26 novembre 2001

Après deux semaines passées à endurer le froid de Londres, la chaleur de Malibu saisit Leah à la manière d'une claque. N'importe comment, elle accueillait le changement à bras ouverts.

Surtout qu'elle n'aurait plus à se débattre avec les gobelins dans le futur proche. Ces horribles petits nabots avares s'étaient donnés du mal pour l'embabouiner consciencieusement – elle pouvait comprendre, elle était après tout la tutrice magique de Harry Potter, héritier désigné de la fortune Potter ainsi qu'héritier potentiel de la fortune Black, et ses décisions concernant les finances de son pupille pouvaient impacter Gringotts en bien comme en mal.

Elle avait dû insister lourdement pour obtenir un Serment de Confidentialité concernant son nom ainsi que toutes les informations personnelles se rapportant à Harry Potter – c'est-à-dire son changement de nom, l'identité de son tuteur non-magique et son lieu de résidence – mais elle l'avait eu et elle en éprouvait un soulagement absolu : de la sorte, quand le vieux crétin paniquerait d'avoir perdu son joujou, impossible qu'il remonte jusqu'à elle et Johnny via la banque.

La perspective de jouer un mauvais tour à la société sorcière – sans parler de la quantité d'or proprement obscène qu'elle leur avait versée – avait fini par avoir raison des scrupules des gobelins, et ils s'étaient quittés en termes tout à fait cordiaux. Si tout se passait bien, ils ne reverraient plus en personne et ne communiqueraient que par courrier.

A présent, Leah allait revoir Johnny. Rien que pour ça, elle aurait enduré un an d'embrouillaminis juridiques et législatifs avec les gobelins. Et elle se sentait tout à fait prête à endurer Malibu, et Tony Stark lui-même – qui ne connaissait pas sa réputation, franchement ?

« Miss Locke ? C'est un plaisir de vous rencontrer, je suis Virginia Potts. »

« Moi de même » répondit poliment Leah en passant discrètement en revue sa future collègue – jolie, mais pas le genre à se laisser marcher sur les pieds, comme l'avait été Lily Evans. Stark avait définitivement une préférence. « Dois-je vous appeler Virginia ou Miss Potts ? »

« Pour vous, ce sera Pepper » décréta la rousse en la conduisant jusqu'à une élégante Porshe bleu nuit. « Vu que nous allons devoir supporter M. Stark au quotidien, autant que nous partions du bon pied, n'est-ce pas ? »

Oh, elle lui plaisait, celle-là. La jeune femme brune dévoila ses dents très régulières en souriant à son interlocutrice.

« Dans ce cas, appelez-moi Leah. »


« Ah, Mary Poppins ! » s'écria théâtralement Tony lorsqu'il vit arriver les deux femmes. « Ma déesse et sauveuse ! Je ne m'en sors plus avec ce petit monstre. »

« Tilly ! » piaula joyeusement le bambin niché dans ses bras, se tortillant dans tous les sens pour se pencher vers la brune.

« Bonjour à vous, M. Stark. Et coucou à toi aussi, Johnny » roucoula Leah en délestant l'inventeur de son remuant passager pour le caler sur sa hanche. « Est-ce que tu as été sage ? »

« Ouais ! »

« Johnny, tu sais que ton nez pousse quand tu mens ? Continue comme ça et tu va me crever l'œil. »

Le mioche poussa un glapissement et se plaqua aussitôt les mains sur le nez. La jeune femme eut un petit rire et lui planta un baiser sur le haut du crâne, là où ses cheveux se rebellaient le plus.

« Tu m'as manqué, mon chat » déclara-t-elle tendrement.

« Alors, elle est pas géniale, Pepper ? » demanda Tony qui s'était avachi sans remords sur le fauteuil le plus proche – mine de rien, ça vous usait, un môme.

« Elle me plaît » reconnut la rousse avec un petit sourire.

« Tant mieux ! Bon, je me tire. Mon pauvre atelier se languit de ma délicieuse personne, et ça se comprend tout à fait. Pepper, fais-lui faire le tour ! »

Et sur ces mots, Tony bondit comme un ressort et se sauva hors de la pièce. Pepper sentit son sourire disparaître.

« Son atelier lui manque, à ce que je vois » commenta Leah, le ton léger comme si elle remarquait sur la couleur bleue du ciel.

« J'espère que vous ne lui en tiendrez pas rigueur » se borna à répondre Pepper. « Tony ne cherche pas à vous insulter exprès, il est juste… Tony. »

« Je suis la nounou » rétorqua la brune, « je peux gérer un enfant de plus que ce qui était prévu. »

Oh oui, Leah Locke était définitivement une perle rare.

28 novembre 2001

« Tout d'abord, j'aimerais vous remercier de m'accorder cet entretien, M. Stark. »

Tony obligea ses lèvres à former son sourire le moins sincère.

« Juste Anthony. Je ne suis pas mon père. »

Voilà qui devrait envoyer le message. Maintenant, quant à savoir si elle l'avait décrypté… Toujours plus épineux, ça.

Peggy Carter avait beau avoir des cheveux blancs et un visage aussi fripé qu'une pomme oubliée dans la coupe de fruits, elle n'en conservait pas moins un certain charme, le genre qui se retrouve chez les serpents venimeux et les plantes vénéneuses. Très jolie, mais tant pis pour vous si vous vous rapprochez de trop près. Une rose avec des épines.

Tony se rappelait vaguement de ce même charme chez Sarah, il se souvenait avoir pensé que la donzelle était bien capable de l'éviscérer au premier pas de travers et avoir décidé de passer outre. Et qu'est-ce qu'elle l'avait bien démoli, les rares fois où il avait soufflé dans la mauvaise direction.

« Très bien, Anthony. Vous savez la raison de ma visite » lança sans ambages l'ex-Agent Men In Black. Ou Women In Black, dans ce cas précis ?

« Mon fils » fit l'inventeur d'une voix neutre.

Carter ferma brièvement les yeux.

« …Comment est-il ? »

« Comme tous les gosses de cet âge » répondit Tony. « Il tient pas en place, il veut une histoire avant sa sieste, la routine, quoi. Qu'est-ce que vous voulez de plus ? »

La dernière phrase était sortie avec plus d'agressivité qu'il ne l'aurait voulu, presque crachée à la manière d'un glaviot méprisant. Mais chiotte, c'était son gosse. Pas le futur Captain America ou le remplaçant de 007 ! C'était juste un gamin. Son gamin.

« Je voudrais le rencontrer » déclara Carter. « Si vous n'y voyez aucun problème. »

« Peut-être que j'en vois » rétorqua Tony, ses intonations piquant joyeusement vers le zéro absolu.

Les yeux bruns de son interlocutrice prirent une dureté adamantine qui n'aurait eu aucun problème à découper du titane en fines lamelles.

« J'avoue ne pas comprendre votre hostilité, Anthony. »

Mais barre-toi ! voulait crier le génie. Fiche le camp et laisse nous tranquille. Pourquoi tu ne comprends pas que Jon ne t'appartient pas ?

Il ouvrait la bouche pour formuler une platitude quelconque, le genre vitriol à peine trempé dans le miel, quand un bruit de bouchon qui saute résonna entre les quatre murs de la pièce… et ses bras se retrouvèrent encombrés sans prévenir de dix kilos de morpion.

« Papa ! Câlin ! »

« …Mais d'où tu sors ? » fut tout ce qui sortit de la bouche de Tony complètement pris au dépourvu.

Trop occupé à se cacher le visage dans son t-shirt, Johnny ne répondit pas. Pour sa part, Carter ouvrait des yeux comme des soucoupes, mais quant à savoir si c'était la surprise ou la vue du bambin…

« Johnny ? JOHNNY ! Où es-tu ? Oh. »

Leah venait de débouler dans la pièce, le souffle court. Son regard jade tomba immédiatement sur Johnny, puis se recentra sur l'expression ahurie de son employeur, puis se coula dans la direction de Carter… et là, elle se raidit.

« Tony, pourrais-je savoir ce que fait ici la version sexagénaire de la mère de Johnny ? » interrogea-t-elle.

Avant que l'inventeur n'ait pu se ressaisir, la vieille dame s'était avancée avec un sourire poli.

« Vous êtes la nounou ? Je suis Peggy Carter, la grand-mère de Johnny. Un plaisir de faire votre connaissance. »

A l'énoncé du nom « Peggy Carter », le visage de Leah avait pris l'expressivité du marbre. D'accord, cerveau qui court-circuite.

« …Je peux tout expliquer ? » glissa piteusement Tony.

Leah lui renvoya un regard vert aussi étincelant qu'une lame de rasoir.

« J'apprécierais beaucoup, oui. Et en échange, peut-être que je te dirais comment Johnny a pu se téléporter dans tes bras. »