Enjoy & Review!


« It's always been fascinating to me how things can be simultaneously true and false, how people can be good and bad all in one, how someone can love you in a way that is beautifully selfless while serving themselves ruthlessly. »
The Seven Husbands Of Evelyn Hugo – Taylor Jenkins Reid

« Ça me fascine toujours de voir comme les choses peuvent être à la fois vraies et fausses, comment les gens peuvent être en même temps bons et mauvais, comment quelqu'un peut vous aimer de manière admirablement désintéressée tout en profitant sans aucune pitié. »
The Seven Husbands Of Evelyn Hugo – Taylor Jenkins Reid


Chapitre 49 : All In One


Albus râlait dans sa barbe, insultant les idiots du Conseil d'administration qui lui reprochaient de ne pas avoir renvoyé, en temps et en heure, de la paperasse pour l'année prochaine alors qu'il s'échinait à gagner une guerre. L'administration était parfois un mal bien pire que tous les mouvements politiques radicaux, décida-t-il, en tentant désespérément de retrouver le fameux formulaire dans la pile de documents qui s'étaient accumulés sur son bureau – et en s'efforçant de se rappeler, encore et encore, et que Minerva en faisait déjà plus qu'elle ne devrait pour la gestion de l'école en plus de ses cours et ne pouvait pas tout faire à sa place.

Il trouva finalement le parchemin qu'il cherchait, s'avisa, à la trace ronde dessus, qu'il y avait sans doute posé une tasse de thé à un moment donné, et soupira avant de le nettoyer d'un geste paresseux de la main. Il lui fallut plusieurs secondes supplémentaires pour dénicher sa bonne plume d'oie parce que celle sur son bureau était désespérément usée… Ce fût à ce moment qu'il décida de véritablement contempler le désordre et se morigéna d'être parvenu, en quelques heures, à avoir mis une pagaille que Minerva lui reprocherait certainement la prochaine fois qu'elle devrait lui emprunter son bureau ou trouver ce qu'elle cherchait dans ce fatras.

Quelques sorts et les documents se triaient d'eux-mêmes, les miettes du déjeuner pris à la hâte disparaissaient, l'encrier se vidait et se nettoyait tout seul avant de se remplir, sa plume s'aiguisait… Il observa la chose avec satisfaction et put finalement se réinstaller pour remplir ce satané formulaire sans qui, visiblement, l'école serait en passe de ne pas être solvable l'année prochaine.

Il entendit la porte qui menait à ses appartements grincer mais ne leva pas les yeux, agacé de découvrir qu'il lui allait falloir trouver le budget demandé par chaque Professeur pour leur matière respective. La matière la plus chère était toujours les Potions, bien évidemment. Et il savait qu'il avait tous ces renseignements quelque part dans le tas de documents, simplement parce que ses enseignants étaient plus professionnels que lui, mais encore fallait-il les dénicher et faire les calculs de ce qui était acceptable ou pas et…

« Albus. » appela Gellert, légèrement essoufflé.

« Une seconde. » lui demanda-t-il, essayant de localiser le petit dossier qu'il se souvenait avoir rangé quelque part lorsque Minerva le lui avait donné, l'année précédente. Il allait lui falloir le budget actuel comme référence et…

« Je crains de ne pas pouvoir te la donner… » répondit le mage noir, avant de partir dans une quinte de toux grasse qui arracha immédiatement Albus à ses préoccupations administratives.

Le temps qu'il se lève et traverse la pièce pour rejoindre Gellert qui était courbé en deux, une main posée contre le mur pour garder l'équilibre, la toux avait cessé mais il paraissait peiner à reprendre sa respiration.

« Gellert… »

Il l'aida à se redresser, uniquement pour apercevoir le mouchoir tâché de sang que l'homme pressait contre sa bouche.

L'espace d'une seconde, il fût persuadé que quelqu'un avait jeté un Arresto Momentum. Il ne voyait que les tâches de sang sur le mouchoir. Son cœur avait cessé de battre. Il n'y avait plus un bruit, plus rien que le sang.

Et puis Gellert prit une inspiration sifflante et le monde se remit en marche.

« Peut-être est-il temps de consulter ta Médicomage… » murmura le mage noir.

« Ce que nous aurions dû faire, il y a des semaines. » rétorqua-t-il, un peu trop sèchement.

« Liebling… » toussota Gellert, d'un vague ton de reproche.

« Tu es une telle tête de mule. » gronda Albus, en passant un bras autour de sa taille pour le soutenir jusqu'à la cheminée. « Si arrogant. Écouteras-tu jamais l'avis et les conseils de quelqu'un d'autre ? Non, bien sûr que non, parce que le grand Gellert Grindelwald sait tout mieux que tout le monde. Sais-tu quel est ton problème, Gellert ? »

Un rire empli d'amertume entrecoupé de toussotements échappa à son ami. « Je pensais que c'était toi mais je suis certain que tu as une opinion bien différente…. »

« Tu veux toujours avoir raison. » rétorqua-t-il, en plongeant la main dans le petit bol sur la cheminée où il gardait la poudre de cheminette – qu'il lui faudrait remplir, par ailleurs, tout partait à vau-l'eau dans ce bureau. « Même si cela finit par te tuer. Infirmerie, Poudlard. » Il jeta la poudre et le força à traverser dans le même mouvement, ajustant sa prise sur lui lorsqu'il le sentit trébucher. « Poppy ! »

Le Serdaigle de troisième année qui était en train de se faire examiner laissa échapper un petit glapissement à la vue du Directeur et du mage noir. L'infirmière tourna la tête vers eux, écarquilla les yeux et, après avoir fermé hâtivement le rideau autour du lit de l'adolescent, se dirigea vers eux à grands pas.

Le temps qu'elle les rejoigne, Albus avait déjà installé Gellert sur le lit le plus proche, avait tiré les rideaux et jeté une douzaine de sorts leur assurant de ne pas être entendus.

« A-t-il essayé de vous attaquer ? Vous êtes-vous battus ? » demanda l'infirmière sans détour, en sortant sa baguette. « Quel sort, Albus ? » Elle lui jeta un coup d'œil mais dût déterminer que, si bagarre il y avait eu, il était en un seul morceau. « Doit-on l'attacher au lit ou va-t-il se tenir tranquille ? »

Grondé comme un gamin pris en faute au lieu du mage noir qui avait fait ployer l'Europe, Gellert la dévisagea avec incrédulité puis éclata d'un rire franc qui dégénéra bien vite en une nouvelle quinte de toux. Albus plaça une main sur son épaule avec inquiétude, tâchant de l'aider à s'asseoir un peu mieux pour qu'il ne s'étouffe pas en ajustant les oreillers derrière lui, tandis que la sorcière lançait un sort de diagnostic.

Visiblement, le résultat du sort ne lui fit aucun plaisir parce qu'elle en relança quatre autres, plus poussés, en rafale.

« Gellert prétend que ses jours sont comptés mais je ne cesse de lui répéter qu'il n'y a rien que vous ne puissiez arranger, Pompom. » lâcha-t-il.

Poppy resta silencieuse jusqu'à ce qu'elle ait le résultat de ses sortilèges puis échangea un regard avec Gellert. Se sentant exclus, Albus se racla la gorge.

« Alors ? » pressa-t-il.

« Avez-vous vu un Médicomage ? » demanda-t-elle. Gellert secoua la tête. Elle pinça les lèvres. « Et quand les crises ont-elle commencées ? »

« Un an. » répondit le mage noir, à bout de souffle. « Peut-être un peu moins. »

« Et… personne ne vous a proposé de traitement ? » insista-t-elle.

Le sourire de Gellert était légèrement ironique. « Me garder en vie n'était pas vraiment leur priorité, vous savez. »

« Je vois. » marmonna-t-elle, avant d'agiter sa baguette et de murmurer une formule. Une bulle transparente vint se fixer sur le bas du visage de Gellert, englobant son nez et sa bouche. Il parut se détendre immédiatement. « Ce sort vous permettra de mieux respirer, vous manquez d'oxygène. À renouveler dès que vous en sentez le besoin. »

« Vous pouvez le soigner. » exigea-t-il, plus qu'il ne le demanda, las d'être ignoré.

Poppy eut l'air légèrement mal à l'aise. « Albus, cela relève du secret médical. Je comprends que la situation est particulière mais… »

« Vous pouvez parler devant lui. » intervint Gellert, la voix légèrement étouffée par la bulle d'oxygène magique autour de sa bouche.

L'infirmière hésita. « Je peux traiter les symptômes et améliorer considérablement sa qualité de vie. Je peux certainement m'assurer qu'il ne souffre pas. » Elle se détourna pour attraper un de ses porte-blocs métalliques dont elle se servait pour remplir les dossiers médicaux de chacun. « Merlin me préserve des hommes qui refusent d'admettre qu'ils ont mal… »

Ce n'était pas ce qu'Albus voulait entendre. « Qu'a-t-il précisément ? Il y a forcément… »

« Cinquante ans à Nurmengard. » coupa le mage noir, non sans humour.

« Une pneumonie jamais bien soignée ou guérie, si je devais me hasarder à deviner, et des conditions de vie déplorables. » soupira Poppy. « Sans avoir eu aucun accès à sa magie… Son état physique s'est dégradé lentement mais inévitablement. Ses poumons sont très endommagés, au-delà de ce qui est réparable. »

Albus avala péniblement autour de la boule logée dans sa gorge. Gellert l'avait averti mais il n'avait pas voulu véritablement le croire, il n'avait pas voulu…

Sa main trouva celle de Gellert sans qu'il en soit conscient, serra les doigts trop froids.

Le regard de Poppy s'égara mais elle était trop professionnelle pour rien laisser paraître.

« Combien de temps ? » demanda-t-il.

L'expression de l'infirmière s'adoucit. « Quelques mois. Deux ou trois, au plus. »

C'était comme un coup de massue.

« Diagnostic optimiste. » se moqua Gellert, en fermant les yeux. « Donnez-nous le réaliste. »

« Deux mois. » se corrigea Poppy. « Sans doute moins. »

De sa main libre, Albus se frotta la bouche, sous le choc.

Il ne comprenait pas pourquoi il était si abasourdi. Gellert le lui avait dit dès le premier jour. Ce n'était pas une surprise.

Et pourtant…

« J'espérais plus. » admit le mage noir, presque dans un murmure.

« Il y a des potions qui renforceront vos poumons et empêcheront le fluide de s'accumuler, ce qui devrait soulager les crises de toux et empêcher les saignements. » continua calmement Poppy, en levant les yeux vers lui. « Savez-vous où est Severus ? Je préfèrerais le consulter sur les dosages. Il faudra également voir avec Horace pour les préparer, je n'en ai pas en stock. »

« Severus… » répéta-t-il, toujours un peu sonné.

« Albus. » Gellert serra sa main. « Je ne suis pas encore mort. Essaye-de te souvenir que tu me détestes. »

« Je ne t'ai jamais détesté. » se défendit-il, sans se soucier de qui pouvait l'entendre ou du fait qu'il avait élevé la voix. « Tu sais très bien que… »

« Une plaisanterie, Liebling. » l'interrompit le mage noir. « De mauvais goût, certes. »

Poppy était très occupée à faire semblant de remplir un dossier pour Gellert.

Albus se sentait mal.

Ce dont elle parut s'apercevoir parce que, soudain, elle ne prétendit plus ne rien remarquer et se tenait devant lui, agitant un léger lumos devant ses yeux. « Albus ? »

« Tout va bien, Poppy. » mentit-il. Mal. Son cœur lui faisait mal. Ce qui était logique parce que son cœur se mourrait lentement juste devant lui sur ce lit d'hôpital. « Severus, vous disiez. Severus est… » Severus était parti un peu après Sirius, se souvint-il. Les protections l'en avaient informé mais il n'y avait pas véritablement prêté attention parce qu'ils s'étaient tous deux rendus Square Grimmaurd, d'après le réseau de cheminée de Poudlard, et… Severus n'était pas encore revenu. « Je vais le trouver. »

°O°O°O°O°

Tout se déroula si vite que Sirius resta figé de surprise.

Une seconde Snape ramassait l'un des objets volés qu'il venait de tirer du nid de Kreattur, la suivante une elfe enragé apparaissait dans un craquement sonore et se jetait sur le Maître des Potions qui trébucha et s'étala au sol.

« LES TRAÎTRES A LEUR SANG ET LES SANG DE BOURBE NE VOLERONT PAS LE MEDAILLON DE MAITRE REGULUS ! » beugla l'elfe. « KREATTUR LES TUERA ! KREATTUR LES TUERA ! »

Kreattur paraissait déterminé à crever les yeux au Mangemort ce qui le sortit enfin de sa transe.

« Kreattur, je t'ordonne d'arrêter ! » hurla-t-il, mais pas plus fort que l'elfe qui continuait à s'époumoner.

« KREATTUR NE LES LAISSERA PAS ! KREATTUR NE LES LAISSERA PAS ! »

« Incarcerem ! » cria Bill, le sort suffisamment violent pour propulser l'elfe loin de Severus. Cela n'empêcha pas Kreattur de continuer à se tortiller pour échapper aux liens que le Briseur de Sort avait fait apparaître, l'œil fou et les babines retroussées comme s'il avait la rage.

« Arrête de bouger ! » ordonna Sirius. Ça ne fonctionna pas. L'elfe continua de se trémousser, se cognant simplement la tête contre le sol toutes les deux secondes pour se punir de désobéir.

Bill continuait de le menacer de sa baguette alors il s'accroupit à côté de Severus qui peinait à s'asseoir.

« Putain, il t'a pas raté… » marmonna-t-il, en grimaçant. Le visage du Professeur était couvert de sang et de lacérations. Sirius leva sa baguette sans prévenir ce qui fit sursauter l'ancien Mangemort qui esquissa un geste comme pour se protéger le visage. Un peu désolé mais déterminé, il écarta gentiment son bras et attrapa son menton, ses doigts de part et d'autre de la mâchoire pour mieux refermer les plaies. Certaines étaient profondes. « Arrête de bouger. »

« Excuse-moi de ne pas avoir foi en tes sorts de soins. » grinça Severus, ayant visiblement retrouvé ses esprits.

Sa mâchoire se contractait parfois sous ses doigts lorsqu'il refermait soigneusement une plaie plus profonde qu'une autre. Bientôt il ne resta que de vagues traces de griffures sur son visage qui auraient probablement disparues dans quelques jours. Celle juste à côté de son œil gauche, en revanche…

« Il a failli t'éborgner, ce connard. » grinça-t-il. « À un centimètre, il te fallait un œil magique. Celle là va laisser une marque. »

La cicatrice ne serait sans doute pas bien grosse mais il allait garder un souvenir de Kreattur.

« Au point où j'en suis. » marmonna le Maître des Potions.

« Tu t'es cogné la tête ? » demanda Sirius, en lâchant son menton.

Il esquissa un geste pour tâter l'arrière de son crâne et vit sa main détournée avec agacement. « À ton avis ? Je ne pense pas avoir de traumatisme crânien, si c'est ta question. »

Il allait devoir choisir de le croire sur parole.

« Et ta jambe ? » insista-t-il.

Severus grimaça et fit visiblement un effort pour la replier. Sirius se remit debout et lui tendit les mains. Preuve que sa jambe avait pris mal dans la chute, Severus le laissa le hisser sur ses pieds et s'accrocha à son bras jusqu'à ce qu'il lui rende sa canne.

Une fois entièrement certain que son elfe de maison n'avait pas réussi à trop amocher son ami, il se tourna vers Kreattur, des années accumulées de haine le poussant à lever sa baguette.

« Endolo… »

« Non. » siffla Severus, en déviant brusquement son bras. Il avait l'air pâle, la respiration courte. « Si je n'entends plus ou ne vois plus ce sort durant le reste de ma vie, ce sera encore trop tôt. »

Et Sirius pouvait comprendre mais…

« Comment ça se fait que Remus ne soit pas encore venu voir ce qui se passe ? » demanda Bill, tendu.

« Mes sorts de protection. » expliqua le Professeur, en se laissant tomber sur une chaise. Il avait sorti sa baguette mais la gardait baissée. « Nous pourrions être en train de nous entretuer, personne ne l'entendrait. On n'est pas espion pendant plus de quinze ans sans développer des sortilèges extrêmement fiables, Mr Weasley. »

L'homme avait pris le ton dogmatique qu'il utilisait généralement dans une salle de classe. Ce fût sans doute la raison pour laquelle Bill prit le risque de cesser d'observer Kreattur pour lui jeter un coup d'œil.

« Vous pourriez me les apprendre ? » s'enquit l'ainé des Weasley. « Je pourrais vous montrer des sorts très pratiques pour contenir des malédictions, en échange. »

Severus agita la main comme pour accepter, de guerre lasse.

Sirius ne leur prêtait qu'une attention limitée.

L'elfe se tortillait toujours, se frappait toujours la tête au sol pour se punir, le regard rivé sur le médaillon que Snape avait lâché.

L'Animagus se pencha pour le ramasser, le levant légèrement pour l'observer à la lumière…

« On ne devrait vraiment pas toucher ça à mains nues. » leur rappela Bill.

Il y eut un craquement sonore.

Kreattur disparut, les liens tombant au sol.

L'instant suivant un poids alourdit les épaules de Sirius et sa tête fût violemment tirée en arrière par les cheveux. Il ne retint pas un cri alors que l'elfe le frappait, se frappait pour se punir, le frappait encore et, alors que Sirius tournait sur lui-même pour essayer de se débarrasser de lui, tentait de lui arracher le médaillon des mains.

Severus s'était remis debout et semblait attendre une ouverture, baguette pointée sur l'elfe, de même que Bill, mais…

Finalement Sirius parvint à se débarrasser de Kreattur d'un violent coup d'épaule. L'elfe fût projeté contre un des placards de la cuisine et glissa au sol mais ne parut pas se préoccuper de s'être fait mal et ne chercha pas à réattaquer. Haletant, les yeux rivés sur Sirius, il recula en rampant jusqu'à se recroqueviller dans le coin de la cuisine, le médaillon pressé contre son torse.

« Tu ne veux pas que lui jette un doloris mais que penses-tu d'un avada ? » gronda-t-il, en pointant sa baguette sur l'elfe qui dût comprendre qu'il était parfaitement sérieux parce que… « Je t'interdis de t'enfuir de cette pièce. » ajouta-t-il rapidement, anticipant le transplannage. « Si tu t'enfuis, je veux que tu tombes raide mort. »

« Cet elfe est fou à lier. » marmonna Bill.

« L'est-il vraiment ? » murmura Severus, en étudiant pensivement Kreattur.

« Il était déjà timbré quand j'étais gosse. » cracha Sirius. « Mais j'avoue que, là, on atteint des sommets. Il est complètement dérangé. »

« Kreattur… » appela lentement le Maître des Potions, en sortant de sa poche le médaillon qu'ils avaient trouvé dans la caverne. Il le laissa pendre au bout de la chaine. L'elfe suivit son balancement hypnotique des yeux presque avec convoitise. « As-tu déjà vu cet objet ? »

Kreattur se mit à se taper la tête contre le mur.

« Arrête ça. » ordonna Sirius. « Réponds-lui. Sans mentir. »

L'elfe paru lutter mais finit par leur adresser un minuscule hochement de tête.

« Le médaillon. » reprit-t-il. « Donne le moi. » Il tendit la main mais l'elfe ne bougea pas. Si possible, il se recroquevilla en une boule plus minuscule, faisant disparaitre le médaillon dans le repli du chiffon crasseux qui lui servait d'uniforme. Il se frappa la tête encore plus fort. « C'était un ordre, Kreattur ! Je suis ton Maître et tu vas m'obéir ! »

Avec un petit glapissement de terreur, l'elfe se jeta soudain de l'autre côté de la cuisine, attrapa la bouilloire encore chaude et se la fracassa plusieurs fois sur la tête avec violence.

« Non. » gronda Severus, avec un coup de baguette.

La bouilloire alla s'écraser contre le mur.

Kreattur attrapa un couteau.

« Arrête ! » s'écria Sirius, un peu effrayé de ce que ferait l'elfe avec ça. « Arrête. Ne te punis pas ! Arrête. »

Il était si déterminé à ne pas lui obéir… Irait-il jusqu'à se tuer plutôt que de lui donner l'horcruxe ? Il n'aurait pas pleuré l'elfe mais l'idée d'être responsable de sa mort n'était pas une pensée aussi réjouissante qu'il aimait à en plaisanter.

Kreattur se figea, de grosses larmes de douleur coulant le long de ses joues, respirant vite et avec l'air d'un animal acculé.

« Ne te fais pas de mal. Pose le couteau. » exigea Sirius. Et, bien que ça lui arrachât la bouche… « S'il te plait. »

L'elfe hésita puis, lentement, posa le couteau au sol. Il sembla attendre un autre ordre qui, ne venant pas, le laissa libre d'aller à nouveau se recroqueviller dans un coin de la pièce.

« Kreattur… »

Sirius ne savait pas comment il allait terminer sa phrase, ce fût donc sans doute une bonne chose que l'elfe le prenne de vitesse.

« Kreattur doit garder le médaillon de Maître Regulus. »

« Est-ce Regulus qui t'a ordonné de garder le médaillon, Kreattur ? » demanda calmement Severus.

L'elfe hésita puis hocha la tête une fois.

Sirius se retrouva accroupi aussi près de Kreattur qu'il l'osa. « Tu sais où il est ? Tu sais où est Regulus ? »

Il était tout à fait conscient du regard alarmé qu'échangèrent Snape et Bill dans son dos.

Kreattur recommença à se frapper la tête contre le mur.

« Arrête. » ordonna à nouveau Sirius. L'espace d'une seconde, il ne fût pas certain que l'ordre suffise, mais l'elfe s'immobilisa à nouveau. « Réponds-moi. »

« Kreattur ne peut pas. » croassa la créature. « Kreattur ne peut pas raconter à la famille de Maître Regulus. Le traître à son sang de Maître est de la famille. Kreattur ne peut pas. »

Un frisson d'excitation lui parcourut l'échine. Si Regulus lui avait ordonné de ne rien dire… Si l'ordre était toujours actif…

Alors…

Alors…

« Ils m'ont rayé de la tapisserie. » contra-t-il. « Je ne fais plus vraiment parti de la famille, si ? »

Kreattur ne paraissait pas convaincu. « Le Maître est un traître à son sang qui a brisé le cœur de ma maîtresse et Kreattur ne l'aime pas du tout ! Le Maître n'a jamais été un bon garçon ! Pas comme Maître Regulus ! Le Maître… »

« J'ai un nom, Kreattur. » l'interrompit-il dans un sifflement. « Utilise-le. »

L'elfe le fusilla du regard. « Maîtresse a ordonné que le nom du traître ne soit plus jamais prononcé dans cette maison. »

« Mais ta maîtresse est morte et tu m'appartiens à moi désormais. » répliqua cruellement Sirius. « Utilise mon nom. Et ne te punis pas. »

Kreattur, qui s'était apprêté à se cogner une fois de plus le crâne contre le mur, s'immobilisa puis, à contrecœur, il soupira. « Maître Sirius. »

Le silence plana sur la cuisine, comme s'il s'était s'agit d'un moment capital.

Et, d'un certain côté, ça l'était. C'était une victoire sur sa mère.

« A qui obéis-tu ? » insista-t-il.

« Maître Sirius. » répondit Kreattur, avec un peu moins d'hésitation. Il esquissa un mouvement pour se punir puis parut se contenir. « Maître Sirius est de la famille Black. Kreattur ne peut pas expliquer à Maître Sirius où est Maître Regulus. Kreattur a promis de ne rien dire. Il a promis. »

« Promis à Regulus ? » s'enquit-il. « Tu dois me dire où il est. Je sais que tu lui obéis parce que c'est ton préféré. Je sais que tu l'aimes. Mais, moi aussi, je l'aime. C'est peut-être ton Maître mais c'est mon frère. Tu dois me dire où il est, Kreattur. On peut le ramener à la maison. Ça te ferait plaisir, non ? Si on ramenait Regulus à la maison ? Tu aurais ton autre Maître et moi j'aurais mon frère. Dis moi, Kreattur. Tu ne trahis aucun ordre en me disant la vérité parce que je suis l'aîné, je suis l'héritier, mon ordre supplante celui de mon frère. Tu n'as pas besoin de te punir, tu n'as pas besoin d'hésiter, tu feras rien de mal. Dis moi. »

Il sentit la magie qui suintait de chacun de ses mots alors qu'il pressait plus ou moins inconsciemment sur le lien magique qui le reliait à l'elfe.

« Sirius… » intervint prudemment Severus.

Il était conscient que le Maître des Potions l'observait avec incertitude, que le regard de Bill était plein de pitié. Ils croyaient qu'il était fou mais il s'en fichait. Il s'en fichait parce qu'il n'y avait pas de corps et personne ne savait qui avait tué Regulus, ce qui tendait à prouver que personne ne l'avait tué du tout, qu'il était bel et bien vivant, que…

« Maître Regulus… » murmura Kreattur, paraissant lutter contre lui-même. « Maître Regulus est mort. »

Et il se frappa la tête encore et encore contre le mur, se jeta au sol pour se rouer de coups, et Sirius ne pouvait rien faire que de le regarder, muet de stupeur, tout son corps soudain engourdi. Il était toujours accroupi mais il se laissa tomber au sol, sur ses fesses, regardant l'elfe sans le voir.

Bien sûr que Regulus était mort.

Quel idiot d'avoir espéré…

Il s'était raconté toute une histoire, une histoire qui, pour une fois, finirait bien, une histoire où il ne perdrait pas son frère à la fin, fût-il biologique ou adoptif. James. Peter. Regulus. Remus aussi, par bien des côtés. Il était très doué pour perdre ses frères.

Bien sûr que Regulus était mort.

Une main atterrit sur son épaule, serra brièvement.

« Dis-lui de se calmer. » demanda Severus.

Il s'exécuta automatiquement, sans chercher à se relever. Il fallut quelques secondes avant que Kreattur ne s'assoit lui aussi, les yeux mouillés de larmes pathétiques, les brûlures que la bouilloire avait laissées sur son crâne formant des marques incongrues au milieu de sa peau burinée. Le médaillon, toutefois, était toujours pressé contre son torse.

« Kreattur. » reprit l'ancien Mangemort. « Dis-nous tout ce que tu sais sur ce médaillon. Dis-nous ce qui est arrivé à Regulus. Si tu ne peux pas parler directement à ton Maître, parle-moi à moi. »

Les oreilles de l'elfe tressautèrent une ou deux fois puis avec un sanglot, l'elfe se mit à raconter comment un jour, Regulus était descendu à la cuisine parce que Voldemort avait besoin d'un elfe. Kreattur était le meilleur elfe de maison, avait dit Regulus, et Kreattur était donc parti avec le mage noir qui s'était servi de lui pour tester les défenses de la caverne.

Sirius avait déjà deviné où allait l'histoire et Severus devait en avoir une bonne idée, lui aussi, puisqu'il fallait être deux pour sortir le médaillon du bassin de poison et que Kreattur était là mais que Regulus était mort. Oui, il devait en avoir une bonne idée parce que sa main revint se poser sur son épaule et n'en bougea pas.

Kreattur sanglotait, se donnait souvent des coups, mais leur révéla toute l'histoire.

Voldemort n'avait pas dû penser que l'elfe survivrait et l'avait abandonné mais Regulus lui ayant ordonné de revenir, Kreattur était revenu. Son frère qui avait le cœur trop tendre pour un Mangemort et était attaché à l'elfe, avait commencé à douter. Il avait caché Kreattur et s'était intéressé à ce que Voldemort voulait dissimuler avec tant de violence. Et ensuite… Ensuite, plus tard, Regulus lui avait demandé de les emmener à la caverne, il avait confié à l'elfe un médaillon semblable à celui de Voldemort, avait ordonné à Kreattur de rentrer à la maison et de garder le silence mais pas avant de l'avoir forcé à boire la potion et d'avoir interverti les médaillons.

« Maître Regulus… Maître Regulus a été… entraîné… sous… l'eau… » continua à gémir l'elfe.

Et s'en fût trop.

Sirius se leva d'un bond, atteignit à peine l'évier avant de vomir.

Les Inféris…

Les Inféris

Ces cadavres nus et pâles, boursoufflés par l'eau, leurs yeux vides, leurs mâchoires pendantes…

Regulus

Il tremblait, peinait à rester debout… Penché au dessus de l'évier, luttant contre la nausée qui lui tordait le ventre…

« Il t'a ordonné de veiller sur le médaillon ? » entendit-il Severus demander. « De le protéger ? »

« Non… » réfuta l'elfe de sa voix de crapaud. « Kreattur devait le détruire… Mais Kreattur a tout essayé ! Tout essayé ! »

L'elfe laissa soudain échapper un couinement de détresse et se précipita vers le tisonnier…

Sirius y arriva juste après lui et lutta pour le lui arracher des mains, attrapant l'elfe à bras le corps… Il finit assis par terre avec l'elfe contre lui, ce vieux montre qu'il avait toujours détesté, qui beuglait sa détresse et se débattait comme un diable…

Et tout ce qu'il put faire fût de le serrer fort contre lui.

« Arrête. » murmura-t-il, même plus un ordre. « Arrête. Regulus n'aurait pas voulu ça, arrête. »

Kreattur avait combattu la plupart de ses ordres ce jour là mais, celui là, il l'entendit. Soudain, Sirius avait un poids mort dans les bras, secoué d'énormes sanglots.

« Kreattur a essayé et essayé ! Kreattur s'est puni ! Kreattur a réessayé encore ! » expliqua l'elfe, visiblement désespéré. « Kreattur pense qu'il faut le détruire de dedans mais Kreattur n'arrive pas à l'ouvrir. Kreattur a échoué. Kreattur… Kreattur est un mauvais elfe. »

Le corps de l'elfe fût animé par une grosse secousse comme s'il luttait contre l'envie de se faire du mal.

Sirius ferma les yeux et laissa tomber la tête en arrière jusqu'à ce qu'elle se cogne contre l'assise de la chaise derrière lui. Il aurait été si simple de blâmer Kreattur de la mort de son frère, si simple de glisser ses mains autour de son cou et de serrer… Mais cela n'aurait pas apaisé la haine ou le remord ou le regret.

« Non… » s'entendit-il dire, la voix rauque. « Non, tu n'es pas un mauvais elfe. Tu es un très bon elfe. Tu as fait ce que Regulus voulait et tu as gardé le médaillon en sécurité tout ce temps. Et maintenant tu vas me le donner et je vais le détruire. »

Les oreilles de Kreattur s'agitèrent alors qu'il se tortillait pour pouvoir le regarder avec des grands yeux un peu méfiants mais trop pleins d'espoir. « Maître Sirius veut le détruire ? »

« Oui. » confirma-t-il. « Oui, je veux le détruire. »

L'elfe cilla et cilla encore puis laissa échapper un cri qui aurait pu exprimer la détresse autant que la joie et se remit sur ses pieds, bondissant presque. « Tout de suite ? »

« Non, pas tout de suite. » tempéra Severus. « Il y a tout un rituel. »

Douché dans son enthousiasme, Kreattur pressa à nouveau le médaillon contre son torse. « Alors Kreattur garde le médaillon jusqu'à ce que Monsieur Severus fasse le rituel. Il est mauvais, très mauvais. Il parle à Kreattur dans ses cauchemars. »

« Il te parle dans tes cauchemars ? » répéta Bill, en s'accroupissant. Il sortit des gants de sa poche et les enfila – non sans jeter un regard lourd de sens à Sirius et Severus qui l'avaient tous deux touché sans précautions. « Est-ce que je peux le voir ? Je te le rends tout de suite, promis. »

Kreattur hésita, se balança d'avant en arrière, puis se tourna vers Sirius.

« Donne le lui. » exigea-t-il.

« S'il te plait. » rajouta Severus, ses yeux noirs s'étant égaré vers le placard où nichait l'elfe et le bazar qu'ils y avaient mis.

Sirius ne comprit pas ce qu'il trouvait si intéressant jusqu'à ce, soudain, il fasse le lien. Un placard. Un matelas à moitié crevé. Des possessions amassées à la sauvage et gardées dans un endroit sûr. La manière dont il traitait Kreattur depuis qu'il était revenu s'installer au Square Grimmaurd – ou avant, s'il devait être honnête. Il n'aimait pas être honnête.

Il n'aimait pas, non plus, le parallèle qui se dessinait dans sa tête.

Certes, Kreattur était un elfe et pas…

« S'il te plait. » fit-il écho au Maître des Potions.

L'elfe de maison, après un long moment d'hésitation, confia finalement le médaillon au Briseur de Sorts qui y jeta tout un tas de sortilèges trop poussés pour Sirius.

« C'est bien l'horcruxe. » décréta finalement Bill, après plusieurs minutes. « Ou, si ce n'est pas l'horcruxe, c'est un objet contenant une magie très, très noire. Et l'elfe a raison sur un point, si on veut le détruire, il va falloir l'ouvrir. Kreattur… Je ne peux pas te le rendre comme ça. Je vais le mettre dans une boîte spéciale qui va contenir sa magie. »

Kreattur inclina la tête sur le côté, étudiant chacun des gestes que faisait l'ainé des Weasley. « Il ne parlera plus à Kreattur dans le noir ? »

« Non. » confirma Bill. « Il ne te parlera plus. »

« Mais Kreattur peut garder la boîte. Kreattur doit terminer sa tâche. Kreattur doit obéir aux ordres de Maître Regulus. » insista l'elfe, en se tournant vers Sirius d'un air suppliant.

Sirius se frotta le visage. Ils n'allaient pas laisser l'horcruxe à l'elfe, encore moins au Square Grimmaurd. Rien que le fait qu'il en sache autant était dangereux…

« Kreattur, viens ici, s'il te plait. » ordonna Severus, pendant que Bill tirait le coffret à présent familier de son sac et jetait les sorts nécessaires.

L'elfe se déplaça docilement jusqu'à se tenir devant le Maître des Potions qui, malgré sa jambe, s'accroupit pour être à son niveau.

« Réponds à quelques questions pour moi. » ajouta le Professeur.

« Sans mentir. » commenta Sirius, sans esquisser un geste pour se remettre debout.

« Kreattur peut répondre aux questions de Maître Sirius et Monsieur Severus, si Maître Sirius et Monsieur Severus détruisent le médaillon de Maître Regulus. » décida l'elfe.

Qu'était-il arrivé aux elfes si obéissants de son enfance, se demanda Sirius, pourquoi avait-il fallu qu'il écope de l'elfe le plus réticent à obéir à ses ordres ?

« As-tu jamais rapporté des informations de ce qui se passait dans cette maison à quelqu'un à l'extérieur ? » demanda calmement Severus. « Comme Bellatrix ou Narcissa, par exemple. »

Kreattur n'eut pas l'air entièrement heureux. « Le Maître a ordonné à Kreattur de ne pas quitter la maison. Kreattur obéit. »

« Dumbledore lui a déjà demandé ça quand tu étais à l'infirmerie. » commenta Sirius.

« Et tu n'as jamais enfreint cet ordre, Kreattur ? » insista pourtant le Maître des Potions.

Kreattur réfuta l'accusation d'une secousse de la tête. « Kreattur n'est pas sorti de la maison depuis que le Maître le lui a ordonné. » L'elfe attendit une seconde puis eut une expression embêtée. « Maîtresse Bella appelle parfois Kreattur. Kreattur ne répond pas mais Kreattur se punit. »

« Je t'ai ordonné de ne pas avoir de contacts avec Bella. » soupira Sirius. « Tu n'as pas besoin de te punir parce que tu m'obéis. »

« Mais en t'obéissant, il désobéit à Bellatrix. » remarqua Severus. « Et elle est une Black. »

« Maîtresse Bella a toujours été bonne avec Kreattur. » marmonna l'elfe entre ses dents. « Pas comme le Maître ingrat. »

Sirius préféra faire comme s'il n'avait pas entendu. « Mais je suis son Maître. Et lorsque je mourrais, Harry deviendra son Maître, comme mon testament le veut. Le contrat est magique. Bella est peut-être une Black mais je suis le chef de famille, ma volonté fait loi. »

Le Professeur laissa échapper un bruit moqueur. « Parlé comme un bon Sang-Pur. »

Il leva les yeux au ciel. « Tu sais très bien ce que je veux dire. »

« Je sais que cet elfe est resté enfermé dans cette maison pendant près de seize ans, avec un horcruxe et le portrait de ta mère pour seule compagnie, et que la bâtisse elle-même a été contaminée par des décennies de magie noire. » répondit calmement le Maître des Potions. « Je sais également qu'un elfe de maison à qui on ne donne pas d'ordres, qui ne peut pas s'occuper de sa famille et qui est délaissé se laisse généralement dépérir ou sombre dans la folie. »

« Depuis quand tu te préoccupes des elfes de maison ? » rétorqua Sirius, en utilisant la chaise derrière lui pour se redresser. « Tu les détestes. »

« Je ne les déteste pas. » protesta Severus, en faisant de même avec des difficultés évidentes. « Je me méfie de ceux de Poudlard parce qu'ils sont loyaux à Albus et je n'ai jamais aimé qu'on fouille dans mes affaires. Cela ne veut pas dire que je n'apprécie pas de voir ma lessive faite ou les repas préparés pour moi. » Le Professeur garda le silence quelques secondes puis haussa les épaules. « Et, si je dois être franc, bien que Granger s'y prenne mal, elle n'a pas tout à fait tort sur un point : la manière dont les sorciers les traitent manque souvent d'humanité. »

« Ils ne sont pas humains. » rétorqua-t-il, ignorant la manière dont Kreattur suivait la conversation avec une attention un peu trop pointue. Ce vieux crapaud.

« Les Gobelins non plus. » rétorqua l'ancien Mangemort. « Et pourtant ils ont la main mise sur l'économie magique. »

Sirius ouvrit la bouche pour répliquer puis la referma, se frottant le visage avec fatigue. « Qu'est-ce que tu veux de moi, Severus ? »

À nouveau, les yeux noirs s'étaient égarés vers le placard de Kreattur. « Je veux être certain à cent pour cent que ton elfe n'a jamais laissé filtrer d'informations à n'importe quel Mangemort. Je veux être certain qu'il t'est loyal. »

Il se retint à grand peine de laisser éclater un rire amer. « Kreattur me déteste. »

« Le Maître déteste Kreattur. » rétorqua l'elfe, prouvant qu'il avait suivi la conversation.

Il ne pouvait pas lui donner tort.

« Très bien. » lâcha-t-il. « Kreattur, as-tu déjà parlé de l'Ordre avec qui que ce soit ? »

L'elfe inclina la tête sur le côté. « Non, Maître. »

« As-tu rapporté des informations à qui que ce soit à l'extérieur ? » insista-t-il. « Pas seulement Bella ou Cissy, mais n'importe qui. »

« Non, Maître. » répéta l'elfe.

« As-tu rapporté des informations à quelqu'un qui appartient à l'Ordre ? » intervint Severus.

« Non, Monsieur Severus. » répondit calmement Kreattur.

« Est-ce que tu sais qui le fait ? » demanda Sirius.

L'elfe secoua la tête. « Non, Maître. »

« As-tu vu quelque chose de suspect ? » enchaina le Maître des Potions. « Quelqu'un qui s'intéresserait d'un peu trop près aux documents, par exemple. »

Kreattur hésita. « L'hybride est toujours en train de travailler dans la cuisine de Kreattur. Et il se comporte comme si la maison était à lui. Sale animal souillant la noble et respectable demeure des Black… »

« Il va falloir travailler sur ton vocabulaire si tu veux qu'on s'entende un peu mieux. » l'avertit Sirius sévèrement, en croisant les bras. « Il veut dire Remus, mais c'est normal que Remus touche aux documents. Il dirige l'Ordre pour Dumbledore. »

« Pour l'instant, et cela ne l'exonère pas. » grommela Severus. « Personne d'autre ? »

L'elfe désigna Bill du doigt. « Celui-ci fouinait tout le temps dans le laboratoire de Maître Regulus, il n'y a pas si longtemps. »

« Oui, mais ce n'est pas notre espion. » soupira Severus. « Cela ne fait rien… »

« L'homme qui n'aime pas le Maître écoute souvent aux portes. » ajouta Kreattur. « Mais le Maître a dit que ce n'était pas les affaires de Kreattur ce que faisaient les gens dans la maison alors Kreattur n'a jamais rien dit. »

Sirius, Severus et Bill échangèrent un regard.

« Quel homme ? » s'enquit Sirius.

Kreattur haussa les épaules. « Un des amis de Maîtresse Nymphadora. »

Intéressant de noter que Tonks avait droit au titre de maîtresse. Andromeda avait peut-être été reniée mais apparemment l'elfe la considérait toujours comme une Black.

« Pas Charlie. » décréta immédiatement Bill, en les défiant du regard de le contredire.

« L'autre. » confirma l'elfe. « Toujours silencieux. Toujours dans un coin à écouter. »

« Anthony. » lâcha Severus.

« Tu as vu Anthony espionner ? » insista Sirius.

Kreattur grimaça, se tordant les mains. « Kreattur ne sait pas. Monsieur Severus a dit quelque chose de suspect. Kreattur trouve que l'ami de Maîtresse Nymphadora est suspect. Kreattur ne l'aime pas. »

« Ce n'est pas exactement une preuve flagrante. » commenta-t-il, en se tournant vers le Professeur et le Briseur de Sorts.

« Que sait-on sur lui exactement ? » demanda Severus.

« Ses parents ont été tués par des Mangemorts. » offrit Bill. « Il a grandi entre un orphelinat et des foyers d'accueil. C'est un gars bien. Il a eu une vie difficile et il s'en est sorti. Franchement… »

« Pourquoi n'a-t-il pas fait sa scolarité à Poudlard ? » insista le Professeur.

« Tout le monde ne va pas à Poudlard. » remarqua Sirius, parce que l'ainé des Weasley était clairement sur la défensive.

Le Maître des Potions lui jeta un regard incrédule parce que si tout le monde n'allait pas à Poudlard, quatre-vingt-dix pour cent des sorciers répondaient à l'appel. L'Animagus leva les sourcils, espérant qu'il comprendrait son message silencieux.

Bill n'avait visiblement pas très envie d'entendre suspecter son futur beau-frère et ils avaient besoin du Briseur-de-Sorts pour l'horcruxe.

Severus dût comprendre parce qu'il se racla la gorge et tendit la main pour récupérer le coffret que Bill tenait toujours. Kreattur suivit le mouvement avec une agitation croissante.

« Nous ne pouvons pas laisser ça ici, Kreattur, pas même sous ta surveillance. » annonça l'ancien Mangemort. L'elfe n'eut pas l'air surpris mais il était impossible de manquer son tic de colère. « En revanche… » Il se tourna vers Sirius. « C'est ta décision, je suppose, et je compte de toute manière le garder dans mes quartiers sous une dizaine de sortilèges d'alarmes, mais une protection supplémentaire ne serait pas… malvenue. »

Sirius le dévisagea sans comprendre. « Tu veux que je lui donne la permission de quitter le Square Grimmaurd ? Tu viens de dire qu'il éprouvait toujours de la loyauté pour Bella et Cissy. »

« Certes, cependant nous venons également de démontrer à plusieurs reprises que tu es son Maître. » rétorqua Severus. « Soit nous décidons d'en faire un allié, soit nous effaçons sa mémoire mais étant donné la place qu'a pris sa mission dans sa vie, je ne peux pas garantir dans quel état cela le laisserait. »

Kreattur ne tressaillit même pas. Il resta là, à les dévisager tour à tour, son regard s'égarant souvent vers le coffret comme s'il contemplait l'idée de le voler pour mieux tenter de terminer tout seul ce que Regulus avait exigé de lui.

« On ne peut pas lui faire confiance. » contra-t-il.

« Ce n'est pas ce que pensait ton frère. » riposta le Professeur. « Et je ne suis pas en train de suggérer qu'on le laisse aller et venir comme il le souhaite. Simplement, il me semble que notre cause est commune et qu'une protection supplémentaire ne se refuse pas. »

Son frère

Son frère qui pourrissait dans un lac souterrain au milieu d'autres cadavres.

« Fais ce que tu veux. » lâcha-t-il.

Les protections de Severus éclatèrent au moment où il ouvrit la porte de la cuisine. Il s'était transformé avant d'avoir terminé de traverser le couloir et ce fût Patmol qui sauta sur le canapé.

Pour une raison qu'il n'avait jamais réussi à comprendre, tout était toujours plus supportable sous sa forme Animagus.

Il se passa plusieurs minutes avant qu'il entende le bruit de pas entrecoupés du son caractéristique d'une canne heurtant le sol, puis, dans la foulée, entendit le murmure d'un assurdiato. Il ne bougea pas de là où il était recroquevillé.

C'était trop.

Tout était… trop.

Severus se laissa aller plus qu'il ne s'assit sur le coussin libre à côté de lui et étendit sa jambe devant lui avec une grimace de douleur.

« Je veux bien admettre que nous sommes amis. » déclara le Maître des Potions. « Mais c'est ma limite. Je refuse de te gratter derrière l'oreille, de t'appeler Patmol ou de converser avec toi comme si tu étais véritablement un cabot. Encore que… »

Patmol ne bougea pas, à peine poussa-t-il un léger râle malheureux.

« Tu n'aimes pas l'elfe, j'ai bien compris. Tu ne lui fais pas confiance et tu as raison. » continua le sorcier, en dépit de son refus de discuter avec sa forme Animagus. « Seulement… T'est-il jamais venu à l'idée que cet endroit était son Azkaban ? Les elfes ne sont pas puristes… Il ne fait que répéter ce qu'il a entendu pendant des années. Si tu gagnes sa loyauté… Vois ce qu'il a fait pour Regulus. Je ne suggère pas de lui donner davantage de liberté par bonté d'âme, Sirius. Ce genre de loyauté aveugle… Nous pourrions en avoir besoin. Harry pourrait en avoir besoin. Toutefois si tu trouves le pari trop risqué, rien ne nous empêche d'effacer ses souvenirs. Je peux tenter de le faire sans trop l'endommager. »

Le chien poussa un nouveau râle puis laissa place à un humain qui laissa tomber sa tête en arrière sur le dossier du canapé.

« Regulus est mort à cause de lui. » cracha-t-il.

« Regulus est mort à cause du Seigneur des Ténèbres. » corrigea calmement Severus, en sortant le faux horcruxe de sa poche. « Il est mort en tentant de se racheter. Il est mort parce qu'il aimait ton elfe. Il y a de pire raisons d'aller se sacrifier. »

Sirius l'accepta machinalement, l'emprisonnant au creux de son poing, mais ne répondit pas.

Son ancien rival l'observa un moment puis détourna le regard. « Pensais-tu vraiment qu'il y ait une chance pour que ton frère soit vivant ? »

« Quand je suis ici, n'importe quoi ferait sens. » avoua-t-il. « Cette maison me rend fou. Il y a des fantômes partout. Et… oui, j'espérais que… C'est idiot ? »

C'était idiot, il le savait.

Mais peut-être étaient-ils véritablement amis à présent parce que le Maître des Potions ne se moqua pas.

« Au moins, maintenant, tu sais. » le consola le sorcier avec maladresse.

Il savait.

Il savait que Regulus avait passé quinze ans au milieu des Inféris.

« Il faut que je retourne à la caverne. » lâcha-t-il.

« Je te l'interdis. » trancha Severus.

« Tu n'as rien à m'interdire. » riposta-t-il, en lui adressant un regard noir. « Mon frère est là-bas et… Je dois lui donner une sépulture décente. Je dois… »

Il devait le sortir des griffes de l'enchantement de Voldemort. Il devait…

« Sirius. » siffla son ancien rival, en attrapant son bras avec une poigne qui manquait de fermeté. Ses doigts tremblaient. « Si tu y retournes, tout ce que tu accompliras c'est de te faire tuer. Et quant bien même parviendrais-tu à briser la malédiction et récupérer le corps de ton frère, tu risquerais d'alerter le Seigneur des Ténèbres. Tout ce pour quoi nous travaillons serait vain. »

Il secoua la tête. « Je ne peux pas le laisser là-bas. Je ne peux pas. L'idée qu'il soit en train de pourrir dans l'eau avec tous les autres cadavres… »

« Lorsque tout sera terminé, j'y retournerai avec toi. » promit Severus. « D'ici là, tant que le Seigneur des Ténèbres n'est pas vaincu, tu n'y remettras pas les pieds. Jure le moi. Sur ta magie, Black. Pense à Harry. »

Il posa les coudes sur les genoux et enfouit le visage dans ses mains.

Il avait l'impression de trahir son frère une deuxième fois, de…

« Je le jure. » marmonna-t-il et sentit un légère décharge alors que sa magie se liait à celle de Severus. Ce n'était pas un Serment Inviolable. Il ne mourrait pas de le briser mais il en paierait le prix. « S'il était venu me trouver… »

Il laissa sa phrase en suspens.

« L'aurais-tu seulement écouté ? » demanda le Maître des Potions. « L'aurais-tu cru ? » L'homme poussa un léger soupir. « Crois-moi, je suis expert lorsqu'il est question de ressasser le passé et cela ne mène jamais à rien qu'à de l'amertume et des regrets. Ce qui est fait est fait. Et lorsque tout sera fini, nous pourrons dire la vérité, nous pourrons rétablir son image, si tu le souhaites. »

« Dire au monde qu'il n'est pas mort en Mangemort. » murmura-t-il.

« Ils lui donneront peut-être même un Ordre de Merlin première classe à titre posthume pour ça. » plaisanta Severus. « Ils semblent les distribuer à n'importe qui, ces derniers temps… »

Cela ne lui arracha pas un bruit amusé.

Il ne releva pas la tête.

Il ne s'alarma même pas lorsque les flammes de la cheminée se ravivèrent tout d'un coup avant de virer au vert.

« Ah, Severus, vous êtes là ! » s'exclama la voix de Dumbledore. « J'ai besoin de… Que se passe-t-il ? »

Sirius se força à se redresser pour faire face au visage inquiet du Directeur qui dansait dans les flammes.

« Rien. » lâcha-t-il, au prix d'un effort. « Rien du tout. »

« Qu'y a-t-il, Albus ? » intervint Severus.

« J'ai besoin de vous à l'infirmerie. Tout de suite. » ordonna le vieux sorcier, son regard passant de l'un à l'autre de ses anciens élèves avec curiosité, ou peut-être inquiétude.

« Harry ? » s'alarma immédiatement le Maître des Potions, déjà sur ses pieds.

« Non. » le tranquillisa Dumbledore, tout aussi rapidement. « Non, c'est… personnel. »

« J'arrive. » lâcha Severus. Il attendit que le Directeur libère l'âtre avant de se tourner vers Sirius. « Ça ira ? »

« Je survivrai. » déclara Sirius. Il avait déjà survécu à pire après tout.

« Rentre à Poudlard. » lui conseilla l'autre homme. « Si cette maison ne te réussit pas, il n'y a pas de raison que tu t'y attardes. »

Il hocha la tête puis le regarda partir par la cheminée mais ne fit aucun geste pour l'imiter. Il ignorait si Bill était toujours là où s'il était parti. Il savait qu'il aurait dû se trainer à la bibliothèque et tenter de renouer le dialogue avec Remus mais n'en avait pas très envie. Quant à Nyssa… Il faisait toujours jour et elle devait dormir.

L'idée d'aller la rejoindre dans son lit l'effleura.

« Maître Sirius est triste. » croassa la voix de son elfe de maison, à sa droite, le faisant violemment sursauter.

Il plaqua une main sur son cœur qui s'était emballé et le fusilla du regard. « Putain. »

« Ce n'est pas une bonne façon de parler pour un Lord Black. » le gronda Kreattur, du même ton qu'il employait lorsque lui, Regulus et les filles étaient encore en culottes courtes. L'elfe l'observa quelques secondes puis claqua des doigts et une tasse fumante apparut sur la table basse devant lui. « Maître Sirius a toujours aimé le chocolat chaud de Kreattur quand il était triste, même lorsqu'il était un garnement insolent qui causait du soucis à ma maîtresse. »

Sirius ne parvint pas à ressentir l'hostilité qu'il aurait dû.

Au lieu de ça, il s'empara de la tasse de chocolat chaud, non sans remarquer les marshmallows qui y flottaient. Exactement comme dans son enfance, Kreattur n'avait pas tort. Il l'examina un moment, en se demandant si l'elfe aurait pu vouloir l'empoisonner, puis décida que, étant donné l'après-midi qu'ils avaient eu, il pouvait aussi bien y goûter. Le chocolat avait le goût sucré d'un après-midi d'hiver passé à jouer dans la neige avec Regulus. Il reposa la tasse sans un mot.

Après un moment d'hésitation, il tourna à nouveau la tête vers l'elfe.

« Approche. » ordonna-t-il.

Ses oreilles brunes et les touffes de poils blancs qui en sortaient s'agitèrent mais la créature s'exécuta. Lorsqu'il fût suffisamment près, Sirius lui passa le faux horcruxe autour du cou.

Kreattur s'agita avec panique et il ne comprit pourquoi qu'au bout de quelques secondes.

« Ce n'est pas un vêtement. Je ne te congédie pas. » déclara-t-il rapidement. Le sort de Severus fonctionnait-il toujours ? Par acquis de conscience, il en jeta un autre pour s'assurer que des oreilles indiscrètes – ou trop fines – ne l'entendraient pas, accidentellement ou non. « Reg aurait voulu que tu l'ais en souvenir de lui. Tu l'as bien servi. »

Les grands yeux globuleux de l'elfe s'écarquillèrent. Il poussa un gémissement de détresse à crever le cœur, tout en serrant le médaillon au creux de ses mains.

« Kreattur n'a pas réussi à détruire le médaillon. » protesta la créature, en se frappant le visage. « Kreattur a failli à l'ordre de Maître Regulus. Kreattur… »

Sirius lui attrapa le bras pour l'empêcher de se faire mal, plus las et épuisé qu'il n'aurait su l'exprimer.

« Tu n'aurais jamais pu le détruire tout seul, Kreattur. Ça dépasse de loin ta magie. » déclara-t-il. « Tu as fais ce que tu as pu et tu l'as gardé en sécurité, c'était le mieux que tu aurais pu faire. Il aurait été fier de toi. »

Un nouveau gémissement pitoyable échappa à la créature qui se tira sur l'oreille assez fort pour tenter de l'arracher

Il allait le regretter, il le savait déjà, et il blâmait Snape.

« Si tu veux, je peux être essayer d'être… un meilleur Maître. » lâcha-t-il.

Pour Regulus.

Il pouvait faire ça pour Regulus.

En sa mémoire.

Kreattur tira à nouveau sur son oreille mais répondit rapidement. « Kreattur peut être un meilleur elfe pour Maître Sirius, même s'il a brisé le cœur de Maîtresse. Maître Sirius va finir la tâche de Maître Regulus pour Kreattur. Kreattur peut être un bon elfe pour Maître Sirius. »

« Très bien. » soupira-t-il. « Dans ce cas… Je vais essayer d'être plus aimable et toi… Toi tu ne vas plus traiter personne de traître ou de noms plus vulgaires. Nous ne sommes plus des puristes, Kreattur. C'est fini, ces conneries. Nous sommes la nouvelle génération des Black. »

Kreattur le dévisageait avec hésitation mais pas incompréhension. « Comme Maîtresse Andy et Maîtresse Nymphadora. Et Maître Draco. »

Sirius fronça les sourcils. « Qu'est-ce que tu sais de Draco ? »

Il attrapa le bras de l'elfe avant que celui-ci ne se frappe à nouveau.

Ses oreilles s'agitaient frénétiquement. « Kreattur écoute quand le Maître et les Sang-de.. »

« Qu'est-ce que j'ai dit ? » siffla Sirius.

L'elfe s'arracha à sa poigne pour aller se cogner la tête sur la table basse, renversant un peu de chocolat chaud sur le bois, ce qui ne fit qu'augmenter sa détresse.

« Arrête. » ordonna-t-il, mal à l'aise face à cette violence qui ne l'avait jamais fait broncher auparavant. Kreattur, à contrecœur, obéit. « Finis ta phrase. »

« Kreattur écoute quand le Maître et ses… associés parlent de Maître Draco. » avoua l'elfe, penaud. « Kreattur ne veut pas qu'il arrive du mal au fils de Maîtresse Cissy. Maîtresse Cissy a toujours été bonne avec Kreattur. »

« Moi non plus je ne veux pas qu'il arrive du mal au fils de Narcissa. » répondit-il.

« Kreattur le sait. » admit la créature. « Maître Sirius et Maîtresse Nymphadora s'occupent de Maître Draco pour Maîtresse Cissy. Maître Sirius est un bon garçon avec le fils de Maîtresse Cissy. »

Maître Sirius dût se faire violence pour lui rappeler qu'il avait trente-six ans et pas six et que c'était lui le maître ici. Bon garçon.

Au lieu de ça, il grinça des dents. « Quoi qu'il en soit, Andy, Tonks, Draco et moi, nous sommes anti-puristes. »

« Maîtresse n'aimerait pas ça. » commenta Kreattur, en se tirant les oreilles.

« Maîtresse est morte. » contra froidement Sirius. « Et Regulus est mort en tentant d'arrêter un cinglé qui voulait installer la suprématie des Sang-Purs, alors, si tu réfléchis, à la fin, Regulus pensait comme moi. »

L'elfe l'observa longtemps puis baissa les yeux vers le médaillon autour de son cou, incapable de cacher son émerveillement de s'être vu donné un tel objet. « Kreattur veut être un bon elfe pour la famille Black. Kreattur veut être un bon elfe pour Maître Sirius. »

La décision semblait cimentée.

« D'accord… » hésita-t-il, sans trop savoir par où commencer. « Première chose, tu n'as pas le droit de parler du médaillon ou de ce qui s'est passé avec Regulus à quiconque qui n'est pas moi, Severus ou Bill. Ou Harry. Et tu ne peux pas en parler devant d'autres personnes non plus. »

Kreattur s'inclina pour marquer qu'il avait compris.

Machinalement, Sirius reprit la tasse de chocolat qui avait tiédi et en bu plusieurs gorgées, réfléchissant vite et bien. « Il vaudrait mieux que tu caches ce médaillon pour l'instant, aussi… Je ne t'interdis pas de le porter, ce n'est pas ça, mais peut-être… » Sans qu'il ait besoin de rien ajouter, l'elfe fit passer le médaillon sous le tissu crasseux qui lui servait d'uniforme. « Est-ce que tu as besoin d'être à Poudlard en permanence pour protéger le coffret ? »

Un sourire torve étira les lèvres de l'elfe, ce qui, somme toute, était un peu effrayant. « Si Maître Sirius ordonne à Kreattur de garder le coffrer, Kreattur gardera le coffret où que Kreattur soit. »

« Je t'ordonne d'empêcher qui que ce soit qui ne soit pas moi ou Severus de prendre le coffret sans notre accord. Tu as l'autorisation d'user de toute la violence et magie que tu jugeras nécessaires s'il résiste mais je veux un potentiel voleur vivant. » décréta-t-il. Il aurait inclus Bill mais… Non. Il faisait confiance au Briseur de Sorts, ce n'était pas le problème, toutefois il ne voulait rien risquer. « Tu n'as toujours pas le droit de parler à Bella, Narcissa ou aucun représentant de Voldemort. Et tu n'as toujours pas le droit de quitter le Square Grimmaurd sauf si le coffret est en danger ou si je t'appelle. » Il réfléchit à nouveau puis termina le chocolat en deux longues gorgées. « Kreattur, fais ce que les membres de l'Ordre te disent mais que ce soit clair : les seuls ordres auxquels tu doives obéir sont les miens et, si je ne suis pas là, ceux de Severus. Ou d'Harry. Harry Potter est mon hériter, tu sais ce que ça veut dire. »

Kreattur s'inclina à nouveau.

« Maître Sirius va donner des ordres à Kreattur ? » s'enquit l'elfe avec un peu trop d'enthousiasme. « Kreattur va de nouveau pouvoir être un bon elfe ? »

Je sais que cet elfe est resté enfermé dans cette maison pendant près de seize ans, avec un horcruxe et le portrait de ta mère pour seule compagnie, et que la bâtisse elle-même a été contaminée par des décennies de magie noire. Je sais également qu'un elfe de maison à qui on ne donne pas d'ordres, qui ne peut pas s'occuper de sa famille et qui est délaissé se laisse généralement dépérir.

Il n'était pas impossible que Severus ait raison, que ceci soit une version d'Azkaban pour un elfe de maison.

« Ton ordre principal est de protéger le coffret, pour l'instant. » répéta Sirius. « Mais, je suppose que… La maison mériterait un bon nettoyage. Si tu t'en sens capable. »

L'elfe était déjà vieux quand Sirius était enfant, après tout.

« Kreattur est un bon elfe. » contra la créature, comme si l'Animagus venait de l'insulter. « Maître Sirius revient vivre à la maison ? Kreattur prendra bien soin du Maître maintenant. »

« Non, je travaille à Poudlard. » nia-t-il rapidement et farouchement.

L'elfe perdit de son enthousiasme.

« On avisera dans quelque temps, d'accord ? » s'entendit-il promettre. « Si on arrive à se supporter… Peut-être que tu pourras venir à Poudlard avec moi. » Juste parce que ce vieux crapaud avait toujours l'air déçu et parce qu'il se sentait coupable vis-à-vis de Regulus, il ajouta « Les elfes de là-bas n'ont pas ta longue expérience. Ils me servent moins bien. »

Kreattur s'inclina plusieurs fois avec tellement d'entrain qu'il manqua se cogner sur la table basse.

Et Sirius ne put s'empêcher de se dire qu'il allait le regretter.

°O°O°O°O°

Albus attendit impatiemment que Severus sorte de la cheminée, stabilisant automatiquement l'autre sorcier lorsque celui trébucha. Le Maître des Potions vacilla un instant avant de prendre appui sur sa canne et de se dégager, les joues légèrement rougies de cet instant de faiblesse.

Ou peut-être était-ce autre chose…

« Qu'est-il arrivé à votre visage ? » demanda le vieux sorcier, en fronçant les sourcils.

Severus le dévisagea un moment avec incompréhension puis sa main libre esquissa un geste vers sa propre joue avant de retomber mollement. « Une histoire très embarrassante impliquant mon chat et Nymphadora sur laquelle je préfèrerai ne pas m'étendre. »

Il croisa le regard d'Albus très brièvement et ce dernier ne put s'empêcher de…

Ton chat me déteste, se plaignait Tonks dans l'esprit du Professeur, la bribe de scène saturée d'affection et d'amusement.

Ce fût tout ce qu'Albus eut le temps de voir avant que l'homme ne dresse des boucliers hâtifs et beaucoup moins subtils que par le passé mais non moins infranchissables.

« Était-il nécessaire de violer mon intimité ? » siffla Severus.

« Non. Non… » s'excusa-t-il, dans un soupir, en l'invitant d'un geste à quitter le bureau de Poppy. « Ce n'était pas à dessein, j'ai eu une après-midi difficile. »

« Nous en sommes tous là. » marmonna son enseignant, ravivant sa curiosité. « Que se passe-t-il ? »

« Gellert… » hésita Albus, en s'arrêtant au milieu de l'infirmerie bien heureusement déserte. « Poppy n'est pas très optimiste et veut votre opinion sur des potions. J'espérais… Peut-être pourriez-vous… »

Son ancien espion le regardait avec une expression neutre bien que légèrement compatissante.

« Poppy est Médicomage, Albus. » lui rappela le jeune homme, non sans un certain tact. « S'il ne s'agit ni d'un empoisonnement, ni d'une malédiction… Elle a davantage d'autorité que moi en la matière. »

« Certes, mais peut-être aurez-vous une de ces idées brillantes dont vous êtes coutumier en matière de potions. » rétorqua-t-il. Il savait que son ton était capricieux, qu'il s'enferrait dans un déni qui ne lui apporterait rien… « Faites ce que vous pouvez, Severus. C'est une faveur que je vous demande. »

Il connaissait suffisamment le jeune homme pour savoir qu'il ne rejetterait pas cette offre.

Il savait aussi qu'il le regretterait sans doute plus tard lorsque le sorcier exigerait qu'il la lui rende. Il s'attendait, sans crainte de se tromper, à une conversation animée lorsqu'il serait question de l'endroit où Harry passerait ses vacances d'été et il prévoyait que Severus se servirait de cette faveur pour lui extorquer l'autorisation de garder le garçon avec lui.

Ce qui était trop dangereux, beaucoup trop dangereux, mais pourtant…

« Très bien. » accepta le Maître des Potions, sans grande surprise. « Mais je ne garantie rien. »

Ils se remirent à marcher lentement. Poppy avait installé Gellert dans le fond, à l'abri des regards indiscrets.

« Que faisiez-vous au Square Grimmaurd ? » s'enquit Albus, plus pour se distraire qu'autre chose.

Severus émit un bruit amèrement amusé. « La plupart des gens ne demandent pas une faveur à quelqu'un uniquement pour lui faire subir un interrogatoire dans la seconde qui suit. »

« Ce n'était qu'une question, pas un interrogatoire. » rétorqua-t-il. « Y aurait-il matière à un interrogatoire ? »

L'ancien Mangemort soupira avec une mauvaise humeur manifeste. « Demandez à Lupin. Apparemment j'ai besoin de son autorisation pour aller au Q.G. désormais. J'avais besoin de consulter le traité sur la lycanthropie de Mafalda Hopkins et la copie de Poudlard est, comme vous le savez, endommagée, si vous voulez tout savoir. Il y a de véritables trésors dans la bibliothèque des Black… »

L'explication était raisonnable.

Pourtant…

« Et Sirius ? » pressa-t-il.

Il n'était pas tout à fait certain de ce qu'il avait interrompu par son appel par cheminette mais il était évident que la conversation avait été tendue. Étant donné la posture défaite de l'Animagus, il s'était presque attendu à ce qu'ils lui annoncent une nouvelle catastrophe.

« Douze ans à Azkaban. » lâcha Severus, avec hésitation. « Il n'est pas aussi remis qu'il aimerait le faire croire et passer du temps dans cette maison ne l'aide en rien. »

« Certes. » admit-il. « Le contraindre à y rester enfermé n'a pas été ma plus brillante idée. Pourquoi y est-il retourné aujourd'hui ? Je ne le lui avais pas demandé. »

« Il a engagé Bill Weasley pour examiner quelques artéfacts. Il y a énormément d'objets dangereux au Square Grimmaurd et Weasley a besoin d'argent. Cela dit… » répondit le Professeur, avant de ralentir le pas, comme s'il hésitait. « En toute confidence ? »

« Bien sûr. » acquiesça-t-il immédiatement, les entourant d'une bulle de silence d'un geste distrait de la main.

Severus hésita quelques secondes de plus, comme s'il n'était pas certain de ne pas trahir la confiance de son ancien rival. Albus n'aurait jamais cru que ces deux là puissent jamais devenir amis. Il avait espéré une tolérance bordée d'hostilité mais n'avait pas osé exiger plus d'eux…

Et, certes, cela contrariait ses projets vis-à-vis du garçon car, unis, ils formaient un obstacle de taille mais une part de lui était tout de même heureux qu'ils aient appris à mettre leurs différents de côté. Severus avait besoin d'un ami sur lequel il pouvait compter en toutes circonstances et Sirius avait besoin qu'on le tempère.

« Remuer ces objets a ravivé des souvenirs douloureux. » confia finalement le Maître des Potions. « Je n'avais pas conscience que ne pas savoir ce qui était arrivé à son frère le perturbait autant après tout ce temps. »

« Ah, Regulus Black… » murmura-t-il, en hochant tristement la tête. « Il a refusé d'admettre qu'il était touché par sa disparition à l'époque. Et puis, les Potter venaient d'être placés sous Fidelitas, nous soupçonnions Remus… Je n'ai pas pu prêter à l'affaire l'attention qu'elle méritait peut-être. »

« Il est mort. » lâcha Severus. « J'ai au moins pu le lui confirmer. »

Albus ressentit un élan de compassion coupable. « Espérait-il que… »

« Il n'y avait pas de corps. » soupira le Maître des Potions. « Je suppose qu'une partie de lui pensait qu'il avait pu s'échapper. »

« Vous savez donc ce qui lui est arrivé ? » demanda-t-il curieusement.

« Le Seigneur des Ténèbres lui est arrivé. » se moqua sinistrement l'ancien Mangemort. « Me l'auriez-vous demandé à l'époque, j'aurais pu vous renseigner et il n'aurait pas eu à vivre dans l'incertitude pendant toutes ces années. »

À l'époque, il avait désiré des informations plus importantes de son tout nouvel espion que le sort d'un Mangemort de piètre rang, eut-il été le frère d'un des membres de l'Ordre. Exiger des réponses de Severus ne lui avait même pas effleuré l'esprit.

Néanmoins s'il avait su que la disparition de Regulus avait réellement impacté Sirius…

« Je vois. » murmura Albus. « Puis-je faire quelque chose ? »

« Ne surtout pas lui dire que je l'ai mentionné. » grinça Severus. « Je ne vous en parle qu'en toute confidence. »

Il esquissa un sourire qu'il fit de son mieux pour dissimuler. « Il n'y a pas de mal à s'inquiéter pour un ami, mon garçon. »

Le sorcier grommela entre ses dents mais ne protesta pas ouvertement le qualificatif.

Ils approchaient de l'alcôve où reposait Gellert, il pouvait entendre la voix de l'infirmière qui égrenait des recommandations qui ne le sauveraient pas. Il mit momentanément de côté le chagrin de Sirius, autant pour retarder le moment d'affronter à nouveau la réalité brutale qui l'attendait derrière le rideau qui entourait ce lit que par sincérité.

« Je suis heureux que vous vous confiez à nouveau à moi. » avoua-t-il. « Votre amitié m'a manqué. »

Il crut percevoir un bref éclat de culpabilité dans le regard de Severus mais celui-ci fût gommé par des boucliers mentaux parfaits.

« Tant que vous ne tentez pas de vous servir de mon fils, il n'y a pas lieu d'être ennemis, Albus. » répondit le Professeur.

Une promesse et un avertissement, tout à la fois.

°O°O°O°O°

Il régnait dans la salle commune de Gryffondor une cacophonie ambiante qui lui donnait mal à la tête. Draco ne se plaignit pourtant pas, resserrant plutôt les bras autour de la jeune fille assise entre ses jambes. Certes, Granger était plus occupée à tourner frénétiquement les pages de leur livre d'Histoire de la Magie qu'à lui prêter la moindre attention et, certes, ils étaient assis à même le sol comme la plèbe pendant que les Weasley se partageaient les canapés et les fauteuils, passant une lettre d'un de leurs frères à la ronde.

Potter était assis par terre lui aussi, occupé à trier des fiches de révision – ou à faire semblant de trier des fiches pour éviter les remarques de Granger.

Il appuya la tête contre le fauteuil dans son dos, sans se préoccuper du fait que Ginny y était installée. Il ferma les yeux quelques secondes, uniquement pour les rouvrir brusquement lorsque le coussin sous sa joue l'éjecta brusquement.

Il rougit légèrement lorsqu'il se rendit compte qu'il s'était endormi et que sa tête avait roulé sur la jambe de la quatrième année.

« Utilise ta petite amie comme oreiller. » protesta Ginny, sans réelle hostilité.

Draco marmonna une excuse et ignora les regards emplis d'inquiétude, particulièrement celui de Granger, pour accidentellement rencontrer celui de Potter qui semblait très agacé. Qu'avait-il fait pour provoquer la colère du Gryffondor exactement ? La réponse lui vint lorsque la quatrième année plaça les mains sur ses épaules pour le secouer gentiment, avec ce qui passait pour de l'affection chez les lions.

« Tu sais, tu pourrais dormir ici, ce soir. » suggéra le Survivant, l'irritation disparaissant au profit d'une expression lisse. « Prends mon lit, si tu veux. Je vais dormir chez mon père. »

Il ne s'habituerait jamais à la manière dont Potter clamait que Snape était son père.

Preuve qu'il était beaucoup plus épuisé qu'il ne voulait l'admettre, cependant, il hésita.

« C'est une excellente idée. » décréta Granger, en le suppliant des yeux. « Comment veux-tu réussir tes B.U.S.E.s si tu ne fais que somnoler toute la nuit ? »

« Oui, parce que c'est les B.U.S.E.s l'important. » se moqua Ron. « Pas le fait que quelqu'un ait mis un putain de serpent venimeux dans son lit. »

Quelqu'un qu'il refusait de laisser gagner, se remémora fermement Draco.

« Une nuit. » intervint Potter, avant qu'il ait pu leur dire qu'il gérait parfaitement la situation. « Une seule nuit, Malfoy. Ce n'est pas perdre la face. »

Une nuit ne serait pas tout à fait une capitulation mais ce n'était pas non plus idéal et…

« J'irais dans la salle commune avec toi demain. » promit le Survivant. « Histoire qu'on nous voit ensemble. »

« Je n'ai pas besoin de me cacher derrière toi. » grommela-t-il.

Mais il ne pouvait nier que l'influence de la coqueluche du monde magique avait son importance et le fait était qu'être associé avec lui était excellent pour sa réputation. Certes, cela avait l'effet désagréable d'enrager d'autant plus ceux qui le traitaient de traître mais c'était sa réputation qui comptait. Celle des Malfoy. La guerre ne durerait pas toujours et il comptait bien être une des influences qui forgeraient le monde magique lorsqu'elle serait terminée. Il ferait honneur à sa Maison.

« À charge de revanche. » répondit Potter, sur le ton de la conversation. « Tu me devras une faveur. »

Si Serpentard. Cela le perturbait toujours que le Survivant soit si adepte à manier le langage des serpents – ou des Sang-Purs.

Sans compter qu'étant donné la manière dont l'autre garçon s'était appliqué à établir qu'ils étaient, si ce n'était amis, au moins alliés et la mesure de protection que cela lui avait déjà offert, Draco lui devait déjà plus d'une faveur.

Il était fatigué.

Si fatigué.

Cela faisait si longtemps qu'il ne dormait que d'un œil…

« Allez. » insista Ron. « Soirée pyjama. »

« Tu sais… » commença Fred.

« Si tu nous disais… » continua George.

« Quels Serpentards ont besoin… » enchaina l'autre.

« Qu'on leur botte le cul… » termina le deuxième.

« Je peux me débrouiller seul. » riposta-t-il, sans parvenir à y mettre un degré suffisant d'agacement.

Les Gryffondors avaient une manière très différente d'exprimer leur affection que les Serpentards. Il aimait ses amis mais ils n'étaient ni très démonstratifs, ni très ouvertement vocaux. Les Gryffondors avaient l'amitié presque oppressante. Il ne comptait plus le nombre de bourrades, de bousculades et d'étreintes distraites dont il avait fait l'objet ces derniers mois. Comme si c'était normal d'être aussi… expansifs.

De fait, les lèvres de Granger se posèrent sous sa mâchoire, ce qui était totalement déloyal.

« S'il te plaît ? » chuchota-t-elle.

Les bras de Ginny se refermèrent autour de ses épaules dans une étreinte lâche et elle se pencha pour lui murmurer à l'oreille. « Tu sais que les filles peuvent accéder aux dortoirs des garçons, je dis ça, je dis rien… »

« Ginny ! » protesta Granger, riant à moitié, le visage cramoisi.

« Quoi ? » demanda Ron, en fronçant les sourcils. « Quoi ? Qu'est-ce qu'elle a dit ? »

Draco ricana. « Rien que tu n'approuverais. »

S'en suivit une conversation incompréhensible où tout le monde cherchait à parler plus fort que les autres. Dans le chaos ambiant, un chaos qui ne lui portait plus autant sur les nerfs qu'au début s'il devait être honnête, il croisa à nouveau le regard de Potter.

« D'accord. » capitula-t-il. « Mais juste pour ce soir. Et à charge de revanche. »

°O°O°O°O°

Harry sut qu'il était tombé dans un traquenard à la seconde où on toqua à la porte et qu'il vit Severus se figer avec une tension indéniable.

Pourtant, jusque là, la soirée avait été agréable. Le Professeur lui avait fait un résumé succin de sa journée, l'important étant, bien sûr, l'horcruxe désormais enfermé dans le coffre fort dissimulé dans un rayonnage de la bibliothèque. Harry ne savait pas s'il était heureux qu'ils l'aient trouvé ou… Il n'était pas sûr de ressentir quoi que ce soit, à vrai dire, mis à part du soulagement que personne n'ait été blessé.

Excepté Regulus, apparemment.

Tout en préparant le repas, Severus lui avait réexpliqué, avec une impatience à peine voilée, les interactions des bases et des catalyseurs en Potions, lui faisant réciter tout un tas de passages appris par cœur – et dont le Professeur n'était pas entièrement satisfait parce que, apparemment, Slughorn n'était pas assez précis. Harry était parvenu à ne pas trop se ridiculiser bien qu'il ait continué à alterner bêtement tutoiement et vouvoiement comme un idiot.

Et voilà que Severus déposait une troisième assiette sur la table.

« Va ouvrir, s'il te plait. » exigea son père, avec naturel. À croire que rien ne clochait. Sauf qu'Harry le connaissait trop bien pour ne pas remarquer à quel point il se tenait droit, presque comme s'il se préparait à un duel.

« C'est Tonks ? » demanda-t-il, alors qu'on retoquait à la porte.

Il ne voyait que la présence de l'Auror pour rendre Severus aussi nerveux. Et, il fallait l'admettre, la perspective de toute une soirée avec la jeune femme avait quelque chose d'un peu bizarre. Harry n'était plus réellement mal à l'aise, il s'était habitué à l'idée que Tonks fasse désormais partie de leurs vies et il était naturel qu'elle passe plus de temps dans leurs appartements, mais… Oui, tout ça était toujours nouveau et un peu déstabilisant et il était un peu anxieux à l'idée de faire bonne impression. Mais il était également déterminé à ce qu'elle soit à l'aise chez eux.

« Ton parrain. » répondit Severus, contre toute attente.

Il fronça les sourcils. « Pourquoi il frappe ? »

« Parce que je lui ai retiré le droit d'entrer comme il veut tant qu'il n'aura pas appris les bonnes manières. » grinça le Professeur. « Va lui ouvrir. »

Le Maître des Potions n'aimant pas se répéter, Harry s'exécuta, avec cette sensation somme toute familière qu'il se jouait quelque chose qu'il ne comprenait pas. Sirius lui sourit dès qu'il ouvrit la porte, lui ébouriffant les cheveux et invectivant immédiatement Severus à propos des protections qui lui avaient refusé l'entrée…

Il les regarda se chamailler comme ils en avaient l'habitude, incapable de ne pas penser que quelque chose sonnait faux.

Sirius en faisait trop.

Il riait trop fort, parlait de manière trop enjouée et ne se départait pas d'un sourire qui n'atteignait pas ses yeux.

Quant à Severus… Il était plus dur de détecter ce qui n'allait pas chez l'ancien espion parce que celui-ci occludait juste assez pour que son expression soit calme sans être excessivement neutre, ses gestes étaient mesurés sans être mécaniques et s'il entretenait la conversation avec Sirius, il ne paraissait pas tout à fait intéressé non plus.

Ils étaient assis à table depuis plus de dix minutes et Harry avait plus moins massacré le morceau de poisson qu'on lui avait servi lorsque le Professeur se racla la gorge.

« J'ai des nouvelles. Des nouvelles qui ne doivent pas sortir d'ici. » déclara le Professeur.

Harry se tendit, s'attendant au pire.

Sirius, à son habitude, chercha à désamorcer la tension dans l'air avec une plaisanterie.

« Tu as trouvé qui a enchanté ta cape ? Non parce que toute l'école ne parle que de ça… Il parait que c'était génial, une farce digne des Maraudeurs… Curieux qu'on t'ait filé une écharpe de Poufsouffle, cela dit… Vu cet article dans la Gazette, j'aurais choisi Gryffondor… » se moqua son parrain. « Qu'est-ce que tu en dis, Harry ? »

« Euh… » répondit-il, avec une grande éloquence.

« Je sais que c'est un concept qui t'est étranger, mais je suis sérieux. » le rabroua Severus, en découpant avec davantage de méthode que de finesse sa propre part de poisson. Harry n'arrivait jamais à ôter les arrêtes aussi proprement et il n'avait pas l'excuse de mains tremblantes.

« Mais moi aussi ! » protesta Sirius. « On ne peut quand même pas laisser Poufsouffle voler notre Gryffondor honoraire. »

« Severus adore les Poufsouffles. » ricana Harry.

Un regard noir le renvoya à l'examen de son assiette, ce qui ne l'empêcha pas de sourire autour d'une bouchée d'haricots verts.

« Vraiment ? » murmura l'Animagus, en dévisageant Severus. « Notre cher Professeur de Défense a bien mentionné que tu en savais plus que moi sur sa mystérieuse amie. Es-tu en train de me dire que c'est une Poufsouffle ? »

« Euh… Oups ? » grimaça-t-il, en quêtant le regard de son père.

Le Maître des Potions se pinça l'arrête du nez.

« Pas Chourave, quand même… » marmonna Sirius, en fronçant les sourcils. « Qui est-ce qu'on connait qui était à Poufsouffle ? Oh ! Oh ! Trudy Travers ! Attends… Son frère n'est pas un Mangemort ? »

« Qui ? » demanda Severus, apparemment ahuri.

Harry étouffa son rire dans sa serviette.

« Mais si ! Trudy ! » insista l'Animagus. « Elle était dans la même année que nous. Jolie. Très, très jolie, même… James est sorti avec elle pendant… » Son parrain s'interrompit brusquement. « Euh… C'est peut-être pas la meilleure anecdote. » Il se racla la gorge. « Ce n'est pas Trudy ? »

« Je ne sais même pas de qui tu parles. » siffla Severus. « Peut on se concentrer, à présent ? »

« Tu n'es pas sérieux. » accusa Harry, une fois qu'il fût parvenu à maîtriser son amusement. « Tu sais très bien qui c'est mais tu veux juste le faire tourner en bourrique. »

Sirius regarda son filleul avec une innocence qui ne paraissait pas feinte. « Comment je saurais ? Il ne veut rien me dire. Mes suspectes principales sont Sinistra et McGonagall mais si tu me dis que c'est une Poufsouffle… »

« Beurk ! » s'exclama-t-il, en se cachant les yeux comme pour mieux chasser les images dégoûtantes que les suppositions de son parrain avaient fait naître. Il n'avait vraiment pas envie d'imaginer son Professeur d'Astronomie ou de Métamorphose avec son père. Vraiment, vraiment pas. « Beurk, beurk et beurk. »

« Je sais ! » soupira Sirius. « Aurora, je ne dis pas, je n'aurais rien contre, mais McGonagall, c'est… »

« Le Seigneur des Ténèbres a en sa possession une baguette suffisamment puissante pour rayer une ville comme Cardiff de la surface de la planète d'un simple geste. » intervint Severus, non sans ironie. « Mais, je vous en prie, continuez à échafauder des hypothèses abracadabrantes sur ma vie sentimentale. »

Harry perdit toute envie de rire. « Quoi ? »

Un brin de remord passa sur le visage de son père, probablement pour la brusquerie avec laquelle il venait d'annoncer cette nouvelle. « Ollivanders n'a pas eu le temps de terminer la baguette mais le Seigneur des Ténèbres l'a apparemment fait pour lui. »

Sirius non plus ne riait plus.

Il semblait digérer l'information.

« Comment tu le sais ? » s'enquit finalement son parrain.

« Parce qu'Albus me l'a dit. » soupira Severus.

« Et il le sait parce que… » insista Sirius.

L'ancien espion ne répondit pas mais haussa un sourcil, l'invitant à former ses propres conclusions.

Ce n'était pas si dur de déduire que Dumbledore avait retourné quelqu'un d'autre dans les rangs des Mangemorts. Après tout, Voldemort avait lui aussi un agent infiltré…

« Est-ce que c'est une bonne ou une mauvaise chose que nos baguettes n'aient plus de cœurs jumeaux ? » demanda-t-il, juste pour tromper la tension entre les deux adultes.

À nouveau, Severus poussa un léger soupir. « Le temps nous le dira mais comme je ne compte pas lui laisser l'opportunité de t'approcher, la question ne se pose, de toute manière, pas. »

C'était très optimiste de penser qu'il pouvait l'empêcher mais Harry avait depuis longtemps appris à ne pas trop insister sur les sujets qui fâchent. Il se contenta donc de remuer des bouts de poisson et des haricots verts d'un côté à l'autre de l'assiette avec sa fourchette, en écoutant son père et son parrain discuter de ce que cela changeait pour la guerre.

« Harry, termine ton assiette. » ordonna Severus, alors que la discussion venait de dériver sur Kreattur et la décision de Sirius de faire un effort avec l'elfe de maison.

« Je n'ai plus faim. » marmonna-t-il, tout en se sentant ingrat de gaspiller de la nourriture. À Poudlard, ce n'était jamais un problème. Mais…

« S'il te plait. » insista son père. « Tu n'as presque rien avalé. »

« Allez… » l'encouragea Sirius, avec une légère bourrade affectueuse. « On commandera de la tarte à la mélasse aux cuisines en dessert. »

Il était incapable de résister à la tarte à la mélasse, même s'il s'agissait très visiblement d'une manipulation peu subtile. Avec un soupir, il entreprit d'empiler autant d'haricots et de bouts de poisson qu'il le pouvait sur sa fourchette afin de terminer plus rapidement, ignorant le regard amusé de son parrain autant que celui réprobateur de son père. Non, ses manières à table n'étaient pas impeccables, Sev le lui avait assez reproché en soixante-quinze.

Un coup de baguette distrait de Severus envoya la vaisselle sale dans l'évier et ce qu'il restait de poisson dans le placard sous sort de stase qui permettait de conserver les aliments au frais comme un frigo.

« Tu fais du thé ? » ordonna plus que ne demanda Sirius au Professeur, en guidant Harry vers le salon par les épaules. « Je m'occupe de contacter les cuisines par cheminette. »

Et, à nouveau, alors qu'il était mené jusqu'au canapé comme un enfant, Harry se dit que ça sentait le coup fourré.

Parce que, une fois qu'il eut récupéré trois assiettes par la cheminée, Sirius se laissa tomber dans le fauteuil à sa gauche et Severus, une fois qu'il eut fait léviter un plateau avec tasses et théière jusqu'à la table basse, s'installa dans son fauteuil préféré à sa droite. Harry se retrouva au milieu, la cible indéniable de leurs regards scrutateurs.

Cela aurait peut-être été moins suspect si les deux hommes n'avaient pas échangé des coups d'œil nerveux.

La partie de lui qui avait passée huit mois à Serpentard lui soufflait d'attendre et voir.

Son côté Gryffondor, en revanche, en avait assez de leur manège.

« D'accord, qu'est-ce qui se passe ? » demanda-t-il, n'y tenant plus.

« Comment ça ? » répondit innocemment Severus.

Harry leva les yeux au ciel. « On dirait que vous allez m'annoncer une catastrophe. Ou que vous êtes soudainement tombés amoureux. » Il jeta un regard lourd de sens au Professeur de Défense. « Mais comme je sais que ça, ce n'est pas possible… »

« Absolument, irrémédiablement impossible. » confirma Sirius gaiment.

« Tu peux arrêter de faire semblant d'être de bonne humeur, aussi, parce que ça se voit que tu te forces. » rétorqua-t-il, avant de le regretter immédiatement. Sirius ne se forçait pas à avoir l'air de bonne humeur parce qu'il voulait l'entourlouper mais parce que…

Parce qu'il devait être très triste d'avoir appris ce qui était vraiment arrivé à son frère.

« Harry. » cingla Severus avec un mécontentement évident.

« Désolé. » offrit-il sincèrement, mal à l'aise.

« Non, non… » soupira Sirius. « Je suppose qu'on n'est pas très… subtils. Bon, écoute… On a juste besoin de te poser une ou deux questions. »

Il fronça les sourcils. « Quelles questions ? »

Visiblement, ce n'était pas l'approche qu'aurait choisie le Maître des Potions parce qu'il claqua la langue. Sur coup de baguette impérieux, la théière se mit à servir le thé toute seule.

« Les Dursley ont-ils un chat ? » s'enquit lentement Severus.

Harry se détendit légèrement.

Il aurait dû savoir qu'il était question des Dursley. Il s'y était attendu. Il avait dit à Severus que Dumbledore le forcerait à y retourner.

C'était ça qu'ils voulaient lui annoncer et c'était pour ça qu'ils étaient bizarres. Ils se sentaient coupables.

« Un chat ? » répéta-t-il, imaginant avec amusement la réaction de Tante Pétunia s'il retournait à Privet Drive avec Masque. Il avait eu suffisamment de mal à lui faire accepter la présence d'Hedwige qu'il pouvait garder en cage. « Jamais. Tante Pétunia aurait une attaque. »

Il ricana rien que de l'imaginer devoir changer une litière ou chasser les poils sur ses vêtements. Non… Un chat n'aurait pas fait long feu chez les Dursley. Dudley les avait suppliés de le laisser adopter un des chiens de Marge à une époque et c'était peut-être la seule de ses requêtes que ses parents aient jamais refusée.

Il se pencha pour attraper sa part de tarte à la mélasse et croqua dedans, ricanant toujours en imaginant Pétunia adopter un félin. Il cessa de rire lorsqu'il remarqua la mine grave de Severus et l'air préoccupé de Sirius.

« Quoi ? » demanda-t-il, la bouche pleine.

Le Professeur ne lui rappela même pas d'avaler avant de parler.

« S'ils n'ont pas de chats… » hésita Severus. « Pourquoi y a-t-il une chatière sur la porte de ta chambre ? »

La question le prit de court.

D'un coup, il eut très chaud, puis très froid, à mesure que la panique montait…

Il reposa la part de tarte dans l'assiette. « Vous êtes allés chez les Dursley ? »

Il ne savait pas pourquoi il avait pris un tel ton accusateur.

Peut-être parce que l'idée de son père ou de son parrain se retrouvant à parler avec Pétunia ou Vernon… Ce n'était pas tant qu'il craignait que son oncle et sa tante les convainque qu'il n'était qu'un moins que rien mais…

« Non. » réfuta le Maître des Potions. « Nymphadora m'en a parlé. De ça et des verrous. »

La colère fût fulgurante et suffisamment forte pour qu'il sente s'agiter l'horcruxe en lui. « Peut-être que Nymphadora devrait se mêler de ses affaires. »

Lui et Severus s'affrontèrent longtemps du regard.

Il n'y avait aucune hostilité dans les yeux de son père, cependant, juste de l'inquiétude et une affection que l'homme ne faisait aucun effort pour masquer. Peu à peu, la colère céda la place à la honte et il détourna la tête.

« Harry. » tenta Sirius. « Tu sais qu'on est là pour toi. »

« Je ne vois pas pourquoi on doit parler de ça. » lâcha-t-il.

« Parce que nous sommes inquiets. » répondit Severus, presque trop bas. « Parce que tu me l'as caché et que cela me pousse à me demander si tu ne m'as pas dissimulé autre chose. »

« Je ne t'ai rien caché. » contra-t-il. « Ce n'est juste jamais venu dans la conversation. »

« Eh bien, emmenons le dans la conversation. » intervint son parrain, avec un sourire qui tenait plus de la grimace qu'autre chose. « Pourquoi tu ne nous dis pas pourquoi ces verrous et cette chatière sont là ? »

« Pourquoi, à ton avis ? » rétorqua-t-il, avec trop d'agressivité. Il jeta un coup d'œil à son père, attendant le rappel à l'ordre qui ne vint pas. Severus occludait et pas qu'un peu. « Écoutez… » Il soupira, fit un effort pour prendre un ton plus raisonnable. « Ce n'est vraiment pas si terrible que ça… Ce n'est vraiment pas la peine d'en faire toute une histoire… »

« T'enferment-ils ? » demanda franchement Severus.

S'il avait pensé que cela fonctionnerait, Harry aurait peut-être menti. « Des fois. »

« Une heure ? Une après-midi ? » insista le Professeur.

Il risqua un regard vers Sirius mais son visage était fermé, lui aussi. Il posa l'assiette sur la table basse, l'appétit bel et bien coupé, même pour de la tarte à la mélasse. « C'est surtout la nuit. Ils ont peur de moi, c'est tout. »

« C'est tout. » répéta son père d'un ton cassant, presque moqueur.

« Severus. » l'avertit Sirius.

Il savait que ce n'était pas dirigé contre lui mais ça ne l'empêcha pas de tressaillir. Sans réfléchir, il attrapa le plaid roulé en boule dans un coin et, après avoir replié ses jambes sur le canapé, s'enroula dedans.

Severus adressa à l'autre sorcier un hochement de tête puis reprit, d'une voix un peu plus contrôlée. « La nuit, tu dis. Que se passe-t-il si tu dois utiliser la salle de bain ? »

Il n'allait certainement pas réveiller les Dursley parce qu'il avait envie d'aller aux toilettes, si ? Quelle question idiote. Il haussa les épaules. « Je me retiens. » Il soupira. « On sait déjà qu'ils ne m'aiment pas. Pourquoi est-ce qu'on doit ressasser tout ça ? »

« Ils t'ont déjà gardé enfermé plusieurs jours d'affilé ? » demanda Sirius, comme s'il n'avait pas parlé.

À nouveau, Harry haussa les épaules et prétendit ne pas remarquer le regard que les deux hommes échangèrent.

« À quoi sert la trappe dans la porte ? » insista Severus.

Il n'allait pas laisser tomber, il le savait.

« Si je suis punis plusieurs jours, Tante Pétunia me donne à manger par là. » admit-il.

« Punis. » siffla son père.

« Severus. » le rappela à nouveau à l'ordre Sirius.

C'était un peu drôle que son parrain parvienne à rester calme alors que le Professeur soit celui qui peinait à ne pas exploser, se dit-il.

Ou peut-être était-ce juste triste.

« Et pourquoi te punissaient-ils ? » grinça Severus. « Donne-moi un exemple d'une infraction qui vaudrait d'être enfermé plusieurs jours pour ta harpie de tante. »

Il ouvrit la bouche et la referma immédiatement, peu sûr de comment expliquer la chose. Privet Drive était un monde différent de Poudlard avec ses propres règles. Il y avait de nombreuses offenses, petites ou grandes, qui pouvaient valoir de se voir jeté dans son placard. Ou sa chambre. « Si je les réveille avec mes cauchemars, par exemple. Ou s'ils reçoivent des gens et qu'ils ne veulent pas que je les embarrasse. »

Severus se leva un peu brusquement, le poussant à se recroqueviller dans le coin du canapé avec sa couverture. Sa réaction le fit se figer et le Professeur parut chercher le regard de son parrain.

Sirius avait l'air très grave, plus grave peut-être qu'Harry l'avait jamais vu et ça incluait la fois où il l'avait supplié de lui donner une chance après leur retour de soixante-quinze. « Il faut qu'on te demande quelque chose et il faut que tu nous répondes franchement. » L'Animagus attendit qu'il hoche la tête pour continuer. « Est-ce qu'ils ont jamais été violents avec toi ? »

Harry tourna les yeux vers Severus sans comprendre. « On a déjà parlé de ça. Je vous ai dit que non. Ce n'est pas comme… »

Il ravala la fin de sa phrase.

« Qu'ils n'aient pas été aussi violent que mon père ne veut pas dire que ce serait acceptable s'il t'avait malmené d'une quelconque autre manière. » répondit le Maître des Potions, le prenant un peu par surprise.

Le regard vert fusa immédiatement vers son parrain mais Sirius n'avait pas l'air étonné.

« Harry… » reprit Severus, en venant s'asseoir à côté de lui sur le canapé. L'homme hésita puis posa une main sur son pied, couvert par le plaid. « Tu n'auras pas d'ennuis. Il n'y a pas de bonne ou mauvaise réponse, nous voulons juste la vérité. Nous voulons juste t'aider. »

Le garçon le dévisagea sans comprendre. « Mais j'ai dit la vérité. Ils n'ont jamais rien fait comme ça. Une claque à droite à gauche, peut-être, mais n'importe quoi d'autre aurait été trop fatiguant pour Vernon. Et Pétunia… Pétunia n'a jamais vraiment fait d'efforts quand elle agitait sa poêle à frire, elle ne me visait pas vraiment. » Il avait voulu plaisanter mais apparemment ce n'était pas bien drôle parce que la mâchoire de Severus s'était contractée à l'extrême. « Les seuls qui m'ont jamais frappé, c'est Dudley et sa bande, papa, je te jure. Et c'était il y a longtemps. Et j'arrivais à m'échapper la plupart du temps. J'ai toujours été rapide. »

La main posée sur son pied serra très, très fort.

Severus avait détourné la tête.

Sirius… Sirius n'avait pas l'air plus amusé.

« Je ne vais même pas demander si ton oncle et ta tante réprimandaient ton cousin lorsqu'il t'attaquait. » lâcha son parrain.

Harry leva les yeux au ciel. « Ils l'encourageaient, oui. Ils trouvaient ça drôle. »

« Tu n'as pas l'air de te rendre compte que tout ce que tu nous décris est une forme de maltraitance. » murmura Severus. « Psychologique et physique. Sans parler de la négligence manifeste. »

« Ce n'est vraiment pas si… » protesta-t-il, uniquement pour se voir couper la parole.

« Ne t'avise pas de me dire que ce n'est pas si terrible ou si grave. » l'interrompit son père.

Harry ne savait pas ce qu'il était censé dire, alors.

« Ce sont juste les Dursley. » soupira-t-il. « Ils sont comme ça. Je sais bien que ce n'est pas normal mais ce n'est pas comme si on leur avait laissé le choix, non plus… »

Peut-être que s'ils avaient eu le choix, ils auraient été plus gentils avec lui.

« Harry, qu'ils aient choisi ou pas de t'élever, rien ne justifie de traiter un enfant ou un adolescent de la manière dont ils l'ont fait. » intervint Sirius. « C'est inadmissible. Si tu m'en avais parlé plus tôt… »

Il tressaillit sous le reproche à peine voilé.

« Je t'ai dit qu'ils étaient horribles. » se défendit-il.

« Mais tu n'as pas dit qu'ils te traitaient comme… » contra son parrain.

« Parce que tu crois que si j'avais été heureux avec eux j'aurais accepté d'aller vivre avec toi cinq minutes après t'avoir rencontré alors qu'on pensait tous que tu étais un tueur en série jusqu'à une heure avant ? » se moqua-t-il, un peu méchamment.

Mouché, Sirius se tut.

La main que Severus posa sur son épaule était lourde et réconfortante. « Nous ne te faisons pas de reproches. »

« Ce n'est pas de ça que ça a l'air. » marmonna-t-il, en croisant les bras. « Qu'est-ce que ça change, de toute manière ? Vous êtes inquiets parce que je dois y retourner ? Je vous ai dit que ça m'était égal d'être enfermé… J'emmènerai juste de quoi manger et… »

« Tu ne retourneras jamais là-bas. » l'interrompit son père. « Je te le répéterai autant de fois qu'il le faudra. » Le Professeur fronça les sourcils. « Tu viens de dire que Pétunia te nourrissait par la trappe. Pourquoi aurais-tu besoin d'emmener de quoi te nourrir ? »

Un demi-mensonge lui vint spontanément aux lèvres. « Dudley doit suivre un régime. »

« Ce qui n'est pas ton cas. Au contraire. » répliqua Severus mais le garçon savait qu'il n'avait pas besoin de clarifier. « Décris-moi un repas normal chez les Dursley. »

Harry soupira. « Je suis obligé ? On sait tous les deux que ce n'est pas ce que vous considéreriez correct. »

Le Maître des Potions pinça les lèvres mais lui serra l'épaule. « Dis-moi que tu comprends pourquoi nous sommes tellement en colère, ton parrain et moi. »

Il détourna le regard avec un puissant sentiment d'injustice. « Ce n'est pas comme si j'avais volontairement caché des choses. Je vous ai parlé du placard et je vous ai dit qu'ils ne m'aimaient pas et ne s'occupaient pas de moi. D'accord, je n'ai pas dit qu'il y avait des verrous sur la porte ou qu'ils m'enfermaient toujours parfois, mais… »

« Harry, nous ne sommes pas en colère après toi. » l'interrompit doucement Severus.

Tout entier à son plaidoyer, il lui fallut une seconde pour comprendre. « Oh. »

Avec un léger pop, Sirius laissa place à Patmol. Le chien sauta entre eux sur le canapé et s'affala à moitié sur Harry. Par réflexe, l'adolescent se mit à le caresser comme il l'aurait fait avec un véritable animal. Severus, sans lâcher l'épaule du garçon, s'écarta légèrement en grommelant pour ne pas être collé contre lui.

« N'avons-nous pas eu cette conversation aujourd'hui même ? Tu n'es pas un vrai chien, Black. » grinça le Maître des Potions.

Patmol fit mine de ne pas l'entendre et pressa son museau humide dans le cou de Harry.

« Je ne comprends pas pourquoi c'est si important. » répéta-t-il, en agrippant à pleines mains la fourrure de l'Animagus. Pour le garder contre lui ou pour le repousser, il n'était pas sûr. « D'accord, ils m'enferment de temps en temps mais ce n'est pas le pire. »

« Non ? » releva Severus, en l'étudiant comme un de ses ingrédients de potions. « Quel est le pire, dans ce cas ? »

Sur la défensive, il haussa à nouveau les épaules, préférant garder le regard rivé au sol que de rencontrer celui de son père.

« Harry… » soupira ce dernier.

« Le pire, c'était quand Tante Pétunia accrochait les dessins de Dudley sur le frigo mais déchirait les miens. » cracha-t-il. « Le pire, c'était la fois où je l'ai accidentellement appelée maman et où elle a menacé de me laver la bouche au savon. Le pire, c'était la fois où j'ai voulu prendre la main de Vernon parce qu'il y avait trop de monde et où il m'a poussé comme si j'étais répugnant et est devenu si rouge qu'il était presque violet. Le pire, c'est le dégoût avec lequel ils m'ont toujours regardé. » C'était comme si tout l'air était sorti de ses poumons. Les mots l'avaient laissé épuisé. Sans douceur, il repoussa le chien qui sauta au sol. Le seul bruit était le cliquetis des griffes sur la pierre. « Je peux aller me coucher, maintenant ? Hermione veut qu'on se retrouve tôt pour réviser demain. »

Il refusa de croiser le regard de Severus.

« Harry… » murmura le Professeur.

« Je peux aller me coucher ? » répéta-t-il, sans trop savoir pourquoi il demandait la permission. Sa chambre était toujours au même endroit. C'était sa chambre. Il était chez lui ici. Cela faisait longtemps qu'il n'avait plus demandé la permission pour quoi que ce soit.

De quoi avait-il peur ? Que Severus, contaminé par son récit de sa vie chez les Dursley, le renvoie dans la Tour des lions ? Cela ferait désordre vu que Malfoy avait sans doute déjà pris son lit. Enfin, il y avait des canapés, de toute manière, ce n'était pas comme si…

« Bien sûr. » offrit Severus, presque à regret. « Harry… »

« Bonne nuit. » lâcha-t-il, avec finalité.

Sans un regard pour lui ou le chien, il se dépêcha de s'enfuir dans sa chambre. Il ne claqua pas la porte mais il hésita quelques secondes à la verrouiller avant d'y renoncer. C'était différent lorsque le verrou était du bon côté de la porte mais cela ne diminuerait pas l'impression de claustrophobie qu'il sentait se déclencher.

Heureusement, la fenêtre enchantée au dessus de son bureau donnait sur le parc et pas sous le lac.

Il prit son temps dans la salle de bain, savourant le fait de pouvoir prendre une douche chaude aussi longue qu'il le souhaitait. Sans doute Severus et Sirius auraient-ils eu des choses à dire s'ils avaient su que les Dursley lui interdisaient souvent l'eau chaude par soucis d'économies et le disputaient s'il y passait plus de cinq ou dix minutes.

Les légers coups à sa porte vinrent alors qu'il sortait de la salle de bain.

« Entrez. » marmonna-t-il, sans dévier de sa trajectoire. Il ne jeta pas un coup d'œil à l'homme qui pénétra dans sa chambre, repoussant la porte derrière lui juste assez pour leur donner un semblant d'intimité sans la fermer. Sirius était-il toujours dans le salon ? Il se jeta sur son lit et se glissa sous les draps.

Il n'eut pas le temps d'esquisser un geste vers le nécessaire à lentilles sur la table basse avant que Severus ne soit . Le Professeur remonta les draps, s'assurant qu'il soit bien couvert, et s'assit au bord du matelas.

Une boule apparut immédiatement dans la gorge de l'adolescent.

Il savait qu'il était trop vieux pour être bordé mais à chaque fois cela lui faisait chaud au cœur et il ne pouvait s'empêcher de s'imaginer une vie où il aurait été bordé tous les soirs de son enfance.

« Je regrette si nous t'avons blessé. » soupira Severus. « Nous nous y sommes mal pris. »

« Je ne vois pas pourquoi il faut en reparler. » grommela-t-il.

Le sorcier leva une main légèrement tremblante, hésita, puis dégagea les mèches qui lui tombaient sur le front. Malgré lui, Harry ferma les yeux, s'abandonnant à la tendresse de la caresse.

Encore une chose qu'il se plaisait à imaginer avoir toujours fait partie de sa vie.

« Il est important que tu en parles parce que je ne veux pas que tu finisses comme moi. » murmura son père.

« Le plus jeune Professeur à avoir jamais enseigné à Poudlard, un célèbre Maître des Potions avec un Ordre de Merlin première classe ? » se moqua-t-il.

Severus n'était visiblement pas d'humeur à plaisanter. Il semblait triste. « Un homme amer qui a passé trente-cinq ans replié à l'intérieur de sa propre tête pour tenir le monde à distance. Un homme qui, lorsqu'il a perdu la seule personne qui comptait pour lui, d'abord au figuré, s'est tourné vers une secte de magie noire et puis, lorsqu'il l'a ensuite perdue au sens propre, a passé des années à vouloir mourir et, en conséquence, à tâcher de s'assurer de rendre tout le monde aussi malheureux que lui. Un homme dur, acerbe et seul. Un homme triste qui n'avait jamais vraiment su ce qu'était le bonheur avant qu'un lionceau têtu, casse-cou et extrêmement horripilant ne l'oblige à ouvrir les yeux. »

Il se racla la gorge pour chasser l'émotion qui lui piquait les yeux.

« Extrêmement horripilant ? » répéta-t-il, la voix rauque.

« Je ne te forcerai pas à en parler. » continua Severus, sans relever. « Je sais à quel point c'est difficile. Il m'a fallu plus de trente ans pour y parvenir. Toutefois… Toutefois, je suis là si tu as besoin d'en discuter. Et je pense que tu as besoin d'en discuter, Harry. »

Il soupira. « Qu'est-ce qu'i en dire ? Ce sont des gens petits qui aiment se sentir plus grands en s'en prenant à plus faible qu'eux. Je ne vous ai jamais menti. Ils ne me frappent pas et ils ne m'enferment presque plus, non plus. Ils ont peur de moi, je crois, c'est tout. »

La mâchoire du Professeur se contracta et, sans même avoir besoin de croiser son regard, Harry devina qu'il s'était remis à occluder.

« J'aimerai que tu arrêtes de dire 'c'est tout' ou 'ce n'est pas si terrible' ou 'ce n'est pas si grave' à chaque fois que tu parles d'eux. » exigea calmement l'homme. « Ce n'est pas tout. C'est terrible. Et c'est grave. Je suis pas certain que tu mesures à quel point. »

« Je sais que ce n'est pas normal. » riposta-t-il. Ils tournaient en rond, cette conversation tournait en rond, ce n'était…

« Tu leur trouves des excuses. En permanence. » contra Severus. « Tu sais que ce n'est pas normal mais ils n'ont pas choisi. Ils te traitaient mal mais ils avaient peur de toi. Tu n'as pas à leur trouver d'excuses, Harry, il n'y a pas d'excuses pour ce qu'ils ont fait. »

« Peut-être mais c'est vrai. » insista-t-il, se risquant à affronter les yeux noirs fixés sur lui. « Ils m'ont trouvé devant leur porte un beau matin avec un lettre qui leur disait que ma mère était morte… Je sais que c'était la guerre mais… Personne ne pouvait le dire à Pétunia en personne ? Personne ne pouvait s'assurer qu'ils voulaient bien d'un autre enfant ? »

La tristesse semblait se disputer à la colère chez le Maître des Potions. « Je ne peux pas répondre à ces questions. Il faudrait les poser au Professeur Dumbledore. » Il prit une profonde inspiration. « Cela ne change rien aux faits, cela dit. Il n'y a pas d'excuses. »

Harry soupira, s'enfonçant plus profondément sous sa couette. « Qu'est-ce que ça change, maintenant ? J'ai un adulte, à présent. » Il était toujours bien persuadé qu'il finirait par devoir retourner chez les Dursley, aussi bref que le séjour soit, mais il ne pensait pas qu'il serait productif d'en reparler à l'instant. « Je suis bien avec vous. Et vous n'allez pas m'enfermer dans ma chambre ou dans un placard, ou me priver de repas ou faire comme si je n'existais pas. »

« La barre de tes exigences est très basse, ça en est alarmant. » ironisa Severus.

« J'ai confiance en toi. » insista-t-il, revenant accidentellement au tutoiement. Il fallait qu'il se décide, se morigéna-t-il, il ne comprenait pas pourquoi c'était si difficile de passer le cap une bonne fois pour toute. Peut-être parce qu'il avait tellement de respect pour lui que… « Et… Les Dursley, c'est du passé. » Du moins, pour le moment. « Si j'ai besoin d'en parler, j'en parlerai, mais honnêtement si je peux éviter de penser à eux, j'évite. »

Le Professeur n'avait pas l'air d'apprécier tout à fait cette réponse mais il était trop Serpentard pour ne pas savoir lorsqu'il fallait abandonner une bataille pour mieux gagner la guerre.

« Soit. » capitula Severus, en laissant son regard vagabonder dans la chambre.

Il y avait de tout partout, Harry en était conscient.

« Je rangerai demain. » promit-il, en grimaçant.

« Ramasse au moins les vêtements sales. » le gronda son père. « Est-ce si compliqué de tout mettre directement dans le panier à linge ? » L'homme secoua la tête puis son regard fût attiré par le mur au dessus du lit. En soixante-quinze, la pièce avait été tapissée des dessins, esquisses et premiers jets ratés de Lily. « Tu as changé la décoration. »

Harry avait sélectionné ses dessins préférés de sa mère et les avait soigneusement collés au mur mais il avait également rajouté quelques posters de Quidditch que Ron lui avait donnés, et les rares photos de lui, Ron et Hermione qu'il possédait. Il n'y en avait pas beaucoup ce qui l'avait contrarié lorsqu'il s'en était aperçu. Il avait même demandé à Colin où il avait acheté son appareil photo…

« On n'a pas de photos tous les deux. » remarqua-t-il, parce que c'était une autre des choses qui l'avait perturbé. Il n'avait pas de photos de lui avec Severus. Ou Sirius. Et s'il arrivait quelque chose à eux ou à lui… Il savait à quel point les souvenirs pouvaient être importants. « On devrait en prendre, parfois. »

Il ne savait pas si Severus avait suivi son raisonnement ou était parvenu à un constat similaire mais le sorcier se contenta de hausser les épaules au lieu de protester comme il s'y attendait. « Si tu le souhaites. » Après une brève hésitation, il lâcha un petit soupir. « Je possède plusieurs photos de Lily et moi. Je peux faire des copies. Si cela te ferait plaisir. »

« Oui. » répondit-il avec avidité, toujours désireux d'en posséder plus sur ses parents. Et une photo de Lily et Sev… Ce ne serait pas vraiment ses amis mais ce serait tout comme.

« Latundo. » murmura le Professeur. La boule de lumière flotta à côté du visage d'Harry. Un coup de baguette de l'homme et elle prit les teintes bleues que le garçon préférait. « Occlude avant de dormir. J'ai peur que nous ayons remué trop de souvenirs désagréables. »

Il étouffa un bâillement, étrangement heureux que Severus ne s'en aille pas tout de suite.

« Vous… » hésita-t-il pourtant, avant de se reprendre. « Tu l'as dit à Tonks ? Pour les Dursley. »

Il n'aimait pas l'idée que les autres soient au courant. Dumbledore était un mal nécessaire. Sirius, cela ne le dérangeait pas tant que ça. Il savait que Severus en avait parlé à McGonagall, au moins à demi-mots…

Mais qu'il en ait discuté avec Tonks…

« Non. » lui promit son père et il en fût soulagé. « Néanmoins… Il s'avère qu'elle a remarqué plusieurs éléments alarmants l'année dernière lorsqu'elle est venue te chercher avec les autres membres de l'Ordre, dont les verrous et la trappe sur la porte. »

« Oh. » souffla-t-il.

Severus eut l'air incertain pendant un instant puis parut parvenir à une décision. « Elle a tenté d'attirer l'attention dessus mais s'est vue assurée que tu étais parfaitement en sécurité là-bas. »

« Ce qui est vrai. » marmonna-t-il.

« Question de point de vue et ce n'est certainement pas le mien. » rétorqua le Professeur, avant de s'adoucir. « Je n'ai rien dit ou confirmé à Nymphadora mais c'est une Auror expérimentée, Harry. Elle a tiré ses propres déductions de mon silence. »

Il ne répondit pas, ne sachant pas trop quoi dire.

C'était humiliant.

Et un peu honteux.

Et…

La main du Maître des Potions passa à nouveau dans ses cheveux, apaisante. « Elle ne pense pas moins de toi. »

« Tu n'en sais rien. » grommela-t-il.

« Je le sais parce qu'elle ne pense pas moins de moi. » contra pourtant Severus.

La honte l'emporta et il rougit jusqu'à la racine de ses cheveux. « Je suis désolé. Je ne voulais pas dire… »

« Je le sais. » le tranquillisa le Professeur. « Mais cela fait partie des raisons pour lesquelles je préférerai que tu en parles. Tu as honte de la manière dont tu as été traité. Ce n'est pas à toi d'avoir honte. C'est à eux. Tu n'es peut-être pas encore prêt à l'entendre ou à l'accepter mais, crois-moi, c'est une chose que j'aurais personnellement aimé comprendre plus tôt et te le répéter autant de fois que nécessaire ne me coûte rien. »

Rien que du temps et de l'énergie qui auraient été mieux employés ailleurs, songea pourtant le garçon.

Il n'en pouvait plus de parler de tout ça.

Il jeta un coup d'œil à la porte entrouverte et baissa la voix. « Pourquoi est-ce que tu n'as pas dit à Sirius que… Enfin… » Il se racla la gorge. « Pour Tonks, je veux dire. »

Severus se frotta le visage mais prit soin, lui aussi, de parler bas. « Ton parrain est particulièrement obtus sur le sujet. »

Ça, Harry voulait bien le croire vu ce qui s'était passé à table. « Tu es sûr qu'il ne fait pas semblant de ne pas avoir compris ? Qu'il ne vous joue pas un tour à tous les deux ? »

Parce que, dernièrement, lorsque Severus et Tonks étaient ensemble, il était impossible de ne pas voir qu'ils étaient épris l'un de l'autre. C'était évident à leurs regards, à leur manière de plaisanter comme s'ils avaient une conversation privée en parallèle de celle qu'ils avaient à voix haute, à leur complicité…

« Si seulement. » soupira le Maître des Potions. « Vu son entêtement à ne pas seulement considérer qu'il puisse s'agir d'elle, je crains… qu'il ne désapprouve. Non que cela fasse une grande différence, au demeurant, ton opinion est la seule qui compte pour moi mais… »

« Et celle de Tonks. » l'interrompit-il, non sans amusement. « Mon opinion et celle de Tonks. »

Severus le dévisagea quelques secondes puis lui accorda l'argument d'un geste de la main. « Certes. »

Harry attrapa son nécessaire à lentilles machinalement et entreprit de les enlever, saisissant l'excuse de ne plus avoir à regarder le Maître des Potions en face. « Ron est persuadé que Ginny est comme une sœur pour moi. »

Il savait qu'il rougissait.

Il savait aussi que Severus était plus amusé que mal à l'aise.

Il se racla la gorge.

« Personnellement j'ai décidé de ne rien dire… Non pas qu'il y ait quoi que ce soit à dire de toute manière parce que je ne sais même pas si elle est intéressée ou… Je n'ai même pas essayé de… » Une bonne chose que, sans ses lentilles, il soit pratiquement aveugle parce qu'il était certain d'avoir entendu son père étouffer un ricanement. « Ce que je veux dire c'est que je ne vais rien dire du tout. Et s'il s'en aperçoit tout seul, tant mieux. Sinon… Ce n'est pas comme si je me cachais, non plus. S'il ne veut pas voir… »

« Un raisonnement si Serpentard… » commenta le Professeur, en éteignant les lumières d'un coup de baguette dès qu'il eut reposé, à tâtons, le nécessaire à lentilles sur la table de nuit. La seule lueur venait à présent du latundo. « Peut-être pas très mature, mais si Serpentard. »

« Les Serpentards sont très immatures, en règle générale. » répliqua Harry. « Ah, parlant de Serpentards immatures… Si vous cherchez Malfoy, il est dans mon lit. »

« Et Miss Weasley est-elle au courant ? » se moqua son père, en se levant.

« Ha ha. » grommela-t-il, en se laissant doucement tomber à l'intérieur de son esprit pour inspecter ses défenses avant de dormir. Les flammes d'abord, les marécages ensuite… « Il a des cernes jusqu'en bas des joues. Au moins, il passera une bonne nuit avant de retourner jouer avec les serpents venimeux. »

Il entendit le bruit amusé et suivit, de loin, le son de ses pas qui s'éloignaient vers la porte. « Bonne nuit, Harry. »

« Bonne nuit, papa. » marmonna-t-il, déjà à moitié endormi.

°O°O°O°O°

Gellert s'était finalement endormi.

Il avait refusé de rester à l'infirmerie et, sachant que le Ministère et la plupart de ses enseignants trouveraient à y redire s'il l'abandonnait dans un lieu accessible aux élèves, Albus l'avait raccompagné dans leurs appartements. Ses appartements. Leurs appartements ?

Avec quelle vitesse il s'était habitué à partager son espace, lui qui n'avait jamais vécu avec qui que ce soit…

Albus l'avait aidé à se coucher, avait relancé la bulle d'oxygène qui épousait sa bouche et son nez pour lui permettre de mieux respirer, et était resté assis à son chevet, à lire à haute voix un passage du grimoire que Gellert avait volé dans son bureau et dévorait en ce moment…

Et voilà que le mage noir dormait à présent, plus épuisé qu'il ne souhaitait le laisser voir, et Albus…

Albus était désemparé, paniqué et plus désespéré qu'il ne l'avait été depuis longtemps.

Étrange qu'il parvienne à rester de marbre lorsque Voldemort détruisait une ville mais que quelques mots désolés de la bouche de Poppy Pomfresh suffisent à le mettre plus bas que terre.

Severus n'avait pas de diagnostic plus optimiste que la Médicomage.

Il avait suggéré des potions différentes que celles qu'elle avait originellement proposées mais il avait été clair sur le fait qu'il n'y avait aucune garantie qu'elles fonctionnent et que, quand bien même remplieraient-elles leur office, ils gagneraient quelques semaines, quelques mois s'ils étaient chanceux, rien de plus.

Gellert était bel et bien condamné.

Severus, après avoir obtenu leur accord et celui de Poppy, avait transmis la liste des potions à préparer à Horace. Encore un à qui Albus avait dû promettre une faveur et encore un qui ne manquerait pas de l'encaisser à un moment donné.

Son ancien espion, il en était conscient, outre la dette qu'il avait emmagasiné envers lui, souhaitait surtout garder Gellert en vie suffisamment longtemps pour qu'il accomplisse sa tâche si Poudlard était attaqué. Il avait émis des doutes sur le fait qu'il puisse seulement servir d'ancre, sans même penser à la clef de voûte, mais le mage noir s'était contenté de lui sourire et de lui promettre, avec un charisme que Nurmengard n'avait pas écorché, qu'il était plus que capable d'un phénoménal exploit magique, mourant ou pas.

Albus avait assisté à la chose sans un mot.

Ce n'était pas souvent qu'il était à court de mots mais il était pourtant muet face à cette perspective si terrifiante que…

Gellert allait mourir.

Et il ne pouvait pas supporter cette idée.

L'espace d'une seconde, il lui vint l'idée folle de s'arranger pour qu'il récupère la loyauté de la baguette de sureau, de descendre aux cachots trouver Harry Potter pour lui reprendre la pierre et le supplier de lui donner sa cape d'invisibilité. L'espace d'une seconde, cette folle idée prit corps en lui : faire de Gellert le Maître de la Mort.

Puis il se reprit, se força à se rappeler que leur tragédie personnelle s'inscrivait dans un dessein plus grand, qu'il était important qu'Harry conserve les Reliques…

Sa deuxième idée, tout aussi folle, fût de réveiller Gellert et d'exiger qu'il tienne parole, qu'il l'épouse comme il l'avait proposé. Là, tout de suite, dans sa chambre d'amis. Il s'imaginait le ruban de magie douce et chaude comme un soleil d'automne glissant autour de leurs mains jointes, la promesse qui viendrait des années trop tard mais qui ne serait jamais brisée…

Qui n'avait jamais été brisée, s'il était franc.

Il regardait Gellert et c'était comme apercevoir le reflet légèrement distordu d'un miroir érodé par le temps. Son double. Son âme.

L'amour était une force en laquelle il avait toujours cru, la source de magie la plus puissante, et pourtant…

Pourtant il ne se décidait pas à troubler le repos de son ancien amant, ne se décidait pas à offrir ce qu'ils désiraient tous les deux, ne se décidait pas à passer outre ce sentiment de culpabilité qui l'étouffait.

Il prenait des décisions qui influençaient le monde sans ciller.

Mais lorsqu'il était question de Gellert, il était à nouveau un adolescent perdu, déchiré entre l'amour et le devoir.

°O°O°O°O°

Severus ferma doucement la porte de la chambre derrière lui, attentif à ne pas la claquer puisque le garçon s'endormait déjà, et retourna au salon pour trouver son plus vieux rival avachi sur son canapé avec un verre à la main. Le thé et les pâtisseries qu'ils n'avaient jamais touchés avaient disparu, remplacés par une bouteille de Whiskey Pur-Feu. Sans un mot, sans un regard, Black lui tendit un verre plein qu'il accepta parce que… Eh bien, il y avait des journées où, vraiment, c'était la seule chose à faire.

« Où as-tu trouvé ça ? » s'enquit-il, bien certain que ce n'était pas dans ses placards.

« J'ai fait un aller-retour dans mes appartements. » marmonna l'Animagus. Ce qui expliquait sans doute pourquoi son pare-feu n'avait pas été replacé devant la cheminée. « Comment il va ? »

C'était dur à dire. Harry était Harry. Courageux à l'extrême.

« Je ne pense pas qu'il soit sage de ré-aborder le sujet tout de suite. » soupira-t-il, en s'installant dans son fauteuil. Il étendit sa jambe douloureuse et prit soin d'appuyer la canne à portée avant de tourner son attention vers le liquide ambré dans son verre.

« C'était simultanément pire et moins pire que ce à quoi je m'attendais. » avoua Black, d'un ton où la colère se disputait au chagrin. « Si tu savais ce que je donnerais pour échanger ma place avec James, là, tout de suite… »

Il faillit répondre qu'il en était de même pour lui et Lily puis s'abstint. À une époque, cela aurait sans doute été vrai. S'il avait pu faire en sorte que Lily revienne à la vie par sa mort, il aurait sauté sur l'occasion. Par soucis d'expier ses fautes. Par culpabilité. Par amour.

Mais à présent…

À présent, il avait Harry. Et Nymphadora.

Il n'était plus si pressé de mourir, pas même hypothétiquement.

Il prit une gorgée d'alcool, grimaçant lorsqu'il lui brûla la gorge.

« Concrètement, comment on va l'empêcher de retourner chez les Dursley ? » reprit l'Animagus, après avoir terminé son verre et s'être resservi. Il tira un paquet de cigarettes de sa poche et en coinça une entre ses lèvres.

La soirée avait été si éprouvante que Severus était extrêmement tenté de lui en demander une.

« Concrètement, je m'y emploie. » riposta-t-il, à la place, non sans sarcasme. Black haussa des sourcils interrogateurs alors il se décida à s'expliquer. « On pourrait croire que m'ayant vu m'appliquer à demeurer dans les bonnes grâces du Seigneur des Ténèbres et des familles Sang-Pures pendant des années, Albus remarquerait mes manigances, mais… Non. Il est trop arrogant pour penser que cela me viendrait seulement à l'idée de retourner ses machinations contre lui. »

Sirius tira sur sa cigarette. « C'est quoi l'idée ? »

« Lorsque la guerre basculera en conflit ouvert, il a prévu de me donner toute autorité sur l'Ordre. » répondit-il franchement et non sans un brin d'arrogance. « Il a besoin de moi et il le sait mais nous sommes en désaccord depuis que j'ai décidé de m'occuper d'Harry… Je lui ai laissé croire que j'étais prêt à enterrer la hache de guerre, prêt à retourner sous sa coupe, tant qu'il laisse mon fils en dehors de sa partie d'échecs. »

Ce n'était pas tout à fait un mensonge, non plus.

Il n'éprouvait pas de plaisir à se trouver à couteaux tirés avec Dumbledore.

Qui plus était, peut-être se livrait-il à une manipulation mais il ne pensait pas une seule seconde qu'Albus prévoyait réellement de laisser Harry tranquille et, en conséquences… Deux trahisons s'annulaient l'une l'autre.

« Et… Quoi ? » le défia Black, avec un bruit moqueur. « Tu veux devenir Directeur à la place du Directeur ? C'est sûr que ça solutionnerait nos problèmes de garde mais… »

« Nous avons besoin d'Albus si nous voulons gagner. » l'interrompit-il. « Néanmoins, s'il me croit à nouveau son pion le plus fidèle… Il ne faut pas sous-estimer l'influence d'un second ou les informations auxquelles j'aurais accès… Nous pourrions le prendre de vitesse pour les autres horcruxes. Et s'il persiste à faire ingérence dans la vie d'Harry, eh bien… Il n'y a qu'une seule manière de faire ployer un homme qui a besoin de projeter une certaine image. »

« Je sens que ce n'est pas l'intégrité, le courage ou la noblesse. » ironisa l'Animagus.

« Le chantage. » lâcha-t-il, en s'offrant une deuxième gorgée de whiskey. « On obtient bien des choses en se conformant à ce qu'un homme comme Dumbledore ou le Seigneur des Ténèbres attend de nous. Des secrets. » Dont celui de sa relation avec Grindelwald, qu'il n'utiliserait qu'en dernier recours parce que, quoi qu'il en dise, il avait de l'affection pour le vieux sorcier et se servir de ce secret là comme d'une arme serait une trahison odieuse. « Des faveurs. » Dont il userait, par contre, sans sourciller.

Sirius le dévisageait sans paraître savoir s'il admirait ses dons de tacticiens ou en était horrifié.

Severus s'en moquait.

Il ferait tout pour garder son fils en vie et en bonne santé. Tout.

« Je suis très content que tu sois de notre côté et pas de celui des Mangemorts. » commenta finalement l'Animagus. « Parce que es vraiment le pire Serpentard que j'ai rencontré. Sans t'offenser. »

« Je vais le prendre comme un compliment. » marmonna-t-il. « Autre chose… »

« Il y a toujours autre chose. » soupira Black.

« J'ai rapidement examiné l'horcruxe tout à l'heure. » l'ignora-t-il.

« Seul ? » s'exclama le sorcier, avant de baisser brusquement la voix sur son geste impérieux. « Tu es fou ou quoi ? On a dit… »

« Je l'ai juste examiné. » l'interrompit Severus, en levant les yeux au ciel. « J'ai pris toutes les précautions et j'ai reposé les sortilèges de Weasley. Tout va bien. Néanmoins… » Il hésita, délibéra, puis jeta un assurdiato. Harry dormait très certainement mais, au cas où il serait venu à l'idée du gamin de les espionner… Ce n'était pas quelque chose qu'il voulait qu'il entende. « Je suis certain que l'horcruxe ne peut pas posséder Harry. Je l'ai vu de près et il s'agit davantage d'une excroissance greffée à son âme. Il peut certainement le sentir, particulièrement lorsqu'il éprouve des émotions négatives, mais le risque de possession est minime tant qu'il n'est pas le dernier horcruxe, particulièrement vu sa maîtrise de l'Occlumencie. »

« Ce qui est une bonne chose. » remarqua Black. « Alors pourquoi… »

« Il en est différent pour le médaillon. » le coupa-t-il. « Je n'ai pas eu le temps d'un examen plus poussé et l'aide de Bill me serait précieuse, mais j'ai le pressentiment qu'avec une exposition prolongée, le médaillon ferait davantage qu'influencer l'état d'esprit du porteur. Je… Je l'ai senti qui me sondait en retour. »

« Kreattur ? » s'inquiéta immédiatement l'Animagus.

« Kreattur est un elfe de maison. » Severus secoua la tête. « Non, c'est nous qui devons être prudents. Je ne pense pas qu'il soit sage de le conserver longtemps, même sous clef. »

« On essayera le rituel aussi vite qu'on peut, dans ce cas. » décréta son ancien rival. « À propos de ce qu'a dit Kreattur sur Anthony… »

« Bill était beaucoup trop sur la défensive. » remarqua-t-il, en posant ce qui lui restait de whiskey sur la table basse.

Black avait déjà vidé son verre et venait de jeter son mégot dedans, ce qui était stupide pour de nombreuses raisons.

« Charlie est très, très amoureux de lui, il faut dire. » grimaça Black. « Je l'ai toujours trouvé un peu… froid mais Tonks l'adore et elle a généralement un bon instinct. »

Severus ne se figea pas, ne trahit aucun signe de surprise, parce qu'il était trop bon espion pour ça. Toutefois…

Tu es sûr qu'il ne fait pas semblant de ne pas avoir compris ? Qu'il ne vous joue pas un tour à tous les deux ?

Était-ce possible ? En termes de farces, il savait qu'il ne fallait jamais jurer de rien avec un Maraudeur mais…

Il se racla la gorge. « À propos de Nymphadora… »

À peine eut-il fini de prononcer son nom que les flammes dans la cheminée virèrent au vert et que, comme s'il l'avait invoquée, la tête de la jeune femme apparut dans l'âtre. Son sourire se crispa lorsqu'elle repéra son cousin.

« On parlait justement de toi ! » s'exclama ce dernier, sur le ton de la plaisanterie.

« Ah ? » hésita-t-elle. « Severus, je peux traverser ? »

« Note comment elle me demande la permission au lieu d'envahir mes appartements comme un hippogriffe enragé. » commenta-t-il, pour Black, pince-sans-rire. Il fit signe à la jeune femme qu'elle était libre de les rejoindre.

« Qu'est-ce qui t'emmène ? » demanda l'Animagus, sans se lever du canapé lorsqu'elle apparut, un maigre sac de sport jeté sur l'épaule.

Severus n'osa pas bouger de son fauteuil non plus.

« Oh, euh… Les recrues. Je veux l'avis de Severus sur un possible programme de Défense accéléré. » mentit-elle, avant de se racler la gorge. « Vous parliez de moi ? »

« De ton instinct pour juger les gens. Depuis quand connais-tu Anthony ? » s'enquit le Maître des Potions.

« Depuis que Charlie me l'a présenté. » répondit-elle, en haussant les épaules. « L'année dernière, quand ils sont venus pour le Tournois, mais il m'en parlait depuis un moment dans ses lettres. Pourquoi ? »

« Kreattur dit qu'il fouine au Q.G. » expliqua Sirius.

Nymphadora n'eut pas l'air bien impressionné. « Kreattur ne peut pas passer dix minutes sans insulter quelqu'un. »

« C'est pas faux. » soupira Black, en se frottant le visage. Puis il soupira et s'extirpa du canapé. « Bon, si tu n'as pas besoin de mon avis à moi, je vais me coucher. » Il attrapa la bouteille de whiskey par le goulot au passage. « Ne t'attarde pas trop, par contre. Severus reçoit des visites d'une mystérieuse amie le soir… » Son visage s'éclaira soudain, une lueur de malice brillant dans ses yeux gris, et il se tourna vers la jeune femme avec enthousiasme. « Dis-moi, il n'y aurait pas une ancienne Poufsouffle dans les Aurors qui font des rondes à Poudlard, par hasard ? »

Nymphadora laissa son regard dériver jusqu'à Severus puis revint vers lui avec un sourire un peu forcé. « Il y a moi. »

S'il avait pu penser qu'Harry avait raison et que l'Animagus se moquait d'eux, ce qui suivit le détrompa. Parce que Sirius fit la moue et balaya la suggestion d'un geste agacé de la main qui fit valser le whiskey dans la bouteille. « Oui mais toi tu ne couches pas avec Servilus. » Il soupira. « Tant pis, je vais continuer à enquêter. »

Peut-être auraient-ils pu le détromper s'il n'avait pas disparu dans la cheminée sans demander son reste.

Nymphadora observa les flammes avec incompréhension jusqu'à ce qu'elles retrouvent leur couleur naturelle puis se tourna vers lui et leva les mains, paumes vers le haut, en guise de question.

Il se pinça l'arrête du nez. « J'ai passé la journée à essayer de le lui dire. Il refuse de comprendre. »

« Tu sais quoi… » soupira la jeune femme. « Laisse tomber. » Elle approcha du fauteuil puis s'immobilisa, son regard dérivant vers la porte du salon. « Harry est là ? »

« Il dort. » répondit-il mais, pour plus de sûreté, il coupla un sort de protection à l'assurdiato et ferma la porte du salon d'un geste. Il n'en fallut pas plus pour qu'elle vienne s'assoir sur ses genoux et ne lui vole un baiser.

La journée avait été si longue que ce fût un soulagement de se laisser aller à cette tendresse offerte sans arrière-pensées.

Sans arrière-pensées ou presque, parce que lorsqu'elle détacha sa bouche de la sienne, ce fût pour se mordiller la lèvre inférieure avec nervosité.

« Je n'ai pas tenu dix minutes au Square Grimmaurd. » déclara-t-elle. « Impossible que je m'y installe. »

Tant mieux, fût sa première pensée.

Sa deuxième…

« Qu'a-t-il encore fait ? » siffla-t-il, imaginant déjà dix manières différentes d'écorcher ce loup de malheur.

« Rien. Je l'ai à peine croisé. » réfuta-t-elle, en secouant la tête. « Mais l'idée de dormir sous le même toit que lui… Je n'étais pas tranquille. Kingsley a dit que je pouvais squatter chez lui quelques jours mais il a dû rejoindre le Ministre et il n'a pas eu le temps de me donner les clefs donc… » Elle pressa un baiser contre ses lèvres, puis un deuxième. « Je peux dormir ici ? »

Il ne cacha pas son amusement. « Depuis quand as-tu besoin de me demander la permission ? »

Elle avait pris l'habitude de venir le rejoindre lorsque bon lui semblait et il n'avait, jusque là, émis aucune protestation…

« Je ne sais pas… C'est un peu différent si je débarque avec un sac et mes affaires, non ? » hésita-t-elle.

Ils étaient dangereusement près d'une discussion trop sérieuse or Severus avait eu son compte de conversations importantes pour la journée.

« Tu devrais laisser des vêtements de rechange ici, de toute manière. » offrit-il pourtant, tâchant au mieux de masquer son incertitude. « Il y a suffisamment de place dans ton tiroir pour ça. »

Une myriade d'émotions dansèrent sur le visage de l'Auror avant qu'elle ne se décide pour un amusement teinté de tendresse. « C'est mon tiroir, maintenant ? »

« T'ai-je jamais reproché d'abandonner tes affaires chez moi ? Ou t'ai-je interdis de remplir ce fameux tiroir ? » rétorqua-t-il, un peu sèchement parce qu'il était mal à l'aise. Au moins avait-elle l'air heureuse. Il se racla la gorge. « Tu as mangé ? »

« Un sandwich. » répondit-elle.

Ce qui n'était pas acceptable, comme il l'en informa immédiatement. Une chance qu'il y ait eu des restes après le dîner.

« Qu'est-ce je ferais sans toi ? » plaisanta-t-elle, alors qu'il la poussait vers la cuisine.

« Espérons que tu n'ais jamais à le découvrir. » rétorqua-t-il.

Elle ne dût pas apprécier son ton sérieux parce qu'elle le gronda d'un baiser possessif.

Il y avait pires manières de se voir faire la leçon.