30 novembre 2001

Fury sentait la grimace tenter de lui étirer les commissures alors qu'il lisait le rapport médical obtenu après d'interminables négociations qui l'auraient poussé à s'arracher les cheveux s'il n'avait pas eu le crâne rasé.

Jon Stark détenait bien des traces du sérum concocté par le Dr Erskine dans son sang, mais il ne s'agissait que de cela, des traces. Qui plus est inactives, apparemment. Et le médecin chargé du dossier déconseillait fortement de tenter de les réveiller avant que le gamin n'atteigne la puberté et tous ses bouleversements hormonaux. Mieux valait attendre que sa situation soit stable.

Ce serait le Conseil qui allait être content, tiens. Eux qui s'imaginaient déjà tenir le nouveau Captain America, la nouvelle icône de l'humanité. Ah. Et même sans les complications médicales, c'était compter sans Stark. Pire qu'une mère poule enragée dans les derniers stades de la maladie, déjà qu'il était intenable, Fury ne voulait vraiment pas attirer la furie d'un génie militaire sans aucun scrupule sur SHIELD en menaçant le moutard.

Au moins le gosse serait l'enfant le mieux protégé d'Amérique, avec un père aussi protecteur. Peut-être pas le mieux élevé – restait à voir si les gènes de Stark ou ceux de ce boy-scout de Rogers prendraient le dessus – mais le plus en sécurité, avec tous les gardes du corps que pourrait engager son géniteur, une organisation d'espionnage au niveau mondial qui ne le quitterait pas des yeux – hors de question qu'ils perdent à nouveau un gamin de la famille Rogers, en plus du fils de l'un de leurs plus éminents collaborateurs – et une sorcière chargée de son bien-être au jour le jour.

La sorcière. Leah Locke. Ça, c'était de la trouvaille. D'ordinaire, les branques qui trouvaient normal de se promener en robe de chambre dans la rue se sauvaient avant qu'on les aborde, ou s'évaporaient dans l'air, ou frappaient ses agents d'amnésie – inacceptable !

Mais la femme Locke – elle avait beau s'entêter à rester bouche cousue concernant Sarah Jean Rogers, elle constituait une vraie mine d'or en matière de renseignements sur le monde magique. Oh, elle se méfiait bien sûr, elle aurait été stupide dans le cas contraire, et elle refusait de cracher le moindre mot sans un accord de confidentialité et encore, à de très rares élus, mais elle était la porte d'entrée.

Restait seulement à maintenir le contact, ce qui s'avérerait délicat avec Stark qui leur soufflerait sur la nuque.

En parlant de Stark, le dossier médical avait révélé un point curieux : une anomalie située non dans le sang – comme le sérum du super-soldat – mais au niveau des chromosomes eux-mêmes. Il avait tout d'abord cru qu'il s'agissait du gène magique – puisqu'apparemment, la magie était aussi héréditaire que les yeux bleus – mais une comparaison avec le dossier de Stark avait vite dévoilé que la majeure partie de l'anomalie provenait du père de Jon Stark, non de sa mère.

Un rapide passage dans les archives avait permis à Fury de déterminer deux choses : la première, qu'Howard Stark avait été un humain on ne peut plus ordinaire, la deuxième, que Maria Stark ne pouvait pas l'avoir été.

La première trace officielle, authentique de l'existence de la matriarche Stark était le certificat de mariage officialisant l'union du milliardaire américain Howard Stark à Maria Di Angelo, pianiste de son état, en mai 1957. Oh, il y avait bien un certificat de naissance – daté de novembre 1926 lui donnant pour parents Nicolà et Bianca Di Angelo, résidents de Florence – un certificat de scolarité, un diplôme du conservatoire Luigi Cherubini, et vraiment, c'était du beau travail, presque impossible de voir que les papiers étaient faux.

Que diable cachait donc Maria Di Angelo avant d'épouser Howard Stark ?

Même quand ils ne naissaient pas dans cette satanée famille, ses membres semblaient ne demander qu'à compliquer la vie de Fury.

1 janvier 2002

Rhodey n'avait encore jamais passé de Nouvel An aussi calme en compagnie de Tony. Pas de strip-teaseuses, pas de course poursuite infernale en Mercedes, pas de gueule de bois monstrueuse le lendemain. Non, tout avait été très… domestiqué.

Maintenant qu'il avait un bébé à qui donner un exemple, Tony s'était un petit peu calmé. Rhodey en était fier comme tout. D'accord, l'inventeur ne décrocherait pas la médaille d'or en matière de responsabilité et de maturité cette année-là encore, mais le progrès ne laissait aucun doute.

« …Nous on fait l'amour, on vit la vie… »

Tiens, ça venait d'où ça ? Fronçant les sourcils, le soldat se dirigea vers le salon.

« …Jour après jour, nuit après nuit… »

Tony était couché sur le canapé, Jon installé sur sa poitrine, occupé à frotter le dos de son fils tout en démontrant un baryton étonnamment agréable à entendre.

« …A quoi ça sert d'être sur la terre si c'est – qu'est-ce que tu fais là, Rhodey ? »

« Je regrette de ne pas avoir d'appareil photo sous la main » rétorqua le soldat tout sourire, ce à quoi l'inventeur riposta en lui adressant un geste obscène. « Juste pour savoir, tu as oublié les paroles de Frère Jacques, si tu te rabats sur les comédies musicales ? »

Tony fit la moue.

« Mamà n'a jamais été très berceuse-comptine. Plutôt le genre Beatles ou ABBA. Si ça marchait pour moi, pourquoi ça marcherait pas pour Jon ? »

« Je ne critique pas » fit remarquer Rhodey. « C'était juste une observation. »

Le milliardaire reporta son attention sur le bambin occupé à baver sur son t-shirt Black Sabbath.

« …Pourquoi c'est si facile à casser, les gens ? Et quand il s'agit de mômes, c'est encore pire. »

Oh, merde. Tony tirait la même tête que lorsqu'il avait vraiment trop bu – plutôt rare, il avait une tolérance inhumaine à l'alcool – et se sentait d'humeur à décortiquer toutes les façons dont l'univers allait de travers.

« Tony » articula précautionneusement Rhodey, « tu sais que tu n'es pas tout seul là-dedans. Il y a moi. Et Pepper. Et Stane. Et Happy. Et n'oublie pas Locke, elle t'arracherait les yeux si tu fais un pas de travers. »

L'inventeur eut un petit rire.

« Mais j'espère bien. »

5 janvier 2002

« Anthony Stark, que diable essayez-vous de trafiquer, dites-moi ? Juste pour que je prenne des précautions. »

« Qu'est-ce qui vous fait dire ça, Mary Poppins ? » protesta l'inventeur, utilisant son regard le plus innocent.

« Vous avez exactement l'expression de Frankenstein avant qu'il ne donne vie à son monstre. Ne niez pas, vous allez me crever l'œil avec votre nez. »

Tony comprit qu'il lui faudrait jouer cartes sur table.

« Votre magie. Comment ça marche ? »

Leah haussa un sourcil régalien parfaitement épilé.

« Que ça ? M. Stark, des dizaines d'enchanteurs et de mages essaient de répondre à cette question depuis l'Âge de Pierre et ils se sont tous retrouvés le bec dans l'eau. Pourquoi auriez-vous plus de chance, sans magie que vous êtes ? »

« Parce que je suis un génie » rétorqua candidement Tony. « Et un scientifique endurci. Vous savez que parfois, une perspective toute neuve peut résoudre un problème sur lequel on planche depuis des lustres ? »

« Magie et science n'ont rien en commun » se défendit Leah. « Le seul champ qui pourrait servir de point de jonction, c'est l'Arithmancie, et encore les équations restent très abstraites… »

« Ari quoi ? »

« L'Arithmancie. L'équivalent magique des mathématiques, basiquement. »

Une lueur effrayante s'alluma dans les yeux bruns de Tony et Leah fit instinctivement un pas en arrière.

« Des mathémagiques, alors ? »

Leah eut soudain l'épouvantable révélation qu'en réalité, c'était elle le Docteur Frankenstein, et elle venait de lâcher le Monstre sur le monde.

Quoique, c'était le monde sorcier. Le karma, c'était vache.