Tout au fond de lui, Phillip Coulson savait que certains enfants ne grandissaient jamais totalement. De tels cas pouvaient bien vieillir et atteindre la maturité physique et mentale, mais ne parviendraient jamais à devenir de vraies grandes personnes.

Il savait qu'il en était un. Nonobstant son admiration opiniâtre pour Captain America, il ne pouvait pas expliquer autrement le frisson de pure extase qui l'avait saisi lorsque le dossier mis à jour de Leah Locke était parvenu sous ses yeux et qu'il avait réalisé que oui, la magie existait, et les sorcières ne se trouvaient pas juste dans les contes de fées.

Vraiment, combien de gens pouvaient-ils prétendre avoir rencontré une sorcière à l'époque moderne, sans parler d'avoir eu plusieurs occasions de converser avec elle ? La seule chose qui serait encore mieux, ce serait de rencontrer Steve Rogers en chair et en os.

Oui, Phillip était bien conscient de sa chance monumentale. Ceci dit, son émerveillement béat ne voulait pas dire qu'il ne ressentait pas une pointe d'agacement devant la complication que venait de lui infliger Miss Locke. Mais il aurait probablement dû s'en douter, la fréquentation prolongée d'Anthony Stark ne devait pas manquer de laisser des traces.

« Aux dernières nouvelles, nous ne sommes pas une garderie » fit-il remarquer d'un ton aimable, dévisageant le garçon mal peigné qui lui renvoya un regard aussi bleu qu'inexpressif.

La sorcière eut un petit sourire légèrement pincé.

« Je le sais parfaitement. Hélas, en raison de… complications familiales, dirons-nous… je préfère ne pas quitter Johnny des yeux pour le moment. Simple précaution, vous comprenez. »

Phil avait une certaine idée des complications en question et ne pouvait guère reprocher à Locke de chercher à distraire son pupille de la mort imminente de son père. Ce qui ne changeait toujours en rien le fait qu'un enfant n'avait rien à faire entre les murs de SHIELD.

« Ne vous inquiétez donc pas, Johnny ne vous dérangera pas du moment qu'il a ses feutres. Et il ne s'en sert que sur son carnet, c'est promis. »

Cependant, le garçon semblait avoir décidé d'ignorer la conversation des adultes pour se lancer dans une partie de Pac-Man sur son StarkPhone, en parfait représentant de la jeunesse moderne. Allez savoir, peut-être qu'il n'essaierait pas de pirater les ordinateurs cryptés ou de faire grimper la tension artérielle des techniciens comme Stark père aimait tant à le faire…

« Barton ? Surveillez-moi le petit, vous me ferez plaisir » finit par dire Coulson, se débarrassant honteusement du problème sur le troufion adéquat le plus proche – Barton avait des enfants, il ne risquait pas de se retrouver en terrain inconnu, même s'il était ici question d'un gosse de riche. Qui se trouvait aussi être un apprenti sorcier. Un enfant restait un enfant.

L'archer lui adressa un regard pas franchement impressionné avant de demander au garçon s'il ne voulait pas le suivre dans un lieu plus calme. Jon Stark suivit sans décoller les yeux de son écran portable.

« Alors » lança Locke une fois l'agent et le garçon hors de leur champ de vision immédiat, « vous disiez avoir trouvé un artefact potentiellement magique ? »

« En tout cas, les radiations que ça dégage sont assez costaud » nuança Phil tandis qu'il lui faisait signe de le suivre. « Nos seules données comparables sont celles fournies par les mises au point du bouclier anti-impulsion électromagnétique de votre employeur... »

« Qu'Anthony a conçu pour pouvoir résister aux décharges magiques » termina la sorcière pour lui.

« Exact. Nous y voilà » annonça-t-il en soulevant un rabat de plastique.

Il se demandait comment réagirait Locke à la vue du marteau : les experts de SHIELD avaient donné dans la confusion et l'ahurissement, en grande partie car l'objet dépassait largement la zone de confort à laquelle se reléguait leur expertise. Coulson ne savait pas pourquoi, il soupçonnait que « Mary Poppins » prendrait la chose différemment.

Il ne fut pas déçu : la lueur qui brilla dans les prunelles vert poison tenait plus de l'avidité qu'autre chose. Et la façon dont la sorcière approcha l'objet – presque prédatrice, une panthère qui voit une gazelle égarée ou une ménagère qui aperçoit un article soldé à soixante-dix pour cent. Une convoitise indéniable, un je veux si virulent qu'il en devenait tangible.

Elle posa presque la main sur la poignée, mais s'arrêta au tout dernier moment, penchant la tête sur le côté. Un geste de son annulaire fit apparaître – des runes ? Scintillant d'une lueur bleutée, enroulées autour de la tête et du manche du marteau.

« Voyez un peu ça » marmonna Locke avant de lancer d'une voix plus sonore : « Quelqu'un a-t-il essayé de déplacer l'objet, juste pour savoir ? »

« A peu près tous les habitants du coin » glissa Phil, « et l'un d'eux y est allé au treuil. La moitié de nos agents aussi, et je peux vous assurer qu'ils n'ont pas de fromage blanc à la place des muscles. »

La comparaison provoqua un reniflement amusé chez la sorcière.

« Rien d'étonnant. Un enchantement type Excalibur a été placé sur ce marteau : seul la personne en étant digne pourra le soulever, tous les autres ne réussiront pas à le déplacer d'un pouce. »

Les sourcils de Phil s'en allèrent conter fleurette à la ligne de ses cheveux.

« Si nous avons Excalibur, où se trouve le roi Arthur ? »

Les yeux vert se reportèrent de nouveau sur l'objet, cette fois remplis d'une profonde interrogation.

« Bonne question, en effet. »


Quand l'alarme avait retenti, Jon s'était lassé de Pac-Man depuis une bonne demi-heure et s'était mis à crayonner sa nounou improvisée sous les traits de Robin des Bois – vu que le type possédait un arc dont il avait soigneusement vérifié l'état tout en gardant un œil sur sa charge imprévue.

Barton – c'était le nom utilisé par l'Agent C, comme Coulson – semblait plutôt cool, vu qu'il avait un peu rigolé de se voir croqué en collants et chapeau à plumes. Et puis, l'arc. Normalement, les agents secrets utilisaient tout un tas de pistolets, ou des cannons intégrés dans leur voiture chic. Un arc, c'était pas commun et rien que pour le facteur nouveauté, Barton gagnait des points.

Ils n'avait pas discuté ensemble, Jon ne se sentait pas d'humeur bavarde et si Barton des Bois lui racontait ses aventures au service de Sa Présidentialité, il terminerait sans doute par sortir le neuroliser, et le garçon ne voulait pas se retrouver avec un trou de mémoire, merci beaucoup. Il faisait pas confiance aux réglages pour ne lui couper qu'une heure de souvenirs plutôt que cinq ans.

Et puis, l'alarme. Apparemment, un poivrot quelconque avait réussi à se glisser dans le complexe de draps plastifiés construit par les MIB, et les sbires n'avaient pas réussi à le mettre à la porte, si bien que Barton des Bois avait dû aller intervenir. Ou peut-être pas. Le type avait été arrêté et mis au secret, mais Barton n'avait pas explicitement dit que c'était grâce à lui. Après avoir eu Tilly comme nounou, Jon se méfiait un peu de la façon dont les gens disaient les choses.

La manière dont l'archer avait dit que l'intrus voulait juste faire le mariolle avec « quelque chose » qui se trouvait ici même avait titillé la curiosité du garçon. Si vraiment la lignée Stark souffrait d'un défaut, c'était sa tendance à fourrer le nez là où les autres ne le voulaient pas. Un petit mensonge comme quoi Jon avait besoin d'aller faire pipi et voilà, plus de nounou, et il pouvait aller voir par lui-même la raison de ce charivari.

Ça sautait aux yeux qu'il s'agissait du marteau planté dans le bout de caillou, et pourtant Jon éprouvait une vague déception : il s'était attendu à plus spectaculaire. Mais c'était un marteau tout bête, qui n'avait pas vrombi, clignoté ou sifflé quand le garçon en avait saisi la poignée pour le brandir en l'air de manière expérimentale.

Ouaip, rien d'impressionnant.

« Johnny ? Où es-tu passé ? »

Vite, le garçon reposa le marteau. Juste à temps, Tilly venait de faire son apparition. Elle semblait étonnamment détendue, un sourire paresseux aux lèvres.

« Vilain garçon, je devrais te mettre en laisse » déclara-t-elle d'un ton faussement réprobateur.

« Tu pourrais pas m'offrir un smoothie pêche, à la place ? » implora-t-il en lui faisant les yeux de chien battu dans un visage contrit.

Le sourire s'élargit.

« Mmh, tu sais quoi ? Peut-être bien que je vais le faire. Je me sens d'humeur pour un milk-shake aux fraises. »

Oh ho, il avait dû se passer un sacré gros truc si Tilly était d'humeur milk-shake. Ceci étant, Jon ne voulait pas creuser la question. Si Tilly voulait lui dire ce qui la mettait de si bonne humeur, elle le ferait.

Et peut-être bien qu'elle lui annoncerait que Papa n'allait pas mourir, en fin de compte.