déguisé. « Tonks est la bienvenue. »
Il n'allait certainement pas la réveiller avant de savoir quelle nouvelle catastrophe allait leur tomber dessus.
Il lui vint bien à l'idée, alors qu'il époussetait les robes qu'il avait portées plus tôt et les renfilait, qu'Albus avait découvert le pot aux roses de l'horcruxe mais qu'il invite Nymphadora à assister à ce qui ne serait ni plus ni moins qu'un long pugilas lui paraissait improbable. Sauf si Lupin en avait compris plus qu'il n'en avait laissé paraître et avait vendu la mèche…
Il s'assura que ses boucliers étaient dressés et toutes ses défenses en place avant de traverser la cheminée vers le bureau du Directeur, canne à la main. Il s'attendait à trouver Albus trônant derrière l'énorme bureau en bois massif, peut-être Grindelwald dans le coin… Le mage noir n'était nulle part en vue et pour cause…
Rufus Scrimgeour se tenait devant la fenêtre, les mains croisées dans le creux du dos, l'air très mécontent. Albus était bien assis derrière son bureau mais paraissait plus amusé qu'autre chose. Il y avait un troisième homme, avec une lourde besace sur l'épaule, qui se débattait avec un énorme appareil photo qui laissait échapper un peu de fumée à chaque cliché.
Et il prenait cliché sur cliché.
Abasourdi, Severus se tourna automatiquement vers le vieux sorcier pour une explication qui ne vint pas immédiatement.
« Vous êtes seul ? » demanda Albus, son regard s'attardant sur la cheminée, s'attendant visiblement à ce que Nymphadora en sorte.
« Elle a besoin de repos, alors à moins que nous soyons en passe d'être assiégés… » rétorqua-t-il, avec moins de mordant qu'il l'aurait voulu. Il était évident qu'ils n'allaient pas être attaqués dans la minute. Quant à ce que le Ministre faisait là…
« Très bien. Dans ce cas, procédons. » grommela Scrimgeour, en sortant quelque chose de sa poche.
Severus esquissa par réflexe un geste pour tirer sa baguette mais un doigt levé impératif d'Albus le stoppa. Le tout resta suffisamment discret pour que personne ne le remarque.
Avant qu'il ait pu comprendre de quoi il retournait, Scrimgeour approchait et épinglait quelque chose sur son torse avec un sourire de façade, avant de lui serrer la main, le tout mitraillé par le photographe. La seule raison pour laquelle il se laissa faire fût l'ordre net dans le regard du Directeur.
« J'ai tout ce qu'il me faut. Ça sortira demain matin. » décréta ce dernier. « Au revoir, Professeurs. Monsieur le Ministre. »
« Quelqu'un va-t-il m'expliquer ce qu'il se passe ? » exigea-t-il finalement, lorsque le photographe eut quitté le bureau. Il arracha la chose épinglée sur sa poitrine, parvenant finalement à voir ce dont il s'agissait…
Une lourde médaille en or frappée du M ministériel, accrochée à un ruban vert qui indiquait le rang de Commandeur du Grand-Ordre de Merlin. Plus communément appelé un ordre de Merlin première classe.
« Est-ce une plaisanterie ? » s'étouffa-t-il à moitié, en tenant la médaille à bout de bras.
« Je préférerais. » déclara le Ministre.
« Allons, Rufus… » intervint Albus, en se levant et en contournant le bureau pour venir se tenir à côté de Severus. « Nous en avons discuté. »
Ils avaient discuté de lui remettre une décoration pour laquelle un grand nombre de sorciers auraient tué ou, tout du moins, payé une fortune ? Première nouvelle. À sa connaissance, Albus était parti à Londres débattre des possibilités d'attaquer Azkaban. Comme s'il avait lu ses pensées – impossible étant donné la prise ferme qu'il avait sur ses boucliers – le Directeur lui adressa un sourire amusé. « C'est, du moins, venu dans la conversation. »
« Le Ministère ne reconnait pas l'Ordre du Phoenix comme une entité officielle. » expliqua sèchement Scrimgeour, en le dévisageant toujours comme si rien ne lui aurait fait plus plaisir que de l'arrêter et le trainer devant un tribunal. « En conséquences, vos activités d'espionnage n'étaient, jusque là, pas reconnues par le Ministère. Vous voilà Commandeur du Grand-Ordre de Merlin pour services exceptionnels rendus à la patrie au lieu d'un Mangemort aux loyautés discutables qui pourrait être trainé devant le Magenmagot si l'envie prenait à un Auror de venir regarder votre avant-bras de trop près. »
« Rufus. » le rappela à nouveau à l'ordre Albus.
Severus ne comprenait rien.
Certes, il était appréciable de savoir qu'il avait la garantie de ne pas être incarcéré à cause de la Marque sur son bras mais… Il se tourna vers le Directeur, s'arrêtant à la première conclusion possible. « Le Seigneur des Ténèbres essayait-il de m'atteindre par la voie officielle ? »
Cela n'aurait pas été un si mauvais plan.
Le faire arrêter par les Aurors pour ses activités de Mangemort. Aurors qui n'auraient pas manqué de le ramener au Ministère où il aurait été beaucoup plus simple pour un Mangemort infiltré ou un sorcier sous imperium de le livrer sur un plateau au Seigneur des Ténèbres.
« Ah, je crains que l'idée ne soit pas venue de moi mais de Rufus. » offrit le vieux sorcier, ses yeux pétillants d'amusement. « Il semble que Tonks ait quelque peu bousculé le Magenmagot. »
« Elle s'est faite plusieurs ennemis. » acquiesça Scrimgeour.
Le visage de Severus se durcit alors qu'une colère sourde enflait en lui. Le Magenmagot et leur inutilité criante – et croissante – aurait dû la remercier à genoux d'en faire autant pour la communauté magique et certainement pas…
« Elle semble les collectionner. » remarqua-t-il froidement.
« Ceux-ci sont politiques. » répondit le Ministre. « Moins dangereux mais pas moins tenaces. » L'homme soupira. « Elle finira à la tête du Département si ce n'est plus haut et, malheureusement, qu'on le veuille ou non, c'est un poste politique. Il est inutile de donner davantage de munitions à ses opposants. Raison pour laquelle il fallait vous légitimer. »
Scrimgeour avait l'air d'avoir avalé une potion particulièrement répugnante.
Oh, il ne l'aimait pas beaucoup.
Sans doute pensait-il que Nymphadora aurait pu trouver mieux que lui. Il n'avait pas tort. Mais Severus était bien trop égoïste pour lui rendre sa liberté alors qu'elle ne voulait pas la prendre.
De plus, cela allait en sa faveur. Légitimer publiquement sa position d'espion, faire de lui une figure de héro de guerre au lieu du Mangemort aux loyautés douteuses… Ce n'était pas tant la gloire ou la reconnaissance qu'il convoitait, il avait cessé de se préoccuper de ce genre de choses il y avait un moment, mais un héro de guerre, un Commandeur du Grand-Ordre de Merlin…
Un homme de cette trempe avait davantage de chances d'être autorisé à adopter le Survivant.
« Bien. Puisque nous en avons terminé… » lâcha le Ministre, en saluant le Directeur d'un geste sec de la tête. « Albus. Ne me raccompagnez pas, je connais le chemin. »
« Un Ordre de Merlin première classe ne s'accompagne-t-il pas habituellement d'une faveur ministérielle ? » demanda-t-il, avant que Scrimgeour ait pu quitter le bureau.
L'homme se figea puis l'observa avec un amusement qui se disputait à l'hostilité. « Comme ne pas terminer dans les oubliettes sous le Ministère, par exemple ? »
« Par exemple. » répondit calmement Severus, non sans ironie.
Albus n'était d'aucune aide. Il se tenait là, à picorer des bonbons au citron dans une boite sur son bureau, s'étant apparemment désintéressé de la conversation…
« On ne peut pas dire que vous manquiez de culot. » se moqua Scrimgeour. « Eh bien, que voulez-vous ? »
L'espace d'une seconde, l'idée folle lui vint de réclamer Harry. En temps normal, si la chose avait été plus officielle, dans un autre contexte… Demander la facilitation de l'adoption avec l'accord de l'adolescent et de son parrain n'aurait sans doute pas été si fou que cela… À l'instant, il était pratiquement certain que cela ne passerait pas, surtout avec Albus qui feignait de ne pas écouter mais qui était sans doute à l'affut.
La question des Dursley n'avait pas encore été abordée et Severus ne serait pas le premier à soulever le sujet.
« Elle ne m'en remerciera pas mais… » hésita-t-il. « Elle est exténuée. »
Il ne précisa pas de qui il parlait, c'était inutile.
Il crut voir un éclat d'approbation dans le regard du Ministre mais, qu'il soit Occlumens ou simplement excellent politicien, l'homme était également impénétrable.
« Dites lui de prendre sa journée, demain. » déclara Scrimgeour. « Et, comme je la connais, dites lui que je ne veux pas la voir avant au minimum quatorze heures et que c'est un ordre. »
« Merci. » lâcha-t-il, même si cela lui arrachait quelque peu la bouche. Il n'était pas exactement étranger à la politique, lui non plus, et était parfaitement conscient que se mettre à dos le Ministre de la Magie alors que Nymphadora occupait un poste haut placé au Ministère lui nuirait à elle.
« Ne me remerciez pas. Je n'ai rien fait de tout ça pour vous. » rétorqua le Ministre, en l'étudiant comme s'il était un mystère. « Elle vous défend farouchement, vous savez. Ne lui faite pas avoir tort. Méritez la. »
Et sur cette injonction, Scrimgeour quitta la pièce, refermant lourdement la porte derrière lui.
Bien évidemment, la porte ne fit pas un bruit.
Severus se demanda si cela agaça le Ministre autant que cela agaçait le corps professoral. Il y avait quelque chose de parfaitement horripilant à ne pas pouvoir claquer une porte lorsqu'on essayait de faire une sortie un peu théâtrale.
Il se tourna finalement vers Albus qui continuait à suçoter ses pastilles au citron.
« Voilà qui était inattendu, n'est-ce pas ? » demanda le Directeur. « Amplement mérité, bien sûr, mais inattendu. »
Severus soupira. « Rajoutons le Ministre de la Magie à la liste de personnes qui se sentent obligées d'avoir une opinion sur ma vie privée. »
Le vieux sorcier rit de bon cœur à la plaisanterie puis fit le tour du bureau pendant que l'ancien espion détaillait la médaille qu'il tenait toujours à la main avec une légère incrédulité. Lorsqu'il s'arracha finalement à sa contemplation, ce fût pour voir Albus fouiller dans un petit compartiment à la base d'une étagère, un petit placard plein de bric-à-brac, apparemment. Il se redressa avec un bruit triomphant, un cadre à la main.
« On me couvrait tellement de ces babioles à une époque que j'avais stocké quelques présentoirs. » expliqua tout naturellement le directeur. « Permettez ? » Severus lui tendit la médaille et le laissa l'épingler avec expertise au velours pourpre qui constituait le fond du cadre avant de replacer la vitre. « Voilà. »
Le Maître des Potions récupéra le tout sans parvenir à se débarrasser d'un certain sentiment d'irréalité.
« Rufus s'est beaucoup attaché à Nymphadora. » commenta Albus, en retournant prendre place derrière son bureau. Il l'invita d'un geste à s'asseoir. « Mais je suppose que vous le saviez déjà. »
« Je sais qu'elle le tient en très haute estime. » offrit-il. Ce qui lui suffisait, elle n'avait pas pour habitude de respecter les crétins. « Ce n'est pas le pire Ministre que nous ayons eu. »
« Non, certes. » approuva le Directeur. « Un peu trop déterminé à se passer de l'Ordre ou de moi, à mon goût, mais pas suffisamment arrogant pour nous rejeter complètement… Et ce n'est pas l'ambition personnelle qui le guide, ce qui est noble et beaucoup plus réconfortant, en ces temps troublés, que les machinations de Cornélius. »
« Je suppose. » soupira-t-il, en se frottant le visage.
Le vieux sorcier l'observa, quelques secondes, puis fronça les sourcils. « Y-a-t-il un problème avec Tonks ? Vous la disiez éreintée et Minerva m'a glissée, à mon retour, qu'elle était au château mais n'avait pas l'air en forme… »
« Rien que du repos ne réglera. » mentit-il.
Albus n'avait probablement pas besoin d'user de Legilimencie pour savoir qu'il ne disait pas tout à fait la vérité mais, à son crédit, n'insista pas.
Au lieu de cela, il poussa un long soupir et s'enfonça plus profondément dans son fauteuil.
Lorsque Severus sentit la tonne de sortilèges se refermer sur le bureau, des protections visant à garder leur conversation secrète de toute éventuelle oreille indiscrète, il sut qu'il n'allait pas aimer la suite.
Il se prit presque à espérer que le Directeur voulait finalement parler des Dursley et que les précautions n'étaient là que pour étouffer la dispute qui ne manquerait pas d'éclater. Mais, au fond, il savait que c'était plus grave.
« Thé ? » proposa le vieux sorcier. « Ou, peut-être, exceptionnellement, quelque chose d'un peu plus corsé ? J'ai une bouteille d'un excellent scotch, quelque part, que Minerva m'a rapportée de… »
« Albus. » l'interrompit-il, avec un mauvais pressentiment.
Le regard du Directeur se balada partout dans la pièce avant de revenir s'arrêter sur lui.
« Ollivanders est mort pour rien. »
Les implications le heurtèrent les unes après les autres.
Ollivanders était mort pour rien.
Le Seigneur des Ténèbres avait donc en sa possession une baguette plus noire et puissante que…
Cardiff, bien sûr.
Plusieurs théories étaient apparues dans la Gazette sur ce qui avait bien pu se passer, dont certaines à propos de lignes de Ley que Severus avait trouvées cohérentes mais… Bien sûr.
La tempête, elle est là dehors. Et on est en train de perdre. Je pense… Je pense qu'on a déjà perdu.
Il fit de son mieux pour occluder l'horreur mais ne parvint pas à réprimer un frisson.
« Ollivanders serait mort de toute manière. » s'entendit-il tenter de consoler le vieil homme à qui la culpabilité pesait visiblement. « Il fallait le tenter. »
Albus ne répondit pas immédiatement mais une bouteille et deux verres s'envolèrent des étagères. Lorsqu'il versa une dose respectable d'alcool dans chaque verre, Severus ne protesta pas.
Je pense qu'on a déjà perdu.
« Est-ce terminé, Albus ? » demanda-t-il, après un long silence. « Est-il temps de considérer… un repli ? »
La fuite.
C'était ce qu'il voulait dire.
Il était déjà en train d'échafauder trois possibles plans différents…
Il aurait été plus simple de simplement attraper son fils et de quitter le pays mais…
Il ne se résignait pas à abandonner Nymphadora.
Nymphadora ne partirait pas sans Draco, Draco ne partirait pas sans Granger… Harry ne partirait pas sans Granger, Weasley ou Black. Black insisterait pour emmener Lupin et sa vampire.
Quand s'était-il mis à collectionner autant de bagages ?
« Tom poursuivra Harry où que vous alliez le cacher. » lui rappela Albus, mettant un terme à ses ébauches de plans. « Et, non, je ne pense pas que cela soit terminé, mais je dois admettre que… Je nous sens au bord du précipice, Severus. En bien ou en mal, ce statu quo ne tardera pas à exploser. » L'homme prit une gorgée de scotch, ferma brièvement les yeux. « Lorsque la situation basculera… Poudlard tiendra. »
« Ne serait-il pas plus sage de disparaître plutôt que de lui donner une cible aussi importante ? » insista-t-il. « Des cellules clandestines de l'Ordre… »
« Si la situation était différente, une armée de l'ombre serait effectivement plus appropriée. » le coupa Albus. « En l'état… Poudlard sera la chandelle dans l'obscurité. Nous tiendrons, Severus, nous n'avons pas le choix. »
« Mais jusqu'à quand ? » contra-t-il. « À en croire Nymphadora, la situation est déjà critique. »
« Tom veut que nous l'attaquions. Il nous nargue, il nous provoque… Seulement comme je viens de l'expliquer au Ministre pendant des heures, à Azkaban, il a tous les avantages. » soupira Albus. « Et nous sommes trop peu nombreux. »
« Certes, mais il gagne des partisans tous les jours, qu'ils le rejoignent par peur ou par la force. » Severus secoua la tête. « Leurs rangs enflent et les nôtres s'épuisent. Attendre… Je ne vois pas d'option satisfaisante, Albus. Attaquer, c'est aller à la mort. Mais attendre… »
« Il nous faut nous re-concentrer sur les horcruxes. » murmura le Directeur. « Je pense savoir où est le médaillon… »
Severus occluda fermement.
« Je vous interdis d'emmener Harry. » lâcha-t-il.
Albus agita la main. « Nous sommes d'accord. Avec cette baguette… Harry serait trop en danger loin de Poudlard. »
Il leva un sourcil. C'était trop simple.
« Vous me voyez heureux de vous l'entendre dire. » grinça-t-il. « Quoi que dubitatif. »
Le vieux sorcier lui jeta un regard blessé puis claqua la langue. « Le fait est que je rechigne à quitter l'école moi-même… Même l'aller-retour à Londres, ce soir, me paraissait un risque inutile… »
« Vous pensez qu'il va attaquer l'école. » déduisit-il.
« Je sais qu'il va attaquer l'école, tôt ou tard. » soupira Albus. « Vous le savez aussi où vous n'auriez pas imaginé une défense reposant sur un siège. Laissons cela de côté, pour l'instant. Attendre ne me plait pas plus qu'à vous mais je n'ai pas d'autre idée pour l'instant. »
Il l'observa par-dessus ses lunettes en demi-lunes et Severus but une gorgée simplement pour s'occuper les mains. L'alcool lui brûla la gorge.
« Dois-je avertir l'Ordre de l'existence de cette baguette ? » demanda le vieux sorcier.
Le Maître des Potions fronça les sourcils. « Pourquoi demander mon opinion alors que nous savons tous les deux que vous n'en ferez qu'à votre tête ? »
« Parce que, lorsqu'il est question d'espionnage, vous faites autorité. » répondit Albus. « Et parce que la guerre s'apprête à prendre un tournant qui va obliger l'Ordre a adopter un fonctionnement différent. »
« Ah… » lâcha-t-il, non sans ironie. « En avons-nous terminé avec ce Conseil inutile et ces semblants de démocratie ? »
« J'en ai peur, en effet. » commenta le Directeur.
Severus avait toujours su qu'ils en arriveraient là.
Certes, il n'avait pas pensé être toujours en vie à ce moment là mais…
« Et quel rôle me réservez-vous dans cette nouvelle hiérarchie ? » demanda-t-il. Cela aurait été évident auparavant. Il était censé être l'espion, le Maître des Potions, le soignant si besoin…
« Le rôle que vous avez toujours été destiné à occuper. » répondit tranquillement Albus, en sirotant son verre. « Mon second. »
Severus resta figé.
Ce n'était pas ce à quoi il s'était attendu. Pas après toutes les tensions autour d'Harry.
« Mais… Lupin ? » contra-t-il.
Lupin dirigeait l'Ordre à la place d'Albus dès que le Directeur était absent. Il était tacitement établi que…
« Remus est un excellent coordinateur mais il n'est plus aussi stable que je le souhaiterais. » expliqua le vieux sorcier. « D'autre part, je sais que la comparaison ne vous fera pas forcément plaisir mais nous avons une manière semblable de réfléchir. Notre façon d'aborder un problème diffère mais nos conclusions sont souvent les mêmes, vous en conviendrez. »
« Ce qui est précisément la raison pour laquelle quelqu'un qui remettrait cette manière de réfléchir et ces conclusions en question serait peut-être un meilleur choix. » remarqua-t-il.
« J'ai Minerva pour cela. » déclara Albus. « Vous aurez Tonks. »
Severus leva les sourcils à la comparaison quelque peu incongrue mais ne se hasarda pas à plaisanter, pas sur un sujet aussi sérieux.
« Minerva ne serait pas un mauvais choix pour vous seconder. » insista-t-il.
« Minerva a un cœur en or et manque de la brutalité nécessaire à certaines décisions peu ragoutantes. » Albus termina son verre. « Ne pensez pas que je n'ai pas longuement réfléchi à la question, Severus. Vous êtes le meilleur choix. Si je tombe… Si je tombe, je sais que l'Ordre sera en de bonnes mains. » Le vieil homme se leva et alla se poster à la fenêtre, faisant son âge pour une fois. « De plus, vous êtes le seul dont je suis complètement certain. Ces informations qui filtrent… »
« Ne viennent ni de moi, ni de Minerva, ni de Bill Weasley, ni de Nymphadora, ni de Black. » termina-t-il.
Un sourire amusé et un peu amer flotta sur les lèvres du vieux sorcier. « Ah oui… Votre mini-Ordre tout personnel… Voyez pourquoi vous êtes le meilleur choix, Severus ? La moitié du Conseil vous obéit déjà. »
« Ce ne sont pas mes laquais. » cracha-t-il.
« Non… Bien sûr… » murmura Albus, avec une condescendance à peine dissimulée. « Ce qui nous ramène toutefois à notre problème… Dois-je, ou pas, informer l'Ordre ? »
C'était un test, songea Severus, un de ces multiples tests dont Albus Dumbledore adorait jalonner la vie des pions sur son échiquier.
Un échiquier qu'il était apparemment destiné à hériter.
Il était également possible que tout ça ne soit qu'une manipulation de plus pour le faire rentrer dans le rang.
« Si vous leur cachez l'information, leur sécurité est compromise. » déclara-t-il. « Mais si vous la leur révélez et que l'espion la rapporte à son Maître, vous révélez au Seigneur des Ténèbres que je n'étais pas le seul à le trahir sa cause. »
Albus hocha lentement la tête et l'invita d'un geste à poursuivre. « Et donc ? »
« Et donc, il est ici question d'équilibre et de profit. » continua-t-il. « Est-il plus avantageux de prévenir vos alliés, vos amis, du risque qu'ils encourent s'ils se retrouvent face au Seigneur des Ténèbres ou bien de préserver la sécurité de votre espion actuel. »
« Vous évitez de prendre une décision, Severus. » lui reprocha le Directeur.
« Parce que ce n'est pas ma décision. » contra-t-il.
« Mais cela pourrait l'être à l'avenir. » commenta Albus.
C'était donc bien un test.
Severus leva les yeux au ciel.
« Vous savez très bien ce que je ferais à votre place. » cingla-t-il. « Pourquoi vouloir me l'entendre dire ? »
« Faites plaisir à un vieil homme. » insista le Directeur.
Le Maître des Potions le dévisagea avec agacement puis haussa les épaules. « J'informerais les personnes importantes. Dans ce cas présent, Harry, Nymphadora et Black. »
« Pas Minerva ou Bill Weasley ? » releva Albus.
« Minerva a peu de chances de se retrouver face à Lui dans un avenir proche. » cracha-t-il. « Quant à Weasley, il a trop d'attaches familiales pour lui confier un secret de cette nature. »
« Tonks a également des attaches familiales. » nota le vieux sorcier.
« Ses parents sont sous Fidelitas. » rétorqua-t-il. « Ils n'ont aucune raison de se retrouver face au Seigneur des Ténèbres. De plus, Nymphadora comprend très bien pourquoi certains secrets sont nécessaires et je ne lui mens pas si je peux l'éviter. »
« Et Harry et Sirius ? » demanda Albus, presque distraitement.
« Je n'ai pas pour habitude de cacher à Harry des informations qui pourraient potentiellement lui sauver la vie. » grinça-t-il. « Et Black… » Il n'avait pas réellement de bonne raison d'informer Black. « J'ai confiance en lui. »
C'était toujours aussi douloureux de l'admettre.
« Sirius a tendance à ne pas respecter les ordres et à faire ce qu'il pense être juste. » déclara le vieux sorcier. « Êtes-vous si certain qu'il ne diffusera pas l'information ? »
« Sirius, plus que quiconque, sait le mal qu'un Mangemort infiltré peut provoquer. » se prit-il à le défendre. « Certes, comme avec tous les Gryffondors, il faut lui expliquer longtemps pour qu'il comprenne mais il finit, en général, par comprendre. »
« Très bien. » approuva Albus. « Informez-les. »
Se sachant congédié rien qu'au ton qu'avait pris le Directeur, Severus se leva et se dirigea vers la cheminée sans y être invité – sa jambe allait mieux mais il ne désirait pas avoir à traverser l'école entière s'il n'y était pas forcé.
« Severus. » le rappela Albus. Il se retourna et prit le cadre avec la médaille que lui tendait le vieux sorcier. « Félicitations. »
Pour l'Ordre de Merlin ou pour avoir prouvé être aussi tordu qu'Albus Dumbledore ?
Il préférait ne pas trop se poser la question.
