Ils avaient fini par rester la nuit – apparemment, Tilly voulait examiner plus en détail le mystérieux marteau, et l'Agent C lui avait donné sa bénédiction de le faire. A titre personnel, Jon ne s'imaginait pas que la magie soit capable d'être aussi désespérément ennuyeuse qu'un dimanche après-midi pluvieux, et pourtant sa nounou réussissait ce tour de force rien qu'en s'asseyant devant un instrument de menuiserie pour le regarder si fixement que ses yeux auraient dû tomber de leurs orbites.
De son côté, le garçon avait profité sans honte de la cafétéria du SHIELD – oui, il avait mangé trois brioches à lui tout seul, les MIB n'avaient qu'à se servir avant s'ils n'étaient pas contents – gribouillé la ligne d'horizon de Puente Antiguo dans son carnet de croquis et entamé une partie d'Angry Birds. Il avait presque l'impression d'être déjà en vacances.
Et puis, le robot tueur était arrivé.
L'espace d'une folle seconde, Jon s'était demandé ce que son père avait trafiqué ce coup-ci – un androïde de cinq mètres de haut qui tirait des rayons laser par les yeux, ce serait tout à fait dans les cordes de Tony Stark. L'instant d'après, il s'était rappelé que Papa avait décidé de fermer la division Armement de Stark Industries – ce qui avait bien enragé les patrons d'Oncle Rhodey – et conclu que Tony était probablement innocent des ravages que l'engin laissait dans son sillage. Ce qui constituait une véritable première dans la courte existence du jeune garçon.
Ceci étant, le fait n'en restait pas moins qu'un robot de cinq mètres de haut s'amusait à ravager une petite ville à l'aide de rayons laser qu'il tirait par les yeux, et vraiment, depuis quand Jon vivait-il dans un film d'action SF ? En y repensant, ça devait être – comme bien souvent – la faute de Papa : depuis qu'il avait décidé de se la jouer Batman version boîte de conserve rouge et or, le monde avait tourné zinzin.
La joyeuse bande d'évadés de Dongeons et Dragons n'avait pas arrangé les choses, et franchement, c'était juste incongru, attaquer une arme dépassant la pointe de la technologie actuelle avec une simple épée. Ils voyaient donc pas qu'ils s'étaient trompés de genre ? SF et fantasy, c'était pas du tout pareil, pourtant !
Et puis, le poivrot blond de l'autre soir – Jon le reconnaissait pour l'avoir vu sur les écrans de surveillance – était venu interférer. Fallait croire qu'il avait des pulsions suicidaires, et ça n'avait pas manqué, coup de laser en pleine poire, on s'en relève pas.
Alors qu'il observait la jolie dame se ruer sur le corps du blond, le garçon se fit intérieurement la réflexion qu'il s'agissait d'une scène extrêmement cinématographique, surtout visionnée sur le miroir à main rectangulaire de Tilly – elle s'en servait rarement pour autre chose que se recoiffer, elle ne maîtrisait pas vraiment bien la vision à distance et son maximum se limitait à cinq kilomètres autour d'elle.
En parlant de Tilly, celle-ci s'était mis à sourire en voyant l'ivrogne s'écrouler au sol. Le genre de sourire annonçant une humeur milk-shake, mais une provoquée par un pépin s'abattant sur quelqu'un lui tapant drôlement sur les nerfs. Comme cette fois avec le professeur d'aquagym – personne n'avait jamais réussi à prouver que Tilly était responsable, mais ça crevait les yeux que c'était elle.
Le sourire avait disparu dare-dare quand un fredonnement de magie avait envahi l'air. L'instant d'après, un rugissement déchirait l'atmosphère alors que le marteau s'arrachait à son confortable lit de caillou pour décoller comme une fusée, mais à l'horizontale, et peut-être qu'après tout, ce n'était pas juste un véritable instrument de menuiserie.
La supposition se trouva confirmée assez spectaculairement par la résurrection du poivrot ainsi que son relooking en héros d'épopée fantastique – complet avec la cape, s'il vous plaît.
« Ah non ! » explosa Tilly en frappant du poing la table sur laquelle reposait le miroir. « Non, c'est TROP facile, espèce de... »
Malheureusement pour Jon, elle se mit à baragouiner dans une langue qui n'était ni de l'anglais, ni de l'italien, ni du français, et c'était bien dommage car le garçon savait qu'il ratait une occasion en or d'accroître son lexique d'injures de manière exponentielle.
Entre ça et l'absurdité science-fantasy se déroulant dans les rues dehors, cela ne devait pas être sa journée.
2 juin 2011
« Si vous exigez un débriefing, je crains que vous ne vous exposiez à une grosse déception » déclara Leah de sa voix la plus caverneuse, son visage plus sévèrement maquillé qu'à son ordinaire. « Je refuse catégoriquement de revivre cette indicible catastrophe néo-mexicaine. »
Mine de rien, Fury pouvait la comprendre. Des Vikings aliens dégringolant sur Terre et traînant dans leur sillage la version démesurée du Terminator, n'importe qui s'en arracherait les cheveux par poignées.
Manque de pot, Fury était aussi chauve qu'un lavabo, et non seulement il avait eu à régler le problème Viking intergalactique, il avait dû se taper un insupportable génie technologique qu'il ne pouvait pas laisser crever – malgré lui, hélas – poursuivi par un criminel russkoff assez brillant pour copier le réacteur ARC et assez dingue pour s'en servir comme d'une arme de destruction massive, un soldat ayant décidé de virer Mr Hyde en plus musclé et un scientifique en cavale ayant ravagé Harlem parce qu'un abruti l'avait mis assez en rogne pour qu'il tourne au vert.
Le résultat de cette semaine pour le moins chargée, c'était que Fury n'avait pas de pitié en réserve pour autrui.
« Je veux ce rapport, Locke » grinça-t-il.
Sa vis-à-vis renifla non sans dégoût alors qu'elle laissait tomber une pochette en carton jaune sur la table métallique.
« Vous lirez ça tout à votre aise » déclara-t-elle en tordant la bouche. « Pour ma part, j'ai l'intention d'oublier que j'ai jamais été mêlée à cette… incursion alien en territoire terrestre. »
Fury lui adressa un regard perçant.
« Ça vous ravive de mauvais souvenirs, ces Asgardiens ? »
« Pourquoi cela serait-il le cas ? »
« A vous de me le dire, Locke. Ou peut-être que vous préférez Laufeyjarson ? »
L'expression de la sorcière ne se modifia pas d'un iota. Fury ne put s'empêcher d'éprouver une pointe d'admiration : seule Veuve Noire atteignait pareil niveau de contrôle sur ses émotions et ses réactions physiques.
« Pardonnez-moi, je crois que vous vous êtes trompé de nom. Qui est Laufeyjarson, exactement ? » demanda-t-elle d'un ton impeccablement poli.
« Juste la personne qui a empêché votre employeur de mourir au berceau. Un test sanguin très intéressant. Tout ce qu'on a trouvé de comparable, c'est l'échantillon prélevé sur le dénommé Odinson avant qu'il se sauve de l'hôpital, et comme vous le savez maintenant, Odinson n'est pas humain. Du tout. »
Pendant qu'il déroulait son petit discours, Fury continuait de scruter Locke qui refusait toujours de tiquer. Elle lui adressa un sourire quelque peu absent.
« Il en avait rudement l'air, pourtant. Vous voulez bien m'excuser, Directeur ? J'ai un enfant à charge, et s'il arrive en retard à son cours de piano, je me ferais tirer les oreilles à n'en plus finir. »
Il la laissa se lever et partir. Il savait qu'il ne se trompait pas, les analyses étaient trop précises pour induire SHIELD en erreur. L'appât était tendu, et tôt ou tard, Locke finirait par mordre à l'hameçon. Une fois ceci fait, et bien… Elle était déjà un atout, qu'elle vienne d'une autre planète ne changerait pas réellement grand-chose : elle n'arrêterait pas comme ça de servir de consultante en sorcellerie et arts arcanes pour l'organisation.
Le vrombissement du portable dans sa poche l'arracha à ses pensées.
« Quoi ? »
« Ici Coulson » fut l'introduction qui s'extirpa du téléphone, « évaluation des dégâts terminés à Puente Antiguo. Aucun mort, ce qui est un miracle, mais une quarantaine de blessés et de gros dégâts en bâtiments. »
« Fallait s'y attendre. Laissez la reconstruction à Sitwell, j'ai une autre mission à vous confier. »
« Comme vous voudrez, monsieur. En quoi consiste-elle ? »
Mine de rien, Fury sentit ses commissures se retrousser imperceptiblement. Quand Coulson comprendrait exactement de quoi il s'agissait, il ne manquerait pas d'entrer en extase, et le Directeur voulait vraiment être là pour voir sa tête.
« Récupération dans le cercle Arctique. On a retrouvé une propriété américaine inestimable. »
