Un grand merci à Ellie qui a repris du service le temps de ce chapitre pour m'aider à corriger et qui a accepté le rôle de chargée de communication de notre nouveau Ministre ;) Rendons à César ce qui est à César, elle a réécrit la grosse majorité du discours politique parce que... Ben, ma foi, c'est un métier ma bonne dame et clairement, ce n'est pas le mien haha. Merci d'avoir rendu Albus un peu plus crédible en Ministre!

Enjoy & Review!


If terror falls upon your bed

And sleep no longer comes

Remember all the words I said

Be still, be still, and know

And when you go through the valley

And the shadow comes down from the hill

If morning never comes to be

Be still, be still, be still

If you forget the way to go

And lose where you came from

If no one is standing beside you

Be still and know I am

Be Still – The Fray

Si la terreur tombe sur ton lit

Et que le sommeil te fuit

Rappelle-toi des mots que je te disais

Sois tranquille, sois tranquille et sache

Que lorsque tu traverseras la vallée

Et que l'ombre dévalera la colline

Si le matin ne vient jamais

Sois tranquille, sois tranquille, sois tranquille,

Si tu oublies où il faut aller

Et tu ne sais plus d'où tu viens

Si personne ne se tient près de toi,

Sois tranquille et sache que moi, j'y suis.

Be Still – The Fray

Chapitre 60 : Be Still

Après plusieurs minutes de recherches infructueuses, Nymphadora dénicha finalement sa mère dans la chambre de Severus. Andromeda mit un doigt devant ses lèvres dès qu'elle poussa la porte et la jeune femme tourna automatiquement les yeux vers le lit d'appoint, dans le coin de la pièce, où Harry dormait à poings fermés. Il semblait s'être écroulé comme une masse.

Elle approcha du lit de Severus en prenant garde d'être silencieuse, l'observant à la dérobée tant qu'elle le pouvait. Il n'y avait pas eu de différences notables depuis qu'elle avait quitté la pièce : il était toujours pâle, il était toujours inconscient, et il ne réagit pas du tout lorsqu'elle lui prit la main.

« Il n'y a pas de changements. » l'informa Andromeda, à voix basse. « Poppy et moi jetons un œil régulièrement. »

Elle hocha la tête, la gorge nouée.

Ce serait tellement plus simple s'il se réveillait seul… Non seulement parce qu'elle n'en pouvait plus de l'angoisse qui lui rongeait le ventre malgré leurs paroles rassurantes, mais aussi parce qu'elle aurait bien eu besoin de son aide.

À choisir, elle aurait préféré qu'il interroge Anthony et Charlie avec elle. Déjà, parce qu'il aurait été plus impartial ensuite, parce qu'elle avait du mal à rester professionnelle à cette idée alors qu'il s'agissait de ses deux meilleurs amis. Ou plutôt, ex-meilleur ami dans le cas d'Anthony.

« Je sais que ce n'est pas ce que tu veux entendre mais il est stable, Nymphadora. » insista sa mère. « Le coma est préoccupant mais, physiquement, il ne risque rien. »

Ce n'était, en effet, pas ce qu'elle voulait entendre.

Elle reporta son attention sur Harry. « Il dort depuis longtemps ? »

Andromeda haussa les épaules. « Une petite heure, je dirais. Il en avait besoin. Et toi aussi, d'ailleurs. »

« Pas le temps. » soupira-t-elle. « Essaye de garder un œil sur lui, si tu peux. Il parle de sa propre mort avec un peu trop de détachement à mon goût. »

La Médicomage fronça les sourcils, observant l'adolescent endormi, quelques instants, avant de reporter son attention sur elle. « C'est une chose de fréquenter un homme plus âgé, ma chérie, mais un homme avec un gamin perturbé… »

« Harry n'est pas perturbé. » cingla-t-elle, dans un sifflement. Elle vérifia d'un coup d'œil que le garçon dormait toujours et ne faisait pas simplement semblant puis baissa encore le ton. « Il a juste vécu beaucoup de trucs traumatisants. »

Andromeda lâcha un soupir. « Il a l'air gentil, je ne voulais pas insinuer le contraire. Merlin sait que ton père l'a déjà à moitié adopté… Je veux juste dire… Est-ce que tu es sûre que tu sais ce que tu fais ? »

Absolument pas.

« Oui. » mentit-elle. « Écoute, ce n'est pas pour ça que je te cherchais… »

Elle avait retardé la chose autant qu'elle l'avait pu. Elle avait couru après McGonagall dans tout le château, avait appris avec tristesse la mort de Flitwick, avait demandé à la sorcière de mettre un espace à la disposition des Aurors, avait organisé les patrouilles que voulait Kingsley avec le maigre effectif qu'il leur restait – et avait, en conséquence, dû composer entre les Aurors qui n'avaient pas dormi de la nuit et ceux qui avaient quitté l'infirmerie contre avis médical – était allée récupérer la potion que Severus gardait sous clef au fond du petit placard du salon…

« Il faut que j'interroge Charlie. » lâcha-t-elle. Elle aurait pu s'occuper d'Anthony d'abord mais… Le fait était qu'elle voulait voir son meilleur ami, s'assurer qu'il allait bien. « Je dois lui donner du Véritaserum. »

« Non. » refusa Andromeda, tout de go. « Il n'est pas absolument pas en état d'être interrogé. »

Elle ferma brièvement les yeux, serra par réflexe la main inerte qu'elle n'avait pas lâchée… Elle aurait tout donné pour que Severus tourne la sienne et laisse leurs paumes glisser l'une contre l'autre, pour sentir leurs doigts s'entrelacer…

Bientôt, se gronda-t-elle. Bientôt Harry irait le chercher et il se réveillerait et tout se passerait bien.

« Ce n'était pas une requête, maman. » répondit-elle, en se forçant à rouvrir les paupières, à affronter le regard fatigué de sa mère. « Je dois lui parler. »

« Lui parler, à la limite. » capitula Andromeda. « Mais prends des pincettes. Je n'ai pas eu autant de temps à lui consacrer que j'aurais aimé. Pour l'instant, il est sous une dose importante de potion calmante. Il est confus, agité et bouleversé. J'interdis formellement l'usage du Véritaserum, tu m'entends ? La dernière chose dont il a besoin c'est de voir son libre arbitre à nouveau occulté. »

« D'accord. » accepta-t-elle, avec un certain soulagement. Il serait toujours temps d'administrer la potion plus tard, lorsqu'il irait mieux. Et ils pouvaient toujours innocenter Charlie via le témoignage d'Anthony… « Mais il faut quand même que je lui parle. »

La Médicomage n'était pas heureuse. « Mieux vaut toi qu'un de tes collègues, je suppose. Mais, Nymphadora… Mentalement, il est fragile. Si tu sens que ça dérape, n'insiste pas. »

Elle acquiesça puis, à regret, se détacha de la main de Severus. Elle et sa mère firent le chemin jusqu'à l'infirmerie ensemble parce qu'Andromeda devait retourner auprès de Lucius. Apparemment, ce n'était pas bon et elle s'inquiétait pour Narcissa qui refusait de se reposer – comme le reste d'entre eux, semblait-il.

Elle n'eut pas de mal à trouver le lit de Charlie parce que Fred et George montaient la garde devant le rideau tiré. Cela faisait un certain temps qu'elle ne les avait pas croisés et elle fut momentanément choquée de se retrouver face à des adultes.

L'un des deux jumeaux avisa ses robes bleues, en déduisit sans doute que ce n'était pas une visite amicale, et se décala pour mieux lui barrer le chemin.

L'infirmerie était encore pleine et elle ne voulait pas causer de scène.

« Il faut que je lui parle. » exigea-t-elle calmement.

« Il n'est pas en état de parler à qui que ce soit. » décréta l'autre jumeau. « Écoute, on sait ce qu'il a fait… »

« …mais ce n'était pas sa faute. » termina son frère. « Il était… »

« …sous Imperium. » enchaîna l'autre.

« Je sais mais je dois quand même lui parler. » répondit-elle avec patience. « On doit déterminer ce qu'il s'est passé. »

« Percy est mort. » cracha le jumeau de droite. Elle était quasiment certaine que c'était Fred.

Elle accusa le coup. « Je ne savais pas. Je suis désolée. »

Elle s'efforça de ne pas penser à leur dernier échange, à sa blague à moitié sérieuse d'empêcher le Ministre de faire une connerie… L'avait-il prise au mot ? Était-il resté au lieu de fuir parce que…

« Charlie ne savait rien, d'accord ? » s'énerva celui qu'elle suspectait être George.

« Je ne viens pas l'accuser d'avoir comploté contre l'Ordre. » contra-t-elle. « Mais il faut mettre les choses au clair et le plus vite sera le mieux, alors… »

Molly sortit de derrière le rideau, l'air à moitié désespéré, à moitié furieux. « Il dort. »

Tonks se frotta le visage. Elle se détestait pour ce qu'elle était en train de faire. Elle détestait cet aspect de son travail. Et c'était encore pire lorsqu'elle connaissait les personnes en question.

« Alors, il faut le réveiller. » soupira-t-elle.

La sorcière lui attrapa la main et la serra à lui faire mal. « Tonks, je sais ce qu'il t'a fait mais s'il avait été dans son état normal… Tu… »

« Je ne suis pas en colère. » l'interrompit-elle, alarmée qu'ils puissent seulement le penser. Elle croisa leur regard tour à tour puis pressa elle aussi la main de Molly. « Je suis inquiète aussi. Évidemment que je suis inquiète. C'est mon meilleur ami. Je sais très bien qu'il ne m'aurait jamais attaquée de son plein gré… Mais on a besoin de réponses et, plus vite je l'ai officiellement disculpé, plus vite il sera tranquille, d'accord ? Je sais que ce n'est pas le moment idéal et je sais que… »

« Tonks ? » appela la voix groggy de Charlie, de derrière le rideau. « Tonks ? »

Il y avait trop de détresse dans sa voix pour qu'elle reste plantée là à parlementer. D'un geste impatient, elle ouvrit le rideau et dépassa Molly uniquement pour se figer lorsqu'elle aperçut Charlie. Trop pâle, en sueur, recroquevillé sur le côté, les yeux perdus dans le vague…

« Tonks… » sanglota-t-il, lorsqu'il la vit. La culpabilité tordit ses traits… « Je ne voulais pas… Je ne voulais pas… »

Elle oublia la prudence, oublia ses ordres…

Elle se précipita jusqu'au lit, s'assit et se pencha pour le prendre dans ses bras.

« Je sais. » murmura-t-elle. « Je sais. C'est fini. Je n'ai rien. »

Presque rien, du moins.

Mais loin de se calmer, Charlie s'agita de plus en plus, pleurant et la suppliant de la pardonner…

Elle eut beau lui promettre qu'elle ne lui en voulait pas…

C'était comme s'il ne l'entendait pas…

Comme s'il était prisonnier de ses propres démons.

°O°O°O°O°

Un dernier arrêt et puis il irait fumer sa cigarette, se promit intérieurement Sirius, et peut-être même irait-il tout simplement se coucher. Au moins quelques heures. Il voulait rester disponible pour Narcissa et Draco mais… La fatigue accumulée commençait à peser lourd. Sa cheville aurait probablement mérité d'être à nouveau examinée par un Médicomage ou, tout du moins, à nouveau immobilisée… Il ne parlait pas de sa migraine qui ne s'était pas calmée depuis qu'il s'était réveillé…

La porte de la chambre de Severus était close, il essaya de tourner la poignée mais elle ne bougea pas alors il frappa avec hésitation.

« Qui est là ? » demanda la voix légèrement endormie de son filleul.

« Moi. » répondit-il.

« Entre. » l'invita Harry. Et la porte s'ouvrit sans qu'il ait besoin de la toucher puis se referma derrière lui. Devant son air perplexe, le garçon haussa les épaules. « Pomfresh a dit que c'était un système de sécurité. Il n'y a que les gens autorisés qui peuvent rentrer dans la pièce sans devoir être invités par quelqu'un d'autre. »

Étant donné que Severus était une cible de choix, cela faisait sens.

Sirius détailla d'abord l'adolescent assis sur un lit d'appoint, les cheveux en bataille et l'air un peu ensommeillé, puis, une fois certain qu'il allait bien, tourna son attention vers l'homme immobile sur son lit d'hôpital. C'était dingue comme il détestait voir Severus alité alors qu'il s'en serait réjouit quelques mois encore auparavant.

C'était dingue comme tout pouvait changer en un quart de seconde.

« Comment il va ? » demanda-t-il.

« Pas de changements. » soupira Harry. « Mais on sait ce qu'il a maintenant. Enfin… On espère qu'on sait ce qu'il a. »

Il écouta attentivement l'explication du Gryffondor puis laissa échapper un bruit un peu amusé. « Et ils t'ont laissé sans surveillance ? Ils ne te connaissent pas très bien. Je suis surpris que tu n'aies pas déjà essayé de prendre les choses en main… »

Il s'en voulut un peu de l'agressivité dans sa voix et fit un effort pour la contrôler.

« Dumbledore a dit qu'il valait mieux attendre. » grommela Harry, sur la défensive. « Je ne suis pas un expert en Legilimencie et il va bien pour le moment alors… » Il haussa à nouveau les épaules. « Je ne suis pas débile, Sirius. Je ne vais pas mettre ma vie et la sienne en danger pour rien alors que ce serait plus sûr d'attendre un peu. »

Il se mordit la langue pour lui rappeler que s'enfuir comme il l'avait fait était débile, que s'il avait eu un véritable plan, il aurait pu essayer de lui en parler avant de foncer dans le tas comme un hippogriffe mal luné.

« Je suis toujours furieux. » déclara-t-il, en croisant les bras. « Et tu es toujours puni. »

Harry leva les yeux au ciel. « Super. »

Merlin le préserve des adolescents.

Merlin le préserve.

Et Draco n'était pas moins difficile à gérer que Harry, c'était le pire. Il avait pensé pouvoir faire confiance au Serpentard et ce dernier avait donné les clefs de sa fuite au Survivant sans même sourciller.

Il allait leur coller tellement de retenues… Et leur faire copier des lignes. Et récurer le hall d'entrée avec Rusard. Toutes les pires retenues possibles.

« À priori, on va rester au château pour le moment et ils regroupent les familles, alors j'ai demandé à un elfe d'installer une troisième chambre dans mes appartements pour Narcissa… » hésita-t-il légèrement.

« Comment va Lucius ? » demanda Harry, tout aussi incertain.

« Mal. » soupira-t-il, ne voyant pas comment le lui cacher. « Les Médicomages ne sont pas optimistes. » Il se racla la gorge. « Écoute, ce que j'essaye de te dire c'est que, même si je suis en colère après toi, ça ne veut pas dire que je ne veux plus m'occuper de toi. Tu peux partager la chambre de Draco le temps que Severus se remette. Et je suis toujours là pour toi, rien ne changera ça. »

Il savait qu'Harry avait une tendance à s'imaginer le pire et, même si une discussion sévère s'imposait, probablement quand ils seraient tous plus reposés et qu'ils pourraient se poser au calme, il ne voulait pas que le garçon pense qu'il le jetait dehors ou qu'il se lavait les mains de ce qu'il pouvait lui arriver.

« Oh… » lâcha son filleul, en baissant les yeux, un peu gêné. « C'est gentil, mais… Je préférerais rester à la maison. »

« Pas seul. » refusa-t-il. Severus n'aurait pas approuvé que le gamin reste seul avec ses idées noires et Sirius ne lui faisait plus tout à fait confiance. Et puis, s'il disait vrai et qu'ils savaient comment soigner le Maître des Potions, ce ne serait que pour quelques jours…

« Non, pas seul… » grimaça Harry. « Il y a Tonks. »

Ah. Évidemment.

Il avait oublié ce détail.

« J'en discuterai avec elle. » offrit-il, sans rien promettre. « Mais il faut qu'elle soit d'accord. »

Après tout, sa cousine n'était pas forcément partante pour baby-sitter le cinquième année.

Une légère musique résonna dans tout le château, les poussant tous les deux à lever la tête pour chercher l'origine du bruit. Stupide, évidemment. Il s'agissait très visiblement d'un son amplifié par un sonorus

« Vous écoutez Radio Sorcière et ceci est une communication officielle d'urgence du Ministère de la Magie. » déclara la voix fatiguée d'une des présentatrices les plus célèbres du Royaume-Uni.

Ils échangèrent un regard. Harry semblait un peu étonné par le procédé mais Sirius ne l'était pas. Il devinait que toutes les radios du pays s'étaient allumées par magie et à plein volume pour être certain que personne ne manquerait la déclaration qui suivrait.

« La parole est au Ministre de la Magie par intérim Kingsley Shacklebolt, en direct de Poudlard. »

« Kingsley est Ministre ? » demanda curieusement Harry.

Sirius haussa les épaules, en signe d'ignorance. Il n'en savait pas plus que lui. Il n'y avait pas eu de réunion ou de mise en commun des informations et il n'avait pas quitté l'infirmerie depuis qu'ils étaient revenus à Poudlard. Il n'avait même pas revu Remus depuis la mission de secours – et il devrait probablement faire un effort pour le trouver, avant d'aller se coucher, pour s'assurer qu'il allait bien.

La voix de Kingsley, magiquement amplifiée, ne tarda pas à retentir, de toute manière, apportant les clarifications nécessaires.

« Sorcières, Sorciers… Je suis au regret de confirmer le décès de Rufus Scrimgeour, Ministre de la Magie et d'Amélia Bones, Directrice du Département de Justice Magique, qui sont tombés lors de l'attaque du Ministère, hier matin. Les membres du Magenmagot en session sont également tous présumés morts.

Par conséquent, et dans le respect de nos institutions, c'est avec gravité que j'ai endossé le poste de Ministre par intérim. »

« Au moins, il parle bien. » soupira Sirius. Kingsley n'était pas le pire choix de Ministre.

« Est-ce que ça veut dire que Dora dirige les Aurors, maintenant ? » s'enquit Harry, fronçant les sourcils.

« Sûrement. » répondit-il.

Mais Kingsley n'en avait pas terminé.

« Cependant, j'ai conscience de ne pas être le meilleur choix pour ce poste actuellement. J'ai la conviction profonde que je serais plus utile sur le terrain, à la tête de nos Aurors, plutôt qu'à la tête de notre gouvernement. En conséquence, mon premier acte en tant que Ministre a été de déclarer la loi martiale . »

« Qu'est-ce que ça veut dire ? » demanda le garçon, confus.

« Ça veut dire que le Ministre prend les pleins pouvoirs. Normalement, ça devrait passer devant le Magenmagot mais… » Il hésita. « Je ne crois pas que ce soit jamais arrivé dans l'Histoire de la Magie. Ils en avaient parlé pendant une des Révoltes Gobelines mais… »

« Mon second et dernier acte a été de proposer le poste de Ministre à Albus Dumbledore qui l'a accepté. » continua Kingsley. « La parole est à présent au Ministre de la Magie. »

« Oh, merde. » jura-t-il. Celle-là, il ne l'avait pas vue venir.

Encore qu'il aurait dû, probablement.

C'était logique, au fond.

« Sorcières, Sorciers, c'est le cœur lourd que je m'adresse à vous. » enchaîna Dumbledore, d'un ton posé. « J'ai accepté, ce matin, un poste que j'ai refusé plusieurs fois au cours des dernières années car je ne voyais pas d'alternatives. Hier, notre communauté a été touchée au cœur et à la tête. Les pertes, à Poudlard comme au Ministère, sont incommensurables et je sais qu'il n'y a pas une famille en Grande-Bretagne qui n'a pas été touchée de près ou de loin par ces attaques et je voudrais saluer ceux qui, au péril de leur vie, se sont battus pour repousser les ténèbres. »

Harry gigota un peu, s'installant en tailleur sur le lit et inclinant la tête en arrière comme pour mieux suivre le discours. Sirius vint s'asseoir à côté de lui mais garda son regard sur Severus. Il ne savait pas si l'ancien Mangemort était chanceux ou non de manquer un tel moment.

C'était historique, sans nul doute.

Peut-être pas davantage que la destruction du Ministère ou l'attaque de Poudlard, mais c'était tout de même…

« À vous tous, où que vous soyez, seul, avec vos familles, peut-être encore dans cette attente angoissante de nouvelles de vos proches, je veux promettre que ce n'est pas la fin de notre communauté, et que tant qu'il restera un souffle de vie en moi, ma baguette et ma détermination seront sans failles. À vous tous, je veux vous promettre que de l'aide sera toujours apportée à Poudlard à ceux qui en font la demande. » reprit Dumbledore, après un moment de silence.

« Il recycle. » commenta Harry distraitement. « Il m'a déjà dit ça en deuxième année. »

« Je suppose qu'on ne peut pas écrire le discours qui sera dans tous les livres d'Histoire de la Magie en dix minutes. » plaisanta Sirius.

« Poudlard accueillera toutes celles et tous ceux qui en feront la demande, je vous en fais le serment. Sorcières, sorciers, alors que notre communauté traverse des moments sombres, je vous dois aussi la vérité. Nous ne pourrons gagner en nous reposant seulement sur le courage et la force de nos Aurors, dont je tiens à saluer la bravoure, le sang-froid, et le professionnalisme. Le temps est venu de s'engager pour ce qui juste, pour ce qui est nécessaire. Nous avons besoin de baguettes, de vos baguettes. En tant que Ministère, j'invite tous ceux qui sont en état de se battre à nous rejoindre aussi vite qu'ils le peuvent et j'ordonne à tous les employés ministériels en mission ou en repos au moment du drame à se manifester dans la journée. Nous avons besoin de vous. Nous ne gagnerons pas sans vous. »

« Est-ce que ce n'est pas dangereux d'annoncer à tout le monde où est notre quartier général ? » demanda son filleul, en fronçant les sourcils. « Non, parce que… On n'a gagné que d'un cheveu, hier, et… »

« Espérons qu'il a un plan et que ce n'est pas que de la poudre aux yeux. » offrit-il.

Parce que dans le cas contraire, c'était effectivement incroyablement stupide.

« À ceux qui préfèreront fuir le pays… Il viendra un temps où cette guerre sera terminée et où nous nous souviendrons de qui aura eu le courage de nos convictions et de ceux qui auront préféré laissé les autres se battre à leur place. À ceux qui ne peuvent rejoindre Poudlard… Restez en sécurité, assurez-vous que vos maisons soient protégées, ne prenez aucun risque inutile. Si vous avez besoin de nous, appelez-nous et nous viendrons vous chercher. »

Poudlard pouvait-elle seulement accueillir toute la communauté magique qui voudrait bien se battre ou préfèrerait la sécurité du nombre ? Il y avait Pré-au-Lard, bien sûr, et il ne doutait pas que le village les aiderait mais…

« Et, maintenant, je veux m'adresser à toi, Tom Jedusor, Lord autoproclamé, qui pense pouvoir nous faire plier par la violence et la terreur : nous ne céderons pas. » La voix de Dumbledore sembla se durcir d'un coup. « Nous ne céderons pas et nous n'oublierons jamais nos morts. Le moment de la vengeance viendra bien assez tôt et tu en seras la première victime, sur ma magie j'en fais le serment. »

Harry croisa son regard, sourcils levés. « La vengeance ? Ce n'est pas très… Dumbledore. »

Sirius fit la grimace. « Voldemort a tué son frère, hier. Mais c'est vrai que… »

« Ne désespérez pas. » reprit le Directeur – ou plutôt le Ministre. « L'aube se lève même sur la nuit la plus noire. Dans cette obscurité, Poudlard sera votre étoile du berger. Suivez la. »

À nouveau, la musique résonna et le communiqué se coupa.

Ils restèrent assis là en silence quelques secondes, à digérer ce discours, puis Harry se laissa aller en arrière sur le lit, dans un profond soupir.

« J'aurais préféré Kingsley. » décréta-t-il.

Sirius n'osa pas approuver à voix haute, par peur d'inquiéter davantage le garçon, mais, s'il devait être honnête, lui aussi aurait préféré que quelqu'un d'autre que Dumbledore – qui supportait déjà très mal les avis contradictoires pendant les réunions de l'Ordre – occupe le poste.

Merlin, ce qu'il avait besoin de cette cigarette.

°O°O°O°O°

Draco tira un énième volume d'une étagère uniquement pour l'y replacer immédiatement, frustré.

Ils n'avaient rien trouvé.

Cela faisait des heures qu'ils parcouraient grimoire sur grimoire et ils n'avaient rien trouvé. Granger n'avait pas encore abandonné mais les autres échangeaient des regards de plus en plus lourds de sens dans son dos et Bill Weasley s'était excusé pour aller consulter la bibliothèque des Black. Il lui avait immédiatement offert un accès à celle du Manoir, sachant que la collection des Malfoy était probablement plus large et comportait plus de livres rares…

Il n'aurait sans doute pas dû envoyer un Weasley au Manoir sans une escorte armée pour s'assurer qu'il ne fouillait pas là où il n'avait pas mettre son nez, mais ça n'avait pas empêché Draco d'appeler un de leurs elfes et de lui ordonner d'aider Bill autant qu'il le pouvait.

Il appuya le front contre le bois solide de l'étagère, s'imagina l'espace d'un instant que les rayonnages allaient basculer pour l'écraser, comme durant la tempête magique, se demanda brièvement pourquoi cela lui aurait semblé plus simple, puis ressentit un tel élan de culpabilité qu'il ferma les yeux.

Uniquement pour les rouvrir lorsque son esprit rejoua directement l'explosion du couloir.

Blaise.

Daphné.

Le tunnel en bas et les enfants qui…

Il prit une profonde inspiration qui resta bloquée dans sa gorge.

Il dut se forcer à la relâcher.

Lorsqu'il attrapa un autre livre, un peu au hasard, l'esprit un peu trop embrumé, ses mains tremblaient.

« Draco. »

Il sursauta et, avant d'avoir pu identifier la voix, avait pivoté dans sa direction, baguette levée et sort défensif aux lèvres.

Ce n'était pas très glorieux.

Surtout lorsqu'il vit que ce n'était que Pansy.

Il dut faire un véritable effort pour ranger sa baguette, se forcer à se redresser, à afficher l'expression neutre qu'un Sang-Pur se devait d'avoir en toutes circonstances.

« Pansy. » répondit-il, un peu étonné de la voir là.

Contrairement à la plupart des autres adolescents qui n'avaient pas eu l'occasion de se changer, elle ne portait pas son uniforme mais des robes sorcières parfaitement coupées pour être respectables tout en étant à la dernière mode.

« Mon père est venu me chercher. » lui expliqua-t-elle. « Je voulais te dire au revoir. »

« Oh. » souffla-t-il.

Il ne savait pas pourquoi il était surpris.

Le Seigneur des Ténèbres n'avait pas pris la peine d'informer son père de l'attaque ou du plan pour évacuer les enfants de Mangemorts mais ça ne voulait pas dire que Pansy allait rester avec eux ou…

« Dumbledore est Ministre. » lâcha-t-elle, un peu gênée, comme si elle ne savait pas trop quoi dire.

Il ne le savait pas davantage.

Comment disait-on au revoir à quelqu'un qu'on avait connu toute sa vie, que, malgré les disputes de ces derniers mois, on considérait comme une amie proche ?

Comment disait-on au revoir en sachant que ce serait peut-être pour toujours parce qu'ils étaient de deux côtés opposés d'une guerre qui…

« Je sais, on a entendu. » répondit-il, en levant la main pour mieux indiquer une radio imaginaire. Il aurait parié que tout le château avec suivi le communiqué spécial, que les gens le veuillent ou non.

Pansy força un sourire qui ressembla davantage à une grimace. « Le monde est devenu fou, non ? »

Il émit un bruit qui sonna plus triste qu'amusé. « À qui le dis-tu. » Il prit une de ces profondes inspirations qui avaient tendance à rester coincées dans sa gorge. « Blaise et Daphné… »

« Je sais. » murmura-t-elle, en baissant la tête. « J'étais là quand Slughorn l'a dit à Astoria. » Ce fut son tour de prendre une inspiration tremblante. « Comptes-tu réellement rester ici, Draco ? Comptes-tu réellement… »

Elle ne termina pas sa question.

Probablement parce qu'il n'y avait pas de manière polie de demander s'il comptait mourir avec les autres.

« Oui. » offrit-il, sans même l'ombre d'une hésitation.

Il n'y avait pas de choix à faire.

Le choix avait été fait des mois auparavant, au Département des Mystères.

Ou peut-être même plus tôt que ça, lorsqu'il avait aidé Weasley à sortir Granger de sous l'un de ces rayonnages alors qu'il aurait été aussi simple de l'y laisser.

Peut-être que, parfois, on faisait des choix décisifs sans deviner l'impact qu'ils auraient sur le reste de notre vie.

Pansy hocha tristement la tête mais ne tenta pas de le convaincre que c'était stupide ou perdu d'avance. « Nous partons au chalet pour attendre l'issue de la guerre. »

Le chalet était une demeure ancestrale des Parkinson dans les montagnes autrichiennes qui aurait facilement pu loger une quinzaine de personnes. Draco et ses parents y avaient été invités plusieurs fois pendant les vacances.

« C'est bien. » commenta-t-il. Il le pensait. Il n'avait aucune envie de perdre une autre amie et les Parkinson seraient en sécurité en Autriche. Du moins, tant que le Seigneur des Ténèbres ne jetait pas ses vues sur l'Europe.

Pansy l'étudia longtemps puis soupira, détournant le regard. « Si jamais tu reprends tes esprits ou que tu es obligé de fuir le Royaume-Uni… Tu es le bienvenu. Et si tu dois absolument emmener ta Sang-de-Bourbe avec toi… Eh bien, je préfère que tu viennes avec elle plutôt que pas du tout. Alors… Garde ça dans un coin de ta tête, d'accord ? »

C'était une offre généreuse.

Elle lui tendit la main avec une grâce étudiée, comme le voulait le protocole.

Il écarta sa main et l'attira dans ses bras.

Elle lui rendit immédiatement son étreinte avec un peu de désespoir.

« Ne te fais pas tuer comme eux. » exigea-t-elle sèchement. « Sois plus intelligent. »

« Reste en sécurité. » répondit-il. « Et nous nous reverrons à la fin de cette guerre. »

Ils restèrent enlacés un peu plus longtemps que nécessaire. Il se demanda si, elle aussi, avait l'impression que c'était à leur enfance qu'ils s'accrochaient, à une innocence qui leur avait filé entre les doigts sans qu'ils ne s'en rendent compte…

Il fut le premier à s'écarter et se força à lui offrir un sourire un peu crispé. Elle se détourna et s'éloigna sans un mot de plus, la tête un peu trop haute, la démarche un peu trop raide.

Il ne la regarda pas partir.

Il ne le pouvait pas.

Il avait l'impression de perdre tous les gens qui…

Il ne fut pas extrêmement surpris que Granger le rejoigne quelques minutes plus tard, avec une expression légèrement gardée.

« Tout va bien ? » demanda-t-elle. « Qu'est-ce qu'elle voulait ? »

« Dire au revoir. » murmura-t-il, en accrochant son regard.

Elle dut probablement lire toute la détresse qu'il éprouvait – à propos de tout – parce que son visage ne reflétait que de la compassion et pas la jalousie qu'il avait craint.

Il ne résista pas au besoin de la serrer fort lorsqu'elle se glissa contre lui.

Il pressa un baiser sur ses boucles en bataille et ferma les yeux.

Cela n'aida pas.

C'était comme si son corps était toujours prisonnier de ce qu'il s'était passé la veille, comme s'il était coincé dans ce moment où elle lui avait dit je t'aime puis s'était sauvée…

« Ne m'abandonne plus jamais. » supplia-t-il, la gorge serrée. « Quoi que nous fassions… Faisons le ensemble. »

Elle recula le haut du corps juste assez pour glisser ses mains jusqu'à ses joues, pour s'assurer de le regarder droit dans les yeux. « Je te le promets. »

Il vola un baiser, puis deux, puis trois, puis…

Il s'écarta brusquement et se passa une main sur le visage.

Il aurait été trop simple de se perdre dans ce genre de choses, de laisser Granger effacer tout le reste, mais il ne pouvait pas se le permettre.

Le sceau des Malfoy était beaucoup trop lourd à son doigt.

« Vous avez trouvé quelque chose ? » demanda-t-il, tout en devinant déjà la réponse.

La grimace de la jeune fille était une réponse en soi.

°O°O°O°O°

Sirius était accoudé au parapet et observait la cour décimée en contrebas. La fontaine en forme de vouivre était en morceaux; les buissons, arbres et bancs de pierres éparpillés au quatre vents… Probablement parce que la passerelle en pierre à sa droite qui menait à l'autre aile du château s'était écroulée pendant la bataille. La tourelle à l'opposé du gouffre avait visiblement pris feu. La pierre était noircie, le toit avait un trou…

Il était sans doute censé faire quelque chose. Prévenir McGonagall ou un autre membre du corps professoral, peut-être tenter de réparer les dégâts lui-même…

Parfois, il aurait aimé qu'ils lui aient donné un manuel en même temps que le poste de Professeur de Défense. Il y avait tout un tas de choses qui étaient évidentes pour Severus ou les autres qui ne l'étaient pas pour lui. Il ne connaissait pas les protocoles ou les règles ou…

Il reporta son regard plus loin, vers les collines couvertes de verdures en bordure du domaine.

Ce n'était pas l'endroit qui offrait la vue la plus impressionnante du château mais c'était calme, à l'extérieur, et les chances que qui que ce soit ne vienne le déranger étaient…

La porte s'ouvrit dans un grincement – et quelques difficultés.

Évidemment, songea Sirius, il s'était auto-condamné avec cette idée optimiste qu'il pouvait fumer une cigarette en paix.

Tonks émergea du château, des cernes pratiquement jusqu'aux joues, l'air trop pâle et pas assez assurée sur ses jambes. Les yeux gris de sa cousine s'arrêtèrent sur lui avec surprise puis tombèrent sur l'absence de passerelle et ses épaules s'affaissèrent légèrement.

« Je vais devoir faire tout le tour. » grogna-t-elle. « Personne ne peut réparer ça ? »

Il faillit lui demander pourquoi elle lui posait la question à lui puis l'évidence s'imposa : elle lui posait la question à lui parce qu'il était Professeur.

C'était drôle la vie, décida-t-il avec fatigue, parce que c'était probablement le dernier métier qu'il aurait choisi dans sa jeunesse. Il avait toujours voulu être Auror. James et lui avaient postulé ensemble et…

Ils n'avaient même pas fini leur formation avant que James ait été forcé de se retirer du programme pour aller se cacher sous Fidelitas.

Et lui n'avait jamais vraiment trouvé sa place au Département. Il détestait devoir obéir aux ordres, n'avait jamais été très doué pour respecter la hiérarchie, s'était trouvé enfermé dans un rôle qui ne lui correspondait pas…

Il avait abandonné en même temps que James, choisissant de se consacrer à l'Ordre à plein temps, et avec soulagement encore…

Peut-être que ses parents avaient eu raison, au fond. Peut-être qu'il ne pouvait rien faire correctement.

« Sirius ? »

Il était trop fatigué pour sursauter.

Il observa la main que sa cousine avait posé sur son coude, laissa son regard remonter le long de son bras jusqu'à son visage, se força à sourire. « Désolé. Tu disais ? »

Il ne protesta pas lorsqu'elle lui vola la cigarette qui se consumait entre ses doigts sans qu'il ne fasse un gros effort pour la fumer. Il la lui abandonna et en tira une autre du paquet à moitié écrasé qu'il gardait dans sa poche.

« Je te dois des excuses. » hésita-t-elle. « Pour cette nuit. Je n'aurais pas dû te parler comme ça… »

Il agita la main qui tenait la cigarette, laissant une légère traînée de fumée dans les airs. « J'étais énervé aussi. Laisse tomber. C'est oublié. »

Elle fouilla son regard avec un peu trop de vulnérabilité. « Tu es sûr ? »

Il porta la cigarette à ses lèvres, souffla rapidement la fumée puis lui ouvrit son autre bras. Elle se laissa aller contre lui avec un empressement un peu alarmant, prenant garde à ne pas le brûler avec la cigarette qu'elle lui avait volée. Il la tint contre son flanc longtemps, sans rien dire, fumant de sa main libre, lui laissant le temps dont elle avait besoin…

Au bout de plusieurs minutes, elle prit une inspiration tremblante et s'écarta. Elle jeta ce qu'il restait de sa cigarette consumée par terre et l'écrasa machinalement sous sa botte avant d'aller s'appuyer contre le parapet opposé.

« J'ai interrogé Charlie. » lâcha-t-elle. « Je n'ai rien pu tirer de lui. Il est… » Elle secoua la tête, ses yeux gris se remplissant de larmes. « J'aurais dû voir que quelque chose n'allait pas. J'aurais dû… »

Sa phrase resta en suspens alors que sa voix s'étranglait.

« Anthony nous a jeté un sort à tous. » annonça-t-il, en se frottant le visage. Il aurait déjà dû avoir passé cette information au reste de l'Ordre. Il aurait déjà dû y avoir une réunion du Conseil, même un simple conciliabule d'une poignée de minutes, parce que… « Un truc qu'ils utilisent normalement sur les dragons pour les rendre dociles ? Il a tout expliqué à Severus mais j'étais un peu dans le coltard. »

Elle soupira. « Qu'est-ce qu'il s'est passé, hier ? J'ai besoin de savoir tout ce que tu pourras me dire. »

Hier

Cela était difficile d'accepter que les évènements avaient eu lieu vingt-quatre heures auparavant seulement. Il lui semblait simultanément que cela s'était passé quelques minutes plus tôt ou bien il y avait des années de cela.

Il résuma l'attaque d'Anthony de manière aussi claire et précise que possible, sans lui cacher les accusations qu'il avait portées contre eux. Il avait terminé sa cigarette lorsqu'il arriva au passage où le dragonnier leur avait dit…

« Il a dit qu'il y avait plusieurs manières d'arracher le cœur de quelqu'un. » déclara-t-il, en écrasant la cigarette sur la pierre pour ne pas avoir à la regarder en face. « Qu'il avait demandé à Charlie de te poignarder en plein cœur. »

« Ce que Charlie n'a pas fait. » murmura Tonks, avec un soulagement évident. « Ce qui tend à prouver qu'il n'était pas complice du tout même avant d'être mis sous Imperium. »

Sirius n'était pas sûr que ça prouvait quoi que ce soit mais il était évident qu'elle voulait y croire et il ne voulait pas en rajouter. Ce qu'il avait à dire ensuite serait déjà suffisamment compliqué à entendre.

« Il a dit à Severus que… » Il s'interrompit, soupira, se força à croiser son regard. « Écoute, il n'y a pas de bonne manière de te dire ça mais je pense que tu dois le savoir alors… Il a dit à Severus que tu devais mourir parce qu'il avait des sentiments pour toi, que c'était sa faute. » La douleur qui passa dans les yeux gris de sa cousine était plus qu'il ne pouvait en supporter après ces dernières heures et, lâchement, il se détourna à nouveau. « Après ça, Severus… Je ne l'avais jamais vu comme ça, Tonks. Il n'était même plus en état de se battre correctement. »

La respiration courte, elle lui tourna brusquement le dos pour mieux s'accouder au parapet. La tête dans les mains, elle faisait visiblement un effort pour se maîtriser.

« Je ne voulais pas te faire de la peine… » hésita-t-il. « C'est juste que… Tu le connais… Je voulais juste que tu saches au cas où il soit bizarre avec toi lorsqu'il se réveillera… »

Parce qu'il y avait de grandes chances que le Maître des Potions décide qu'elle était plus en sécurité loin de lui ou…

« Il a assez payé pour ses erreurs. » cracha-t-elle. « Il a risqué sa vie encore et encore. Il… Il s'est racheté dix fois. Quand est-ce que ça va s'arrêter ? C'est… »

« Est-ce qu'on paye jamais assez quand on tue les parents de quelqu'un ? » l'interrompit-il, en croisant les bras devant lui et en laissant sa tête basculer vers l'arrière.

Contrairement à la veille, le soleil brillait faiblement et le ciel était bleu.

C'était presque… trop.

Sirius aurait préféré qu'il fasse gris ou même qu'il pleuve carrément à verse.

Tonks se redressa et se tourna à nouveau vers lui. « Tu ne savais pas, Sirius. »

« Mais s'il dit vrai, j'ai tué sa mère. » contra-t-il lentement, doucement.

« Mais tu ne savais pas. » insista-t-elle. « Si les Potter ne te l'avaient pas caché… »

Malgré la fatigue, il ressentit à nouveau la même pointe de colère sourde envers James et Lily. C'était nouveau parce qu'il ne se souvenait pas jamais avoir éprouvé quelque chose comme ça pour James. Ils s'étaient disputés parfois, c'était vrai – la fois où il avait accidentellement failli tuer Severus en le menant à la Cabane Hurlante avait été leur pire altercation – mais jamais au point où Sirius avait eu très, très envie de lui coller son poing dans la figure.

Si James avait été vivant, là, tout de suite…

D'après ce que disait Anthony, c'était Lily qui avait pris la décision, Lily qui avait décrété que Sirius ne supporterait pas de savoir mais…

Il se serait livré aux Aurors, il aurait assumé ses erreurs… Peut-être aurait-il fini à Azkaban de toute manière mais il aurait assumé.

Et il se serait assuré que le gamin avait tout ce dont il avait besoin, il se serait assuré que…

« Harry veut rester dans les cachots. » lâcha-t-il, changeant brutalement le sujet. Il ne pouvait pas ressasser les choix de James et Lily. Il ne pouvait pas. Ce qui était fait était fait. Il pouvait simplement s'assurer de ne pas autant merder à l'avenir. « Il a dit que tu allais t'y installer aussi ? »

Tonks eut l'air de vouloir insister puis elle soupira. « Je ne sais pas. Il y a une chambre pour moi avec mes parents, apparemment. » Ce qui n'avait pas l'air de la réjouir. « Je ne peux pas m'imposer chez Severus… Ce n'est pas comme si je pouvais emménager comme ça. Il n'est peut-être pas prêt et… »

« Je ne veux pas qu'Harry soit seul en bas. » expliqua-t-il, avant qu'elle ait pu lui déballer ses problèmes de couple.

En temps normal, ça lui aurait été égal et il aurait fait de son mieux pour aider mais là… Il avait à peine digéré le fait qu'ils étaient ensemble avant de penser qu'elle s'était faite tuer à cause de ça et il n'avait pas la force de s'en mêler, là, tout de suite.

« Oh. » Elle grimaça. « Oui, bien sûr. Je peux rester avec lui jusqu'à ce que Severus rentre à la maison. Pas de problème. »

« Tu n'es pas obligée. » insista-t-il. « Harry peut venir chez moi quelques jours. Il survivra. »

Elle secoua la tête. « Non, non… C'est probablement mieux pour lui de rester là où il a ses habitudes. Il n'est pas… Il n'était pas en grande forme, ce matin. »

Elle semblait un peu hésitante.

Il fronça les sourcils. « Je viens de lui parler et ça avait l'air d'aller… Il était fatigué mais… »

Elle enfonça les mains dans les poches de ses robes d'Auror et s'appuya au muret de pierre derrière elle, l'air incertain. « Écoute, je ne veux pas que tu te mettes en colère et que tu ailles lui hurler dessus de nouveau… » Il ouvrit la bouche mais elle grimaça avant qu'il ait pu dire quoi que ce soit. « Même s'il l'a mérité. » Elle souffla puis s'humecta les lèvres. « Le truc, Sirius, c'est que je peux me tromper et Severus ne m'a pas tout dit alors je n'ai pas toutes les informations mais… Je pense qu'Harry ne comptait pas du tout revenir, cette nuit. Il pensait qu'il allait mourir, que c'était une certitude. » Elle croisa son regard. « Il pense qu'il va finir par mourir. Il en parle comme si c'était juste une question de temps et que Severus a juste du mal à l'accepter. »

L'Animagus soutint son regard quelques secondes puis soupira. « On sait. »

Elle fronça les sourcils puis répéta : « Vous savez. »

« Oui, on sait. » Il haussa les épaules. « C'est compliqué. Mais on ne va pas le laisser mourir. Bien sûr que non. »

Tonks l'étudiait avec tellement d'intensité qu'il pouvait presque voir ses méninges carburer derrière ses yeux.

« Quitte à tuer quelqu'un pour le sauver. » lâcha-t-elle.

Ce fut son tour de froncer les sourcils. « Non. Qui t'a dit… Je ne sais pas ce que Severus t'a raconté mais, non, on n'aura pas besoin d'aller jusque là. »

Ils avaient d'autres théories que celle du sacrifice. S'il devait commettre un meurtre… Deux meurtres, en vérité : un pour tester la chose, l'autre pour Harry… Son filleul ne les laisserait jamais faire.

Et puis…

Où était la limite si…

« Il faut que j'aille interroger Anthony. » déclara-t-elle, abandonnant le sujet un peu trop facilement.

« Tonks. » soupira-t-il. « Personne ne va assassiner qui que ce soit. »

« Tant mieux. » répondit-elle, avec un sourire un peu trop grand.

Il ne savait pas bien ce que ça voulait dire : qu'elle ne voulait pas savoir ou qu'elle ne voulait pas qu'il sache ? Que lui avait raconté Severus ? Et, surtout, pourquoi n'avait-elle pas l'air plus perturbée que ça à l'idée qu'ils commettent un meurtre alors que…

Si Severus l'avait convaincue de tremper dans un truc louche parce que Sirius avait clairement refusé de participer à un assassinat…

« Tonks… » grinça-t-il.

« Anthony. » insista-t-elle, d'un ton qui ne souffrait pas la contradiction. Elle s'adoucit pourtant. « Tu ne voudrais pas venir avec moi ? S'il a fait tout ça pour vous atteindre… Il sera peut-être plus enclin à parler devant toi. »

Comment aurait-il pu lui refuser quoi que ce soit alors qu'il l'avait crue morte ?

Il soupira puis lui fit signe de passer la première.

°O°O°O°O°

Debout devant la fenêtre, Harry observait les sorciers qui longeaient la rive du lac. Il était trop haut dans les étages et trop loin pour les identifier mais il y avait au moins un Auror avec eux, l'un d'eux entra dans l'eau jusqu'aux genoux, s'accroupit, fit quelque chose qui fit s'élever un petit tourbillon d'eau dans les airs… Quelques secondes après ça, un des êtres de l'eau émergea jusqu'au torse…

Les êtres de l'eau avaient-ils aidé durant la bataille ? Ou bien était-ce justement l'objet de cette discussion à l'aspect officiel ?

Il y eut un craquement sonore et Harry se retourna brusquement, luttant pour sortir sa baguette de sa poche – il ne savait pas comment il avait pu se passer d'un de ces étuis sanglés à l'avant-bras avant que Severus n'exige qu'il en porte un en permanence. Il abandonna ses efforts lorsqu'il vit que le Maître des Potions n'avait rien et que le bruit était venu de l'elfe passablement contrarié qui se tenait à présent devant lui et tapait du pied avec une irritation manifeste.

« Je vois que tu vas mieux… » plaisanta à moitié Harry.

Kreattur n'avait pas l'air amusé du tout. Il avait enfilé une taie d'oreiller propre, le blason des Black trônait fièrement, bien en évidence, sur sa poitrine, les touffes de poils blancs qui dépassaient de ses oreilles avaient été nettoyées et lissées, mais, malgré son apparence soignée, il lui rappela l'elfe bougon des premiers jours au Square Grimmaurd.

« Maître Harry a drogué Maître Sirius. Maître Harry a jeté un sort de sommeil à Kreattur. Maître Harry a corrompu Maître Draco. Maître Harry a mis sa vie en danger. Maître Harry a demandé l'aide d'un mauvais elfe au lieu de réveiller Kreattur. » énuméra Kreattur, sa voix gagnant en désapprobation à mesure qu'il faisait la liste de ses crimes.

Il soupira. « Tu n'étais pas en état de… »

« Kreattur est l'elfe de Maître Harry. Kreattur sert Maître Harry. » l'interrompit l'elfe, en le fusillant du regard. « Si Maître Harry insiste pour partir dans des aventures risquées, Maître Harry appelle Kreattur, pas l'elfe à chaussettes. Kreattur fera toujours en sorte que Maître Harry survive quoi qu'il arrive. Kreattur est un bon elfe ! »

Il baissa les yeux, peut-être plus honteux devant Kreattur qu'il l'avait été devant Sirius, Remus ou Dobby. Il ne regrettait toujours pas mais il n'aimait pas l'idée d'avoir fait de la peine à l'elfe, pas après qu'ils se soient découverts des points communs et…

Manipuler Dobby lui avait laissé un mauvais arrière-goût en bouche mais trahir Kreattur, c'était presque pire. Parce que, contrairement à Dobby, Kreattur était parfaitement capable de comprendre les ramifications de ses décisions.

« Le meilleur elfe. » murmura-t-il. « Mais je savais que tu ne m'aiderais pas et je ne voulais pas t'ordonner de faire quelque chose contre ta volonté. »

Kreattur croisa les bras et lui jeta un regard sévère. « Kreattur préfère que Maître Harry ordonne quelque chose que Kreattur ne veut pas faire. Kreattur préfère se punir. La prochaine fois, Maître Harry se souvient d'appeler Kreattur. Kreattur ne veut pas qu'il arrive du mal à Maître Harry. » Kreattur s'adoucit un peu. « Kreattur… apprécie Maître Harry même si Maître Harry n'est pas un Sang-Pur de la noble et ancienne famille Black. Maître Harry sera un bon Maître. » Comme agacé par son propre élan de sentimentalisme, l'elfe se racla la gorge puis claqua des doigts. Un plateau bien fourni apparut sur le lit d'appoint. « Maître Harry mange son déjeuner maintenant. Kreattur l'a préparé lui-même. Maître Harry est trop maigre. »

Malgré tout, il sourit et retourna s'asseoir sur le lit pour prendre la fourchette. Il était midi passé et il était vrai qu'il avait faim. Puis son regard s'égara vers Severus et, bien qu'il sache que Pomfresh et Andromeda ne le laisseraient pas dépérir, son estomac se contracta alors qu'il se demandait à quel point il était conscient dans son coffre. Techniquement, il n'aurait pas dû ressentir de stimulus physiques et ça incluait la faim et la soif mais…

Soupirant, il reposa la fourchette et se servit un verre de jus de citrouille, sous le regard attentif de l'elfe de maison.

« Kreattur ? » hésita-t-il, soudain. « Est-ce que… Est-ce que tu pourrais faire quelque chose pour moi ? »

Kreattur s'inclina, ses oreilles s'agitant avec plaisir. « Maître Harry n'a qu'à ordonner. Kreattur fera. »

Il aurait aimé le faire lui-même mais il ne voulait pas laisser Severus, pas même une minute.

« Est-ce que tu pourrais vérifier que ma chouette va bien ? » demanda-t-il.

L'elfe s'inclina à nouveau. « Kreattur va le faire sur le champ. Maître Harry veut autre chose ? »

Il ouvrit la bouche pour refuser puis la referma. « Euh… Je suppose que… Il y a un fourreau à baguette dans ma malle, dans les dortoirs. Si tu pouvais me le ramener… Et puis… » Il hésita mais il supposait que les vacances scolaires avaient officiellement dû commencer avec l'attaque de l'école, donc… « Peut-être que tu pourrais descendre mes affaires du dortoir dans ma chambre, dans les cachots ? S'il te plait. »

Après un troisième salut, l'elfe disparut.

Resté seul, Harry s'efforça de faire honneur au repas qu'il lui avait apporté. C'était délicieux. Peut-être pas autant que ce que servaient les elfes de Poudlard mais c'était très bon et, s'il devait être honnête, il était affamé. Il n'avait rien mangé, la veille, qu'un petit-déjeuner pris à la hâte et quelques sandwiches.

La veille

Ça semblait si lointain…

Le petit-déjeuner où il s'était disputé avec Malfoy puis s'était éclipsé avec Ginny lui semblait avoir eu lieu il y avait des années.

Ginny

Il aurait probablement dû aller lui parler, la réconforter de la perte de Percy… Une part de lui, la partie qui aurait dû compatir avec les Weasley et avec Draco, lui semblait morte. Peut-être n'avait-il pas la place pour davantage d'angoisse ou de tristesse alors que Severus…

Il savait que leur théorie tenait la route, qu'avec un peu de chance, ce serait rapidement résolu et que Severus serait rapidement remis.

Mais quand avaient-ils eu de la chance pour la dernière fois ?

Et s'ils avaient tort et que Severus n'était pas dans son coffre ?

Si la théorie des Médicomages était la bonne et que la magie noire avait détruit l'esprit du Maître des Potions ?

Et s'ils avaient raison mais que ce ne soit pas sans conséquences ?

Et si…

Et si…

Kreattur réapparut dans un craquement. « La chouette de Maître Harry est indemne. » L'elfe fronça les sourcils – à son attitude abattue ou à l'assiette qu'il n'avait pas terminée, c'était dur de dire. « Maître Harry n'a pas aimé la tourte ? Maître Harry préfère autre chose ? »

« Non, non… » refusa-t-il, se forçant à sourire. « C'était très bon, merci, Kreattur. Je n'ai juste pas très faim. »

L'elfe laissa échapper un bruit dubitatif mais claqua des doigts et le plateau disparut. Kreattur ne partit pas, cependant, il observa le garçon un moment.

« Kreattur peut rester et tenir compagnie à Maître Harry si Maître Harry veut. »

Un nouveau claquement de doigts et un tas de vieux jeux de société dont il n'avait jamais entendu parler mais qui étaient très visiblement sorciers – et venaient probablement directement du Square Grimmaurd – apparurent devant eux.

« Kreattur est très bon au Gringottpoly. » déclara très sérieusement l'elfe, en poussant une des boites abimées par l'humidité plus près de lui. « Maître Regulus et Maîtresse Bella ordonnaient souvent à Kreattur de jouer avec eux. »

À première vue, Gringottpoly avait l'air similaire au Monopoly.

Avec un haussement d'épaules, Harry ouvrit la boite et laissa Kreattur lui expliquer comment installer le plateau dont les différentes cases étaient animées par magie.

Il n'avait pas la tête à quoi que ce soit d'autre, de toute manière.

°O°O°O°O°

Bill referma un énième grimoire qui avait semblé prometteur mais s'était révélé n'être qu'une fausse piste et soupira en voyant les nombreux rayonnages qui lui restaient à explorer.

En temps normal, il aurait payé cher pour quelques heures sans supervision dans la bibliothèque des Malfoy, mais là…

Severus aurait su.

Il n'arrêtait pas de tourner ça en boucle dans sa tête.

Severus aurait probablement identifié le maléfice plus vite qu'eux parce qu'il avait une connaissance étendue - et presque dérangeante - de tout ce qui touchait de près ou de loin à la magie noire. On aurait dû lui donner le poste de Professeur de Défense des années plus tôt. Il était certainement plus compétent en la matière que tous les enseignants qui s'étaient enchainés durant sa scolarité.

Severus aurait su.

Et Percy aurait réduit le temps de recherche par deux.

Il ferma brièvement les yeux, incapable de maîtriser la petite décharge de douleur lorsqu'il se souvint que son frère était mort. On l'avait tellement sollicité ce jour-là, dès le réveil, qu'il lui arrivait d'oublier par moments….

Percy était mort.

Et il se retrouvait dans la bibliothèque des Malfoy, sous la surveillance assidue d'un elfe de maison qui ne semblait pas savoir s'il devait lui offrir une collation ou lui rappeler régulièrement d'utiliser des gants pour les volumes les plus rares et anciens, à tenter de sauver Lucius.

Lucius qui avait participé à l'attaque qui avait contribué à la mort de son frère.

Cela faisait-il une différence qu'il ait été un espion à la solde de Dumbledore ? Cela faisait-il une différence qu'il ait tenté de prévenir Percy ? Si tant est que ce soit vrai.

Bill ressentait tellement d'ambivalence depuis qu'il était arrivé au Manoir que…

Il faisait ça pour Ron, se dit-il fermement. Ron était ami avec Draco. Et au-delà de ça, Draco n'avait pas mérité de perdre un père, même si le père en question était le dernier des connards. Il était bien placé pour savoir qu'on ne s'en remettait pas ou difficilement. Or il n'avait rien entendu que du bien du Serpentard dernièrement. Draco semblait essayer de faire les bons choix dans la vie.

C'était plus qu'il pouvait en dire de beaucoup d'autres.

Quand il pensait à Charlie et à ce qu'avait dû lui faire subir Anthony…

Il s'en voulait de n'avoir rien vu, de ne rien avoir deviné. Ils avaient été sous ses yeux pratiquement en permanence et…

Avec un autre soupir, il se leva pour sortir d'autres volumes des étagères, laissant à l'elfe revêche le soin de ranger le reste.

S'il avait eu le courage, il aurait été plus honnête avec Draco : le maléfice était agressif et le temps allait leur manquer.

Il ne voulait pas baisser les bras.

Il voulait essayer jusqu'au bout.

Mais…

S'il était honnête, il n'y croyait pas.

°O°O°O°O°

Nymphadora échangea quelques mots avec l'Auror qui gardait la porte de la cellule d'Anthony. L'homme avait près de quatre-vingt ans, n'aurait jamais dû se trouver là en premier lieu et avait visiblement besoin de dormir, elle l'envoya donc se coucher tout en sachant qu'il n'en ferait rien parce que ses petits-enfants étaient quelque part dans le château et qu'il voudrait vérifier qu'ils allaient bien.

Elle ne déverrouilla pas pour autant la porte une fois qu'il fut parti.

À côté d'elle, Sirius se frotta le visage. « Après ça, je vais dormir pendant deux jours. »

Elle enfouit la main dans sa poche, referma les doigts autour de la petite fiole de Véritaserum, et soupira. « Lorsque tu seras reposé, j'aurais besoin que tu prennes des tours de garde. Je n'ai pas assez d'Aurors valides pour patrouiller le château aussi bien que je le voudrais. »

Et c'était sans parler du fait que le Chemin de Traverse et les autres enclaves magiques du Royaume-Uni étaient complètement sans défense pour l'instant. Réorganiser le Département serait la priorité dès que les choses se seraient un peu calmées et que les volontaires qu'avait réclamé Dumbledore dans son discours auraient afflué.

Bien que cela présenterait son propre lot de difficultés. Sans accès aux dossiers du Ministère, ils ne pourraient pas vérifier leurs antécédents et…

« Pas de problème. » offrit Sirius. « Sauf si Remus décide de m'envoyer ailleurs. »

« Remus n'est plus en charge de l'Ordre. » expliqua-t-elle. « Kingsley et moi le sommes jusqu'à ce que Severus se réveille. »

Sirius la dévisagea quelques secondes puis se frotta à nouveau le visage. « Ça a dû lui plaire, ça. Ça ne va lui poser aucun problème, c'est sûr. »

Nymphadora répondit à son sarcasme par un haussement d'épaules puis sortit sa baguette. « Prêt ? »

« Impatient. » ironisa son cousin.

« Tu vas devoir ouvrir la porte. » grimaça-t-elle. Elle sortit sa baguette mais c'était plus pour sauver les apparences qu'autre chose. Elle n'était toujours pas capable de jeter un sort conséquent.

« Tu vas bien ? » s'inquiéta l'Animagus.

« Juste un peu fatiguée. » mentit-elle.

Sirius l'étudia quelques secondes puis s'exécuta.

Elle s'était préparée tout le chemin à se retrouver face à Anthony mais elle se rendit vite compte, lorsqu'elle eut fait trois pas dans la pièce, qu'elle n'était pas prête. Parce que, à la vue du jeune homme ligoté sur une chaise au milieu de la pièce, au centre d'un cercle de runes qui formaient leur propre petite prison, sa première réaction fut l'inquiétude. Son premier instinct était de le libérer, de s'assurer qu'il n'avait rien.

Elle dut se faire violence pour ne rien laisser paraître.

Même lorsqu'il releva la tête lentement.

Même lorsqu'un soulagement indéniable passa sur son visage en l'apercevant.

Le soulagement, feint ou non, ne dura pas. Il se transforma en haine pure et dure lorsque son regard tomba sur Sirius.

« J'espérais que quelqu'un t'aurait crevé. » cracha-t-il.

L'Animagus resta de marbre. Il s'adossa au mur, les bras croisés, sa baguette au creux de sa main, et ne prononça pas un mot.

Nymphadora se força à faire un pas en avant. Après quelques secondes, l'attention d'Anthony revint sur elle – et avec elle, ce soulagement qu'il ne cherchait pas à réprimer.

« Tu n'es pas morte… Je suis content. J'espérais un peu que Charlie lutterait contre le sort. » offrit-il. « Ça me suffisait que Snape le pense, qu'il crève en pensant avoir tué la femme qu'il aimait… C'était tout ce qu'il méritait. Il est bien mort, hein ? »

Elle haussa les épaules avec nonchalance, faisant appel à ses boucliers mentaux. Ils n'étaient pas à leur maximum mais ils ne lui demandaient pas trop d'énergie à maintenir.

« Désolée de te décevoir, mais il en faut plus que ça pour nous tuer. » se moqua-t-elle. « Severus est en pleine forme. »

Anthony fouilla son regard, colère et incertitude se battant dans ses yeux. « Tu mens. S'il était vivant, il serait venu lui-même. »

« Il est occupé et tu ne mérites pas l'attention du nouveau dirigeant de l'Ordre du Phoenix. » rétorqua-t-elle. « Tu vas devoir te contenter de moi, je le crains. »

« Tu mens. » insista-t-il, en tournant les yeux vers Sirius. « J'ai au moins eu un de vous deux. »

L'Animagus soupira longuement, avec une lassitude clairement perceptible. « Tu n'as eu aucun de nous deux. Severus est avec Dumbledore. Tu as dû entendre, non ? Dumbledore est Ministre, maintenant. Je te laisse deviner qui est son bras droit. »

« Remus… » contra Anthony.

« Remus n'a pas les tripes pour diriger une armée. » l'interrompit-elle. Encore que ce n'était plus tout à fait vrai, mais… Remus était idéaliste là où Severus ne l'était pas.

Cette fois-ci, la fureur déforma le visage du dragonnier et, sans prévenir, il se mit à hurler comme un forcené. Prenant garde de rester derrière le cercle de runes, Nymphadora en profita pour lui verser quelques gouttes de Véritaserum dans la bouche. La dose recommandée était trois mais elle ne compta pas parce que certaines atterrirent sur sa joue ou son menton de toute manière.

Elle recula rapidement, attendant que la potion fasse effet.

Il cessa de hurler et son regard devint un peu plus brumeux mais il ne paraissait pas autant sous l'emprise du philtre de vérité qu'il l'aurait dû. Elle n'avait assisté qu'à cinq interrogatoires sous Véritaserum dans sa carrière, dont deux au cours d'un procès, et elle n'en avait mené qu'un seul par elle-même. Elle connaissait les règles, cela dit. Les questions devaient être précises parce qu'il était possible de s'entraîner à résister au philtre ou, tout du moins, de parvenir à répondre quelque chose qui n'était pas faux sans pour autant être la réponse attendue…

Toutefois, elle n'avait jamais vu quelqu'un lutter autant contre la potion…

« Ils ne t'ont pas dit que j'étais excellent en magie de l'esprit ? » la provoqua-t-il, prouvant qu'il n'était pas aussi inconscient de son environnement qu'il l'aurait dû. « Je suis un Maître Occlumens. Snape aurait dû savoir que ça ne fonctionnerait pas si bien que ça sur moi… Tu es sûre que tu ne m'as pas menti, Tonks ? Tu es sûre qu'il est vivant ? »

Un rire lui échappa. Un rire qui avait une touche d'hystérie.

Nymphadora se força à ne pas réagir, à ne rien trahir.

« Mais ça fonctionne ? » demanda-t-elle froidement.

Dans le cas contraire, il leur faudrait peut-être un Legilimens. Severus ou Dumbledore.

« Plus ou moins. » lâcha-t-il, visiblement sous la contrainte. Il se mordit la lèvre puis finit par souffler. « Je dois répondre et je ne peux pas mentir. Mais ça ne veut pas dire que je ne peux pas détourner la vérité si j'en ai vraiment envie. »

Elle échangea un regard avec Sirius qui haussa les épaules.

C'était toujours mieux que rien.

« Et tu vas me dire la vérité ou tu vas la détourner ? » s'enquit-elle.

Il la fusilla du regard quelques secondes puis baissa les yeux. « Je n'ai plus de raison de mentir. Je voulais me venger et j'ai échoué. »

Pas tout à fait, se dit-elle, pas tant que Severus était inconscient et qu'il pensait qu'elle était morte.

Elle repensa à la prophétie dont Harry lui avait fait part puis la repoussa dans un coin de sa tête. La Divination n'était qu'un ramassis de conneries.

« Est-ce qu'il est vraiment vivant, Tonks ? » demanda soudain Anthony. « Ou est-ce que tu mens parce que tu es en colère après moi ? Je comprends, tu sais. Et je suis désolé. Je suis vraiment désolé. Je n'avais pas prévu de te faire du mal, je t'assure. Je n'ai jamais voulu faire du mal à aucun des autres non plus, à part Snape et Sirius. Mais quand j'ai compris à quel point il t'aimait… Quand j'ai compris à quel point ça le détruirait de te perdre… »

Il ne pouvait pas mentir, pas sous Véritaserum, demi-vérité ou non.

Mais il n'aurait pas dû être capable de diriger la conversation non plus.

« Tonks… » insista-t-il. « Je voulais juste qu'il souffre, tu comprends ? Et je ne voulais pas vraiment me servir de toi mais dès le moment où tu as dit à Charlie… »

« C'est toi qui a rapporté à Voldemort qu'on était ensemble. » déduisit-elle, dégoûtée.

Anthony résista contre la potion quelques secondes puis ses épaules s'affaissèrent et il baissa les yeux, l'air un peu honteux. « Oui. »

« Depuis quand tu espionnais pour lui ? » enchaîna-t-elle.

Il soupira. « Depuis un peu après notre arrivée en Angleterre. »

« Et quand est-ce que tu es devenu un Mangemort ? » demanda-t-elle. « Je suppose que tu n'as pas de Marque ou Charlie l'aurait remarquée. Ou bien est-ce que c'est pour ça que tu l'as mis sous Imperium ? Depuis quand… »

« Tonks. » l'interrompit Sirius. « Une question à la fois. »

Elle garda le silence et ne se tourna pas vers son cousin. Elle connaissait les règles. Elle connaissait les règles mais…

« Depuis quand es-tu un Mangemort ? » reprit-elle.

Le dragonnier eut une moue dégoûtée. « Je ne suis pas un Mangemort. »

Cette fois-ci, elle échangea un coup d'œil avec Sirius. « Il faut peut-être une version du Véritaserum plus puissante. Tu peux aller demander à Severus si… »

Son bluff fut récompensé.

Anthony s'agita suffisamment pour que les pieds de la chaise sur laquelle il était ligoté se soulèvent du sol. « Je ne mens pas ! Je ne suis pas un Mangemort. Je n'en ai rien à foutre des Mangemorts. Mais je n'en ai rien à foutre de l'Ordre du Phoenix non plus. »

« Pourquoi l'avoir rejoint dans ce cas ? » riposta-t-elle.

« Parce que Charlie était déterminé et que je voulais le protéger. » souffla-t-il, en la suppliant du regard de comprendre. Il pinça la bouche pendant un long moment puis, comme s'il n'y tenait plus, rajouta : « Et parce que je voulais avoir accès à Sirius Black et je savais, par Charlie, que ce serait le plus rapide. Je ne voulais pas juste le tuer. Je voulais le faire souffrir. Sauf qu'il était déjà… » Il secoua la tête. « Il devenait fou enfermé dans cette baraque et c'était jouissif à regarder. Je ne voulais pas le tuer tout de suite. »

Elle croisa les bras. « Comment les Mangemorts t'ont-ils contacté ? »

« Ils ne m'ont pas contacté. » contra-t-il, et s'en tint là.

« Très bien. » s'agaça-t-elle. « Quand et comment as-tu contacté les Mangemorts ? »

Il lui jeta un regard passablement irrité mais ne chercha pas à retenir l'information. « Mon ex. Il n'avait pas de Marque mais je savais qu'il avait des contacts, qu'il avait assisté à une réunion ou deux, qu'il pouvait me mettre en contact avec eux. » Il haussa les épaules. « Je voulais juste dire à Tu-sais-qui que Snape était un espion, à la base. J'espérais qu'il le tue pour moi. » Son expression s'assombrit. « Je ne suis pas idiot, Tonks. Il est expert en Forces du Mal, c'est un Maître Occlumens et Legilimens, sans parler du genre de potions qu'il a sous la main… Je n'allais pas essayer moi-même. Je savais qu'il y avait de fortes chances pour que j'y reste. »

Elle serra les dents. « Et ensuite ? Tu t'es découvert une vocation pour la traitrise ? »

Anthony la regarda longtemps, luttant contre la potion uniquement pour finir par abandonner. « Tu-sais-Qui m'a proposé un marché qui était plus avantageux pour moi. En échange de mes informations, il l'a torturé un moment en lui faisant croire qu'il doutait de sa loyauté. J'aimais assez l'idée qu'il se croit sur le fil du rasoir, qu'il pense qu'il allait mourir bientôt… J'aimais assez le voir paniquer… »

« Et ça ne t'a pas gêné de nous mettre tous en danger juste pour torturer Severus ? » demanda Sirius, avec un bruit dégoûté.

Le ricanement du dragonnier mit Nymphadora mal à l'aise. Il lui donna la chair de poule.

« L'Ordre ne vaut pas mieux que les Mangemorts. » cracha Anthony, dévisageant Sirius avec haine. « Vous êtes tous plus hypocrites les uns que les autres… Vous vous êtes décrétés au-dessus des lois pour le plus grand bien. Regarde ce qu'il s'est passé à chaque fois que l'Ordre a tenté de faire quelque chose ! Des flammes et des morts! À chaque putain de fois! »

« Oui, parce que tu passais des informations cruciales à l'ennemi, Anthony. » remarqua-t-elle, un peu incrédule. « Si tu n'avais pas… »

« Oh, s'il te plait. » se moqua-t-il. « Je n'ai pratiquement rien eu à faire pour semer la zizanie, vous vous débrouilliez très bien tout seuls. Et, d'accord, peut-être que ça me faisait plaisir de voir l'Ordre s'agiter dans tous les sens comme une fourmilière à moitié détruite… Peut-être que je voulais le détruire, au fond. » Il laissa échapper un bruit amusé et croisa le regard de Tonks, un léger sourire aux lèvres. « Hey, cette potion est plus efficace que des années de thérapie… Tu devrais peut-être essayer… Peut-être que ça expliquerait pourquoi tu es tombée si amoureuse d'un connard à la main leste. »

Elle leva sa baguette, ne se souvenant qu'au tout dernier moment qu'elle ne pouvait rien en faire. « Severus n'est pas ce genre d'homme. »

« Attends un peu, ça va venir. » railla Anthony. « Parce que Tu-sais-qui m'a tout raconté sur cette raclure, tu sais… Il t'a dit à quel point il aimait torturer les jeunes Moldues ? Il t'a dit tout ce qu'il a fait derrière son masque ? Il t'a dit… »

« Tais-toi. » siffla-t-elle. « Tais-toi. »

« Si tu réfléchis… » continua son ex-meilleur ami, sur le ton de la conversation. « Je cherchais à te rendre service, à toi aussi. Tu aurais été beaucoup mieux sans lui. »

« Mais elle n'aurait pas été beaucoup mieux morte, si ? » riposta Sirius, en se repoussant finalement du mur.

Anthony se rembrunit. « Je voulais qu'il souffre. »

« Oui, ça, on a compris. » rétorqua l'Animagus, en venant se tenir près d'elle. « Mais pourquoi maintenant ? »

Le dragonnier le dévisagea longtemps puis haussa les épaules. « Je te l'ai dit. Tu étais à Azkaban. Lui, je ne savais pas qui c'était. »

« Tu aurais pu tout dire à Dumbledore. » murmura Tonks. « Tu aurais pu contacter le Ministère, les dénoncer… »

« Oh, pour que l'histoire soit enterrée ? » cingla-t-il, en tournant à nouveau les yeux vers elle. « Tu ne comprends pas à quel point ils ont pourri ma vie. Ils n'ont pas juste volé mes parents, Tonks, ils ont volé mon enfance. Tu sais ce que c'est de passer de foyer d'accueil en foyer d'accueil ? Tu sais ce que c'est de ne pas savoir sur quel genre de famille tu vas tomber ? Le genre qui va te frapper ou le genre qui va t'ignorer ? » Il secoua la tête. « Le système était surchargé pendant la première guerre. On m'a envoyé en Australie. Quand j'ai reçu ma lettre pour Poudlard, à onze ans, la famille avec qui je vivais m'a forcé à refuser. Tu sais pourquoi ? Parce qu'ils avaient une ferme et que, les orphelins, ça faisait de la main d'œuvre gratuite. Je me suis éduqué tout seul. J'ai préparé mes examens tout seul. J'ai toujours tout fait tout seul. »

À bout de souffle, il tourna son regard vers Sirius.

« Ils m'ont tout pris. » répéta-t-il. « À cause de leur petite guerre personnelle, j'ai tout perdu et, comme si ça ne suffisait pas, il fallait qu'ils deviennent amis, par-dessus le marché ? Mes parents sont morts à cause de leur haine et, juste comme ça, ils décident, qu'en fin de compte, ils s'aiment bien ? Non, non, non… Je ne pouvais pas laisser passer ça. Non, non. »

À côté d'elle, Sirius s'était figé. Son expression était impossible à décrypter. Elle tendit la main, effleurera ses doigts des siens, mais il ne sembla même pas le remarquer.

« Je suis désolé. » offrit-il, sa voix un peu trop rauque, un peu trop cassée. « Je suis vraiment, vraiment désolé. Et, pour ce que ça vaut, si j'avais su… »

« Oh, garde tes excuses. » cracha Anthony. « Ça ne change rien. Et ne crois pas que je ne vais pas parvenir à te tuer un jour. Tant que je serais vivant, toi et Snape, vous allez devoir vous méfier de votre ombre. »

« Est-ce que Charlie savait ? » coupa-t-elle. Elle occluda la rage qui menaçait de la submerger avant de perdre contenance et de lui hurler qu'elle le tuerait avant qu'il puisse s'approcher à nouveau de Severus.

Lentement, le dragonnier décolla le regard de Sirius pour le reporter sur elle. « Précise. »

« Est-ce que Charlie savait que tu espionnais l'Ordre ? » clarifia-t-elle.

« Oui. » avoua Anthony. « Mais pas au début. Lorsqu'il a compris, nous nous sommes disputés. Il voulait que j'aille tout dire à Dumbledore. Il pensait que Dumbledore comprendrait. »

« Et ? » pressa-t-elle.

« Et j'ai dû le mettre sous Imperium. » soupira-t-il. « Mais c'était difficile de maintenir tous les sorts de confusion et l'Imperium en même temps, surtout qu'il luttait contre le maléfice. Il m'a échappé parfois. » Il eut une moue mécontente. « Je ne l'ai jamais vraiment demandé en mariage, tu sais. Mais c'est tout ce qui m'est venu lorsqu'il a craqué dans ta cuisine. »

« Donc Charlie n'était absolument pas impliqué avant que tu ne l'y forces ? » insista-t-elle, avec un soulagement qui menaça de lui couper les jambes.

Elle l'avait su, bien sûr, mais…

« Non. » déclara-t-il, avant de soupirer à nouveau. « C'était pour son bien, l'Imperium. Pour notre bien. Quand je n'ai pas voulu aller voir Dumbledore et qu'il ne voulait pas comprendre que je faisais ce qu'il y avait de mieux pour nous… Il m'aurait quitté. Je voulais juste lui donner le temps de voir que j'avais raison. » Il lui jeta un regard suppliant. « Je peux le voir ? »

« Il ne veut pas te voir. » gronda-t-elle. « Tu as violé son esprit. Pendant combien de temps est-ce que tu l'as gardé sous Imperium? »

Cette fois-ci, Anthony parut partagé entre fureur et désespoir. Il se mordit la lèvre jusqu'au sang pour éviter de répondre mais, au final, Occlumens ou pas, la potion était trop forte.

« Plusieurs mois. » lâcha-t-il finalement. « Et tu mens. Il voudra me voir. Nous nous aimons. Nous sommes plus forts que ça. »

Elle le regarda longtemps, sans parvenir à réconcilier l'homme silencieux mais gentil qu'elle avait appris à connaître et celui, ligoté sur cette chaise, qui ne paraissait pas…

« Comment est-ce que tu es parvenu à nous cacher ton déséquilibre si longtemps ? » s'enquit-elle, un peu tristement.

« Je ne suis pas déséquilibré. » cracha-t-il. « Je suis parfaitement sain d'esprit. »

« Si tu étais sain d'esprit, Anthony, tu ne penserais pas que tout ce que tu as fait était pour le mieux ou que c'était justifiable. Et tu ne penserais certainement pas que Charlie et toi avez un quelconque avenir. » rétorqua-t-elle. « Mais, ok, laisse-moi reformuler : comment est-ce que tu es parvenu à cacher ta duplicité aussi longtemps si tu nous détestais tous autant ? »

« Je ne vous détestais pas tous. » répondit-il, en fronçant les sourcils. « Tu es une de mes meilleures amies, Tonks. » Il sembla attendre la réciproque puis, lorsqu'il comprit que ça ne viendrait pas, il haussa les épaules. « Occlumencie. »

« Parle-moi du sort que tu as utilisé pour nous embrouiller. » exigea-t-elle. « Je veux savoir comment il fonctionne, s'il laisse des séquelles et comment tu l'as maintenu aussi longtemps sur tellement de gens sans t'épuiser. »

C'était un peu trop technique pour elle mais elle écouta attentivement quoi qu'il en fût, sachant que Kingsley et Dumbledore voudraient probablement visionner le souvenir dans une pensine plus tard de toute manière.

Elle enchaîna avec des questions précises mais nécessaires. Avait-il trahi la position de leurs lieux sûrs ? Lesquels ? Avait-il dit aux Mangemorts où était le Q.G. ? Oui, elle savait qu'il était sous Fidelitas mais cela ne l'aurait pas empêché de désigner la zone de Londres où se trouvait le Square Grimmaurd… Quelles informations avaient-ils passées à l'ennemi ?

Une fois qu'il eut terminé, elle pressa la main de Sirius. « D'autres questions ? »

Son cousin commença par secouer la tête puis sembla changer d'avis. « Tu dis que tu voulais me voir souffrir mais… Pourquoi tu n'as pas essayé de me tuer une fois que j'ai été officiellement innocenté ? Je ne me méfiais pas. Ça aurait été facile. »

Le rictus d'Anthony était haineux. « J'allais le faire. »

Sirius avait raison.

Il avait eu beaucoup d'opportunités de tuer Severus ou Sirius… Et n'en avait saisi aucune.

« Tu as déjà tué quelqu'un, Anthony ? » demanda-t-elle.

« Pas encore. » grinça-t-il, en tournant ses yeux pleins de fureur vers Sirius. « Mais ça va venir. »

« Tu es sûr ? » insista-t-elle. « Ou bien est-ce que, au fond, tu sais que tu ne serais pas capable de tuer de sang-froid et c'est pour ça que tu as besoin d'intermédiaires ? »

Cette fois-ci, il se mordit jusqu'au sang plutôt que de répondre et refusa de desserrer les dents de sa lèvre inférieure.

Incapable d'en supporter davantage, elle attrapa le bras de Sirius et le tira à l'extérieur où un nouvel Auror avait pris le poste de garde. Il verrouilla la cellule derrière eux.

Nymphadora aurait été incapable de répéter les quelques mots qu'elle échangea avec lui.

Elle et Sirius s'éloignèrent lentement, le pas lourd et fatigué.

« Il est fou. » lâcha-t-elle, au bout de quelques minutes. « Comment est-ce qu'on ne s'est pas aperçu qu'il était fou, sortilège ou pas ? »

« Parce qu'il pense qu'il est complètement équilibré et que c'est le reste du monde qui a un problème. » murmura Sirius, avec un peu trop d'amertume.

Ou, peut-être, un peu trop d'expérience, songea-t-elle.

« Il n'est pas si fou que ça, si tu veux mon avis. » hésita-t-il, après quelques secondes. « Il est juste… abîmé. »

Elle ouvrit la bouche pour contrer qu'il y avait pleins de gens abîmés par la vie, lui, Severus et Remus entre autres, mais qu'aucun d'entre eux n'avait fait un truc aussi dégueulasse. Elle la referma sans rien dire.

Severus avait rejoint les Mangemorts.

Sirius l'avait harcelé et failli le tuer.

Remus… Remus n'était pas un exemple de stabilité dernièrement.

Peut-être que dans quinze ans, avec un peu plus de perspective, les actions d'Anthony ne lui sembleraient plus si folles, juste désespérées…

°O°O°O°O°

Hermione excellait en recherche et elle avait actuellement à sa disposition une armée d'assistants…

Pourtant, elle ne trouvait rien et elle sentait qu'elle n'allait rien trouver. Peut-être parce qu'il n'y avait rien à trouver. Pour ce qu'elle en savait, Pettigrow avait conçu ce sort lui-même. Après tout, il avait aidé à l'élaboration de la Carte des Maraudeurs, il devait bien s'y connaître un minimum en Sortilèges…

Avec un soupir, elle referma le grimoire qu'elle était en train de parcourir, caressant distraitement le cuir usé sans même s'en rendre compte.

« Rien ? » demanda Ginny, en se penchant vers elle pour ne pas être entendue par les autres qui continuaient d'échanger des livres ou de se poser des questions, tout en consultant régulièrement la liste des symptômes rédigée par Hermione et posée au centre de la table pour référence.

Elle secoua la tête sans répondre, la gorge nouée.

Un elfe était venu chercher Draco, un quart d'heure plus tôt. La situation s'était apparemment aggravée et Narcissa le voulait à ses côtés.

Hermione aurait voulu pouvoir faire plus.

À Noël, quand elle avait décidé de dire un au revoir probablement définitif à sa famille pour leur sécurité, Draco avait été d'un tel soutien que… Elle aurait voulu lui rendre la pareille. Elle aurait voulu lui épargner tout chagrin. Elle aurait voulu…

Ginny laissa échapper un bruit qui n'était pas tant amusé que las. « Je n'arrive pas à croire qu'on soit en train d'espérer que Lucius Malfoy s'en sorte… »

Elle observa la quatrième année, notant les yeux rougis qu'elle frottait régulièrement.

« Tu tiens le coup ? » demanda-t-elle franchement. En temps normal, elle aurait usé de plus de tact mais la nuit avait été trop courte, ses propres émotions la dépassaient et Ginny appréciait la franchise plus que la diplomatie, de toute manière.

La jeune fille haussa les épaules. « Je ne crois pas que je réalise, pour le moment. Ça revient par vagues. » Elle répéta le geste, de manière un peu plus prononcée, ses traits se tordant alors qu'elle luttait contre ses larmes. Elle se racla la gorge mais ça n'empêcha pas sa voix de se briser lorsqu'elle se remit à parler. « Et puis… Je sais que c'est très bête mais j'aurais aimé qu'Harry… Percy est mort et je n'arrête pas de penser à la manière dont Harry m'a ignorée et… »

Hermione grimaça. « Il était choqué, hier, tu sais… Et puis, Snape… »

« Je sais. » l'interrompit-elle. « Mais il n'a rien dit. Il m'a à peine regardée. Et depuis, pas un message. Et… Merde, ce n'est pas comme si on était… » La quatrième année s'interrompit puis soupira, jeta un regard vers Ron qui était occupé à discuter avec Neville. « On est ensemble. Était ensemble. Franchement, je ne suis plus sûre de… »

« Oh. » lâcha Hermione, surprise. Non pas qu'elle ne l'avait pas vu venir mais elle n'avait pas pris conscience qu'Harry s'était finalement décidé à agir. « Gin, je suis sûre qu'il est juste… Snape compte énormément pour lui. »

« Plus que moi ? Plus que ma famille qui l'a pratiquement adopté pendant quatre ans ? » cracha-t-elle, avant de plaquer une main sur sa bouche. Elle lui jeta un regard suppliant. « Oublie ça. Je ne sais plus ce que je dis. Je suis triste et en colère et… » Elle prit une profonde inspiration. « Et je suis déçue. Je suis horrible, hein ? »

« Bien sûr que non ! » protesta Hermione, en passant un bras autour de ses épaules. « Bien sûr que non, Ginny. Mais… Hier soir, il croyait que son père était mort ou allait mourir et, pour le moment, on ne sait pas ce qu'il a… Je suis sûr qu'il pense à toi. C'est juste que… »

Ginny l'écouta puis enfouit son visage dans ses mains. « C'est bien ce que je dis, je suis horrible. »

« Tu n'es pas horrible. » insista-t-elle. « Tu viens de perdre ton frère. Tu as le droit de vouloir que ton petit-ami te console. Ce n'est pas horrible. Je te promets que ce n'est pas horrible. Souviens-toi juste que lui aussi traverse une période difficile. »

Luna se glissa dans le siège libre à gauche de la quatrième année et lui frotta le dos sans prononcer un mot. Après s'être assurée que son amie allait bien – aussi bien que possible – elle attrapa un nouveau livre de la pile qu'avait sortie Pince.

Elle espérait sincèrement que Bill et le Médicomage avaient plus de chance de leurs côtés respectifs.

Elle ne lisait que depuis quelques minutes lorsque les portes de la bibliothèque s'ouvrirent en grand et qu'une vieille sorcière dont le chapeau en forme de vautour, l'étole en peau de renard et le sac à main étaient célèbres dans leur promotion depuis leur troisième année.

Les adolescents restèrent brièvement figés par l'arrivée d'une adulte incongrue dans un lieu où ils avaient l'habitude de ne voir que des enseignants puis retrouvèrent leurs bonnes manières et la saluèrent poliment.

Elle y répondit d'un geste sec du menton, avant de se tourner vers son petit-fils. « Neville, nous partons. »

Neville la dévisagea avec une surprise et une incrédulité manifeste. « Mais… Grand-mère, vous avez entendu le discours de Dumbledore… Il veut… »

« La Maison Londubat se rangera, bien entendu, derrière Dumbledore. » le coupa-t-elle. « Mais ton oncle et moi pouvons faire autant pour lui, si ce n'est plus, du domaine et tu es notre héritier. Ta place est… »

« Non. » l'interrompit Neville. Il était très visiblement nerveux mais cela ne l'empêcha pas de se tenir un peu plus droit, les épaules rejetées en arrière. « Non, Grand-mère, je ne partirai pas. C'est ici que la guerre va se décider et… »

« C'est ici que la guerre va se décider mais elle ne se décidera pas avec des adolescents. » cingla la matriarche des Londubat. « Ne crois pas que nous n'allons pas avoir des mots sur ce que tu as fait pendant la bataille, Neville. C'était, certes, très courageux, mais c'était également extrêmement inconscient. » Sa bouche pincée s'adoucit légèrement. « Nous pouvons emmener ceux de tes amis qui n'ont pas d'autres options, si tu le souhaites. Le domaine est large et cela te fera de la compagnie. »

« Grand-mère, je ne vais nulle part. » répondit plus fermement le cinquième année.

Hermione hésitait à intervenir parce que la sorcière les distrayait de leurs recherches mais sentait que ce n'était pas sa place alors, comme tous les autres, elle fit semblant de se replonger dans son livre, tout en observant la situation sans en avoir l'air. Toutefois, elle était prête à prendre la défense de Neville si nécessaire – comme ils l'étaient tous.

Mrs Londubat dut bien sentir que tous les adolescents étaient soudés parce qu'elle leur jeta un regard sévère puis soupira. « Que faites-vous ici, de toute manière ? »

Clairement soulagé de ne pas avoir à la convaincre davantage, Neville lui montra les livres d'un geste négligeant du bras. « On essaye de trouver quel maléfice a touché le père de Malfoy. »

Il n'en fallut pas plus pour que le visage de la vieille dame se plisse de dégoût. « Et pourquoi essayez-vous d'aider un Malfoy ? Bon débarras, si vous voulez mon opinion. »

« Parce que Draco n'est pas son père. » cracha Ginny, avant que Neville ait pu répondre, en jetant un regard noir à la sorcière. « Et parce que personne ne devrait perdre quelqu'un qu'il aime. Même si la personne en question est un Mangemort. »

« Et puis Mr Malfoy espionnait pour Dumbledore. » glissa Hermione.

Mrs Londubat ne se départit pas de son déplaisir. « Pour son gain personnel davantage que par altruisme, sans aucun doute possible. Les Malfoy n'ont jamais engendré personne de convenable. »

« Draco est mon ami. » déclara Neville, avec juste à peine un peu d'hésitation. Il se racla la gorge. « Et puis, vous avez entendu ce qu'ont dit les autres dans la salle commune, hier soir. Il a sauvé la moitié des élèves. On lui doit bien ça.

Lui et sa grand-mère s'affrontèrent longtemps du regard puis elle soupira, un éclat de tristesse dans le regard. « Tu me rappelles de plus en plus Frank. Très bien, parlez-moi de ce maléfice. »

Hermione sauta sur l'occasion, lui montrant la liste des symptômes tout en récitant de mémoire tous les titres de livres qu'ils avaient déjà consultés, ce qu'avait dit le Médicomage avant de partir pour Sainte Mangouste fouiller dans les archives et les conclusions de Bill Weasley.

Mrs Londubat l'interrompit bien avant qu'elle ait terminé. « C'est un vieux maléfice connu de seulement quelques Maisons. Vous ne le trouverez dans aucun livre, il se transmettait de Chef de famille à héritier. » Elle secoua la tête, sans trop de compassion. « À ma connaissance, il est mortel. »

La jeune fille eut l'impression qu'on lui versait un seau d'eau glacé sur la tête. « Mais… Comment Pettigrow aurait-il pu… »

« La mère de Pettigrow était une Prewett avant de se marier avec un Moldu. » expliqua la sorcière. « Le maléfice est noir et on s'attendrait à ce qu'il vienne des Black, des Malfoy ou des Prince mais… C'est un Prewett qui l'a créé. »

Hermione ne s'intéressait pas tant à qui l'avait inventé qu'à comment le contrer. « Il doit bien y avoir un moyen de l'annuler ? »

« Le maléfice n'a pas de contresort. » réfuta Mrs Londubat. « C'est pourquoi la plupart des Maisons qui le connaissaient l'ont laissé tombé dans l'oubli. »

« Mais vous le connaissez. » rétorqua-t-elle, en attrapant un rouleau de parchemin vierge. Ron lui colla une plume entre les mains avant qu'elle ait pu tenter d'en trouver une, elle lui sourit brièvement avec reconnaissance. « Dites-moi tout ce que vous savez. Comment le jeter, comment il fonctionne… Tout. » Ils pouvaient inventer un contresort. « Ron, envoie un Patronus à ton frère. Dis-lui de revenir. »

« Non. » refusa la matriarche des Londubat, d'un ton ferme. « Je ne vais certainement pas vous expliquer comment jeter un sort qui aurait dû sombrer dans l'oubli depuis longtemps. »

Hermione resta choquée et la dévisagea avant de s'exclamer avec colère. « Cela pourrait sauver la vie d'un homme ! »

« La vie d'un Mangemort ? » releva Mrs Londubat, avec mépris. « Je ne verserai pas de larmes sur sa tombe. Je suis désolée pour votre ami s'il est aussi bon que vous le dites. Sincèrement. » Et elle avait l'air désolé, à défaut d'éprouver une quelconque culpabilité. « Mais je ne vais certainement pas raviver le souvenir de ce sort. Et pas seulement parce que, comme je l'ai dit, c'est un secret qui se passe de Chef de famille à héritier. »

Ce n'était pas dit avec méchanceté mais Hermione le vécut comme une claque dans la figure. La référence à son sang Moldu n'était pas mesquine mais était pourtant indéniable.

Même les membres de l'Ordre du Phoenix n'étaient pas exempts de snobisme.

« Grand-mère… » tenta Neville, après s'être raclé la gorge.

« Non, Neville. » refusa une nouvelle fois la sorcière. « Pas même à toi. Ce maléfice est de la magie noire. Aucun de vous ne devrait y être exposé de près ou de loin. »

Hermione grinça des dents et se tourna vers Ron. « Appelle ton frère. »

Cela se révéla un petit peu plus difficile que prévu.

Ils avaient tous un peu de mal à produire des patronus, encore moins corporels. Ils perdirent dix minutes à essayer pendant que Mrs Londubat s'emmurait dans son silence avant que Luna parvienne finalement à produire un lièvre.

Cinq minutes plus tard, un elfe ramenait Bill dans la bibliothèque avant de s'éclipser dans la seconde.

Hermione supplia Mrs Londubat de changer d'avis. Bill, une fois qu'ils lui eurent expliqué, tenta de parlementer, puis de jouer la carte Dumbledore, mais rien n'y fit…

« Votre mère était une Prewett. » lâcha finalement Mrs Londubat. « Si elle souhaite divulguer des secrets de famille pour sauver la pustule de la communauté magique, ça la regarde. »

Ils se précipitèrent donc tous à l'infirmerie – et se firent gronder par les quelques Médicomages qui faisaient leurs rondes. Le gros du groupe se vit refuser l'entrée mais Hermione, Bill, Ron et Ginny parvinrent à passer.

Mrs Weasley eut l'air alarmé lorsqu'elle les vit tous arriver au pas de charge, les jumeaux s'empressèrent de tirer le rideau plus fermement autour du lit de Charlie… Une fois mise au courant de la situation, elle secoua la tête.

« Non, mes chéris, je suis désolée… Je n'ai jamais entendu parler de ce maléfice. » s'excusa-t-elle. « Grattel et moi étions de distantes cousines. Je n'ai aucune idée de ce qu'ont pu lui dire ses parents… Les miens ne m'ont certainement jamais confié un secret pareil… Peut-être Fabian et Gideon auraient-ils su mais pas moi. »

Les épaules d'Hermione s'affaissèrent. Elle se tourna vers Bill. « Et maintenant ? »

Il secoua la tête. « Je ne sais pas. Sans éléments concrets… »

« On ne peut pas abandonner. » insista-t-elle. « Il y a forcément quelqu'un à qui on peut parler ou… Le Professeur Dumbledore peut forcer Mrs Londubat à tout nous révéler… »

« Personne n'a jamais forcé Augusta à faire quoi que ce soit. » marmonna Molly.

Hermione ne voulait pas l'entendre. « Je ne peux pas dire à Draco qu'on abandonne. Je ne peux pas… »

« Je vais voir avec Dumbledore. » offrit Bill, en plaçant une main réconfortante sur son épaule. « Et, le cas échéant, c'est moi qui parlerait à Draco, d'accord ? »

Elle accepta l'étreinte de Mrs Weasley parce qu'elle avait une boule dans la gorge et que, en dépit de toute l'expérience qu'elle pouvait avoir avec les aventures un peu trop dangereuses, ses parents lui manquaient terriblement.

Ginny se glissa derrière le rideau pour rejoindre les jumeaux auprès de Charlie et Ron soupira qu'il allait voir comment allait Lavande.

« Lavande est blessée ? » s'inquiéta-t-elle.

Personne ne le lui avait dit.

Il y avait tant de choses qu'elle ignorait encore. Y avait-il seulement une liste des morts quelque part qu'elle aurait pu…

« Elle est… Euh… Elle va se remettre. » balbutia Ron, en fuyant son regard. Il s'éloigna avant qu'elle ait pu lui en demander plus.

« Je devrais aller voir Draco. » lâcha-t-elle, restée seule avec Mrs Weasley. « Voir comment il va… »

« Je pense qu'il vaut mieux le laisser avec ses parents, pour l'instant. » conseilla la sorcière gentiment. « Il va avoir besoin de toi, Hermione, mais, là tout de suite… C'est un temps pour la famille. »

Elle était fatiguée et à court d'idées.

Ce fut la seule raison pour laquelle elle laissa Mrs Weasley les entraîner dans les couloirs, Ginny et elle, jusqu'à une porte qui, jusqu'à la veille encore, avait été une salle d'étude mais qui s'était apparemment transformée en appartements dans la nuit. Elle retint le mot de passe par réflexe, ne fut pas autrement surprise de trouver sa malle au pied d'un lit simple dans une minuscule chambre qu'elle allait visiblement partager avec Ginny.

Elle se sentit coupable lorsque Mrs Weasley la persuada de prendre une douche et de se changer mais elle ne put nier qu'elle se sentait aussi un peu mieux lorsqu'elle émergea de la salle de bain. Elle troqua son uniforme pour une paire de jeans, un tee-shirt et un gilet, puisqu'il semblait évident que la période scolaire était terminée et que l'uniforme n'était plus obligatoire…

Pendant que Ginny s'enfermait à son tour dans la salle de bain, Mrs Weasley la fit asseoir à une table qui occupait la moitié de l'espace dédié au salon et la força à avaler une assiette de spaghettis à la tomate. L'idée de manger lui avait d'abord retourné l'estomac mais, après deux fourchettes, elle s'aperçut qu'elle était affamée et dévora le reste avec un empressement qui ressemblait davantage à Ron.

« Tu devrais probablement t'allonger un peu. » offrit Mrs Weasley.

Hermione secoua immédiatement la tête. « Je veux aider Draco. Si Bill a réussi à convaincre Dumbledore… »

« Ma chérie. » la coupa la sorcière, en couvrant sa main de la sienne. « Même si Bill a convaincu Dumbledore, ce n'est pas forcément à toi de trouver une solution. Il y a différentes manières d'aider les gens et ce n'est pas à toi de sauver tout le monde. »

Mais elle avait l'impression de renoncer, d'échouer.

Elle était celle qui trouvait toujours la solution, celle qui débloquait les situations…

La sorcière la plus intelligente de sa génération.

Elle…

Daphné et Blaise auraient pu l'aider.

Elle tenta de ne pas se mettre à pleurer. Après les pertes qu'avait endurées Mrs Weasley, ça semblait… Elle essaya vraiment de résister.

Mais elle ne protesta pas lorsque la sorcière l'attira contre elle, en claquant la langue pour l'apaiser, et la berça doucement.

Pour la première fois depuis longtemps, Hermione se sentait dépassée.

°O°O°O°O°

Albus émergea de la pensine en silence et fit les quelques pas qui le séparaient de la fenêtre, laissant Kingsley tâtonner jusqu'à attraper l'accoudoir d'un fauteuil et s'y asseoir. Tonks n'avait pas bougé de celui sur lequel elle s'était à moitié effondrée en entrant. La jeune femme avait décliné son invitation à visionner avec eux le souvenir de l'interrogatoire d'Anthony.

Elle semblait à deux doigts de s'écrouler à nouveau mais il savait qu'elle refuserait de prendre soin d'elle tant qu'il y aurait des urgences à régler.

Il appela un elfe et demanda du thé et des sandwichs sur lesquels les deux Aurors se jetèrent comme s'ils n'avaient rien avalé depuis des heures – ce qui était sans doute le cas.

« Je ne sais quoi en penser. » avoua-t-il, une fois qu'il eut servi trois tasses de thé et eut récupéré la sienne. Il s'installa derrière son bureau et s'enfonça confortablement dans son fauteuil, sentant le poids de la fatigue jusque dans ses os.

Il avait bon dos de reprocher à Tonks de ne pas prendre soin d'elle alors qu'il opérait lui-même sur une heure de repos qui avait tenu davantage de la somnolence que du sommeil réparateur dont il avait besoin.

« Il n'a pas toute sa tête. » commenta Kingsley, en remuant distraitement son thé. « Mais cela ne signifie pas qu'il n'est pas dangereux. »

« Miss Tonks ? » demanda-t-il.

La jeune femme fit un effort pour se redresser légèrement. « Il n'a pas vendu la position générale du Q.G., c'est déjà ça. Et nous avons toujours quelques lieux sûrs qui sont toujours secrets, c'est mieux que rien. Pour les informations qui ont filtré… Nous n'y pouvons plus rien. »

« Je l'ai sous-estimé. » déclara-t-il, en prenant une gorgée de thé.

Comme il avait sous-estimé Severus et Peter Pettigrow, quoi que pas pour les mêmes raisons. Était-il donc condamné à répéter les mêmes erreurs ad vitam aeternam ? Il devait faire mieux. Surtout à présent qu'il était aux commandes de la communauté magique.

« Nous étions sous l'influence de son sortilège. » remarqua Kingsley.

« Certes. Mais cela aussi j'aurais dû le remarquer. » soupira-t-il.

Son arrogance l'avait perdu. Jamais il n'avait soupçonné que qui que ce soit aurait pu infiltrer son esprit mis à part peut-être Gellert ou Severus – et encore, dans le cas de Severus, cela aurait probablement été une bataille acharnée.

C'était d'autant plus vexant qu'Anthony n'était pas particulièrement puissant. Pourtant, il était évident qu'il était beaucoup plus intelligent qu'ils ne l'avaient soupçonné. Il s'était tapi dans son coin comme un prédateur et avait attendu son heure…

« Je ne crois pas qu'il serait passé à l'acte seul. » lâcha Tonks, en s'emparant d'un nouveau sandwich, sa tasse de thé en équilibre instable sur l'accoudoir. Avec sa maladresse chronique, Albus anticipait un incident d'ici une minute ou deux. « Il a eu suffisamment d'opportunités et il ne l'a pas fait. Il ne voulait pas se salir les mains. »

« Peut-être. » admit Kingsley. « Il n'empêche qu'il aura causé un sacré capharnaüm. »

Elle haussa les épaules tristement et, comme on pouvait s'y attendre, bouscula la tasse de thé du coude. Albus était prêt et agita simplement la main. Elle se stabilisa dans les airs et flotta placidement à hauteur du fauteuil. Tonks l'attrapa avec un regard d'excuse et la garda bien sagement entre les mains.

« Que voulez-vous faire pour ses parents ? » demanda-t-elle, avec hésitation. « Severus et Sirius… Techniquement, le Ministère pourrait… »

« Légalement, ils ne peuvent pas être jugés à nouveau pour le même crime » l'interrompit Dumbledore, en balayant l'air de la main. « Considérons que c'était un incident malheureux qui faisait parti des crimes de guerre pour lesquels ils ont déjà subi un procès. Ou pas dans le cas de Sirius. » Il soupira. « En l'absence du Magenmagot, la décision me revient de toute manière, et je ne compte pas perdre deux de mes meilleurs hommes pour quelque chose qui s'est passé il y a plus de quinze ans. »

« Donc, il n'avait pas tort. » remarqua-t-elle. « Vous enterrez l'affaire. »

Albus la dévisagea par-dessus ses lunettes en demi-lune. « Souhaitez-vous voir Severus jeté en prison ? »

Elle détourna le regard. « Bien sûr que non. C'est juste que… » Elle soupira. « Très bien. N'en parlons plus. »

« La version officielle sera qu'il blâmait Severus et Sirius sans preuves. » intervint Kingsley. « Il n'y aucun témoin pour corroborer ses dires et son témoignage n'est pas fiable. Il n'y a aucune raison que leur réputation en souffre. Ils sont tous les deux trop connus comme étant des membres de l'Ordre, si la chose devient publique, il nous faudra nous ranger fermement derrière eux. »

Albus attendit quelques secondes, pour être certain que Tonks allait véritablement laisser couler un double meurtre - accidentel ou non - aussi facilement. Quelques mois plus tôt encore, elle aurait bataillé pour que justice soit faite. Mais, supposait-il, c'était différent lorsque c'était la vie de l'homme que vous aimez qui était en jeu.

Albus en aurait fait autant à l'époque, s'il l'avait pu.

« Charlie est innocent. » déclara-t-elle, après s'être raclé la gorge.

Il inclina la tête. « Il nous faudra tout de même l'interroger lorsqu'il sera davantage… remis. » Il leva la main, interrompant les protestations de la jeune femme. « Je suis conscient que cela prendra du temps, j'ai parlé à Bill Weasley. »

Et à Augusta Londubat.

Cette femme était plus têtue qu'un hippogriffe.

Elle avait refusé de partager ce qu'elle savait sur le maléfice qui avait touché Lucius, pas même lorsqu'il avait plaidé et tempêté. Le rapport que lui avait fait Andromeda sur l'état de santé de son espion, une heure plus tôt, n'était pas bon.

Il semblait à présent évident que c'était trop tard, quoi qu'il en fût, et que Lucius…

Il en ressentit une pointe de tristesse. Non pas qu'il ait une quelconque amitié pour le Sang-Pur mais, en politique, Lucius était un opposant qui méritait le respect. Il aurait pu leur apporter beaucoup dans les semaines à venir.

« Dites aux gardes que vous placerez devant la cellule d'Anthony d'être particulièrement vigilants la nuit. » ordonna-t-il. « Nyssandra est déterminée à venger Alastor. »

Et il ne pouvait pas lui jeter la pierre.

Quand il pensait à Gellert…

« Si Anthony meurt, Charlie meurt. » contra Tonks. « Et Charlie est innocent. Elle… »

« J'espère que non. » l'interrompit Albus. « Mais je préfère prévenir que guérir. » Il soupira. « Parlant de guérir… Je me suis entretenu avec le Directeur de Sainte Mangouste qui a décidé de placer l'établissement, ses Médicomages et leurs familles sous Fidelitas. Les soignants qui souhaitent rester avec nous le peuvent mais il lui faut penser à la sécurité de ses patients à long terme. »

« Et nous priver d'un accès aux Médicomages ? » contra Kingsley, en fronçant les sourcils.

Avec le bandeau de pirate qui lui cachait un œil, l'effet était incongru.

« Est-ce qu'un Fidelitas marcherait sur un lieu public ? » hésita Tonks. « Si tout le monde connait déjà l'emplacement… »

« Cela devrait fonctionner, en théorie. » confirma-t-il. « Et cela m'a donné une idée. »

Les yeux de la jeune femme s'agrandirent immédiatement avec compréhension. « Vous voulez placer l'école sous Fidelitas ? »

« Pas seulement l'école mais la région entière, Pré-au-Lard et la lande compris. » confirma-t-il.

Kingsley se pencha en avant, calant ses coudes sur ses genoux. « C'est une idée mais ce n'est pas viable sauf si nous décidons de ne plus bouger du tout, Albus. »

Tonks fit la grimace. « Il n'a pas tort. Ça voudrait dire qu'il n'y a qu'un petit groupe de gens qui pourraient aller et venir en dehors de la zone et… Nous n'avons pas assez de troupes pour nous limiter de cette manière. »

La solution présentait pourtant ses avantages. « Admettons que nous partagions le secret avec les Aurors et les membres de l'Ordre… »

« Les Mangemorts savent très bien est Poudlard. » contra Tonks. « Ils seront peut-être incapables de nous voir ou d'approcher et, d'accord, c'est un avantage mais ça ne les empêchera pas de nous encercler. Et puis… Vous venez de dire à la radio que les portes de Poudlard étaient ouvertes à tout le monde… Si on jette un Fidelitas… »

Il soupira. « Soit. J'entends. »

« Un Langue-de-Plomb s'est présenté, il y a deux heures. Il était en mission en France et est revenu par le premier ferry, ce matin. » annonça Kingsley. « Je vais voir s'il a une idée. » Il tourna la tête vers Tonks pour pouvoir la regarder en face, malgré son angle mort. « Je veux aussi organiser un briefing dans l'après-midi avec tout le monde. »

Elle acquiesça. « Oui, c'est une bonne idée. »

Albus termina sa tasse de thé en plusieurs longues gorgées. « J'ai déjà envoyé des hiboux aux autres gouvernements magiques pour leur assurer que nous étions toujours là et apprécierions l'aide de tous les Aurors qu'ils pourraient nous offrir. Je n'ai pas reçu de réponse, pour l'instant. »

Et les chances qu'il en reçoive une étaient faibles tant qu'il n'était pas prêt à sacrifier leur autonomie, supposait-il, or ils n'en étaient pas encore là.

« J'aimerais que vous déployiez des patrouilles sur le Chemin de Traverse et dans toutes les enclaves magiques. » continua-t-il.

« Et j'aimerais cinquante Aurors de plus. » rétorqua Tonks, dans un haussement d'épaules fatigué. « Profe… Monsieur le Ministre, vous ne semblez pas… »

« Albus fera l'affaire en privé, Tonks. » l'interrompit-il aimablement.

Après tout, elle avait en sa possession son secret le plus intime. Ils n'en étaient plus aux formalités.

Elle ne se laissa pas déstabiliser. « Nous n'avons pas assez de combattants pour tenir Poudlard, Pré-au-Lard, et nous éparpiller dans le reste du pays. Si les gens se replient ici, je suggère fortement que nous gardions le gros des troupes, ici. »

« Non, il a raison… » soupira Kingsley. « Si nous ne nous déployons pas, nous faisons preuve de faiblesse. »

« Et il nous faut aller au contact de ceux qui refuseront de se battre. » acquiesça Albus. « Tenter de les convaincre de nous rejoindre. Et s'ils ne le veulent pas… Il nous faut, tout de même, nous assurer qu'ils vont bien, tenter de les mener en lieu sûr. J'ai parlé à Augusta, elle est prête à accueillir autant de réfugiés que nécessaire sur le domaine des Londubat. Elle a suggéré que nous y déplacions les enfants. »

Ni Tonks, ni Kingsley ne semblaient savoir si l'idée était bonne ou non. Il était lui-même un peu partagé sur la question.

D'un côté, les protections des Londubat étaient importantes, d'un autre, elles n'avaient pas arrêté les Lestrange durant le tristement célèbre Halloween de quatre-vingt-un.

« Quelles sont les probabilités pour qu'ils attaquent à nouveau d'ici à demain ou après-demain ? » demanda soudain Tonks. Ils la regardèrent tous les deux avec des expressions perplexes et elle grimaça. « Je suis vraiment désolée, je suis crevée, je n'arrive plus à réfléchir. Est-ce qu'on est en danger immédiat ou pas ? »

« Je ne pense pas. » répondit Albus. « Tom a beau vouloir prétendre que c'était une victoire, le fait est que nous l'avons repoussé et qu'il a eu des pertes. Moins importantes que les nôtres, certes, toutefois… Le connaissant, il voudra jouir de sa victoire au Ministère et terroriser un peu plus le pays, avant de revenir s'en prendre à nous. C'est un jeu pour lui. »

« D'accord, mais Harry lui a joué un sale tour, cette nuit. » insista-t-elle. « Est-ce qu'il ne va pas vouloir… se venger ? »

« Sans aucun doute. » soupira-t-il.

Et c'était la raison pour laquelle il allait devoir mettre les Dursley sur le tapis très, très bientôt. Une fois que Severus serait réveillé et Harry rassuré, il prendrait le garçon à part et lui expliquerait la situation. Il était important que la protection de Lily soit renouvelée.

Tonks soupira. « Je n'aime pas l'idée que des gamins se retrouvent à nouveau coincés entre nos deux armées mais… Pour le moment, je dirais qu'ils sont plus en sécurité ici, où il y a beaucoup d'adultes pour les défendre ou les évacuer le cas échéant que sur un domaine où il n'y aura pas d'Aurors et une minorité de sorciers ou sorcières. »

« Je suis assez d'accord avec vous. » offrit-il. « D'autant que l'option est là, si nous en avons besoin. »

Il espérait simplement qu'ils n'en auraient pas besoin.

°O°O°O°O°

Draco sentait la corde se resserrer autour de son cou.

La respiration de Lucius était devenue rapide et irrégulière. Il avait perdu connaissance peu après son arrivée et n'avait eu guère la force de lui offrir autre chose qu'un sourire. De l'autre côté du lit, Narcissa lui tenait la main mais avait fermé les yeux, les traits tirés, le teint pâle. Draco… Draco avait hésité parce que ce n'était pas ainsi qu'un héritier était censé se comporter puis avait glissé sa main dans celle de son père et avait appelé de tous ses vœux un miracle qui tardait à se manifester. Il l'observait à la dérobée, comme s'il pouvait empêcher quoi que ce soit d'arriver par sa simple attention.

Andromeda ne cessait de se glisser dans la pièce pour jeter des sorts de diagnostics qui la laissaient de plus en plus grave.

Elle n'avait même pas besoin de dire quoi que ce soit, Draco savait.

Il était impossible de regarder Lucius et de ne pas savoir.

Il essayait de se préparer au pire mais une part de lui s'accrochait avec entêtement à l'idée qu'il allait y avoir un miracle, que Granger ou Bill ne tarderait à débarquer avec le remède, que tout finirait bien.

Tout devait finir bien.

Blaise levait la tête.

Daphné…

Il déglutit difficilement et cessa d'inspecter son père avec angoisse pour étudier sa mère. Elle ne semblait plus avoir de contractions mais elle semblait aussi avoir vieilli de dix ans depuis qu'ils s'étaient retrouvés.

Il ne détourna le regard que quelques secondes.

Quelques secondes.

Lorsqu'il reporta les yeux sur Lucius, il était orphelin de père.

Et, comme pour mieux le confirmer, entre une inspiration et la suivante, il sentit le poids de tout ce qu'être Lord Malfoy impliquait s'abattre sur ses épaules. Les protections du Manoir et du domaine tiraillèrent sa magie avant de s'y incorporer, le laissant chancelant.

Narcissa entendit son inspiration sifflante et rouvrit les yeux. Lorsqu'ils tombèrent sur Lucius, ils se remplirent immédiatement de larmes. « Non… Non. »

Andromeda et une équipe de sorciers en robes vertes entrèrent en trombe, probablement alertés par une alarme magique.

Draco se laissa écarter, regarda, en sachant que c'était trop tard, ces gens essayer de le ranimer…

C'était trop tard. L'âme de Lucius avait déjà passé le voile. Il n'aurait pas un parfait contrôle des protections dans le cas contraire.

Au bout de quelques minutes, Andromeda se détacha du groupe pour se tourner vers Narcissa qui secoua la tête, enfermée dans un déni instinctif que Draco aurait sans doute aimé partager.

Mieux valait du déni que ce sentiment de… vide.

Blaise levait la tête et le mur explosait.

Il levait sa baguette et le tunnel…

C'était un cauchemar.

Un cauchemar.

°O°O°O°O°

Sirius boitait sérieusement lorsqu'il parvint finalement à regagner ses appartements sans être à nouveau interrompu. Des éclairs de douleur remontaient de sa cheville à son mollet et il se promit de consulter Pomfresh ou Andromeda dès qu'il le pourrait – mais après qu'il se soit écroulé quelque part pour quelques heures.

Il se traina vers sa chambre, jetant bottes, blouson et chemise en chemin, sachant que Kreattur finirait bien par les ramasser. Il était en train de défaire sa ceinture et attaquait le bouton de son jean lorsqu'il poussa la porte de la chambre et se figea.

Les épais rideaux de velours étaient tirés, l'obscurité dans la pièce était quasiment totale.

Oh.

Il avait oublié.

Il se sentit immédiatement coupable d'avoir oublié, surtout lorsqu'il entendit le cliquetis métallique d'un briquet et qu'une flamme embrasa la mèche de la bougie qu'il gardait sur la table de nuit. La lueur était douce et trop faible pour bannir complètement l'obscurité mais elle lui suffit à apercevoir le visage de Nyssa qui l'observait avec des yeux un peu trop brillants.

Elle ne prononça pas un mot.

Sirius ne dit rien, non plus.

Il se débarrassa simplement du reste de ses vêtements et avança vers le lit, le sommeil étant désormais la dernière chose sur sa liste de priorités. Le temps qu'il grimpe sur le matelas et rampe jusqu'à elle, elle avait repoussé les draps et ôté ses propres vêtements.

Ce fut plus rapide que ce que sa fierté aurait souhaité mais elle semblait suffisamment satisfaite pour qu'il ne le ressasse pas. Au lieu de ça, il remonta les couvertures sur lui, ferma les yeux et se laissa glisser dans cette torpeur agréable qui était un prélude au sommeil.

Ses ongles couraient sur son torse, presque trop acérés pour que ce soit véritablement une caresse.

« Qu'est-ce qu'il s'est passé avec Anthony ? » demanda-t-elle, le tirant du brouillard qui succédait au plaisir dans lequel il aurait voulu s'enfoncer. « Vous l'avez interrogé ? »

« Charlie n'a rien fait, tu ne peux pas tuer Anthony. » marmonna-t-il, parce que c'était l'information capitale. Il savait qu'elle n'aurait pas hésité à lui trancher la gorge dans le cas contraire. Probablement avec ces mêmes ongles qui traçaient des symboles étranges sur son ventre. « C'est ma faute, tout ça. Si j'avais fait plus attention cette nuit-là… Comment est-ce que j'ai pu tuer une passante et ne même pas m'en rendre compte ? »

Ça le hantait.

Il ne s'en souvenait même pas.

Des échauffourées où il avait repéré Severus dans le camp adverse et avait été déterminé à le tuer, il y en avait eu des tas. Et pourquoi ? Au nom d'une haine féroce qu'il ne pouvait même plus s'expliquer ou justifier ? À présent qu'ils étaient amis, le passé lui semblait si lointain, si…

« On ne sait pas si c'est vrai. » lui rappela-t-elle.

« C'est vrai. C'est forcément vrai. » soupira-t-il. Anthony ne serait pas allé inventer une histoire pareille. Et Lily… C'était quelque chose que Lily aurait pu faire, que James aurait pu faire… Pour le protéger. Pour… « Charlie est innocent. Je sais que tu veux te venger mais ne fais rien tant qu'on n'a pas trouvé comment les séparer. S'il te plait. »

Elle laissa échapper un bruit qui était entre le feulement et le soupir mais s'installa plus confortablement contre son flanc. Son corps était froid mais cela ne le dérangeait pas, il s'y était habitué.

« Une troisième chambre est apparue… » remarqua-t-elle, avec une nonchalance un peu trop étudiée.

Sirius fronça les sourcils et se tourna sur le côté pour mieux passer un bras autour de sa taille et l'attirer contre lui. Elle nicha sa tête dans son cou. Il aurait probablement dû s'inquiéter d'avoir la bouche d'une vampire aussi près de sa jugulaire mais il lui faisait une confiance aveugle et se contenta de frotter le nez contre ses cheveux.

« Narcissa va probablement venir s'installer avec nous, au moins quelques temps. » murmura-t-il, en refermant les paupières. « Si Lucius s'en sort, ce sera un miracle, et elle est enceinte. Je ne veux pas qu'elle soit seule. Draco allait déjà vivre avec moi, de toute manière. Un de plus, un de moins… »

Elle ne dit rien pendant un long moment et il était sur le point de basculer dans un sommeil de plomb lorsqu'elle caressa son flanc d'une manière un peu trop délibérée.

« Je vais demander à Dumbledore de me trouver une chambre dans les cachots. » lâcha-t-elle.

Soudain beaucoup plus alerte, il se redressa légèrement pour tenter d'apercevoir son visage dans le halo faiblissant de la bougie qui se consumait. Il n'aimait pas la distance qu'elle avait mise dans sa voix, le regret.

« Tu n'es pas obligée. Tu peux rester. » contra-t-il immédiatement, avec une touche de panique. Il ne savait pas pourquoi mais il avait l'impression que quelque chose d'important était en train de lui glisser entre les doigts et il avait peur que ce soit elle. « Cissy est… Cissy est snob et vous n'allez pas vous entendre du tout mais ça ne veut pas dire que… »

« Sirius… » Elle plaça une main sur sa joue. « Je t'aime beaucoup. »

Il fronça les sourcils avec l'impression désormais terriblement familière qu'une catastrophe allait lui tomber dessus.

« Beaucoup. » répéta-t-il, sans aucune intonation.

Elle s'humecta les lèvres puis sembla lutter contre un sourire mais ses yeux étaient tristes. « Peut-être un peu plus que beaucoup. »

Il se détendit d'un coup et, lui, ne chercha pas à s'empêcher de lui sourire. Il repoussa tendrement les mèches brunes de son visage. « Moi aussi je t'aime un peu plus que beaucoup. »

Au lieu de s'éclairer, ses yeux verts s'assombrirent encore un peu plus.

« Je ne peux pas… » murmura-t-elle. « Je ne veux pas d'une vie de famille. Ta cousine, un bébé, tes gosses… Je ne peux pas. »

Il ouvrit la bouche puis la referma sans trop savoir quoi dire.

« C'est juste temporaire. » promit-il. « Ensuite… »

« Sirius. » l'interrompit-elle. « Je crois que… Il faut que tu réfléchisses à ce que tu veux vraiment. »

« Je sais ce que je veux. » contra-t-il fermement, en resserrant son bras autour d'elle. « Nyssa… »

« Nous n'aurons jamais d'enfants. » lâcha-t-elle, en détournant son regard. « Et je ne veux pas m'attacher à ceux des autres parce qu'ils finiront par vieillir et par mourir. C'est suffisamment difficile d'imaginer que toi, tu… Nous ne serons jamais une famille. Nous n'habiterons même pas ensemble la plupart du temps parce qu'il faudra bien que je regagne mon essaim à un moment donné et… Sirius, ce n'est pas juste pour toi. »

Il ne voulait rien de tout ça. « Ça m'est égal. Je veux juste… »

« Ça ne t'est pas égal. » nia-t-elle. « La famille c'est tout pour toi. »

Il voulut protester mais il ne pouvait pas prétendre, sans mentir, que sa famille n'était pas importante. Celle qu'il s'était fabriquée tout autant que celle qu'il retrouvait.

Mais pour autant…

« Nyssa. » déclara-t-il, en prenant une profonde inspiration. Il n'avait aucune idée de ce qu'il allait bien pouvoir dire – son esprit était bien trop fatigué pour ce genre de conversation sérieuse – mais il était déterminé à faire le discours de sa vie pour se sortir de cette mauvaise passe.

Avant qu'il ait pu prononcer une syllabe de plus, un blaireau argenté apparu au pied du lit.

« Andy a besoin de toi à l'infirmerie. Malfoy est mort. » annonça la voix de Ted.

« Merde. » cracha-t-il.

Il était déjà à moitié sorti du lit lorsqu'il se rendit compte qu'il avait oublié… Il se tourna vers la vampire qui n'avait pas bougé et l'observait avec un sourire un peu triste.

« Vas-y. » l'encouragea-t-elle.

« Cette conversation n'est pas terminée. » insista-t-il, en pointant un doigt vers elle. « On va la finir. Et ceci n'est pas une rupture, soyons très, très clair. »

Elle semblait un peu trop vulnérable à l'instant. « Je vais quand même m'installer ailleurs. »

« D'accord, très bien… » Il agita la main pour balayer cet argument. « Mais je t'aime. »

« Ce n'est pas toujours une solution miracle à tout, Sirius. » murmura-t-elle, en baissant les yeux.

À cet instant, il aurait volontiers étranglé Fol'Œil pour avoir été un lâche pleins de préjugés et pour lui avoir brisé le cœur encore et encore.

Il mit un genou sur le lit, glissa une main derrière la nuque de la vampire et l'attira dans un baiser qui ne laissait planner aucun doute quant à ses sentiments.

« Je t'aime. » répéta-t-il fermement contre sa bouche, parce que ça ne lui coûtait rien et que, lorsqu'elle s'éloigna légèrement, il vit l'éclat d'espoir dans son regard. « Et je veux qu'on finisse cette discussion. »

Elle l'observa un moment puis acquiesça.

Il aurait dû s'asseoir et terminer cette conversation à l'instant.

Andromeda pouvait gérer Narcissa. Mais Draco…

Il ne pouvait pas se résoudre à abandonner son cousin.

°O°O°O°O°

Draco ne pouvait pas détourner les yeux du lit sur lequel gisait Lucius.

Leurs trois elfes de maison s'étaient déjà présentés à lui, s'inclinant profondément, pleurant comme s'ils avaient le cœur brisé alors que personne n'aurait pu accuser les Malfoy d'avoir jamais été tendres avec eux – il ne fallait pas chercher à comprendre les elfes de maison, n'en déplaise à Hermione. Ils avaient senti le changement de propriétaire et ils voulaient savoir ce qu'ils devaient faire : préparer le corps, préparer une chambre au manoir pour l'accueillir, préparer le caveau ancestral, préparer les funérailles…

Préparer, préparer, préparer…

La tête lui tournait et il ne savait pas quoi répondre.

Narcissa n'était pas en état de le faire à sa place.

Elle était pâle, la respiration sifflante et avait avalé sans un mot les potions qu'Andromeda lui avait tendu. La Médicomage voulait qu'elle s'allonge.

Narcissa refusait de quitter la pièce.

Elle ne pleurait pas, elle ne disait rien… Elle non plus ne semblait pas capable de détourner les yeux de l'homme couché dans ce lit.

Draco était vaguement conscient que Granger les avait rejoints à un moment, qu'elle avait pris sa main, qu'elle lui parlait et, qu'à défaut d'obtenir une réponse, elle s'était tournée vers les elfes de maison et avait fait quelques suggestions qui les en avaient débarrassé.

Lorsque Sirius poussa la porte, avec une légère hésitation, il fut presque soulagé de le voir. Leurs regards se croisèrent immédiatement et, s'il s'arrêta brièvement pour serrer l'épaule de sa cousine, ce fut vers lui qu'il se dirigea.

« De quoi tu as besoin ? » demanda l'Animagus, directement.

C'était la première question qui perçait clairement le brouillard qui entourait son cerveau.

« D'air. » lâcha-t-il automatiquement.

Sirius hocha la tête. « Alors, vas prendre l'air. Je m'occupe de ta mère. »

« Le… Le corps. » balbutia-t-il. « Les elfes veulent savoir s'il faut le ramener au Manoir ou… »

« On n'est pas obligé de décider tout de suite. » l'interrompit Sirius, avec gentillesse. « Sors respirer un peu. On en parlera quand ta mère sera en état, d'accord ? Je vais la ramener dans mes appartements. Rejoins-nous quand tu es prêt. »

Il se sentit hocher la tête, sentit ses pieds qui le guidaient hors de la pièce alors même que son regard continuait de s'accrocher à la dépouille de son père… Jusqu'au dernier moment, ses yeux demeurèrent sur lui.

Il avait à peine fait un pas dans la partie centrale de l'infirmerie lorsqu'il sentit le poids de tous ces regards qui l'observaient comme pour mieux se repaître du spectacle. Même ceux de ses amis étaient…

« Tu veux aller dans le parc ou… » hésita Granger, toujours accrochée à sa main.

« J'ai besoin d'être seul. » marmonna-t-il, en arrachant ses doigts des siens. Il leva les yeux vers elle, un peu perdu. « Je… Merci, mais j'ai besoin… »

« Oui, bien sûr. » accepta-t-elle immédiatement. Son expression demeura inquiète. « Mais je suis là si… Je suis là. »

Il lui caressa la joue, tenta de forcer un sourire qui mourut sur sa bouche. « Je sais. »

Il ne laissa rien paraître lorsqu'il traversa l'infirmerie. Il garda la tête haute, les épaules en arrière, le pas régulier et les yeux secs.

Il était Lord Malfoy, à présent.

Et Lord Malfoy ne faisait pas preuve de faiblesse.

°O°O°O°O°

Il lui avait fallu être très convainquant pour que Kreattur accepte de le laisser seul mais Harry, après avoir perdu à trois différents jeux de société contre un elfe de maison qui avait un peu trop l'esprit de compétition, avait besoin de solitude. Il était resté assis un long moment à côté de Severus, avait osé lui prendre la main plusieurs fois, avait vaguement dans l'idée qu'il aurait dû lui parler, lui dire…

Il ne savait pas quoi lui dire.

Il était tout à fait conscient que lorsque Severus se réveillerait, il allait probablement le tuer – métaphoriquement, du moins.

Sirius avait dit qu'il était puni de tout, il était presque certain que son père allait être d'accord avec cette décision. Harry ne parvenait pas à en être attristé. Il se souvenait encore de la première fois où Severus l'avait puni de sortie à Pré-au-Lard, dans le passé. De la drôle de sensation qu'il avait éprouvée. Il avait joué à prétendre qu'ils étaient vraiment une famille, sur le moment, parce que personne ne s'était jamais préoccupé de le punir avant – pas comme ça, du moins, pas parce qu'il s'était mis en danger.

Ils voulaient le punir parce qu'ils l'aimaient, parce qu'ils voulaient lui faire comprendre que sa vie était précieuse… Et cela lui faisait chaud au cœur mais il savait aussi qu'ils avaient tort, même s'ils refusaient de l'accepter.

Il ne savait pas quoi dire à Severus.

Alors il avait mis à profit ce temps pour reconstruire ses boucliers. Cela aurait été plus facile s'il y avait eu une cheminée dans la pièce, des flammes dans lesquelles se perdre… Il se contenta de faire apparaître la petite boule de lumière d'un latundo et la régla sur une couleur apaisante qui l'aida à se retirer dans son esprit.

Les marécages et les flammes étaient toujours là. Ils n'avaient jamais vraiment disparus. Mais ils s'étaient estompés, avaient faibli et il passa un long moment à en redessiner les contours, à en raviver les couleurs, à s'assurer que ses protections étaient solides…

Sa concentration était mise à rude épreuve par les allées et venues de Pomfresh qui venait régulièrement vérifier que Severus allait bien et ses boucliers étaient encore loin d'être à leurs niveaux habituels lorsque des coups frappés à la porte l'arrachèrent à sa transe.

« Ron. » répondit le visiteur, lorsqu'il eut demandé qui c'était.

Au lieu de l'inviter à entrer, il sortit dans le couloir et referma la porte derrière lui pour que son meilleur ami ne puisse pas apercevoir Severus. Ce n'était pas tant qu'il ne lui faisait pas confiance que son père n'aurait pas apprécié. Sirius, c'était une chose, mais les autres… Le Professeur avait droit à sa dignité. Elle avait été déjà suffisamment bafouée, la veille, lorsqu'il était resté des heures torse-nu à la portée de tous les regards, à l'infirmerie.

« Salut. » lâcha-t-il, en sachant que ce n'était pas la bonne chose à dire. Mais il ne savait pas quoi dire. Comment commençait-on une conversation avec quelqu'un qui venait de nouveau de perdre un membre de sa famille ? Sans parler du fait que Ron avait été présent, cette nuit-là, lorsqu'il s'était écroulé en larmes comme un enfant et…

Ron avait visiblement aussi peu dormi que lui et il avait le même air hagard qu'Harry avait aperçu dans le miroir ce matin-là.

« Comment va Snape ? » demanda son meilleur ami, avec une légère hésitation, avant d'enfoncer les mains dans ses poches, signe certain qu'il était mal à l'aise.

« Pareil. » offrit-t-il, avec un léger haussement d'épaules. « Mais on a une idée de ce qu'il a, donc… » Il se racla la gorge. « Comment va Charlie ? »

Ce fut autour de Ron de hausser les épaules et d'éviter son regard. « Tu as entendu pour Malfoy ? Le père de Draco, je veux dire. »

« Non. » Il fronça les sourcils. « Ça s'aggrave ? »

Le Gryffondor eut l'air encore plus gêné. « Il est mort. »

Ça n'aurait pas dû le choquer autant.

Après tout, ce n'était pas comme s'il appréciait Lucius ou même comme s'il le connaissait vraiment. Pourtant, il était intimement familier de ce genre de douleur et… Il avait de la peine pour Draco.

Au-delà de ça, qui plus était…

« C'est ma faute. » murmura-t-il.

Ça l'était.

Il avait pertinemment su que son plan ferait potentiellement des victimes collatérales – dont Lucius – et il n'en avait rien eu à faire parce que, égoïstement, la seule chose qui importait pour lui était de sauver Severus. Certes, il n'avait pas prévu que le Sang-Pur fasse quelque chose de stupide comme de se jeter entre lui et un maléfice mais la manière dont c'était arrivé ne changeait pas le fond.

Il était responsable.

Il l'avait tué, indirectement.

« Harry… » soupira Ron, avec une lassitude teintée d'agacement. « Ne le prends pas mal, mais il faut que tu arrêtes de tout ramener à toi. Peut-être que tu te sens coupable mais c'est la dernière chose que Draco a besoin d'entendre. »

La honte fut brutale et vivace.

Le visage cramoisi, il baissa les yeux. « Je ne voulais pas… C'est juste que… »

« Et la prochaine fois que tu montes une expédition de secours complètement suicidaire… » continua son meilleur ami, comme s'il n'avait pas parlé. « Rends-moi service, assieds-toi cinq minutes et penses aux gens qui t'aiment et que tu abandonnes, d'accord ? Parce que j'ai déjà perdu un père et un frère dans cette guerre. Je ne veux pas te perdre, toi, en plus. »

Il grimaça, incapable de croiser son regard. « Ce n'est pas moi qui décide, Ron. »

« Lorsque tu pars te jeter dans la gueule du loup, sans aucun renfort, c'est toi qui décide. » contra le Gryffondor, un peu sèchement. « Je comprends pourquoi tu l'as fait mais parfois c'est comme si nous, on ne comptait plus. Il n'y a pas que Snape qui tient à toi. Hermione et moi, Sirius… Nous aussi on tient à toi. Et ce n'est pas juste que tu ailles te faire tuer sans même une pensée pour nous. On mérite mieux. »

Harry croisa les bras devant lui, une parodie d'étreinte davantage qu'une attitude défensive. « Ils n'allaient rien faire. Ils allaient le laisser mourir. »

« Je sais. » déclara Ron, avec un nouveau soupir. « Je te dis, je comprends pourquoi tu l'as fait. C'est juste que… Il y a beaucoup de gens hier qui sont morts alors qu'ils ne voulaient pas mourir. Essaye de t'en souvenir, un peu. Parce que des fois, on dirait que tu ne veux même pas essayer de survivre. » Le Gryffondor se passa une main sur le visage. « Merde, ça ne sort pas comme je veux. Je ne veux pas te faire te sentir mal, j'essaye juste de te dire… »

« J'ai compris. » l'interrompit-il, peut-être un peu trop sèchement.

C'était Ron qui ne comprenait pas.

Comment le pourrait-il ? Il n'avait pas tous les éléments.

« J'ai été maladroit. » insista son meilleur ami, visiblement embarrassé. « Tu sais ce que dit Hermione, je ne suis pas doué pour… »

« Il faut que je retourne à l'intérieur. » le coupa-t-il, en désignant la porte du pouce par-dessus son épaule. « Tiens moi au courant pour Charlie ? »

Ron parut sur le point d'insister puis ses épaules s'affaissèrent comme s'il manquait d'énergie ou de courage. « D'accord. »

S'il n'avait pas su comment entamer cette conversation, il ne savait pas non plus comment la terminer. Au final, il se glissa à nouveau dans la chambre d'hôpital sans un mot et retourna s'asseoir sur le lit d'appoint.

Il fit une tentative pour se remettre à travailler sur ses boucliers mais les émotions lui étreignaient la gorge et, à cause de son utilisation abusive de l'Occlumencie la veille… Il enfouit son visage dans ses mains, serra la mâchoire à en avoir mal plutôt que de laisser couler les larmes qui lui brûlaient les yeux…

La culpabilité et la honte étaient suffocantes.

C'était sa faute.

Lucius était mort à cause de lui.

Et les victimes de la veille… Non, Colin Crivey n'aurait certainement pas voulu mourir. Et ce n'était pas juste que lui ait survécu aux deux batailles alors qu'il savait qu'il aurait dû y rester, que ça aurait été plus simple si…

Il sentait l'horcruxe qui pulsait en lui comme un second battement de cœur.

Il retourna s'asseoir sur la chaise à côté de Severus. L'immobilité du Maître des Potions était dérangeante. Même dans son sommeil, il bougeait d'habitude. Là, il avait juste l'air…

Il était si facile d'imaginer qu'il était mort, que…

La panique se rajouta à la culpabilité et à la honte, l'horreur de ce que cette journée aurait pu être…

Et lorsqu'il se laissait aller à penser que, quelques mètres plus loin, dans une autre pièce identique à celle-ci, Draco devait probablement observer son propre père, allongé dans un lit similaire, sauf que lui était vraiment…

« Ce n'est pas que je ne veux pas vivre. » murmura-t-il, en sachant que Severus ne l'entendrait pas de toute manière. S'il était dans son coffre, il était coupé de tout. « C'est que je ne veux plus voir les gens mourir pour moi alors que… C'est comme si j'entendais tout le temps le tic-tac de l'horloge. Je sais très bien que… Je n'en peux plus de faire semblant que tout va bien se terminer. Tout ne va pas bien se terminer. Je vais mourir. Et Sirius et toi, vous ne voulez pas l'accepter mais je vais mourir et faire semblant de croire à un miracle pour vous faire plaisir, c'est exténuant. »

C'était un soulagement d'en avouer autant à voix haute.

Même si Severus ne pouvait pas l'entendre.

Particulièrement parce que Severus ne pouvait pas l'entendre.

°O°O°O°O°

« Tu es sûre qu'elle n'aurait pas dû rester à l'infirmerie ? » hésita Sirius, une fois qu'ils eurent installé Narcissa dans la toute nouvelle chambre dans ses appartements et eurent fermé la porte pour mieux parler d'elle sans qu'elle n'entende.

Sirius était entièrement conscient, alors qu'il se tenait dans son salon avec Andy et Ted, qu'une porte close n'empêcherait pas Nyssa d'écouter, en revanche, et la conversation inachevée pesait sur sa conscience mais…

« Elle a besoin de repos et de calme. » répondit Andy. « Elle n'aura ni l'un ni l'autre à l'infirmerie. » Sa cousine échangea un regard avec son mari puis croisa les bras devant sa poitrine, un peu sur la défensive. « Tu es sûr que tu veux qu'elle s'installe ici ? Elle peut rester avec nous. Je ne pense pas que Nymphadora aura vraiment besoin de sa chambre… »

Et elle n'en semblait pas ravie.

« Toutes les affaires de Draco sont déjà ici. C'est plus simple. » contra-t-il. Il hésita à se mêler du reste, grimaça, puis se racla la gorge, croisant tour à tour le regard d'Andy et de Ted. Ce qu'il ne faisait pas par amitié… « Je sais que Severus n'a pas vraiment la meilleure réputation mais… Il ferait n'importe quoi pour les gens qu'il aime. Et je ne doute pas qu'il aime Tonks. »

Andromeda leva les yeux au ciel. « Oh, ne t'y mets pas. Cissy a passé des mois à essayer de me convaincre que c'était un bon parti, comme si c'était vraiment ça qui m'inquiétait. » Elle haussa les épaules. « Je n'ai rien à dire, de toute manière. Si une seule chose est devenue claire, cette nuit, c'est qu'il va rester dans nos vies qu'on le veuille ou non. »

Ted secoua la tête. « Et pour longtemps, j'espère. Je ne veux plus jamais voir ma fille dans cet état là. »

« Non. » renchérit Andy. « Moi non plus. » Son regard dériva vers la porte close de la chambre. « J'aurais préféré ne pas voir Cissy comme ça non plus. Pour tous leurs défauts… Ils s'aimaient vraiment. »

« Je sais. » soupira Sirius. « Qu'est-ce qu'on va faire ? Elle est… »

Il ne s'était pas attendu à ce qu'elle se répande en larmes, surtout pas en public, mais son absence totale de réaction… Narcissa avait été comme un pantin depuis qu'il était arrivé à l'infirmerie. Elle avait avalé les potions que lui avait données Andy, s'était laissée guider sans rien dire… Cela ne lui ressemblait pas du tout.

« Elle est choquée. » répondit Andromeda. « Je ne crois pas qu'elle ait réalisé pour le moment. »

Sa cousine vacilla légèrement. Ted lui attrapa le bras, l'air inquiet. « Tu as besoin de te reposer. »

« Je vais bien. » protesta Andy. « Cissy… »

« Tu es aussi têtue que Dora. » lui reprocha son mari. « Sirius peut s'occuper de Cissy quelques heures. Tu n'as pas dormi depuis plus de vingt-quatre heures. »

L'Animagus aurait voulu faire remarquer que lui non plus n'avait pas dormi – la sieste sous l'effet de l'alcool et de la potion ne comptait pas, elle l'avait laissé plus épuisé qu'autre chose – mais au lieu de ça, il promit à sa cousine qu'il avait la situation en main.

Il fut très vite évident, une fois qu'ils furent partis, qu'il n'avait rien en main.

Il toqua légèrement à la porte de la chambre de Narcissa, se glissa à l'intérieur sans attendre de réponse… Elle était exactement là où ils l'avaient laissée, assise sur le lit, les deux mains posées sur son ventre, les yeux dans le vague…

Avec hésitation, il vint s'asseoir sur le bord du matelas et, après avoir esquissé deux fois le même geste, finit par attraper une de ses mains. « Narcissa ? »

Lentement, les yeux gris de sa cousine se tournèrent vers lui, perdus. Son regard vide était effrayant parce que Narcissa était habituellement un roc.

« Qu'est-ce que je peux faire ? » demanda-t-il, en sachant que la question était idiote.

Il avait peut-être haï Lucius mais il savait ce que cela faisait de perdre la personne qui comptait le plus pour vous. Sa gorge se serrait toujours lorsqu'il pensait à James et cela faisait quinze ans déjà.

« Draco ? » souffla-t-elle, cillant rapidement comme si elle était en train de faire un effort pour… revenir vers eux, peut-être.

« Tonks s'en occupe. » promit-il. Ils l'avaient croisée qui sortait d'une réunion des Aurors en chemin et elle lui avait dit qu'elle allait s'assurer que leur cousin allait bien. « Tu veux te reposer un peu ? Boire quelque chose ? Manger ? Krea… »

Il n'eut pas le temps de terminer que son elfe de maison apparaissait devant eux et s'inclinait profondément, son regard fixé sur la sorcière avec une émotion évidente. Il ne dit rien, pourtant. Il fallut quelques secondes à l'ancien fugitif pour se rendre compte qu'il en avait l'interdiction.

« Kreattur, Narcissa va rester avec nous, un moment. » déclara-t-il. « Tu es autorisé à lui parler et à lui obéir mais la règle reste la même. Les seuls ordres auxquels tu dois obéir sont les miens, ceux de Severus si je ne suis pas là, ou ceux d'Harry. Tu n'as toujours pas le droit de parler à Bellatrix ou d'avoir aucun contact d'aucune sorte avec des Mangemorts ou Voldemort. »

Est-ce que ça couvrait toutes les possibilités de traîtrise ? Il n'était pas sûr. Son cerveau était trop fatigué pour…

« Kreattur sert la noble et ancienne nouvelle génération des Black. » rétorqua l'elfe d'un ton de reproche, visiblement vexé. « Kreattur est un bon elfe. Maître Sirius et Maître Harry sont les maîtres de Kreattur et Kreattur préfèrerait se couper la tête avant de trahir ses maîtres. » Il jeta un regard un peu trop intense à l'Animagus. « Et ensuite Maître Sirius montera la tête de Kreattur au mur avec ses ancêtres. Oui ? »

« Est-ce qu'on peut arrêter de parler de t'empailler alors que je commence à peine à t'apprécier ? » grinça-t-il. « Tu te sens mieux ? »

Kreattur leva les yeux au ciel. « Kreattur est un bon elfe. » Il approcha du lit, du côté de Narcissa qui ne semblait pas vraiment intéressée par l'échange, et s'inclina si profondément que son nez effleura le sol. « Maîtresse Cissy… C'est un bonheur pour Kreattur de revoir sa jeune maîtresse… Et la nouvelle génération de la noble et ancienne famille Black s'agrandira bientôt… Un grand bonheur. »

Narcissa l'observa un moment puis s'humecta les lèvres. « Kreattur. »

Et, d'un coup, sans prévenir, elle se mit à pleurer.

Sirius n'était pas sûr de l'avoir jamais vraiment vue pleurer. Certainement pas comme ça, à gros sanglots.

Même l'elfe eut l'air choqué.

L'Animagus attira la sorcière contre lui avec une légère hésitation. Il lui caressa les cheveux sans trop savoir quoi faire ou dire…

« Moi aussi, il m'a fait cet effet, la première fois que je l'ai revu. » plaisanta-t-il.

Évidemment, ça tomba à plat.

Il croisa le regard de l'elfe par-dessus l'épaule de la sorcière mais il disparut avant qu'il ait pu lui donner un ordre.

Traître.

Au bout de longues minutes, il sentit la main de Cissy se poser sur son épaule et l'écarter de force – ou essayer de l'écarter, elle n'était pas exactement en forme. Sirius la lâcha mais ne bougea pas de là où il était assis.

« Je vais bien. » mentit-elle. « Aurais-tu un mouchoir ? »

« Bien sûr que non. » répondit-il.

Il ne s'était pas transformé en parfait aristocrate durant toutes ces années à Azkaban. Elle sembla se rendre compte d'à quel point la question était idiote parce qu'elle émit un bruit amusé et en fit apparaître un d'un coup de baguette. Elle s'essuya le visage avec grâce et délicatesse.

« Excuse-moi. » exigea-t-elle.

« De quoi ? » se moqua-t-il gentiment. « D'être triste d'avoir perdu l'homme que tu aimais ? » Elle baissa la tête, la mâchoire contractée et il regretta un peu son manque de tact. « Cissy… Tu n'as pas besoin de faire semblant devant moi. Ou devant Andy et Ted, d'ailleurs. Ni devant ton fils, probablement. »

Elle secoua la tête. « J'ai un rôle à tenir. »

« Cissy… » soupira-t-il.

« Je sais. Pour toi, tout ça n'a jamais eu aucune importance. » cracha-t-elle. « Mais c'est différent pour moi. J'ai été élevée pour occuper une certaine place dans la société et Lady Malfoy se doit de préserver les apparences. » Elle caressa son ventre. « Et au-delà de ça… Les enfants… » Elle ferma brièvement les yeux, sa voix se brisa légèrement avant de retrouver toute sa force. « Lucius… Je pourrais en mourir de douleur, Sirius, mais je ne peux pas me permettre la moindre faiblesse. Draco, ce bébé… Je suis tout ce qu'il leur reste, à présent. »

« Parce que tu penses vraiment que je vais te jeter dehors ? » contra-t-il. « Je t'ai retrouvée, je te garde. Tu n'es pas seule. Ni avec Draco, ni avec ce bébé. » Il leva les yeux au ciel et soupira. « En plus… J'ai promis à ton mari de m'occuper de vous. »

Elle le dévisagea longtemps avec détresse mais avant qu'elle ait pu dire quoi que ce soit, Kreattur réapparut avec un plateau d'argent largement fourni qu'il posa fièrement à côté de Narcissa.

Il y avait une tasse de chocolat fumant avec des marshmallows et de la crème fouettée, ainsi que tout un tas de pâtisseries encore chaudes dont le fumet lui mit immédiatement l'eau à la bouche. Il tendit la main vers une brioche et se la vit légèrement frappée par son elfe de maison, sans aucune culpabilité apparente vu qu'aucune punition ne s'en suivit.

« Maître Sirius ne devrait pas toucher la nourriture de Maîtresse Cissy sans s'être lavé les mains. » décréta l'elfe de maison. « Maîtresse Cissy va avoir un bébé. Maîtresse Cissy doit faire attention. »

La bouche de Narcissa tressauta. « Merci, Kreattur. »

« Ne l'encourage pas. » marmonna-t-il, en levant les yeux au ciel. « Cet elfe n'a aucun respect pour moi. »

« Cet elfe est une perle. » contra Cissy. « Crois-moi, ceux dont nous avons hérité de la famille Malfoy sont tous plus agaçants les uns que les autres. Sachi est la seule qui soit un minimum qualifiée. » Elle secoua la tête. « Trop de consanguinité. Ils les ont fait se reproduire entre eux par souci d'économie. » Kreattur secoua la tête, lui aussi, avec un léger bruit désapprobateur – probablement à l'idée d'elfes moins que qualifiés servant son ancienne maîtresse. « Si jamais tu souhaitais le vendre, je l'achèterais volontiers. »

L'elfe releva la tête, sans sembler savoir s'il était flatté ou horrifié.

« Kreattur appartient à la Maison Black. » répondit-il, espérant que c'était ce que la créature voulait entendre.

L'elfe s'inclina bien bas, visiblement soulagé, puis disparut, non sans avoir averti à nouveau Sirius de ne pas contaminer la nourriture avec ses mains sales. Une fois sûr qu'il eut disparu, l'Animagus tendit la main vers la brioche qu'il convoitait puis la retira après un moment d'hésitation. Il n'était effectivement pas certain de la dernière fois où il s'était lavé les mains et…

Narcissa lui tendit la brioche avec une expression moqueuse. « Je ne suis pas en sucre. »

Elle avait beau faire un effort pour retrouver un ton normal, il était évident qu'elle avait le cœur brisé. Ça transparaissait dans sa voix, dans son regard…

Et elle n'allait pas pleurer tant qu'il serait là.

« Tu veux te reposer un peu ? » s'enquit-il, dans une tentative de tact.

« Oui, s'il te plait. » accepta-t-elle, avec un sourire forcé.

Il hocha la tête, lui enjoignit de tout de même boire le chocolat chaud parce que cela lui ferait du bien, puis se dirigea vers la porte.

« Sirius ? » appela-t-elle, alors qu'il s'apprêtait à refermer le battant derrière lui. Il haussa les sourcils en guise de question. Elle l'observa un moment puis s'humecta les lèvres. « Merci. Tu n'étais pas obligé de… Merci. »

Il haussa les épaules. « Crois-le ou non, je suis désolé qu'on se retrouve comme ça. »

« Je te crois. » offrit-elle.

Il lui sourit. « Je suis à côté si tu as besoin de quoi que ce soit. »

C'était dur de la laisser en sachant qu'elle allait s'écrouler mais il se força à fermer la porte. Il prit une grande inspiration et continua sur la lancée des conversations difficiles en se dirigeant vers sa propre chambre.

Il ne savait pas exactement ce qu'il allait dire à Nyssa mais il savait ce qu'il voulait lui faire comprendre à défaut de comment l'exprimer.

Il ne fut pourtant pas surpris de trouver la pièce vide.

« Kreattur. »

L'elfe apparut dans un craquement et s'inclina. « Maître Sirius ? »

« Tu sais où Nyssandra est partie ? » demanda-t-il. « Et comment ? »

Il faisait encore jour et la nuit ne tomberait pas avant un bon moment.

« Miss Nyssandra a demandé à Kreattur de l'emmener dans les cachots. » répondit l'elfe, en fronçant les sourcils. « Kreattur n'aurait pas dû ? »

« Non, non… » Il balaya l'air de la main. « Tu gardes toujours un œil discret sur Harry ? »

Kreattur n'eut pas l'air plus heureux face à cette question. Il se tordit les mains avec une anxiété palpable. « Maître Harry ne va pas bien, Maître Sirius. Maître Harry est très abattu. Kreattur est inquiet. »

« Oui. Moi aussi. » avoua-t-il, en croquant finalement dans la brioche qu'il tenait toujours à la main. Ce ne fut que lorsque la pâte encore chaude fondit sur sa langue qu'il se rendit compte à quel point il était affamé. « Continue à le garder à l'œil. Interviens s'il se met en danger et préviens-moi. »

La brioche disparut en moins d'une minute et l'elfe ne parut pas impressionné par son absence de manières.

« Kreattur va commencer à préparer le dîner. » décréta l'elfe, en lui jetant un regard désapprobateur. « Maître Sirius devrait se laver pour être présentable. »

Il disparut avant que l'ancien évadé ait pu lui faire remarquer qu'il n'avait pas envie d'être présentable et qu'il n'avait plus cinq ans, non plus, pour se faire gronder de la sorte.

°O°O°O°O°

Draco entendit les bruits de pas bien avant que la jeune femme ne vienne s'affaler dans l'herbe à côté de lui et cale son dos contre le même tronc d'arbre qu'il avait choisi pour dossier. Sortir dans le parc avait semblé une bonne idée au départ mais il était vite apparu que ça ne l'était pas. Le domaine portait toujours les stigmates de la bataille et, en plein jour, il était difficile d'ignorer les cicatrices qu'arborait Poudlard.

Là, une tourelle à moitié écroulée… Ici, un mur un peu trop neuf par rapport au reste de la façade, prouvant qu'il avait été remonté à la va-vite…

Il avait marché autour du lac un bon moment, jusqu'à ne plus apercevoir de tâches de sang dans l'herbe ou de plantes arrachées…

Il avait un peu espéré que personne ne viendrait l'y chercher. Du moins, pas tout de suite.

« Je suis heureux que tu ne sois pas vraiment morte. » offrit-il, parce que cela semblait important de le dire.

Nymphadora étendit ses jambes devant elle, en grimaçant un peu. « Sirius a annoncé ma mort à tout le monde ou quoi ? »

« Potter. » corrigea-t-il, dans un haussement d'épaules.

Elle avait peut-être échappé à la mort mais il était évident que cela lui avait coûté. Son teint était cireux, des cernes prononcées s'étalaient sous ses yeux et elle paraissait un peu trop soulagée de pouvoir s'asseoir.

Elle prit une profonde inspiration et il sut, il sut qu'elle allait parler de ce dont il ne voulait pas parler. C'était une réalité qu'il n'était pas encore prêt à affronter. C'était…

« Tu dois être soulagée. » lâcha-t-il, la prenant de vitesse. « Tu n'es plus obligée de jouer les tutrices. »

Il n'osa pas la regarder, garda les yeux rivés sur le lac… Un troupeau de sombrals venait de s'envoler en direction de la Forêt Interdite, il les suivit du regard, essayant désespérément de ne pas y voir un présage ou d'y lire un message caché.

Au lieu de lui forcer la main et de mentionner… ce qu'il ne voulait pas mentionner, elle gigota jusqu'à trouver une position un peu plus confortable contre l'arbre. « Je n'ai pas été une excellente tutrice, hein ? »

« Ça aurait pu être pire. » déclara-t-il, feignant la nonchalance. « Potter n'a jamais eu de mère, il s'en contentera probablement. »

Son coup de coude était plus taquin que réprobateur. Peut-être parce qu'elle savait qu'il ne le pensait pas vraiment.

Ça aurait été simple d'en vouloir à Potter. Pour tout. De se mettre en colère. De…

Il n'avait plus une once d'énergie pour la colère en lui.

Peut-être plus tard…

Peut-être…

Il était si fatigué. Il était si…

« Tu sais… Ce n'est pas parce que je ne suis plus ta tutrice qu'on doit redevenir des étrangers. » lui dit-elle, avec à peine un peu d'hésitation. « J'ai toujours voulu un petit frère extrêmement agaçant. Ça m'a toujours semblé injuste que Charlie en ait quatre. Plus Ginny et Bill, bien sûr. »

Il n'avait pas véritablement pensé que Nymphadora allait cesser de le traiter comme un membre de la famille mais cela faisait du bien de l'entendre.

Et à la mention d'un petit frère…

« Je vais en avoir un. » lui annonça-t-il fièrement. « Un petit frère. »

Un petit frère qui ne connaîtrait jamais leur père.

Lucius ne serait pas là pour lui apprendre à monter sur un balai ou sur un cheval. Lucius ne verrait ni les premiers pas, ni les premiers mots, ni la première démonstration de magie accidentelle. Lucius ne le consolerait pas de ses bobos, ne le rassurerait pas après un cauchemar et ne lui promettrait pas en plaisantant, la veille de son entrée à Poudlard, qu'il serait déshérité s'il atterrissait ailleurs qu'à Serpentard.

Draco allait devoir faire tout ça à sa place.

Et c'était une perspective écrasante.

« Je suis trop jeune pour avoir un bébé. » murmura-t-il.

C'était une chose de penser à un avenir plus ou moins lointain où lui et Granger en auraient au moins deux mais ce bébé allait arriver très vite et Lucius ne serait pas là et…

« Tu ne vas pas avoir de bébé, Draco. » contra Nymphadora, en se rapprochant juste assez pour coller son flanc au sien. « Ta mère va avoir un bébé. Toi, tu vas avoir un petit frère. Ce n'est pas la même chose. »

Il ferma les yeux et appuya la tête plus fort contre le tronc de l'arbre, déglutissant avec difficultés à cause de la boule logée dans sa gorge. Parfois, il était fatigué de devoir expliquer des choses qui lui semblaient évidentes et qui l'auraient été pour tout autre sorcier élevé dans la tradition des anciennes familles.

Blaise aurait compris tout de suite.

« Je suis le Chef de famille. » souffla-t-il. « C'est la même chose. »

« Tu n'as que seize ans. » insista Nymphadora.

Certes, mais quoi que son père ait prévu dans son testament, très visiblement, il n'avait pas cru que Draco ait besoin d'être majeur pour prendre possession de son héritage. Il sentait le poids de toutes les protections, de tous les contrats magiques qui liaient les Malfoy d'une manière ou d'une autre à un elfe de maison ou autre chose… C'était…

Il supposait qu'il finirait par s'y habituer, peut-être même par ne plus les remarquer…

« Je suis le Chef de famille. » répéta-t-il, faiblement. « Et je serai à la hauteur de mes responsabilités. »

Ses yeux le brûlaient alors il les garda fermés.

« Draco, je suis bien certaine que ta mère ne s'attend pas à ce que tu élèves ce bébé. » soupira sa cousine. « Que tu l'aides, oui, bien sûr. Mais… Elle n'est pas toute seule. Vous n'êtes pas tous seuls. Il y a mes parents et moi… Tu connais Sirius, c'est un gros tendre… Ce que tu veux qu'il va passer sa vie au Manoir et lui apprendre toutes les bêtises possibles… Il y a Hermione et le reste de tes amis… Vous ne manquerez pas de baby-sitters ou d'aide si vous en avez besoin. »

Il voulut protester, clamer qu'ils se débrouilleraient seuls puis il repensa à la manière dont tous ses amis étaient venus à la bibliothèque alors qu'ils détestaient son père…

Son père…

« Mon père est mort. » lâcha-t-il et les mots n'avaient aucun sens. Il s'entendait les prononcer, savait qu'ils étaient vrais, mais ils n'avaient aucun sens. Ça n'avait pas de sens.

Lucius ne pouvait pas mourir parce que Lucius était éternel.

Lucius était le géant qui le soulevait de terre et le faisait tourner dans les airs lorsqu'il avait quatre ans.

Lucius était son idole.

Lucius était…

Sa respiration se coinça dans sa gorge.

Il ne parvint pas à repousser le bras que Nymphadora passa autour de ses épaules. Il ne parvint pas à ravaler les larmes qui le secouaient. Il ne parvint pas à lui dire qu'il allait bien ou qu'il n'avait pas besoin de réconfort.

Le mensonge était trop gros.

À peu près aussi gros que l'idée qu'il n'avait plus de père.

Il n'était pas sûr de combien de temps il resta là à pleurer sur sa cousine comme un enfant mais, lorsqu'il se repoussa finalement et s'essuya les yeux d'un revers de bras, l'air s'était rafraîchi et le soleil commençait à décliner. Ce fut lui qui se remit debout, lui qui lui tendit la main pour l'aider à se relever, lui qui les mena vers le chemin qui les ramènerait au château…

Ils ne prononcèrent pas un mot.

Il lui était reconnaissant de ne pas chercher à remplir le silence par des paroles inutiles.

Granger les attendait dans le hall d'entrée, assise au bas du Grand Escalier, recroquevillée contre la rambarde… Elle se leva dès qu'elle les aperçut, sembla hésiter… Et parut soulagée lorsqu'il lui tendit la main.

« Je suis vraiment désolée, tu sais. » murmura-t-elle contre son cou, alors que Nymphadora s'éloignait, non sans avoir serré son épaule une dernière fois.

Ron avait eu raison, tous ces mois auparavant…

Tous les désolés du monde sonnaient creux.

Ils ne réconfortaient pas.

Mais ce n'était pas la faute de la jeune fille alors il déposa un baiser sur son front et, en silence, la mena jusqu'aux appartements de Sirius.

Il fut surpris mais soulagé d'y trouver Narcissa debout et relativement maîtresse d'elle-même. Pour ceux qui ne la connaissaient pas aussi bien que lui, elle aurait peut-être même eu l'air distante et détachée mais Draco voyait les fêlures sous le masque aristocratique qu'elle arborait.

Kreattur avait transformé le salon en salle à manger et ils passèrent à table en silence, presque par réflexe, même si Sirius semblait être le seul à avoir faim.

Draco n'avait rien avalé de la journée mais la nourriture dans son assiette le laissait indifférent, son estomac était contracté et il avait vaguement la nausée.

Granger mangeait lentement.

Sirius avalait le tout avec appétit.

Comme lui, Narcissa ne touchait pas à son assiette.

Les seuls bruits étaient celui des couverts qui s'entrechoquaient, des raclements de gorge gênés à droite ou à gauche…

Finalement, il n'y tint plus. Il prit une longue gorgée d'eau qui clapota de manière très désagréable dans son ventre vide puis posa le verre et se redressa un peu, tâchant de se tenir avec la même négligence sophistiquée que Lucius mettait – avait mis – à toute chose.

« Que faisons-nous, à présent ? » demanda-t-il.

Sirius jeta un coup d'œil inquiet à sa cousine mais Narcissa semblait presque soulagée qu'il aborde le sujet.

« Il nous faut organiser les funérailles. » décréta immédiatement la Sang-Pure.

Timidement, Granger se racla la gorge. « Mrs Weasley m'a dit qu'il y aurait une cérémonie, demain. Ils vont… Euh… Incinérer les victimes de la bataille. »

« C'est hors de question. » déclara Narcissa d'un ton qui ne souffrait pas la contradiction.

Draco était entièrement d'accord. « Non. Nous n'allons pas le brûler avec des dizaines d'autres personnes. C'est… Non. »

« Nous le ramènerons au Manoir. » décida sa mère. « Il doit reposer au caveau avec ses ancêtres. »

Sirius grimaça. « Tu es sûre ? Parce que le risque d'une armée d'Inféris… »

« Le caveau est protégé. » contra Draco. « Le Manoir est protégé. » Il déglutit péniblement alors qu'il explorait avec prudence cette nouvelle magie qui s'était rattachée à la sienne. « Les protections du domaine se sont refermées lorsque Père… Du moins, je le pense. À l'instant, il me semble que je serais le seul qui pourrait entrer comme je le veux, même Mère ne pourrait pas les passer sans ma permission. »

« Toi ou quiconque du sang des Malfoy. » corrigea son cousin, avec un haussement d'épaules. « Du moins, c'est généralement comme ça que ça se passe. »

Il interrogea Narcissa du regard qui secoua la tête. « Lorsque Abraxas est mort, Lucius était le seul admis automatiquement par les protections. Il lui a fallu les ajuster pour que Draco et moi soyons considérés à nouveau comme des membres du foyer et pas des invités temporaires. » Les yeux gris de sa mère l'étudièrent avec attention. « Il a fallu un peu de temps à ton père pour s'adapter au poids de ce qui va avec le rôle de Chef de famille… Tout va bien, Draco ? »

« C'est… un peu étrange. » admit-il.

« Comment ça ? » s'inquiéta Granger.

Ce fut son tour de hausser les épaules. « J'ai l'impression que tout un tas de choses se sont greffées à ma magie. Les protections du Manoir, celles du domaine, les elfes, d'autres contrats liant les Malfoy à d'autres partis qui, je suppose, ont dû être conclus par un serment magique… » Il se tourna vers Sirius. « Est-ce que cela sera toujours aussi… pesant ? »

Son cousin leva les mains en signe d'ignorance. « Je suis désolé mais j'étais à Azkaban lorsque j'ai hérité de ma mère et à ma sortie… Je n'étais pas vraiment en état de me rendre compte de la différence. Si cela peut t'aider, je ne sens pratiquement plus rien maintenant. Les protections de la maison sont les plus pesantes mais uniquement parce qu'il y a des allées et venues. Et encore… Elles ne sont pas si élaborées que ça. »

« Celles des Malfoy sont extrêmement complexes. » répondit Narcissa. « Personne ne les brisera sans beaucoup de détermination ou de puissance. » Son visage s'assombrit. « Le Seigneur des Ténèbres le pourrait sans doute. »

« Mettons le domaine sous Fidelitas. » suggéra Draco.

Cela n'était pas infaillible mais c'était toujours mieux que de le laisser en évidence, sous le nez des Mangemorts, comme une cible facile.

« Nous ne pouvons pas mettre les activités du domaine sur pause, Draco. » contra sa mère. « Sans même considérer les pertes financières, les chevaux, tout du moins, ont besoin de soins et les elfes n'y suffiront pas. Les employés… »

« Les employés peuvent être mis au secret. » répondit-il.

« Les employés partagent les vues du Seigneur des Ténèbres. » lui rappela-t-elle.

« Dans ce cas, il nous faut d'autres employés. » décréta-t-il.

Narcissa se frotta le visage avec fatigue. « Draco, ce n'est pas si simple. »

« O'Shea aime les chevaux plus qu'il ne s'intéresse à la politique. » insista-t-il. « Et il aime les gallions qu'il gagne tous les mois. » Père avait toujours été généreux avec le responsable d'écurie. Toujours graisser la patte de celui qui était en charge des autres. Toujours s'assurer d'avoir la main mise sur la tête pensante. « Je m'entretiendrai avec lui. Nous verrons. De plus, nous pouvons séparer le Fidelitas du domaine du Fidelitas du manoir, non ? »

Sa mère semblait partagée entre tristesse et fierté. « Ultimement, c'est ta décision, à présent. Toutefois, je ne pense pas qu'il soit sage de se précipiter. »

« Je n'étais pas en train de suggérer que nous fassions tout ça, ce soir, Mère. » soupira-t-il. Le rappel qu'il était désormais responsable de ce genre de décisions le laissa à nouveau vidé. « Quand voulez-vous… Souhaitez-vous que nous l'enterrions demain ? Je présume qu'il nous faudra nous contenter d'un comité restreint… »

« Demain, nous devrons nous rendre à cette cérémonie. » contra Narcissa.

« Tu es enceinte et tu viens de perdre ton mari. Personne ne s'attend à ce que tu… » intervint leur cousin.

« Sirius. » soupira la sorcière, d'un ton faussement patient que Draco avait entendu cent fois lorsque son père ou lui se révélaient particulièrement obtus. « Il est important que les gens sachent de quel côté nous sommes à présent. Il y aura un avenir après cette guerre. »

« Est-ce que c'est vraiment le moment de faire de la politique ? » demanda Granger, d'un ton qui cachait mal sa critique.

Le regard gris de la Sang-Pure se posa sur elle, la bouche de Narcissa s'était légèrement plissée, signe certain de sa propre désapprobation. « Tout est toujours affaire de politique, Miss Granger. C'est une leçon qui vaut d'être apprise si vous souhaitez vous élever dans le monde. »

L'expression de Granger s'était faite tumultueuse et Draco couvrit rapidement sa main avant qu'elle n'ait pu lancer un débat qu'elle ne gagnerait pas.

Qui plus est, Narcissa avait raison.

La communauté magique était ce qu'elle était et ni le Seigneur des Ténèbres, ni Dumbledore n'en changerait jamais le cœur.

Sirius se racla la gorge et changea le sujet.

Draco lui en fut infiniment reconnaissant.

°O°O°O°O°

Nymphadora fut peu surprise, lorsqu'elle entra dans la chambre de Severus, de trouver Harry assis en tailleur sur le lit d'appoint, visiblement en train de travailler sur son Occlumencie. Il rouvrit immédiatement les yeux en l'entendant entrer, sa baguette en main avant même qu'il n'ait eu le temps de l'identifier…

C'était un peu dommage qu'il ne veuille pas devenir un Auror, il avait des réflexes remarquables.

« Hey. » Elle lui sourit. « Désolée de t'avoir abandonné si longtemps… Pas de changements, je suppose ? »

Elle n'en attendait pas vraiment mais elle espérait un peu. Parce qu'après Charlie et Anthony, après Lucius et Draco… La journée avait été si longue…

« Non. » soupira Harry. « Mais j'ai plus ou moins réparé mes boucliers. Je peux… » Il s'interrompit, comme s'il avait été sur le point de déclarer qu'il voulait essayer à l'instant puis y avait réfléchi à deux fois. « Ce serait probablement plus sûr si je dormais plusieurs heures de plus. Mais je peux le réveiller demain matin. »

Il n'allait pas prendre le repos dont il avait besoin sur ce lit d'appoint. Elle aurait bien suggéré qu'il retourne dans les cachots en offrant de passer la nuit là mais elle était suffisamment réaliste pour savoir qu'elle aussi avait besoin de dormir sans être interrompue par le ballet des Médicomages. Elle avait ignoré tous les avertissements de sa mère et avait tiré sur la corde autant qu'il lui semblait raisonnable.

Elle voulait rester avec Severus mais…

Avant qu'elle ait pu trouver une solution acceptable – parce qu'elle savait qu'Harry ne voudrait pas qu'il soit seul et le laisser sans défense ne lui plaisait pas non plus – le garçon s'excusa pour aller aux toilettes.

Restée seule avec l'homme trop immobile sur le lit d'hôpital, elle s'assit au bord du matelas, attentive à ne pas trop le secouer parce que sa mère avait dit que sa jambe devait le faire souffrir, et se pencha légèrement pour pouvoir caresser sa joue.

« J'ai eu une journée pourrie. » lui raconta-t-elle, une boule dans la gorge. « Pas aussi horrible qu'hier mais c'est dur de faire pire qu'hier, il faut dire. » Consciente qu'Harry ou Pomfresh aurait pu entrer à n'importe quel moment, elle baissa la voix et approcha la bouche de son oreille, comme un secret. « J'ai tellement besoin que tu me prennes dans tes bras… Tu me manques. Tu me manques tellement… J'ai besoin de toi, Severus. Pas de blagues, d'accord ? Harry va bientôt venir te chercher et tu vas te réveiller parce que j'ai besoin… »

Elle s'humecta les lèvres, ravalant difficilement les larmes qui lui brûlaient la gorge. Elle aurait voulu lui murmurer ces trois petits mots qu'elle aurait dû lui avouer bien avant mais… Cela semblait étrange de le lui dire alors qu'il n'était pas conscient. Trop… facile. Trop lâche, peut-être.

Elle déposa un baiser au coin de sa bouche, s'imaginant un instant qu'il allait paresseusement tourner la tête pour l'approfondir comme il le faisait parfois, encore ensommeillé, lorsqu'elle se levait avant lui. Mais Severus n'avait rien de la Belle au Bois Dormant et il ne s'éveilla pas au contact de ses lèvres.

« Tu me manques. » répéta-t-elle, en lui caressant la joue.

Quelqu'un se racla la gorge sur le seuil et elle sursauta légèrement, se tournant à moitié pour apercevoir son père qui se tenait là, un peu gêné.

Ted étant Ted, cependant, il lui sourit très naturellement. « J'ai enfin convaincu ta mère de se reposer. J'ai dormi cet après-midi. Je me suis dit que je pouvais tenir compagnie à Severus, cette nuit, si Harry et toi voulez rentrer quelques heures. »

Le soulagement et la gratitude l'envahirent si brutalement qu'ils la laissèrent d'autant plus épuisée.

Et avoir passé plus d'une heure à tenir Draco pendant qu'il pleurait son père lui avait fait réaliser avec clarté à quel point elle avait de la chance. Et à quel point elle serait perdue sans sa famille.

Celle dont elle venait tout autant que celle qu'elle était en train de se créer.

Que Ted fasse l'effort de les rassembler en une seule entité… Elle n'en était pas surprise parce que son père était ainsi, généreux et aimant, mais elle en était terriblement reconnaissante.

Severus allait devoir s'y habituer, il ne serait définitivement plus jamais seul.

Et c'était très bien ainsi.