23 septembre 2009
« Jon ? Johnny, je te préviens, je vais entrer. »
C'était un pur miracle que Leah parvienne à conserver un ton parfaitement calme alors qu'elle se sentait au bord de l'implosion violente, niveau Krakatoa au strict minimum. Ne recevant pas de réponse en provenance de l'intérieur, elle décida de passer aux actes.
Tout comme son père, Jon avait un sens du rangement assez particulier, dont les subtilités s'avéraient inaccessibles à quiconque ne portait pas le nom Stark, mais jamais encore il ne s'était montré bordélique. Or, le spectacle de vêtements traînant par terre, de feuilles de papier et de matériel à dessin recouvrant les meubles, ne méritait ni plus ni moins que le titre de capharnaüm honteux.
Le garçon gisait à plat ventre sur son lit, le visage enfoui dans son oreiller, un Dingo en peluche à moitié avachi sur le dos. Mauvais signe, ça, ressortir les peluches, comme Jon avait insisté pour ne plus dormir avec lorsqu'il avait atteint sept ans, le soi-disant âge de raison.
La brune choisit de ne pas tourner autour du pot.
« Jon, ton père a été retrouvé. Vivant. »
L'ampoule du plafonnier et celle de la lampe de chevet éclatèrent immédiatement tandis que Jon se dressait tel un ressort, la peluche dégringolant sur le tapis de lit. Leah cilla sous le coup de la décharge de magie accidentelle avant de se reprendre.
« Tu ne peux pas le voir pour l'instant. »
Le garçon se tendit à la manière d'un loup arctique qui vient de tomber nez-à-nez avec un trappeur. La colère froide se dégageant de son petit corps en était presque palpable.
« …Pourquoi ? » finit-il par articuler, le ton frigorifique.
La nounou ferma ses yeux de jade. C'était cruel à dire, mais impossible de le cacher.
« Parce que ta magie risque de le tuer. »
La tension de l'enfant se modifia en un éclair, passant de la fureur abjecte à l'horreur incrédule. Lentement, il tourna la tête vers elle, son regard bleu terni par des mois d'angoisse et de chagrin.
« Anthony a été blessé, mon cœur. Très salement blessé. Il a été rafistolé le mieux possible, mais… l'équipement utilisé est fragile. Et tu sais que la magie perturbe la technologie sans protection adéquate. Alors… on va attendre un peu avant d'aller le voir, d'accord ? Le temps qu'il mette à jour son nouvel accessoire. Oui ? »
Leah hésitait, cherchait désespérément ses mots. Jon la regarda sans rien dire pendant un long, long moment.
« Il est rentré. Il est vraiment rentré. »
La sorcière s'autorisa un petit sourire faible.
« Oui. Ton père est rentré. »
Sur ces mots, le robinet se déchaîna, et la jeune femme se retrouva à enlacer et murmurer des mots réconfortants à un garçon qui sanglotait convulsivement, pleurant toutes les larmes qui lui restaient encore après cinq mois de deuil.
7 octobre 2009
Quand il stressait, Jon avait tendance à s'occuper les mains. La plupart du temps, il prenait un crayon ou un stylo pour décharger la tension, mais un Rubik's Cube, ça marchait aussi.
Tout en tournant méthodiquement les facettes colorées du cube, il tendait l'oreille au point d'en avoir mal, guettant le grincement des gonds de la porte. Quand le bruit se fit entendre, enfin, il sentit son cœur lui remonter dans la gorge et s'obligea à déglutir.
« Et bien, je crois que je vais vous laisser seuls tous les deux. »
« Merci, Mary. J'apprécie. »
Le claquement des talons s'éloigna dans le couloir et Jon releva la tête.
Le teint olivâtre de Tony Stark – legs d'une mère italienne – avait nettement pâli, conséquence logique de cinq mois de réclusion dans une cave mal éclairée. Il avait maigri, ses vêtements pendant davantage sur sa charpente. Et surtout, un cercle bleuté luisait sous le t-shirt noir, présent pour ne plus repartir.
Il avait changé, mais c'était Tony.
Le Rubik's Cube tomba par terre dans un claquement sec alors que Jon se ruait sur son père, les poings en avant.
« Idiota ! Stronzo ! Pirla ! » tempêta le garçon, bourrant de coups la poitrine d'un Tony stoïc. « Non puoi morire ! Non hai la mia permissione di morire ! Non ti l'ebbi dato mai ! »
Un hoquet secoua l'enfant qui cessa son attaque pour enfouir son visage dans le t-shirt de l'adulte.
« Non hai la permissione… »
Les bras de Tony se refermèrent délicatement autour de lui, une étreinte aussi tendre qu'implacable. Il aurait fallu un démonte-pneu pour la rompre.
« Sono davvero spiacente, tesoro » souffla la voix inimitable de son père au creux de son oreille, et il frissonna de tout son être, resserrant sa prise sur le tissu noir.
Un étrange fredonnement résonna sous son crâne, semblable à de l'eau qui coule, et il laissa son regard errer vers la source : encastré dans le torse de Tony, le réacteur arc ronronnait à la manière d'un tigre gavé et somnolent, et Jon éprouva une bouffée virulente d'antipathie pour son existence, la preuve que les cinq mois d'absence avaient réellement eu lieu.
« On zyeute sur mon dernier chef d'œuvre, champion ? » interrogea Tony, le coin des lèvres tordues par un sourire qui atteignait difficilement ses yeux.
« Je préfère quand tu t'es retrouvé en soutien-gorge et slip à fourrure au beau milieu de Central Park » lâcha benoîtement le môme, poussant l'auteur de ses jours à s'étrangler de surprise.
« Tu l'as entendue où, celle-là ? »
« De Happy. Tu as une drôle de tendance à te retrouver tout nu quand il vient te chercher, tu le fais exprès ? »
« Priver le monde d'une occasion d'admirer mon corps si divinement sculpté ? » s'écria le coureur de jupons éhonté. « Que périsse cette pensée ! »
Jon étouffa son rire contre la poitrine de son père. Tony Stark était bel et bien de retour, égo démesuré et blagues nulles en place.
9 octobre 2009
Tony ne s'était jamais voilé la face, il était loin d'être un parangon d'humanité. Ceci dit, il aimait croire qu'au moins, il n'était pas le pire des hommes non plus.
Cinq mois de captivité au fin fond de l'Afghanistan avec Yinsen avaient irrémédiablement fracassé cette illusion.
Marchand de mort.
Trafic d'armes.
« Ma famille est morte… Va retrouver la tienne, Stark. »
Il s'était échappé de la grotte physiquement, ça oui. Mais son esprit se refusait à faire le dernier pas, à quitter un Yinsen agonisant dans le noir et la poussière sablonneuse.
« Ma famille est morte… Va retrouver la tienne, Stark. »
Sur le papier, ça paraissait si simple. Mais comment pouvait-il encore regarder Jon dans les yeux, à présent ? Il avait essayé et n'y était pas parvenu, incapable de soutenir ce regard bleu trop brillant, trop rempli d'amour pour lui.
Il en avait trop fait pour mériter ce regard, avait pris conscience de trop de choses pour tolérer encore l'admiration candide du garçon. Il n'était pas Captain America. Il n'était pas le héros qu'un père se devait d'être.
Il voulait le devenir. Il devait réparer ses fautes, c'était bien ce que faisaient les héros, non ? Ils empêchaient les horreurs plutôt que de les laisser se produire. Le chevalier en armure flamboyante terrassait les dragons au lieu de les laisser errer en liberté et dévorer les pauvres gens qui avaient le malheur de les croiser.
Question chevalerie, il n'en était pas encore là, mais l'armure, ça, il aurait bien voulu voir les forgerons de l'époque faire mieux.
22 octobre 2009
« Alors il s'y est pris comme ça. »
Vraiment, il fallait voir le spectacle. Au fond de lui-même, Obadiah n'éprouvait guère de surprises : Tony était un Stark, après tout, le nom était pratiquement devenu un synonyme de génie dans les milieux technologiques. Quel dommage que ce génie aille de pair avec un entêtement qui en aurait remontré à tout un escadron de mules, si Obadiah avait eu ne serait-ce que l'ombre d'une possibilité de convaincre Tony de la justesse de son point de vue, il n'aurait pas eu à signer l'arrêt de mort de son neveu honoraire.
Une exécution qui se serait déroulée sans heurts si Raza et ses troufions n'avaient pas tout fait capoter. Jon aurait hérité de Stark Industries et Obadiah aurait pu diriger la compagnie correctement jusqu'à ce que le garçon atteigne vingt-et-un ans – et même au-delà. Le petit avait beau être brillant – c'était un Stark, après tout – il était davantage un artiste qu'un ingénieur.
Mais si Raza était parvenu à tuer Tony du premier coup, Obadiah n'aurait jamais reçu ce merveilleux cadeau qui ouvrait tant de possibilités.
Le terroriste aussi reconnaissait le potentiel, mais il n'arrivait pas exactement à le saisir. Vraiment, lui laisser l'armure, lui laisser la possibilité de s'en servir, serait revenu à donner de la confiture aux cochons. L'homme d'affaires n'eut pas le moindre remords à paralyser l'idiot avant d'emporter ce qui l'intéressait.
Il touchait quasiment la victoire du bout des doigts… à l'exception d'un petit détail gênant. Un détail qu'il n'appréciait guère de devoir rectifier, mais ce n'était pas comme s'il avait le choix.
« Préparez le Secteur 16 sous le réacteur arc » ordonna-t-il à son conducteur et garde du corps attitré. « Et je veux que les données soient masquées. Recrutez nos meilleurs ingénieurs, je veux un prototype tout de suite. Et il serait grand temps de souscrire cette police d'assurances dont nous avons discuté. »
Vraiment dommage pour Tony, mais au moins Johnny ne se retrouverait pas pris entre deux feux. Obadiah avait pleinement l'intention de mettre le petit à l'abri de tout ce cirque déplaisant jusqu'à ce que le plus gros soit passé. Le garçon était pratiquement son petit-fils, après tout.
Traduction
Idiota ! Stronzo ! Pirla ! Non puoi morire ! Non hai la mia permissione di morire ! Non ti l'ebbi dato mai ! = Idiot ! Connard ! Abruti ! Tu ne peux pas mourir ! Tu n'as pas ma permission de mourir ! Je ne te l'ai jamais donnée !
Non hai la permissione = Tu n'as pas la permission…
Sono davvero spiacente, tesoro = Je suis vraiment désolé, trésor.
