25 octobre 2009
« Vous savez, j'hésite vraiment à vous assigner le nom de code Mary Poppins » confessa Coulson, arborant son habituel sourire poli. « Vous faites tout pour le mériter, on dirait ? »
« Vous pensez ? » répondit affablement Leah, trônant royalement sur le sofa, une tasse de chicorée à la main, son opulente chevelure ramassée en tresse noire sur son épaule - l'image même d'une reine indulgente daignant recevoir un courtisan qui la divertit.
« Vous avez un accent anglais, vous occupez le poste de gouvernante auprès d'une famille riche, vous pratiquez la magie et vous utilisez un parapluie pour voler » résuma l'agent secret. « Est-ce que j'oublie quelque chose ? »
« Vous oubliez que le parapluie est un développement récent » rappela son interlocutrice après avoir siroté une gorgée de sa tasse. « Très franchement, j'ai saisi le premier objet qui me tombait sous la main. Il aurait pu s'agir d'un cintre, et cela aurait tout aussi bien fonctionné pour moi. »
« Mais c'était un parapluie » insista Coulson, « et maintenant, Œil de Faucon et Oiseau Moqueur ne veulent plus vous appeler autrement que Mary Poppins. Je ne saurais leur en tenir rigueur, ne trouvez-vous pas, Miss Locke ? »
La jeune femme laissa durer le silence un petit instant.
« Anthony en deviendra insupportable » prédit-elle avec autant de conviction qu'un illuminé prophétisant la fin du monde pour Mercredi prochain. « Dès qu'il piratera vos serveurs, il apprendra mon nouveau matricule et il en sera intenable. »
Coulson émit un bruit de compassion - lui aussi avait goûté au charme particulier de Tony quand le milliardaire tenait à se montrer plus lourd qu'une baleine bleue affligée de surcharge pondérale aggravée.
« Je ne pense pas qu'il puisse contourner nos nouveaux pare-feux. Il ne devrait pas, d'ailleurs. »
« Phil, il est intrinsèque à la nature humaine de toucher ce qu'il ne faudrait pas toucher. Mettez un panneau accès défendu quelque part et vous verrez que la peinture n'aura même pas le temps de sécher avant que le premier fouineur se présente » déclara très cyniquement - et réalistement - la sorcière. « Quand à ce qui est de ne pas pouvoir, je vous rappelle qu'Anthony est un génie certifié dans les domaines de la robotique et de l'informatique. Tout obstacle relevant de ces domaines sera au plus considéré comme un casse-tête à résoudre. D'ailleurs, il s'est plaint de vos défenses arriérées et aimerait que vous corsiez le mélange. Si vous en êtes capable, bien entendu. »
Ayant débité ce petit laïus sans perdre son aimable sourire, Leah porta de nouveau sa tasse à ses lèvres. Mine de rien, Coulson ne pouvait qu'admirer la manière aussi élégante que nette avec laquelle elle l'avait remis en place. Tout insupportable que fut Stark, nul ne pouvait lui reprocher de ne pas s'entourer de gens de qualité - Miss Locke comme Miss Potts étaient deux véritables perles, et M. Hogan doublait comme un garde du corps parfaitement respectable.
« Puisque nous en venons au sujet qui fâche, où se trouve votre employeur ? » interrogea-t-il.
La femme reposa sa tasse sur la soucoupe de la table à café, faisant tinter musicalement la faïence blanc et or.
« Au chevet de Jon. Il a fallu le menacer pour qu'il accepte de se laisser examiner par un docteur, le combat contre Stane a laissé des marques. Où est passée cette ordure, au fait ? »
« Mort » annonça crûment l'agent - il doutait que des condoléances soient appréciées, vu que les derniers actes de l'homme avaient été d'abuser de la confiance de son employeur avant d'essayer de le voler et de le tuer. « Le corps humain est malheureusement très sujet à se désintégrer à proximité d'une explosion violente. »
« Voilà qui lui apprendra » laissa tomber Leah, les yeux aussi secs que le désert de Gobi en pleine canicule. « L'explosion a-t-elle causé beaucoup de dégâts ? Stark Industries peut payer les réparations, vu que l'armure utilisée était un produit Stark... »
Coulson toussota dans son poing.
« Concernant l'armure » glissa-t-il, « les choses sont un peu délicates. »
« Comme toujours. Laissez-moi deviner, un jouet tout nouveau tout beau vient de dévoiler son existence, et tout le monde veut le même ? »
« Des explications suffiront pour l'instant » nuança l'agent. « Dites-moi, votre employeur ne serait-il pas justifié s'il engageait un garde du corps extrêmement compétent ? »
Le cerveau de Jon pulsait douloureusement contre sa boîte crânienne brusquement trop petite d'au moins deux tailles. Et le bourdonnement strident tout proche n'arrangeait rien. Un bourdonnement qu'il connaissait. Qui talonnait son père devant le voyage en Afghanistan.
Il avait froid. Il ne se rappelait pas avoir eu froid dans la voiture. C'était quand Tilly l'avait emmené voler - c'était un rêve, non ? Voler au-dessus de Los Angeles dans les bras de Tilly. Ou peut-être pas. Tilly était trop géniale pour laisser le réel lui imposer ses règles.
Un frisson secoua plutôt brutalement sa charpente de neuf ans et il laissa échapper un hoquet. Puis une grosse couette vient le recouvrir jusqu'au cou et il se détendit un peu.
« T'aimes vraiment pas les médicaments, hein, champion ? »
La voix de Papa était bizarre, comme s'il venait de s'enrhumer. Mais sa main était toute chaude, et Jon le laissa avec bonheur caresser son désastre capillaire - comme Rhodey appelait son épaisse masse de boucles brunes.
« C'est bon, champion. C'est fini. Personne ne t'a rien fait. Personne ne te fera rien. Plus jamais. »
Une goutte tomba sur le visage de Jon, tout près des yeux, puis une autre qui lui atterrit droit sur les cils. Elle piquait exactement comme une larme.
26 octobre 2009
A priori, le plan était d'une simplicité forçant l'élégance : Anthony était supposé se rendre à une conférence de presse, assurer que non, Stark Industries ne comptait pas utiliser le prototype nouvellement développé d'armure robotique pour se lancer dans le terrorisme, et déclarer que le pilote Iron Man - il fallait reconnaître que ça sonnait bien - était un employé de la corporation préférant conserver son intimité afin de mieux remplir ses fonctions de garde du corps.
Le problème, c'était que Fury - celui qui avait suggéré le plan - avait oublié de prendre en compte un facteur crucial, lequel aimait boire plus que de raison et préférait qu'on l'appelle Tony plutôt que par son nom de baptême - façon de parler, vu qu'un Juif Américain même non pratiquant n'irait pas conférer un sacrement catholique à sa progéniture.
« ...La vérité, c'est que... Je suis Iron Man. »
Quand ces mots s'étaient échappés des haut-parleurs de la télévision occupée à rediffuser la scène, Leah avait senti Jon se raidir dans ses bras et avait muettement béni le bouclier anti-impulsion électromagnétique qui protégeait l'appareil de surcharges et implosions magiquement induites, comme la vague de pouvoir émanant du petit corps de sa charge aurait sans doute réduit un engin non protégé en un tas fumant d'électroniques.
Ceci dit, cette bénédiction n'occupait qu'une très petite partie de sa psyché comparée à la furie incandescente prête à gicler d'elle façon éruption du Krakatoa, tout aussi meurtrière et dévastatrice. Qu'est-ce qui avait pris à Anthony, bon sang ? Il venait de s'accrocher une cible autour du cou, ainsi que celui de tous ses proches ! Maintenant, le premier détraqué venu saurait à qui s'en prendre pour intimider les masses ! Il ne lisait donc pas les rapports concernant les agressions des forces de l'ordre via les gangs, terroristes et autres malades désireux de frapper de terreur les esprits ?
« Un super-héros » cracha la voix de Jon, la détournant de sa - parfaitement légitime - vertueuse colère. « Il joue à Batman, mais dans la vraie vie. Un super-héros. »
La façon dont le mot était tombé de la bouche de chérubin donna à la nounou l'envie immédiate de sortir le détergent pour lui récurer la langue. Cependant, le garçon dardait un regard noir charbon sur le téléviseur et le bouclier anti-IEM commençait à vaciller sous la pression.
« Johnny » dit-elle d'une voix neutre. « Je veux que tu te calmes. »
Deux prunelles bleu incandescent se braquèrent sur elle. Si les regards pouvaient tuer, elle serait morte sur le coup.
« Me calmer » lâcha-t-il d'un ton arctique. « Papa compte se mettre en danger jusqu'à ce qu'un taré quelque part ait un coup de pot et tu veux que je sois calme. »
« Oui » répondit-elle, le fixant bien dans les yeux, sa prise ferme sur la charpente juvénile. « Tu va suivre la technique que je t'ai enseignée pour avant les séances de piano. Tu va respirer, lentement, profondément... »
Sous l'autorité de sa voix, l'enfant obéit d'instinct.
« Retiens ton souffle, une, deux secondes... Expire lentement, une, deux, trois secondes. Inspire à nouveau, une, deux, trois secondes, oui... »
Il fallut répéter le processus quatre fois pour que Jon reprenne à peu près ses esprits et s'avachisse comme une nouille trop cuite dans les bras de Leah. Elle passa machinalement la main dans ses cheveux sombres, enroulant une boucle épaisse autour de son doigt.
« Tu te sens mieux ? La tête plus claire ? »
« ...Je le déteste » hoqueta Jon, les yeux humides.
Elle le laissa se cacher le visage dans le col de sa chemise tandis qu'elle le berçait gentiment.
