1 septembre 2011

Jon rajusta pour la douzième fois sa casquette Navy SEAL par-dessus ses incorrigibles frisettes brunes, ses doigts saisissant mal le tissu.

« Johnny, tu te rappelles la technique de la respiration ? » lui glissa Tilly qui avait remarqué son trouble.

« Je gère » affirma-t-il avec une assurance qu'il était loin de ressentir.

Vu le sourcil parfaitement dessiné qui remonta sur son front pâle, elle était loin de le croire mais s'abstint de tout commentaire alors que la voiture s'arrêtait.

« Nous y sommes » annonça Happy. « Griffith Park, juste dix heures et demie… ça va aller, champion ? »

« Je gère » répéta le garçon la bouche sèche avant de s'extirper de la voiture tandis que Tilly allait récupérer sa valise dans le coffre – pas n'importe quelle valise, un modèle TARDIS, s'il vous plaît, plus grande à l'intérieur qu'elle n'en avait l'air.

« Bon, et bien, nous devons y aller. Le temps que je dépose Johnny, je dirais être de retour vers moins le quart ? »

« Je vois. Champion ? Tu va tous les écraser. »

Jon fit de son mieux pour paraître rassuré par le sourire réconfortant de Happy, mais son estomac persistait à faire des nœuds, au point qu'il commençait à se demander si son petit-déjeuner n'allait pas rebrousser chemin dans son système digestif.

Le temps qu'ils arrivent à l'observatoire Griffith, Jon était certain d'avoir tourné à un joli vert pois cassé. Du calme. Rappelle-toi la lettre d'Olivia – tu ne va pas mourir dans d'atroces souffrances. Respire.

Le point de rendez-vous se situait sous l'un des arbres de la pelouse de devant. Apparemment, ils étaient les derniers arrivés, vu la dizaine de garçons et filles entourant une vieille dame. En fait, elle ne devait pas avoir plus de soixante ans mais ses cheveux totalement blancs ne la rajeunissaient pas, et le sourire qu'elle afficha à l'approche de Tilly et Jon déplut singulièrement au garçon.

« Jon Stark, c'est bien cela ? Tu es le dernier sur la liste d'appel. Dépêche-toi de prendre la corde, veux-tu ? »

Ce disant, elle lui indiqua la longue corde qu'elle tenait de sa main droite et à laquelle s'agrippaient les enfants réunis autour d'elle. Jon se retourna brièvement vers Tilly qui lui adressa un petit sourire avant de resserrer sa prise sur la poignée de sa valise et de s'avancer, se plaçant juste à côté d'une fille en robe rouge, sa longue frange noire ne parvenant pas à masquer le saisissant or ambré de ses yeux – une si jolie couleur…

La fille haussa les sourcils comme s'il avait fait le commentaire à voix haute et Jon s'empressa de baisser la tête, les joues brûlantes.

« Très bien, maintenant que nous sommes au complet… Trois, deux… Ilvermorny. »

Le monde se liquéfia aussitôt dans un tournoiement violent de couleurs. Si Jon n'avait pas déjà été nauséeux, ça et le brusque crochet l'ayant saisi en plein dans l'estomac n'auraient pas manqué de le rendre malade.

Et puis, tout aussi brusquement, le manège s'arrêta, laissant Jon haletant, sur les genoux, un point de douleur virulent entre les sourcils. À même pas un mètre de lui, un bruit répugnant suivi d'un glapissement indigné et accompagné d'une odeur acide lui indiqua que l'un des enfants n'avait pas réussi à garder son petit-déjeuner dans l'estomac.

« Il y en a toujours un ! » piaula la vieille dame – vu le vitriol de sa voix, elle avait dû se faire arroser les chaussures. « Allez vous répartir dans les vestiaires et mettez-vous en uniforme, compris ? »

Sur ces paroles pas très aimables, elle s'éloigna à grand pas, traînant par le bras une petite brune au teint blanchâtre, sans doute pour la récurer et changer de chaussettes. Jon avala sa salive, se releva et se tourna vers le hangar qui n'était certainement pas là une minute auparavant.

Si ça, ce n'est pas la preuve que je ne suis plus dans le Kansas, mon brave Toto, songea-t-il avant de passer la porte marquée du petit bonhomme bleu sans jupette. À l'intérieur, au moins une cinquantaine de garçons de son âge étaient occupés à se débarrasser de leurs fringues et à se rhabiller. Les oreilles en feu, Jon parvint à se caser dans un coin à peu près inoccupé et se tourna face au mur avant d'entamer la grande opération.

L'uniforme n'était pas très compliqué, juste un pantalon rouge et une chemise bleue sous une robe bleue à la doublure rouge, attachée au col par une broche en forme de nœud gordien. Il n'empêche, Jon aurait préféré garder ses jeans et t-shirt. Pour se rassurer, il vérifia que sa casquette recouvrait toujours ses boucles et se détourna du mur pour rejoindre la sortie.

« Ouille ! »

Le garçon qu'il venait de percuter avait les côtes étonnamment dures – il portait une cotte de mailles en dessous ou quoi ? – le teint café au lait et des yeux vert olive paniqués sous des frisettes presque aussi indomptables que celles de Jon.

« Pardon ! » s'écria-t-il aussitôt. « Tu t'es fait mal ? »

« C'est rien » répondit Jon alors que son coude le lançait affreusement. « Je me suis fait pire en tombant de mon lit. T'es qui ? »

L'autre garçon trébucha alors qu'ils quittaient la grange.

« Padby. Padby Lovatt. »

« Padby ? » répéta Jon qui trouvait au prénom une sonorité bizarre.

« Comme Padbol » marmonna son interlocuteur en fixant le bout de ses chaussures.

« Ah. Moi, c'est Jon Stark. Toi aussi, tu es le premier à aller dans une école magique ? »

Padby cligna des yeux.

« Heu, non. Je suis un troize – la troisième génération à être magique dans ma famille. C'était ma grand-mère la preums – comme toi ? »

« Oh » lâcha Jon surpris par la terminologie – ceci étant, c'était toujours mieux que né-moldu comme on disait en Angleterre, beurk. « Sympa de te rencontrer ? »

Vu l'expression surprise de Padby, il n'avait pas entendu cette phrase très souvent.


« On est presque arrivés ? » interrogea la fille aux cheveux bleus – probablement teints – d'un ton irrité.

« On est montés i peine dix minutes et c'est la troisième fois que tu poses la question » riposta Jon qui commençait à sentir monter l'agacement.

Padby lui adressa un regard reconnaissant tandis que la fille aux yeux dorés – celle qui était venue de Los Angeles avec lui – se penchait par la fenêtre de la calèche.

« On y est » annonça-t-elle d'une voix morne.

Les trois autres enfants l'imitèrent aussitôt, et le spectacle ne les déçut pas. Sous le soleil de fin d'été, l'immense château étincelait comme du mica, ses tours s'élançant impétueusement vers le ciel, des écharpes de brume s'accrochant à leurs flèches. C'était comme d'entrer dans une illustration, et les occupants de la calèche ne purent qu'admirer silencieusement tandis que leur véhicule progressait et passait le portail aux armoiries de l'école.

« Messieurs et mesdemoiselles » tonitrua un baryton au propriétaire camouflé alors que la calèche se garait dans la cour derrière plusieurs autres, « veuillez rejoindre la grande porte en descendant du véhicule. Laissez vos bagages dans le compartiment, ils seront acheminés séparément dans les locaux scolaires. Je répète, messieurs et mesdemoiselles... »

Docilement, le petit groupe de quatre obtempéra, rejoignant la masse grandissante d'enfants habillés de bleu et rouge qui s'agglutinait devant la porte encadrée par deux immenses statues de marbre, une femme et un homme vêtus à la mode puritaine. Il devait être midi et quart quand les portes s'ouvrirent sur une vieille femme en sévère robe rouge foncé, un châle sur les épaules.

« Bienvenue à vous tous » fit-elle d'une voix retentissante. « Je suis Agatha Harkness, proviseure adjointe d'Ilvermorny. D'ici quelques instants, vous allez être répartis dans les différentes maisons de l'école. Ces maisons seront pour vous comme une seconde famille, vous y suivrez les mêmes cours, dormirez dans le même dortoir et partagerez la même salle commune. Ces maisons se trouvent être le Serpent Cornu, le Womatou, l'Oiseau-tonnerre et le Puckwoodgenie. Par ici, je vous prie. »

Sur ces mots, elle tourna les talons pour s'enfoncer dans le château, et le flot d'enfants n'eut d'autre solution que de lui emboîter le pas, aboutissant dans un immense hall d'au moins deux étages : en haut et en face de l'entrée se trouvait un balcon divisé en quatre sections, et sous chacune se dressait une statue à côté d'un escalier menant au quadrant spécifique du balcon. Sur le carrelage de la salle s'étalait un immense nœud gordien doré.

« Quand j'appellerais votre nom » annonça le professeur Harkness, « vous vous avancerez sur le nœud gordien et vous attendrez la réaction de l'une des statues. Si plus d'une se manifeste, vous aurez le choix de votre maison. Commençons : Bard, Eli ! »

Un garçon qui semblait tout mûr pour s'oublier dans son pantalon s'avança au centre de la salle. Aussitôt la statue semblable à un puma – Womatou – poussa un rugissement, et la section du balcon la plus à droite éclata en applaudissements. Eli Bard fonça vers l'escalier qu'il grimpa quatre à quatre comme si le Diable le poursuivait.

Bien sûr, toutes les répartitions n'étaient pas si simples, comme le prouva « Ezili, Calypso ! » en s'avérant éligible pour Womatou et Serpent Cornu, finissant par choisir la seconde maison.

Quand « Jones, Coraline ! » fut appelée, la fille aux cheveux bleus se détacha du groupe de Jon, et se vit accueillie par l'Oiseau-tonnerre. Après elle vint Kale, Jennifer… Kaplan, William… Langtree, Gina…

Quand vint son tour, Padby reçut l'honneur d'être éligible pour le Serpent Cornu et l'Oiseau-tonnerre, se décidant pour le Serpent et les rejoignant avec l'air de vouloir disparaître sous terre.

Lushton, Sylvie… Marks, James… McSharran, Dave… Payne, Eric… St Ives, Isabel… Sefton, Amanda… Shepherd, Thomas…

« Stark, Jon ! »

Les jambes lourdes, le garçon s'avança. Respire. Tu es un Stark.

La statue du Womatou rugit. Les oreilles tintantes, Jon gravit l'escalier dans un état second, réagissant à peine aux souhaits de bienvenue qu'on lui adressait et n'entendant que distraitement « Thorne, Jane ! » être envoyée à Puckwoodgenie.

Turk, Harrison… Unuscione, Carmella… Van Patrick, Michael… Van Roekel, Niles… Vargas, Taylor… Vickers, Clive…

Jon ne reprit ses sens que lorsque « Wade, Alma ! » rejoignit la maison Womatou. Presque irrésistiblement, son regard se posa sur la fille aux yeux dorés, et ne la quitta plus jusqu'à ce que la répartition s'achève avec l'envoi de « Weatherly, Amelia ! » à l'Oiseau-tonnerre.