24 octobre 2009

Leah n'aurait pas dit non à un punching-ball. Sur lequel elle aurait dessiné le visage d'Anthony. Elle avait beau l'aimer autant qu'il est possible d'aimer un petit frère irritant, mais là, il piétinait joyeusement les limites de sa tolérance.

D'accord, elle comprenait son besoin de se racheter, sa nécessité de tourner la page après son déplaisant séjour afghan, mais qu'il aille jouer les héros au détriment de Jon ? Comment espérait-il réparer le monde si sa propre famille tombait en miettes et qu'il ne faisait rien pour rectifier ça ?

Le résultat des dernières frasques d'Anthony, c'était un Jon renfrogné, qui passait son temps à griffonner au fusain des scènes aussi joyeuses que la campagne sous la pluie ou des malades mentaux au regard perdu dans le vide. Quand le garçon se rabattait sur ce genre de sujets, ça nécessitait une intervention lourde immédiate – et dire qu'elle avait cru qu'il arrêterait, maintenant que son père était rentré. Au temps pour ses espoirs.

Même un milk-shake fraise avec chantilly et coulis de fruits rouges n'arrivait pas à la détendre, c'était dire combien elle était remontée.

« Est-ce le moment de regretter de ne pas avoir emporté un bunker portable ? » interrogea Obadiah, mi-blagueur mi-sérieux.

« Tu crois ? » lui renvoya-t-elle, regrettant aussitôt son ton grinçant. « Pardon. Je suis… éreintée, en ce moment. »

Obadiah eut une grimace compatissante.

« Tu devrais prendre une pause. Si tu continues dans l'état où tu es, tu finiras par étrangler Tony à mains nues. »

« Tiens, en voilà une bonne idée » commenta distraitement la jeune femme, dangereusement sincère.

Son interlocuteur ne sourit pas.

« Sérieusement, Leah. Prends une pause. Mets-toi au vert. Ça ne te fera pas de mal, et ça ne fera de mal à personne d'autre. Au moins ça t'empêchera de craquer pour un peu plus de temps. »

« Il faut que je m'occupe de Jon » répondit-elle, plus lasse et résignée qu'assurée. « Avec Anthony qui va s'amuser dehors, ça laisse le petit tout seul. »

« Je peux te remplacer. Un week-end entre hommes, ça lui rendra le sourire. A son âge, tu sais, un garçon se détend plus facilement quand il n'est pas dans les jupes de maman vingt-quatre heures par jour. »

Leah hésita une longue minute. Officiellement, elle était la nounou/employée au pair dont la principale activité consistait à veiller sur les Stark – parce que, vraiment, Anthony ne comptait comme adulte que dans le sens légal du terme. Mais intérieurement, cinq mois d'incertitude, suivis par le stress des escapades d'Anthony et la dépression prolongée de Jon lui avaient usé les nerfs jusqu'à la corde.

Même les dieux ont leurs limites.

« L'atelier dessin finit dans trois quarts d'heure » lâcha-t-elle. « Évite d'être en retard ou Jon essaiera de rentrer tout seul et je ne veux pas qu'il finisse en galette dans la rue parce qu'il n'aura pas fait attention à la circulation. »

« Tu t'inquiètes trop » la reprit gentiment Obadiah, ce qui lui valut un regard vert très plat.

« C'est mon travail de m'inquiéter pour lui. »


Dire que Jon avait été surpris de voir débarquer le chauffeur d'Obie plutôt que Tilly conduite par Happy serait revenu à affirmer que le ciel était bleu. Mine de rien, le garçon avait ses petites routines et n'aimait pas trop les voir bouleversées sans avertissement.

« Ça s'est un peu décidé à la dernière minute » fit Obie en guise d'excuse. « Leah était vraiment trop patraque pour venir, et elle s'est dit que ça serait mieux si tu prenais un peu de distance par rapport à la situation. »

« Alors elle t'a donné le feu vert pour me kidnapper à la sortie de l'école et me traîner à l'aéroport pour quitter le pays ? » lâcha le gamin en haussant un sourcil.

Obadiah tiqua à la mention du terme kidnapping mais son visage se lissa presque aussitôt.

« Pas hors du pays, tout de même. Juste hors de Californie. Tu aimes toujours le Michigan, non ? Deux jours à profiter des lacs et à manger des tartines au sirop d'érable. »

« Fait trop froid pour se baigner et je préfère la confiture de pêche » rappela Jon, qui ne put empêcher le coin de ses lèvres de se retrousser légèrement. « T'as prévenu l'école que je risquais d'être absent ? Je… j'ai pas bien envie de bosser, là. »

Obadiah tapota paternellement l'épaule du garçon.

« Tranquillité totale. Pas de téléphone ni d'internet pendant deux jours, et même plus si tu veux. Qu'est-ce que tu en dis ? »

Jon regretta brièvement l'impossibilité de se servir d'un ordinateur avant de se rappeler qu'il avait ses pastels et son carnet de croquis dans son sac à dos. Il pourrait survivre avec ça.


Tony connaissait intimement l'adage qui proclamait qu'aimer, c'était donner à autrui le moyen de vous détruire en priant pour que cette personne ne s'en serve pas. Il avait pu en vérifier la justesse après l'accident du 16 décembre 1991.

Maintenant, il se le voyait confirmé de nouveau et regrettait amèrement d'avoir accordé sa confiance au type qui avait détourné l'argent de Stark Industries, arrangé son meurtre via trouducs afghans et actuellement occupé à lui arracher son pacemaker high-tech.

Comment tu as pu, Obie ? lui tournait dans la tête alors que les derniers fils reliant le réacteur bleuté à son corps cédaient, provoquant un saut de cabri chez son cœur et enserrant ses poumons dans un étau.

« C'est superbe » s'extasia Obadiah alors qu'il s'installait sur le sofa à côté de sa victime, lui posant un bras sur les épaules comme s'il ne venait pas de le condamner à mort. « Oh, Tony, c'est ta Neuvième Symphonie. Quel chef-d'œuvre. Regarde ça ! C'est ton héritage : une nouvelle génération d'armes avec ça comme cœur. Des armes qui aideront à remettre le monde sur ses rails, à mettre l'équilibre du pouvoir entre nos mains. Les bonnes mains. »

Le monologue du génie maléfique parvint à se former dans l'esprit de Tony alors qu'il luttait pour respirer. D'habitude, il roulait des yeux ou ricanait quand le maître du mal faisait son petit laïus devant le héros saucissonné et prêt à être flanqué aux requins. Oh, plus jamais il ne se moquerait, c'était terrifiant et vraiment pas drôle quand ça vous arrivait à vous personnellement.

Pétard, il fallait qu'il bouge. Il fallait vraiment qu'il bouge, qu'il se lève et casse la figure à Obadiah. Oh, et aussi qu'il récupère son réacteur arc, ce serait bien, ça. Hélas, il ne parvint qu'à frémir piteusement tandis que le traître rangeait son pacemaker dans une valise et se préparait à partir avec.

Et puis les mots que lâcha Obadiah le figèrent encore plus efficacement que l'engin paralytique.

« Dommage que tu ais traîné Pepper dans tout ça. J'aurais préféré qu'elle vive. Jon se retrouvera orphelin de vous deux, maintenant. Oh, ne t'inquiète pas, Tony, je me suis déjà occupé de Jon. »

Tony aurait pu aller se promener en slip sur la banquise, le froid qui envahissait ses artères devait flirter avec le zéro absolu.

« J'avais pensé à le prendre en otage » confessa le traître comme il aurait avoué avoir volé un cookie dans la boîte à biscuits. « Te le rendre en échange des plans du réacteur. Mais je me suis dit : pourquoi ne pas avoir les deux ? Les avancées possibles grâce aux capacités spéciales de ton fils… je n'allais pas cracher là-dessus. »

Il tapota la jambe de l'inventeur alors qu'il se levait.

« Je prendrais bien soin de lui, Tony. Pour toi. »

Lorsqu'il quitta la pièce sans un regard en arrière, une pensée unique s'était cristallisée dans la psyché de l'ingénieur : je vais te broyer. Pas de si, de mais ou de peut-être, Obadiah Stane allait mourir comme la pourriture qu'il était.

Les muscles de Tony hurlèrent de protestation alors qu'il les forçait à le soulever du sofa, à se diriger vers l'ascenseur menant au labo à une lenteur exaspérante. Il enregistrait la sensation de manière étonnamment détachée : pas le temps pour ça, il avait plus urgent à faire.

Il s'écroula par terre en arrivant au bon étage. Non, se répéta-il en rampant vers l'établi où trônait le mémorial de Pepper, je refuse de crever. Pas le moment. Jon. Pepper.

Des points noirs envahirent sa vision tandis qu'il s'écroulait sur le béton, ses poumons refusant de remplir leur rôle, son objectif à portée de bras, mais il allait mourir alors que Jon avait besoin de lui…

Le mécanisme de Dum-E vrombit docilement tandis que le bras robotique saisissait la boîte en verre pour la déposer près de son créateur. Était-ce normal de vouloir câliner un tas de boulons ? Tony n'aurait pas hésité s'il en avait eu la force.

« Bon garçon » souffla-t-il avant de fracasser la boîte pour en retirer le réacteur vieux modèle et l'encastrer dans sa poitrine. Ah, l'oxygène. Oublié, le whisky, c'était le bon vieil air son nouveau poison. Il resta vautré à inspirer le plus profondément possible jusqu'à regagner un chouïa de cohérence, juste au moment où Rhodey faisait irruption dans l'atelier.

Tony se cramponna à lui comme un tigre saute sur sa proie.

« Où est Jon ? »

Le regard de Rhodey constituait une étude en confusion et tracas.

« Il devrait être avec Leah… »

L'ingénieur secoua la tête, s'efforçant piteusement de se lever tout seul.

« Obadiah… »

« Pepper est en chemin avec cinq agents pour l'arrêter » déclara Rhodey en le soulevant sans mal – oh, les avantages d'être à l'Armée.

Tony ferma les yeux. Priorités : Pepper et les agents ne s'attendaient pas à Obadiah en armure. Surtout pas avec le réacteur Marque Deux en renfort.

« Ça suffira pas. »

Un téléphone. Il fallait qu'il appelle Mary Poppins.