23 février 2011
Quatre jours après les faits et Steve n'était toujours pas certain pour ce qui était de déterminer sa présentation officielle à la maisonnée Stark comme désastre ou bien réussite.
Pour les arguments en faveur du désastre, il y avait la gêne évidente de Jon vis-à-vis de sa personne – rien de très surprenant à vrai dire, il aurait menti s'il avait affirmé qu'il ne s'y attendait pas – et l'hostilité ouverte d'Anthony – là, c'était imprévu. Pour quelle raison le fils d'Howard le traitait-il comme un Boche atteint de la lèpre, au juste ? Les gens n'avaient pas pour habitude de réagir de la sorte aux amis de leurs parents, à moins que les mœurs n'aient vraiment évolué depuis la fin de la guerre…
Pour les arguments en faveur de la réussite, il y avait le fait que Leah – il n'avait appris le nom de la nourrice que vers la toute fin de sa visite et se grattait encore la tête concernant les moyens de transformer ce prénom en Mary ou Tilly, mais c'était sans doute un raisonnement inaccessible au commun des mortels – le jugeait visiblement comme une connaissance digne d'être cultivée, lui remettant son numéro de téléphone – un signe plutôt révélateur. Tout de même, Steve ne se sentait pas assez versé en technologie moderne pour risquer de la contacter autrement qu'en fixe. Pourquoi tant d'options dans les portables ?
Et puis, il y avait aussi la curiosité de Jon. Ce n'était pas grand-chose, et ça se cachait sous l'appréhension, mais c'était là. Une envie de soulever le casque de Captain America pour rencontrer Steve Rogers. C'était… plutôt positif, en fait. Steve ne s'était jamais senti – ne se sentait toujours pas – à l'aise avec l'image de héros victorieux créée autour de lui. D'accord, il représentait une avancée majeure de la science, d'accord, il avait été en première ligne pendant la boucherie internationale de 39-45, d'accord, il avait contribué à sauver les États-Unis…
Mais ça ne changeait rien au fait que Steve n'avait été qu'un gamin de Brooklyn, plus mal loti que la majorité, et ce pendant la plus grande partie de son existence. Certes, devenir un super-soldat avait été un événement crucial de sa vie, mais Captain America restait quelque chose de récent pour lui. Steve Rogers était bien plus familier.
Et c'était Steve Rogers qui intéressait le petit Stark.
La sonnerie du téléphone fixe vint l'arracher à ses pensées.
« Oui ? »
« … Est-ce que c'est un mauvais moment ? »
Les sourcils du super-soldat remontèrent sur son front alors qu'il entendait la voix aiguë de Jon dans l'écouteur, affligée d'intonations métalliques mais toujours reconnaissable.
« Non, pas du tout. Mais… tu ne devrais pas être en cours ? »
« C'est le mercredi, on a l'après-midi de libre. Tatie P et moi, on en profite pour visiter l'expo d'art contemporain à l'Agora Gallery. »
« Ah. Bon, ben… c'est sympa. »
« … Elle est pas encore arrivée. Vous voulez venir aussi ? »
Steve resta muet l'espace de plusieurs interminables secondes.
« Je ne veux pas déranger » finit-il par protester.
« J'aurais pas appelé si j'avais pensé que vous alliez pourrir la visite » rétorqua le gamin, une intonation impérieuse rappelant furieusement Peggy dans sa voix. « Alors, vous dites quoi ? »
L'adulte hésita brièvement.
« Où est-ce que tu te trouves ? Que je sache où est le point de rendez-vous. »
14 avril 2011
Si Fury considérait Phil Coulson comme son meilleur agent, c'était pour une bonne raison, qui était que ses plans avaient plus de chance de réussir que de capoter. Mine de rien, Coulson connaissait son affaire.
Et une fois de plus, l'agent venait de prouver sa valeur, par la réussite d'un plan élaboré sur une base quelque peu bancale, et endurant stoïquement la pénalité qui s'était abattue sur lui pour en avoir été l'instigateur – Fury nierait avoir peur de Leah Locke, mais cette femme en colère pouvait faire montre de son froid déplaisir d'une telle manière qu'il ne pouvait s'empêcher d'en rester pantois.
Steve Rogers souffrait de son statut de « déplacé dans le temps », ça se voyait autant que le nez au milieu de la figure. Franchement, c'était un peu inévitable que se retrouver décongelé soixante-dix ans après le moment où vous vous attendiez à mourir aie des répercussions – donc, pas de surprise sur ce point. L'important, c'était que Rogers parvienne à dépasser sa dépression : le monde n'avait pas besoin d'un énième vétéran de guerre incapable de fonctionner dans le monde actuel pour cause de traumatisme.
Seulement, puisque la méthode orthodoxe du départ en thérapie avait été refusée mordicus, il avait fallu recourir à une tactique plus sournoise, avec nettement moins de chances de réussite – près d'une décennie de surveillance de la famille Stark montrait nettement la hargne de l'actuel patriarche à l'endroit de la légende vivante, ce qui ne laissait guère augurer du positif concernant une relation future.
Le rejeton, par contre, était nettement plus prometteur. La preuve, il essayait de construire un lien avec le grand-père qu'il venait de se découvrir. Oh, ce n'était pas grand-chose – des petites visites, mais c'était sur les petites choses qu'on construisait les grandes, n'est-ce pas ?
Un problème de moins pour Fury, donc, ce qui n'était pas peu pour le réjouir – au moins ça n'allait pas empirer l'état de sa tension artérielle. Il n'avait qu'à expédier un agent pour observer discrètement la situation – Rogers étant un atout colossal pour SHIELD et le petit Stark en tant que personne d'intérêt, faiblesse potentielle de deux super-héros majeurs à surveiller de près.
Ceci étant, il avait un chouïa regretté de ne plus être sur le terrain quand il avait appris que le gamin avait traîné son grand-père à une séance en plein air de The Rocky Horror Picture Show – à en croire le troufion de service ce soir-là, l'expression du Capitaine avait été absolument mémorable.
27 juin 2011
« La Marche Impériale ? » lâcha Steve incrédule.
« Pourquoi pas ? » répondit Jon d'un ton léger, les doigts déjà posés sur le clavier du piano. « C'est plus marrant que de rejouer les classiques ! »
Si Steve avait eu l'occasion d'apprendre quelque chose au sujet de… Jon – il ne pouvait pas dire son petit-fils, le mot lui restait coincé dans la gorge – c'était que le garçon, en dépit d'une certaine maturité pour son âge, n'avait pas moins hérité une dose non négligeable de l'excentricité d'Howard.
Ça et le petit était ouvertement un artiste. Durant ses études à Auburndale, Steve avait eu l'occasion de croiser nombre de personnalités fréquemment très colorées, même si lui-même avait été plutôt raisonnable – mais après tout, l'art était un passe-temps à ses yeux. Il ne construisait pas sa vie autour – pas comme Jon semblait graviter autour du piano et du dessin, ou Howard et Tony autour de leurs gadgets.
Hum, qu'aurait pensé Howard en voyant son petit-fils investir tant d'énergie dans un domaine différent de l'affaire familiale ? Tony ne semblait pas avoir de problèmes avec ça, mais… Steve ne pensait pas non plus que ça l'enthousiasmait. Parce que les artistes étaient souvent incapables de gagner leur pain ou trop difficiles à comprendre, ou était-ce juste la déception de ne pas voir son fils suivre ses traces ?
Le super-soldat fit de son mieux pour écarter ces pensées alors que Jon entamait allégrement le massacre musical – la relation entre le petit et son père lui rappelait les explosifs de Dernier, et il ne préférait se trouver loin au moment de l'explosion, merci beaucoup.
« Si je puis interrompre cette performance » intervint la voix de Jarvis, tombant du plafond et poussant instinctivement le blond à lever les yeux pour chercher l'orateur, « une dame se trouve dans l'ascenseur, et insiste pour être reçue. »
« Va embêter Tony ou Tilly ou Tatie P » maugréa le garçon, tordant sa bouche pulpeuse en une moue boudeuse, « je suis occupée. »
« Notre invitée inattendue insiste pour que vous soyez présent, jeune maître » persista l'intelligence artificielle. « Elle semble désirer profondément vous remettre une invitation à rejoindre l'établissement scolaire qui l'emploie. »
Steve haussa les sourcils. Curieux, cette démarche – plus appropriée pour un vendeur insistant que pour une éducatrice. Encore un changement moderne ?
« Comment s'appelle l'école ? » voulut-il savoir.
« Ilvermorny. »
