5 juillet 2011

« Alors, on est bon ? »

Alors qu'il hochait la tête, Jon songea que c'était dommage que ni Tatie P ni Rhodey ne puissent venir. Tilly avait été extrêmement claire sur ce que le monde magique américain pensait des non-majes (comme ils disaient) : inviter Tony, passe encore, Jon était son fils. La même excuse justifiait la présence de Steve. Mais une personne ordinaire qui n'avait aucun lien de sang avec une personne magique ? Le MACUSA en ferait un caca nerveux.

Je crois que je commence à comprendre pourquoi Tony se plaint autant du gouvernement…

Après avoir reçu trois confirmations, Leah se tourna vers la vieille affiche de Grease, laquelle détonnait assez dans cette ruelle propre et coquette de Los Angeles, se concentrant sur les deux personnages enlacés.

« Accès au Pueblo sollicité pour emplettes, s'il vous plaît » demanda-t-elle comme si c'était tout à fait ordinaire de parler à une affiche.

Le sourire encré de la fille dessinée s'élargit brièvement en guise de réponse, et sa main esquissa un bref signe d'invitation. La nounou s'avança avec assurance, droit dans l'affiche… et disparut.

« … D'accord, on aura des mots » marmonna Tony visiblement frustré par l'évaporation de son employée, alors que lui et Jon rentraient à leur tour dans le mur… seulement pour être surpris par la traversée d'un rideau de bruit blanc qui fit brièvement naître un point douloureux entre les yeux du garçon et derrière…

Jon battit des paupières. Wow, on vient de basculer dans la quatrième dimension. Non, une faille temporelle, plutôt. Une qui mène à quand Steve n'était pas en décalage avec l'époque.

Sérieusement, les passants et les boutiques sortaient tout droit des années 20, quand ce n'était pas carrément le Moyen Âge – à deux mètres d'eux, un type coiffé d'un turban rouge cerise assorti à une houppelande dont les manches traînaient par terre devisait avec un clone de Louise Brooks, chapeau cloche enfoncé sur de courtes frisettes et silhouette garçonne en robe taille basse. Drôle de contraste.

« Que – oh Seigneur » laissa tomber Steve visiblement sonné – et le garçon ne pouvait pas lui en vouloir, déjà qu'à lui, ça faisait bizarre…

Tilly arborait son sourire spécial Joconde, les yeux mi-clos.

« Bienvenue au Pueblo, le quartier magique de Los Angeles, et site de nos futurs achats scolaires. Tony, je sais que tu as très envie de tout décortiquer, mais abstiens-toi. J'ai amené une laisse et je n'hésiterais pas à m'en servir. »

La mine déconfite de l'ingénieur fit regretter à Jon de ne pas avoir amené son portable pour en prendre une photo – hélas, toute tentative d'équiper l'outil de son bouclier anti-IEM avait jusque là échoué.

Enfin, pour l'heure, shopping !


À titre personnel, Leah considérait les baguettes magiques comme des béquilles sur lesquelles la société sorcière occidentale se reposait tant qu'elle avait détruit son potentiel. Pas besoin d'être un mage surpuissant pour pratiquer l'arcane sans support matériel – témoin n'importe quel diplômé de Uagadou, l'académie africaine – mais confisquez sa baguette-béquille à un sorcier et le voilà incapable de se moucher tout seul. Pathétique, vraiment.

Hélas, le MACUSA imposait l'achat d'une baguette à tout élève débutant, si bien qu'ils se retrouvaient maintenant devant une boutique arborant l'enseigne Jonker et fils, baguettes de qualité depuis 1923. Enfin, elle ne permettrait jamais à Johnny de devenir dépendant d'un bout de bois, c'était garanti.

Une clochette tinta mélodieusement lorsqu'ils pénétrèrent dans un vestibule doté d'un sofa à l'air ignoblement confortable et d'un comptoir lustré. L'atmosphère embaumait la cire d'abeilles et la sciure.

« J'arrive, j'arrive ! » s'écria un homme au crâne plutôt dégarni en dépit de sa trentaine d'années en surgissant de derrière le rideau à moitié masqué par le comptoir. « Oh, ne me dites rien. Ce jeune homme vient de recevoir son inscription pour l'école ? »

« Ilvermorny » précisa Leah en répondant au sourire affable du vendeur par son propre sourire pratiqué durant les soirées mondaines.

Au bout du compte, c'était l'équivalent magique de Harvard qui l'avait emporté, le Système Salem n'ayant pas encore gagné une réputation convaincante et la minorité humaine de l'institut Valnuit n'encourageant guère un potentiel pensionnaire. Au moins Johnny bénéficierait du prestige du nom après le diplôme…

Le vendeur désigna le rideau d'un geste fleuri.

« Si messieurs et madame veulent bien me suivre... »

L'arrière-boutique était une grande salle très éclairée, où trônaient deux longues tables, l'une recouverte de diverses tiges de bois aux colorations variées, l'autre d'une multitude de boîtes plus ou moins rectangulaires. L'homme – probablement M. Jonker – s'empressa de diriger Jon vers la table aux tiges.

« Maintenant, jeune homme, je veux que vous fermiez les yeux et que vous vous concentriez sur les objets devant vous. Lequel résonne le mieux avec vous ? »

Le front plissé, le garçon s'exécuta, tendant la main au-dessus de la table. Son bras hésita l'espace de plusieurs secondes avant de se positionner vers une tige particulière.

« Heum… celle-là. »

« Bois de frêne » diagnostiqua Jonker d'un œil expert, « tendance à n'accepter qu'un seul maître, souvent têtu, toujours courageux… L'autre table, je vous prie. »

Une fois le processus répété, Jon choisit une boîte remplie de ce qui avait tout l'air d'une touffe de fourrure or roussi.

« Poil de womatou ! » s'enthousiasma le marchand de baguettes, « La spécialité de notre boutique, et un cœur très approprié pour un sorcier ferme dans ses convictions, qui n'a pas peur de défier la norme. Vous allez faire des vagues, monsieur… ? »

« Stark. Jon Stark. »

« Très bien, monsieur Stark. J'aurais besoin d'un peu de temps pour manufacturer la baguette, les commandes ne tarderont pas à pleuvoir, mais tout sera terminé à temps pour la livraison à l'école. »

« Comment ça, à l'école ? » s'étonna Anthony. « On ne peut pas venir la chercher à la boutique ? »

Jonker se tourna vers lui, sourcil haussé, avant de réaliser que son nouvel interlocuteur était habillé de manière beaucoup trop moderne pour un sorcier.

« Non-maje, monsieur ? La réglementation sur les baguettes appartenant aux sorciers de premier cycle est formelle, interdiction de s'en servir ailleurs qu'entre les murs de l'école. Il ne s'agirait pas que votre fils s'amuse à donner des oreilles d'âne à sa sœur, n'est-ce pas ? »

« J'ai pas de sœur » contra le garçon sotto voce.

« Enfin, remplissez ce bon, je vous prie, avec le nom de votre fils, les matériaux de la baguette et le nom de l'école où il est inscrit. Ce serait bête que la commande se trompe d'adresse ou de destinataire. »


« Johnny, ne t'éloigne pas trop, tu veux ? »

Le susnommé ne put s'empêcher de rouler des yeux. Franchement, il aurait onze ans à la fin du mois, Tilly pouvait bien le quitter des yeux plus d'une seconde sans que l'Armageddon ne se déchaîne, pas vrai ?

D'un autre côté, il était fils de milliardaire et un point faible pour Iron Man. C'était tout de même agaçant, surtout comme ils se trouvaient dans le monde sorcier qui, aux dernières nouvelles, ne connaissait même pas le nom Stark.

Non, arrête de ruminer du noir. Regarde tous ces livres, plutôt ! Des étagères remplies à craquer, et elles étaient forcément ensorcelées pour ne pas s'écrouler sous le poids de tous ces ouvrages aux couvertures multicolores et aux textures innombrables.

En tant que rejeton d'ingénieur, Jon était naturellement très familier avec les ordinateurs. Mais un livre dans les mains était une expérience à l'intimité incomparable.

Tous ces titres… Bestiarum Magicum… Les Charmes de Chadwick, volumes 1 à 7… Des Ratisseurs et de la naissance du MACUSA, oh, voilà qui semblait intéressant… Le Monde Non-Maje pour les Nuls ? Sérieusement ?

« Les livres pour la jeunesse, c'est de l'autre côté, tu sais. »

Jon se retourna et cligna des yeux : la fille qui venait de lui parler devait avoir douze ou treize ans, des lèvres noires et des yeux soulignés de khôl, ainsi que des cheveux partagés en mèches noires, dorées et argentées, assorties à son blouson doré, son écharpe et ses baskets argentées et sa jupe et ses collants noirs.

« Ils font des ratons laveurs qui parlent chez les sorciers ? »

Jon s'en serait donné des baffes : s'il y avait bien une chose sur laquelle Tony, tatie P et Tilly s'accordaient tous, c'était qu'il fallait respecter les femmes, par politesse et par instinct de survie.

La fille le regarda puis ses lèvres maquillées se retroussèrent en un sourire espiègle.

« T'es un marrant, toi. »

« Ollie, qu'est-ce que tu fais encore comme bêtise ? »

« Johnny, je t'avais dit de rester près… Oh, bonjour. »

Les deux femmes avaient surgi comme par enchantement – possibilité non négligeable – et se détaillaient attentivement, Tilly postée derrière Jon, la femme aux cheveux blancs juste à côté de la fille.

« Hum… Nouvel élève, j'imagine ? » hasarda la femme inconnue, après que ses yeux vert pétillants eurent examiné la tenue contemporaine de ses interlocuteurs.

« Tout à fait » répondit poliment Tilly, arborant son expression Joconde. « Pour vous aussi ? »

« Oh non, Olivia est déjà en seconde année à Ilvermorny. Vous y allez aussi ? »

Jon décida qu'il ne risquait rien à hocher la tête, et le sourire de la fille – Olivia – s'élargit.

« Super ! On va se revoir là-bas ! Moi, c'est Olivia Vertigo, et elle, c'est ma fée marraine, Alice Angel, aucun rapport avec le personnage... »

« Une fée marraine ? » répéta Jon choqué, provoquant un petit rire chez la femme aux cheveux blancs.

« Juste sa marraine. De l'association bénévole Marraines Magiques, nous introduisons les enfants de première génération au monde magique – vous ne connaissez sans doute pas, nous n'avons pas beaucoup de traction... »

Jon avait beau lui tourner le dos, il pouvait voir l'expression intéressée de Tilly.

« Oh, racontez-moi » ronronna-t-elle.

Ouaip, définitivement intéressée.