Il y avait des gens qui vous donnaient envie de les baffer si fort que leurs arrière-petit-enfants en verraient trente-six chandelles. Ou de les oublier en petite culotte sur une île déserte infestée de cannibales.
L'invitée (indésirable) venue s'incruster à la Tour appartenait indiscutablement à cette catégorie, ça avait sauté aux yeux de Tony à l'instant où ils s'étaient croisés et qu'elle l'avait regardé comme on zyeute un singe en costard – une attraction intéressante, mais qui reste une bestiole en dessous de l'humanité.
C'était bien une circonstance atténuante pour qu'il la flanque dehors à l'aide de l'armure, hein ? Il était sûr que Mary Poppins n'irait pas lui grogner après pour ça, son sourire était trop mondain pour que l'autre vieille chouette ne lui tape pas également sur les nerfs. Peut-être même que ça la ferait rigoler, tiens – elle avait un sens de l'humour rudement vache, à l'occasion.
L'arrivée de Jon dans le salon le détourna de ses fantasmes pas du tout hospitaliers.
« Alors, qu'est-ce qui se passe ? »
Le sourire mielleux que la vieille bique adressa à son fils ne fit rien pour calmer la rage arctique menaçant de déborder de la poitrine de Tony pour se répandre dans son système veineux.
« Jon Stark, c'est bien ça ? »
Le garçon la regarda, puis recula en direction de Mary Poppins, laissant le champ libre à Tony pour s'avancer.
« Si vous ne dites pas pourquoi vous êtes venue, je vous flanque à la porte » annonça-t-il, sans besoin de se forcer pour injecter de la menace dans sa voix.
S'il avait été un homme moindre, le regard noir qu'elle lui balança lui aurait donné l'impression d'être un chien des rues venant de se soulager sur le beau tapis persan ultra-cher. Manque de pot pour cette vieille bique, il était Tony Stark.
« Monsieur Stark, vous avez certainement remarqué que votre fils est… différent ? »
Ses yeux bruns le détaillaient attentivement, et des heures et des heures de souffrance en soirées haute société ne lui firent pas faux bond pour ce qui était de décrypter le message caché : elle s'attendait à une réaction négative, du malaise, de la peur.
Il lui adressa son sourire le plus fluoré.
« Vous voulez parler de sa magie ? »
Oh, la belle mine de vache qui vient de dégringoler de l'avion sans parachute. Jarvis avait intérêt à avoir filmé ça, ce serait une scène pour le Top 5 du bêtisier.
« Quoi, c'est pour l'inscription ? » intervint Jon avec un impeccable timing, « Ben vous avez pris votre temps ! »
« Ne leur en veux pas trop, Johnny » ronronna Mary Poppins en lui déposant une main blanche sur l'épaule, « les bureaucrates, tu sais comment c'est. »
Tony aurait bien eu pitié de l'autre chouette mal embouchée quand la nounou tourna vers elle son sourire très rempli de dents, mais elle le méritait.
« Alors, si nous passions aux détails ? »
Steve se tenait debout les bras croisés dans le salon de musique – comme il appelait la salle où se trouvait le piano – quand la petite troupe de Stark vint le rejoindre.
« Jarvis m'a permis de voir la rencontre » lâcha-t-il d'une voix plutôt morne – et n'était-ce pas une expérience bizarre, de voir le téléviseur s'allumer de lui-même. « De la magie ? »
Anthony grimaça. Jon parut se recroqueviller. Leah saisit son écharpe qu'elle jeta en l'air, et le tissu moiré se changea en un gros corbeau noir bleuté qui alla se percher sur le piano, juste assez près pour que le super-soldat puisse le toucher.
« Si vous essayez de le caresser, Capitaine, vous verrez que ce n'est pas une illusion » déclara la gouvernante.
Steve regarda l'oiseau qui tourna vers lui ses petits yeux luisants et croassa.
« … D'accord, ma mère me disait toujours que sa mère était une vraie sorcière, mais ça va bien au-delà d'une mégère » finit-il par commenter.
Leah fronça les sourcils.
« Vous êtes certain qu'elle employait le terme sorcière dans ce sens-là ? » interrogea-t-elle, s'attirant l'attention des trois mâles de la pièce.
« Quoi, Mamie Bannière Étoilée aurait pu s'acheter un balai et un crapaud ? » lança Tony.
« Je te l'ai dit, c'est comme d'avoir les yeux bleus » rappela la nounou en haussant les épaules. « Tu peux les avoir, mais ça ne garantit pas que ce sera le cas avec tes enfants. Ce qui ne veut pas dire que quelqu'un ne peut pas en hériter plus loin dans l'arbre généalogique – en fait, c'est la théorie logique pour l'apparition de sorciers et sorcières au sein de familles ordinaires. Si tu remontes assez loin dans la famille, tu trouves à tous les coups un enfant qui est né dans une famille magique sans avoir de magie en propre... »
« Et deux ou trois générations plus tard, la situation s'inverse » poursuivit l'ingénieur, familier avec les gènes récessifs comme tout bon scientifique.
« Des fois, ça prend plus de quatre générations » nuança Leah, « mais le cas présent serait plausible. Ça expliquerait certainement Sarah Jean, puisqu'aux dernières nouvelles ni Steve ni Peggy ne peuvent se servir d'une baguette magique. »
Le super-soldat n'avait pu s'empêcher de ciller à la mention de Sarah Jean mais s'obligea à desserrer les poings.
« … Je ne peux vraiment pas dire. Maman ne s'est jamais beaucoup épanchée sur sa famille – une brouille ou une autre. J'ai voulu leur écrire quand elle est morte, mais personne n'a répondu. »
« Hum. Je pourrais creuser. Votre mère, quel était son nom de jeune fille ? »
« Ross, quelque chose comme ça » confessa Steve avant de se détourner de Leah.
Tout ce temps, Jon avait plié et déplié machinalement des prospectus dans ses mains, bariolés de couleurs étonnamment brillantes.
« Dis donc, champion, c'est quoi ça ? »
Les brochures ne ressemblaient pas aux dépliants habituels – ceux-ci n'utilisaient pas de parchemin, et les encres employées ne donnaient pas de frissons à Jon, courant le long de son dos à la manière d'une araignée en nuage. Étalées sur la table, elles attiraient immanquablement l'œil.
« Et scolariser le petit à la maison, c'est pas possible ? » voulait savoir Tony, et même sans tourner la tête Jon pouvait voir la moue de Tilly.
« Tout enfant magique de première génération se doit de recevoir l'éducation standard dans un établissement accrédité par le MACUSA » riposta-elle. « Refuser une invitation est considéré comme un signe alarmant, et les autorités s'empressent de retirer l'enfant à ses parents après leur avoir fait croire à la mort de celui-ci. »
« Excusez-moi ?! » s'écria Steve, sous le choc.
« L'Amérique du Nord magique ne fait pas confiance aux citoyens ordinaires. L'Inquisition espagnole et les procès de Salem, vous n'avez pas oublié les résultats ? »
« Mais c'était il y a des siècles ! Et ce n'est pas une réaction appropriée, qu'est-ce qui est arrivé aux Services Sociaux ? »
« La mentalité magique globale est restée coincée dans le Moyen Âge, malheureusement. Tout ce que nous pouvons faire, c'est jouer selon leurs règles. »
« Au moins on a du choix » commenta Tony en ramassant une des brochures, la bleu et vert. « Ouh là ? Système Salem ? Ils ont pas regardé les initiales, ces branques ? Et pourquoi Salem, avec les procès on imagine qu'ils fuiraient le nom… Na na na, une école secondaire dans chaque ville des États Unis appelée Salem ? Ambitieux, ça. »
« Vingt-trois localités » précisa Leah, « toutes rassemblées sous une même bannière. C'est plutôt expérimental, à ce que j'ai cru comprendre... »
« Effectivement » maugréa l'ingénieur, « regarde-moi ça, lancement du programme en 1997. Très école publique, cette histoire. »
« Jon, qu'est-ce que tu regardes ? » interrogea Steve, réalisant que le garçon n'écoutait pas. « Une minute – c'est une sirène ? »
Les deux autres adultes présents dans la pièce vinrent aussitôt se pencher au-dessus de l'épaule de Jon.
« Mais oui. Et – ça m'a tout l'air d'être une gorgone, ça. Et cette photo de groupe – vous voyez un humain là-dedans ? Moi pas, sauf au premier rang. Et encore, j'ai mes doutes. »
« L'institut Valnuit » lut attentivement Jon, concentré sur la bulle surmontée d'un œil violet pourvu d'un croissant de lune argenté en guise de pupille, « répondra à tous vos besoins spécifiques, que vous soyez vampire, cambion ou fae… Les fées existent ? »
« Pourquoi nous envoyer le papier ? » s'étonna Steve. « D'accord, c'est une école magique, mais elle a l'air concentrée sur les enfants d'origine, heum, non humaine. »
« Promotion de la mixité ? » suggéra Leah. « Comme ouvrir une école de filles aux garçons, ou accepter des élèves noirs dans un collège de blancs ? »
« Mise en place réussie d'un programme de correspondance avec Ilvermorny... » poursuivit Jon dans sa lecture, « opportunité d'échanges scolaires... »
« Ilvermorny, c'est bien celui-là ? » fit Tony en s'emparant de la troisième et dernière brochure. « La plus vieille académie sorcière du continent, hum, balèze. A formé les plus grands esprits américains du vingtième siècle, mouais, on se fait mousser, hein ? »
« Autant que l'Ivy League » glissa perfidement Leah, « c'est l'équivalent le plus proche dans le monde non-magique. »
Alors que l'ingénieur s'étranglait, Jon gardait l'air pensif.
Que choisir ?
