Un mois s'était écoulé depuis l'achat de la potion et, si Lily avait tenu sa promesse de ne plus s'en servir, la situation n'avait cessé d'empirer. Les disputes entre Sirius et Remus s'étaient multipliées au point de devenir quotidiennes. Il était impossible de passer une journée sans entendre des cris stridents provenir de leurs chambres ou voir leurs affaires voler à travers les pièces sous le coup de leurs colères.

Plus inquiétant encore, Sirius avait cessé de se confier à elle. En fait, en dehors de ses joutes avec Remus, plus aucun sons ne sortaient de sa bouche. Lily le voyait parfois déambuler dans la maison, malheureux comme les pierres, mais il évitait habilement tout contact avec James et elle. Dès que le soir tombait, il fuyait les lieux pour rejoindre un bar gay qu'il avait l'habitude de fréquenter pour en revenir au milieu de la nuit, le pas alourdi par l'alcool. Comme Lily, il était devenu une sorte de fantôme errant, mélancolique et hors d'atteinte.

Lily essayait tant bien que mal de se convaincre que les choses étaient peut-être mieux ainsi. Qu'à force de ne plus côtoyer Sirius, de ne plus être son oreille attentive, elle finirait par retrouver ses esprits. "Pour l'instant, ça te vrille le cœur, mais, après, ça ira mieux." se disait-elle.

Si seulement…

Elle se sentait tellement dépassée par la situation qu'elle avait enfin décidé de se confier à quelqu'un d'autre que Peter. Michelle Taylor. L'une des rares survivantes de l'Ordre du Phénix. Sa seule amie en dehors des Maraudeurs. Après la guerre, elle s'était lancée dans le commerce d'objets magiques rares et voyageait à présent partout dans le monde à la recherche de nouveau trésors. Hier, elle l'avait informée qu'elle remettait les pieds à Londres pour la première fois depuis des lustres et l'avait invité à boire un coup dans un bar. Une occasion inespérée de lui demander son aide.

Michelle avait toujours connu le succès, que ce soit dans sa vie professionnelle ou amoureuse. Les hommes tombaient tous à ses pieds et elle était une habituée des drames sentimentaux et autres histoires "épicées". S'il y en avait bien une qui pouvait lui donner des conseils pour se sortir de ce bourbier, c'était elle. Bon, la conversation serait sûrement humiliante et Lily avait quand même un peu peur que Michelle ne la juge, mais il fallait qu'elle le fasse. Pour le bien de son couple, et, surtout, de sa santé mentale.

Tandis que Lily atteignait l'escalier du premier, déjà apprêtée pour sa soirée, une porte claqua violemment au deuxième étage et Sirius sortit de sa chambre en hurlant, Remus sur les talons :

"Je te dis que j'ai plus envie d'avoir cette conversation avec toi ! Lâche-moi la grappe, putain !"

Sa voix rauque résonna dans le hall tandis qu'il commençait à dévaler les marches de l'escalier. Derrière lui, Remus haussa le ton :

"Par Merlin, t'es incroyable Sirius, un vrai môme ! A chaque fois, c'est pareil ! Tu finis toujours par te barrer ! Arrête de faire ta tête de mule et écoute-moi ! J'ai pas fini de parler !"

"Parler ? Tu parles pas, Rem', tu me craches à la gueule ! J'en ai ras le cul de me laisser insulter gratuitement ! Je me casse !"

La jeune femme s'immobilisa soudainement, nerveuse. Elle écouta le grincement des marches devenir de plus en plus strident, signe que Sirius se rapprochait de sa position. Quelques secondes plus tard, ce dernier sortit en trombe de la cage d'escalier et Lily retint son souffle.

Sirius pleurait. Les bras tendus le long de son corps et les poings serrés à la manière d'un enfant, il essayait, en vain, de contenir les violents sanglots qui le secouaient. Son regard croisa celui de Lily et il ralentit en passant devant elle, une expression honteuse sur le visage.

"Désolé que tu doives assister à ça…" souffla-t-il avant de presser de nouveau le pas, empruntant le second escalier

Remus arriva à son tour au niveau de Lily et marqua un arrêt pour la fixer d'un air gêné. Ses yeux se posèrent sur le dos de son compagnon qui continuait de s'éloigner d'eux et il poussa un soupir, renonçant à le poursuivre.

"Sirius, s'il te plaît, reviens…" se contenta-t-il de dire.

Sirius ne lui répondit pas. Cette fois-ci, Remus pressa longuement ses mains contre son visage avant de souffler du nez.

"Pourquoi faut-il toujours qu'il complique tout ?"

"Pourquoi faut-il toujours que tu le fasses pleurer ?"

La voix de Lily s'était faite plus dure qu'elle ne l'aurait voulu. Cela n'échappa pas à Remus qui releva brusquement la tête, surpris, avant de froncer les sourcils.

"Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?"

Peut-être que Lily aurait dû s'excuser. Sûrement, même. Pourtant, elle ne le fit pas. Elle se contenta soutenir en silence le regard du loup-garou qui lui rendit la pareille. Les deux se fixèrent sans ciller jusqu'à ce que Remus ne finisse par craquer, reprenant sur un ton excédé :

"Lily, je ne sais pas quel est ton problème, mais…"

"Qu'est-ce qu'il se passe ?"

Alerté par le bruit, James était sorti de sa chambre et se tenait maintenant à côté de sa femme. Remus serra les dents, détaillant une dernière fois Lily avant de répondre dans un geste évasif :

"Rien. Juste Sirius qui fait encore son petit spectacle. Parce que se disputer avec moi ne lui suffit pas. Il a besoin que tout le monde le sache !"

Il avait crié sa derrière phrase pour s'assurer que Sirius l'entende. Ce dernier hurla à son tour depuis le rez-de-chaussée, la voix chargée de larmes.

"Va te faire foutre !"

L'insulte fut accueillie par un blanc interminable. Mal à l'aise, James jeta un regard à Sirius depuis la rambarde avant de se rapprocher de Remus :

"Tu veux que j'aille lui parler ?"

"Non. Laisse-le", répondit Remus en secouant la tête. "Je crois qu'il a besoin d'être seul. Moi aussi d'ailleurs… Si vous voulez bien m'excuser…"

Et, sans laisser l'occasion à James de lui répondre, il fit demi-tour, remontant l'escalier d'un pas lent. James l'observa gravir une à une les marches avant de grimacer.

"Je ne sais pas comment ils font pour s'engueuler comme ça…", murmura-t-il, "Ça devient infernal…"

Il se tourna vers Lily, l'air désolé.

"Ça va, toi ? Tu vois toujours Michelle ce soir ?"

Les yeux fixés sur le dos de Remus, Lily hocha distraitement le menton. "Ne fais pas ça" la priait une petite voix dans sa tête. "Oublie l'idée que tu viens d'avoir."

"Oui. Elle m'a invitée à boire un verre dans un pub."

"Dans un pub ! Ça ne m'étonne pas ! Elle battrait Hagrid à un concours de shots ! Tu comptes revenir avant le lever du soleil, j'espère ?", demanda James en plaisantant.

"C'est une très mauvaise idée que tu as là, tu le sais bien", reprit la pauvre conscience de Lily. "Tu devais arrêter. Tu te l'étais promis."

Elle se l'était promis, oui. Mais ses intentions venaient de changer.

"En fait, je crois que je ferais mieux de prendre mes affaires. On ne sait jamais. Si je suis trop saoule pour rentrer, je pourrais dormir chez elle…"

"Ah donc tu comptes bel et bien te bourrer la gueule ? C'est confirmé ? Ah la la, les soirées entre filles, ça a bien changé…" fit semblant de se désoler James.

Il s'approcha d'elle pour lui voler un baiser et Lily ne put s'empêcher de sursauter, ce qui le fit rire de plus belle.

"En tout cas, ça me fait plaisir de te voir enfin sortir. D'habitude, tu ne veux jamais quitter la maison. Peut-être que la prochaine fois, on pourrait aller au pub ensemble ? Si oui, entraine-toi bien aux concours de shots. Je serai ton prochain adversaire !"

Lily répondit à son entrain par un pâle sourire. James était adorable, comme toujours. Il ne méritait pas de souffrir par sa faute. Jamais elle n'oserait lui faire du mal, d'une façon ou d'une autre. Non, ce qu'elle s'apprêtait à faire n'avait rien à voir avec son plan initial.

"Vendu. Je te promets que, la prochaine fois, on ira au pub toi et moi."

Le sourire de James s'illumina et le voir aussi heureux fit rire la rouquine. Elle l'embrassa à son tour avant de filer dans leur chambre, ouvrant leur grand placard pour se saisir d'un vieux sac de sport dans lequel elle fourra à la hâte un pyjama et une brosse à dents.

Sirius était déjà parti depuis longtemps quand elle atteignit le vestibule de l'entrée. Marchant sur la pointe des pieds, elle essaya d'enfiler dans un parfait silence ses chaussures puis son manteau, espérant ne pas réveiller le…

"J'imagine qu'il est encore allé dans ce lieu de dégénérés pour noyer ses larmes dans l'alcool ! N'a-t-il aucune honte ? Allez ainsi se donner en spectacle devant ce ramassis d'ignominies ! Il pourrait au moins utiliser le nom du loup-garou quand il se présente à ces saletés de sodomites ! Cela fait bien longtemps que les Lupin ont perdu tout honneur..."

Raté. La vieille Walburga était sortie de sa léthargie et prenait plaisir à hurler toutes les horreurs qui lui passaient par la tête. Portant ses mains à ses oreilles, Lily cria en retour :

"Mais ça ne vous arrive jamais de fermer votre grande gueule ?"

Derrière le rideau, le portrait s'insurgea :

"Si j'étais vous, je ferais attention aux mots que j'emploie dans cette demeure, espèce de sale sang-de-bourbe ! Je sais ce que vous essayez de faire et je sais aussi que vous allez échouer ! Peut-être qu'après votre défaite, vous débarrassez enfin le plancher pour aller vivre loin d'ici avec votre traitre de mari !"

Sa réponse désarma Lily. Walburga savait ? Quoi ? Qu'est-ce qu'elle savait exactement ? Et comment le savait-elle ?

La mère Black dut sentir son trouble puisqu'elle reprit d'un ton satisfait :

"Vous croyez que je ne vous vois pas lui courir après ? Que je n'entends pas comment vous lui parlez quand il est là ? Comment vous parlez de lui une fois qu'il est parti ? Vous comptez le rejoindre, n'est-ce pas ? Vous espérez pouvoir le récupérer. Il ne voudra jamais de vous, vous m'entendez ? Il ne vous aime pas. Il ne peut pas vous aimer. Et c'est tant mieux."

Les accusations de Walburga lui donnèrent un coup de massue et Lily resta pétrifié, fixant le rideau sombre qui recouvrait le portrait.

"Je… Je ne veux rien faire de tout ça. Je veux juste l'aider", finit-elle par murmurer.

Cachée derrière le tissu miteux, la voix de Walburga s'éleva de nouveau, doucereuse :

"Mais bien sûr… Mentez-vous à vous-même. Allez-y, emballez vos désirs égoïstes de bonnes intentions. Cela ne changera rien. Vous êtes vile, Lily Potter et, quand bien même j'abhorre la bête avec qui ce bon à rien de Sirius a décidé de finir ses jours, je me demande : s'il le quittait pour vous, gagnerait-il au change ?"

Cette question laissa Lily muette et elle se dépêcha de fuir la demeure.

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Il s'était mis à pleuvoir et, malgré les trombes d'eau qui lui fouettaient le visage, Lily se sentait reconnaissante. Aucune de ses larmes n'était visible au travers des gouttes, aucun passant ne pouvait deviner sa détresse tandis qu'elle remontait la longue artère qui menait au bar. En fait, Lily ne savait même pas pourquoi elle pleurait comme ça. Pleurait-elle de tristesse ? De frustration ? De colère ? Probablement un mélange des trois. Les accusations de la vieille mégère l'avaient mise hors d'elle. Pour qui se prenait-elle ? De quel droit se permettait-elle de lui dire ce genre de chose ? Elle avait tort. Lily ne comptait pas séduire Sirius. Elle ne désirait même pas lui parler ! Elle voulait juste s'assurer qu'il soit bien entouré. Savoir Sirius supporté par des amis, être certaine qu'il y ait une bonne âme disposée à écouter ses malheurs au bar, c'était tout ce qu'elle souhaitait ! C'était tout ce dont elle avait besoin… C'était plus fort qu'elle, imaginer Sirius se noyer tout seul dans son chagrin lui était insupportable. Après ça, elle irait s'épancher sur ses propres malheurs en compagnie de Michelle et la boucle serait bouclée.

Il n'y avait rien de machiavélique ni de vile dans tout ça. D'ailleurs, elle jetterait cette maudite potion une fois sa mission accomplie ! Avec un peu de chance, Michelle lui donnerait des conseils judicieux pour se tirer de cette affaire. Avec plus de chance encore, la dernière dispute entre Sirius et Remus donnerait à James l'envie de déménager et ils s'en iraient bientôt loin du Square Grimmaurd !

Voilà, c'était de ça dont elle avait besoin. De bonnes intentions et de la chance. "Il faut d'abord semer avant de pouvoir récolter" disait son vieux père. C'était ce qu'elle s'apprêtait à faire.

Se faufilant à travers la foule, Lily réussit à quitter la rue principale pour se glisser dans une ruelle sombre, non loin du bar que fréquentait Sirius. L'endroit était loin d'être glamour, mais il était suffisamment isolé pour qu'elle puisse se transformer en paix.

Plongeant le bras dans son sac ensorcelé, la rouquine en retira la tenue qu'elle avait achetée un mois plus tôt ainsi que la potion qu'elle avait transposée dans une vieille fiole de dragoncelle, destinée à soigner les allergies. Combien devait-elle en prendre ? La dernière fois, une gorgée lui avait permis de tenir environ trois heures. Bien plus de temps qu'il ne lui en fallait pour jeter un coup d'œil à Sirius. Une minuscule dose ferait l'affaire.

Lily disposa ses vêtements sur une pile de cagettes puis, après une hésitation, se déshabilla entièrement. Mieux valait ne pas garder ses vêtements lors de sa transformation, sa soudaine croissance pourrait les réduire en lambeaux.

La métamorphose fut tout aussi douloureuse que la première fois et laissa la jeune femme nauséeuse. Assise sur une vieille cagette en bois dont les échardes lui piquaient les fesses, elle mit bien quelques minutes avant de regagner ses esprits.

"Maman. Y a un monsieur tout nu en bas."

Surprise, Lily leva les yeux. Quelques étages plus haut, un enfant la regardait depuis une fenêtre crasseuse. Sa mère le rejoignit bien vite et se mit à hurler à sa vue.

'Non, mais vous n'avez pas honte ? Espèce de pervers ! Dégagez d'ici ! Dégagez je vous dis !'

Prise au dépourvu, Lily s'habilla rapidement, mettant ses chaussettes à l'envers et rentrant à moitié sa chemise dans son pantalon. Elle ne prit même pas le temps de lacer ses bottines et se contenta de fourrer en vitesse ses affaires dans son sac avant de prendre la poudre d'escampette.

Décidément, cette soirée commençait vraiment très mal.

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Ce fut essoufflée et trempée jusqu'aux os que Lily arriva au fond de l'impasse où se trouvait le bar. L'endroit était à l'image du quartier environnant : gris et miteux. Une ribambelle de poubelles s'étalait en fresque le long des murs de briques. Un énorme chat noir s'échappa de l'une d'entre elle, un rat dans la gueule. Il fixa la rouquine de ses yeux luisants avant de dévier brusquement de sa trajectoire pour se réfugier sous le porche d'une arrière-boutique, disparaissant dans l'obscurité. Un frisson parcourut l'échine de Lily. Niveau ambiance, elle avait déjà vu mieux. Elle supposait que cela faisait partie du mécanisme de protection du bar. Sirius lui avait expliqué que l'entrée de celui-ci était dissimulée de la même manière que celle du Chemin de Traverse et que seul le vigile pouvait la révéler. Pourtant, Lily avait beau regarder autour d'elle, elle ne discernait aucune présence humaine dans les environs.

Alors qu'elle scrutait l'impasse, cherchant désespérément le gardien, ses yeux s'arrêtèrent sur l'endroit où le chat noir avait disparu. Une intuition la traversa et, ignorant l'obscurité menaçante, elle avança lentement dans sa direction. Le chat était toujours là, le rat agonisant bloqué sous sa patte. Ses yeux d'ambre la dévisageaient avec une intensité presque humaine.

"Bonsoir…", dit Lily après une hésitation, "Je voudrais accéder au bar, s'il vous plaît."

Pour toute réponse, l'animal cligna des yeux et Lily se sentit soudainement bête. Sirius ne lui avait jamais parlé d'un animagus gardant le bar. À tous les coups, elle était juste en train de parler à un vulgaire chat de gouttière.

Dépitée, elle s'assit sur les marches du porche avant de passer une main dans ses cheveux. Son aventure ne pouvait quand même pas s'arrêter si tôt… Elle n'allait tout de même pas rester plantée là parce que le gardien du bar n'était pas foutu de faire son travail !

"Rah, mais où il est, cet imbécile ?", râla-t-elle, "Je vais choper la mort si je reste à l'attendre sous la pluie…"

"C'est pour ça qu'il existe des imperméables et des parapluies. Ce sont des objets très utiles, vous savez. Surtout quand on vit à Londres…"

La soudaine voix grave qui venait de s'élever dans son dos la fit sursauter violemment. Lily se leva d'un bond et recula précipitamment, trébuchant presque sur les pavés inégaux de l'impasse. Derrière elle, le chat avait laissé place à un individu massif qui la fixait les mains dans les poches, un sourire satisfait sur le visage.

"Bonsoir, jeune damoiseau", reprit-il, "Qu'est-ce qui vous emmène ici par cette belle soirée ?"

Il descendit tranquillement le petit escalier du porche, sa silhouette se découpant bientôt dans le faible halo de lumière qui s'échappait d'un réverbère à l'entrée de la rue. Sa carrure en parût d'autant plus imposante. Lily ne put s'empêcher de faire le rapprochement avec Hagrid, le demi-géant qu'elle avait connu à Poudlard. Cependant, contrairement à la bonhomie chaleureuse du garde-chasse, le gardien éveillait en elle une impression bien différente.

Malgré sa politesse apparente et son ton affable, une aura de menace émanait de lui. Il y avait quelque chose de vicieux, de sauvage dans son regard, quelque chose qui rappelait les prédateurs des profondeurs de la forêt interdite. Comme si une bête féroce était tapie sous sa peau, prête à surgir à la moindre provocation. Comment un individu aussi massif pouvait-il se transformer en un animal aussi agile et gracieux qu'un chat ? Lily avait du mal à concilier l'image d'un félin avec la stature du type qui se tenait devant elle. Elle aurait plutôt imaginé qu'un tel homme se transformerait en créature tout aussi gigantesque : un ours, un rhinocéros, voire un varan. Sa démarche, lente et faussement calme, évoquait quelque chose de reptilien.

Une main tirant faiblement sur le col de sa chemise, Lily se racla la gorge.

"Bon-Bonsoir. Je… Heu… J'aimerais... J'aimerais accéder au bar…"

Le vigile pencha légèrement la tête sur le côté, arborant toujours le même petit rictus.

"Mais bien sûr, jeune homme. Mais, d'abord, il me faut le mot de passe…"

Le mot de passe ? Merde. Sirius ne lui avait jamais parlé d'un mot de passe ! Qu'est-ce qu'elle allait faire ? Si elle ne pouvait pas rentrer, tout son plan tombait à l'eau !

"Le mot de passe ? Eh bien… Le mot de passe… Hé… Je… C'est que… Monsieur ?"

Les mains derrières le dos, l'homme se pencha vers elle :

"Vous pouvez m'appeler Adam. Mais, je vous en prie, finissez votre phrase. Vous... ?"

Lily eut un rire nerveux.

"Oui, Adam. En fait, je ne me rappelle pas du mot de passe… C'est… C'est la première fois que je viens ici…"

"Vraiment ? C'est curieux. Normalement, il est strictement impossible de connaître l'existence de ce bar, encore moins son emplacement, à moins d'être déjà membre ou parrainé. Ce qui implique, bien sûr, la communication du mot de passe… Et le fait de savoir qu'il faille s'adresser directement au gardien pour le lui communiquer…"

Cette fois-ci, le sourire d'Adam s'étira davantage, révélant des dents en or qui scintillèrent sous la lumière jaunâtre du réverbère. Se redressant, il entreprit d'avancer lentement vers Lily, la forçant à reculer jusqu'à se retrouver dos à l'un des murs crasseux de l'impasse. La tension dans l'air était palpable, et Lily tenta maladroitement de se justifier :

"Non, mais, je… Ne vous méprenez pas…"

"Oh, mais c'est que j'aimerais beaucoup ne pas me méprendre à votre sujet…"

La menace à peine dissimulée de l'homme fut déglutir la rouquine. Merde. Comment allait-elle se sortir de cette galère ?

"Non, attendez… S'il vous plaît ! Je vous jure que je n'ai pas de mauvaises intentions ! Je viens pour rencontrer un des habitués du bar ! Je viens pour Sirius Black ! Je crois qu'il a des problèmes !"

Le simple nom de Sirius fit stopper net Adam. Ce dernier dévisagea Lily, visiblement surpris par cette révélation.

"Sirius ? Vous connaissez Sirius ? Attendez, ne me dites pas que vous êtes Remus ! C'est encore à cause de vous qu'il est venu ce soir ?"

Cette fois-ci, l'attitude d'Adam était devenue ouvertement hostile. En un instant, il réduisit à néant la maigre distance qui le séparait, posant sa main sur son épaule avec une force déconcertante, ses doigts écrasant l'omoplate de la jeune femme. Dans un geste de désespoir, cette dernière agita frénétiquement le bras, cherchant désespérément à dissiper le malentendu.

"Non ! Je ne suis pas Remus ! Je suis un ami de Sirius ! Je sais ce qu'il traverse et je viens juste vérifier qu'il va bien ! Moi aussi j'en ai marre de le voir comme ça, je veux que ça change ! S'il vous plaît, je viens vraiment pour l'aider ! Je connais l'existence de ce bar parce qu'il m'en a déjà parlé !"

Lily ne sut pas si c'était dû à sa sincérité soudaine ou à la détresse palpable dans sa voix, mais Adam s'arrêta à nouveau. Il la scruta avec méfiance, ses yeux semblant pénétrer son âme, et Lily s'efforça de maintenir son regard, faisant de son mieux pour ne pas flancher.

"Je vous en prie. Laissez-moi entrer…", finit-elle par murmurer.

Le videur la regarda à nouveau, la jaugant du regard, puis finit par pousser un grognement. Sa main puissante relâcha son emprise sur son épaule.

"Vous pouvez rentrer… Pour cette fois… Mais c'est bien parce que c'est lui… Et je vous préviens, si j'entends une plainte à votre propos pendant la soirée, c'est moi qui viens vous trainer hors du bar…"

Lily hocha prestement la tête.

"Je vous promets que vous n'entendrez pas parler de moi ! Merci, en tout cas. Merci beaucoup !"

Adam haussa les épaules avant de se tourner vers le mur. Il tapota du bout de l'index l'une des briques. Une rune brillante apparut, illuminant de sa lueur bleutée le reste du mur dans lequel se dessina progressivement le contour d'une lourde porte en bois qui laissait filtrer à son seuil une lumière orangée. Au-dessus, un néon vacillant affichait le nom du bar : "Les Trois Gargouilles". La façade ne semblait pas avoir été rafraichie depuis des décennies.

Adossé à côté de la porte, Adam alluma une cigarette.

"Je me suis peut-être un peu emporté avec vous. Ce n'est pas facile, vous comprenez ? Après la guerre que nous avons traversée, nous devons nous montrer prudents. Les sbires de Vous-Savez-Qui sont encore parmi nous. Ce bar est fréquenté par des partisans de Dumbledore. C'est une cible idéale pour les gens mal intentionnés. Surtout que ce sont généralement des conservateurs qui ne sont pas très ouverts à notre… mode de vie. Enfin, vous devez déjà le savoir…"

"Oui, je le sais", murmura Lily, "cela me désole."

"Moi aussi…", marmonna Adam, "Moi aussi… Bien. Restez sage, ce soir. Et surtout, remontez le moral de Sirius. Il en a besoin… Oh, à ce propos, le mot de passe est "coquelicot". Du moins pour cette semaine. Ce serait bien que Sirius vous communique le prochain. Je ne vous laisserai pas entrer de nouveau si vous ne connaissez pas le bon code."

La main déjà sur la poignée, Lily se dépêcha d'acquiescer.

"Oui, bien sûr. Je comprends tout à fait."

Mon dieu. Elle allait enfin pouvoir entrer. C'était moins une !

"Ah et une dernière chose…"

Oh non. Quoi encore ?

"O-oui?"

Au bord de la syncope, Lily tourna la tête vers Adam qui la reluqua de haut en bas avant de sourire malicieusement.

"Si j'étais vous, je remonterais ma braguette avant de rentrer. La vue n'est pas déplaisante, et je suis sûr que beaucoup de clients partageraient cette pensée, mais le règlement du bar exige une tenue peu moins débraillée."

La remarque fit piquer un fard à la jeune femme qui se dépêcha de fermer son pantalon sous le rire étouffé du videur qui ne put s'empêcher d'ajouter :

"Et n'oubliez pas de faire vos lacets !"

Cette fois-ci, la rousse ne lui répondit pas et se précipita dans le bar.

Il n'y avait plus qu'à espérer que la suite de la soirée serait moins affreuse que tout ce qu'elle avait vécu jusque-là.


C'est avec beaucoup de bonne volonté – et énormément de mauvaise foi – que Lily a décidé de rejoindre Sirius au bar ! Se contentera-t-elle de vérifier s'il va bien ? Va-t-elle lui parler ? Finira-t-elle par rencontrer la belle Michelle au pub ? Et, surtout, fera-t-elle enfin ses lacets ?

Vous le découvrirez au prochain épisode !