10 novembre 2001

« Alors c'est certain ? »

La voix de Tony tremblait de manière tout à fait inhabituelle pour quiconque était un familier du génie playboy multimilliardaire. Mais vu les circonstances, qui aurait pu l'en blâmer ?

Le notaire installé derrière son bureau de chêne lui adressa un sourire bénin.

« Les tests ADN sont formels. Toutes mes félicitations, M. Stark. »

Le cerveau de Tony était au bord de l'implosion – que celle-ci soit due au choc ou à la joie, il n'aurait su le dire, et sans la main ferme d'Obie sur son épaule, il serait certainement tombé dans les pommes – même pas ses fruits préférés, beurk.

Papa. Lui. D'accord, vu comment il couchait avec tout ce qui portait jupe – et pantalon aussi, Tony ne laissait pas un obstacle aussi vulgaire que le genre l'entraver – il n'aurait pas dû être surpris par l'annonce, mais même.

Il était papa.

Machinalement, ses doigts passèrent sur les trois mots écrits sur le certificat de naissance. Jon Anthony Stark. Le nom de son fils. Né le 31 juillet 2000, de père non répertorié et de Sarah Evans.

Il se rappelait à peine de la fille, malgré tous ses efforts – rousse, un regard si bleu qu'il jurait y avoir vu passer des oiseaux à une ou deux reprises, et une langue qui refusait de faire quartier.

La mère de son fils, et elle était morte à cause d'un détraqué rentré chez elle par effraction qui aurait aussi tué Jon si Sarah ne l'avait pas entraîné dans la tombe avec elle. Parfois, la cruauté de l'Univers laissait Tony muet.

Comme il était resté muet lorsqu'Obie lui avait annoncé que ses propres parents avaient eu un accident de voiture –

« M. Stark ? » La voix du notaire l'arracha à ses pensées. « Voulez-vous que j'aille chercher Miss Locke ? »

« Oui ! » s'écria-t-il sans même prendre le temps de penser. « Oui, je veux la voir. »

Sans perdre son sourire bénin – un peu flippant, à ce stade – l'employé de la fonction publique se leva pour aller s'éclipser par la seconde entrée du bureau, ses souliers ne couinant même pas sur le parquet – TRÈS flippant, ça.

Tony sentit ses lèvres se retrousser en un sourire digne du Joker, tirant sur ses joues au point de lui faire mal, et son estomac se lancer dans une série de triple saltos arrière avec galipettes et entrechats. Papa.

« Tu sais » déclara Obie d'un ton amusé, « Howard avait exactement la même expression que toi lorsque ta mère lui a annoncé qu'elle était enceinte. Et le jour où tu es né, il a bien failli tomber en syncope tellement il était heureux. »

Si tu le dis, songea distraitement l'inventeur pas trop convaincu – il savait que son père avait tenu à son unique fils et héritier, mais il ne lui décernerait pas la médaille d'or des pères. Howard avait été un homme d'affaires et un inventeur de premier plan, mais pour ce qui était d'élever sa progéniture, le fondateur de Stark Industries aurait pu faire beaucoup mieux.

Tony voulait faire mieux qu'Howard. Il ne voulait pas juste être le type qui avait oublié de prendre des précautions avant de coucher avec la mère de Jon, encore moins le type qui payait les factures et l'éducation mais n'était jamais vraiment là. Il voulait être un père pour Jon, le genre qui apprend à son fils à tripoter un moteur de voiture et lui donne des tuyaux nuls pour draguer.

Il voulait être un papa, et la perspective de se planter le terrifiait.

Alors qu'il piquait une joyeuse crise de panique interne, le notaire refit son apparition, talonné par Miss Leah Locke.

Tony ne vit pas ses yeux verts pétillant de malice, ni ses longs cheveux noir brillant attachés en queue de cheval. Il ne vit pas les jambes interminables bottées de cuir brun, ni la silhouette en sablier mise en valeur par la robe vert sapin.

Il ne vit que le couffin qu'elle portait et son minuscule occupant.

« M. Stark ? C'est un plaisir de faire votre connaissance » articula un agréable contralto à l'accent très Oxford, « pour moi comme pour Johnny. »

Apparemment réveillé par l'énoncé de son nom, la petite personne déposée dans le couffin s'agita.

« Tilly ? » grogna une voix aigüe qui transperça le cœur de Tony aussi aisément qu'un couteau de céramique.

La jeune femme s'assit, posant le couffin sur ses genoux, y plongeant les mains pour en extirper le bambin qu'elle cala aisément dans ses bras et le tournant en direction de l'inventeur.

« Johnny, voici Tony Stark » déclara-t-elle. « Ton papa. »

Deux yeux impossiblement bleus se braquèrent sur l'Américain brusquement paralysé, le scrutant avec une attention que Tony lui-même réservait aux mécanismes particulièrement traîtres.

« Papa » répéta le petit d'un ton sceptique, comme s'il soupçonnait toute la combine d'être une arnaque éhontée.

« Ouais » parvint à croasser Tony. « Ton papa. »

« Papa » fit l'enfant pour la troisième fois, mais sur un ton moins dur.

Et puis il se pencha en avant, tendant les bras vers Tony. L'inventeur sentit le cœur lui remonter dans la trachée – qu'est-ce qu'il devait faire, merde ?

La fille le regardait, un sourcil noir de jais haussé impérialement. Le notaire le regardait, toujours avec son horripilant sourire. Obie le regardait aussi sans doute. Pas moyen de se dégonfler façon ballon crevé.

Tony tendit les bras à son tour, saisissant le petit sous les aisselles avec toute la délicatesse de qui manipule une porcelaine chinoise absurdement vieille et obscènement coûteuse et le retirant de l'étreinte de la nounou pour le prendre tout contre sa poitrine.

Une petite main vint se poser sur sa joue.

« Papa bobo ? » interrogea Johnny d'un ton curieux.

Pourquoi il demandait – oh. Tony n'avait pas remarqué que sa vision s'était brouillée.


« Des gardes du corps » babilla l'inventeur sans quitter des yeux le bambin occupé à ronfler dans son t-shirt. « Il nous faut des gardes du corps, note-moi ça, Obie. Et puis un lit, et des jouets et mince, qu'est-ce qu'il faut à un gosse ? Locke, vous avez intérêt à savoir, parce que je vous envoie acheter le nécessaire dès qu'on rentre à New York… »

« Pardon ? » intervint délicatement la jeune femme.

Pour sa part, Stane se montra moins délicat.

« Tony, tu ne peux pas donner d'ordres à Miss Locke, tu n'es pas son employeur » asséna-t-il d'un ton ferme – avec les Stark, il fallait mettre les pieds dans le plat, la subtilité lui glissait dessus comme l'eau sur les plumes d'un canard.

« Je l'engage » rétorqua le milliardaire. « A mille dollars le mois, logée, nourrie, blanchie. »

« Tony ! »

« Vous ne m'avez même pas demandé mon avis » fit remarquer la concernée, qui dégageait une certaine impression d'amusement – un bol de popcorn sur ses genoux n'aurait pas détonné.

Tony tourna immédiatement vers elle un regard brun digne d'un épagneul venant de se prendre une douche aussi brusque qu'imméritée.

« Allez, Mary Poppins, ne me laissez pas tomber » implora-t-il. « Vous n'abandonneriez tout de même pas un pauvre génie riche à mourir aux affres de la paternité en solitaire ? »

« Vous ignorez les profondeurs de ma dépravation » rétorqua Miss Locke. « Et pourquoi Mary Poppins ? »

« La nounou la plus géniale de toute l'histoire cinématographique » expliqua Tony. « Et vous avez un accent anglais, en plus. D'accord, ça pèche un peu côté magie, mais on peut pas tout avoir. »

Pour une raison échappant à Stane, le commentaire fit naître un sourire sur les lèvres de Miss Locke, et il dut réprimer un frisson en dépit de sa veste et du radiateur poussé à fond du bureau.

« Même si j'accepte votre proposition, je serais indisponible pendant deux semaines au minimum » annonça-t-elle. « Mes affaires à mettre en ordre, comprenez-vous. »

« Je vous garde la place » assura Tony.

Stane laissa échapper un soupir, devinant qu'une fois de plus l'Univers se plierait aux caprices d'Anthony Stark comme s'il n'avait rien de mieux à faire.

« Et j'espère que vous n'oubliez pas d'offrir des congés à vos salariés… »

« Certainement pas ! »

« Et en tant que responsable directe de Johnny, j'aurais naturellement un mot à dire en tout ce qui le concerne… »

« Autant que moi, si vous voulez. »

« Tant mieux pour vous, M. Stark. Vous m'auriez beaucoup déçue dans le cas contraire, et croyez-moi, je ne suis pas le genre de femme qu'on déçoit deux fois. Il faut être vivant pour une seconde tentative, après tout. »

Cette fois, Stane grogna bel et bien.

11 novembre 2001

« Je vous jure, si c'est encore une fausse piste… »

« Regardez vous-même les résultats, monsieur, ils sont formels. Correspondance à vingt-cinq pour cent, le lien est . »

« …Merde. De tous les pères possibles, pourquoi lui ? Stark ne sait même pas s'occuper d'un poisson rouge, alors un gamin… ! »

« Voulez-vous que je contacte la Directrice Carter ? Après tout, nous parlons de… »

« Non. Pas tout de suite. Si Stark prend mal la nouvelle, ça finirait en bain de sang, et ce serait fichu pour ce qui est d'approcher le petit. Je m'occupe de sonder l'eau. »

« Très sincèrement, je vous souhaite bonne chance, monsieur. »

« Ouais, Dieu sait que je vais en avoir besoin pour taper la parlote avec ce type. Ça et une bouteille entière de vin, après. »