2 septembre 2011

Lorsque Jon se réveilla en sursaut – après un rêve où il essayait désespérément de combattre des zombies gériatriques en bermudas qui le pourchassaient en patinette en leur soufflant du fond de teint dessus – il eut besoin d'un moment afin de se rappeler pourquoi il se trouvait dans un lit double, en compagnie de trois autres garçons occupés à ronfler allégrement, dans une chambre qui n'était certainement pas celle qu'il occupait à la Tour Stark ni dans le manoir de Tony à Malibu.

Ah oui. Hier, je suis devenu un apprenti sorcier.

Une fois la Répartition terminée, les douze coups de midi avaient sonné et toute la joyeuse marmaille étudiante avait été emmenée au réfectoire afin de déjeuner et de socialiser un peu. Pour sa part, l'héritier Stark ne s'était guère adonné à ces deux activités, encore trop nerveux pour faire plus que grignoter et échanger les politesses d'usage. Personne ne s'en était offusqué, les première année étant apparemment ou d'incorrigibles pipelettes ou d'irréparables muets.

Une fois les assiettes vides, les élèves avaient été séparés en divers groupes selon leur année et amenés dans la salle où étaient rangées leurs baguettes. La législation américaine était furieusement restrictive à ce sujet – il fallait carrément demander un permis pour avoir le droit de s'en servir une fois parvenu à l'âge adulte – si bien qu'un sorcier de premier cycle n'était autorisé à utiliser sa propre baguette qu'entre les murs de l'école, toute période de vacance entraînant une confiscation immédiate.

Forcément, certaines personnes s'étaient trompées d'instrument, ou bien celui-ci ne s'était pas accordé correctement avec elles : ces malchanceux avaient provoqué plusieurs tirs d'étincelles, fumées malodorantes, même des bulles gélatineuses dans un cas. Pour sa part, Jon n'avait pas rencontré de problème quand il avait enfin pu toucher la baguette envoyée par Jonkers.

C'était plutôt un bel instrument, avec des incrustations en nacre sur la poignée – la marque signature de la maison, comme indiqué par la réclame – assez souple et long de vingt-six centimètres, duquel avait émergés des flocons vert et or quand il avait refermé les doigts dessus. Mine de rien, il pouvait comprendre la tentation de s'en servir pour le moindre prétexte, la baguette avait été si accommodante sous sa main… Si seulement le Congrès Magique n'avait pas établi une réglementation aussi draconienne, et que Tilly ne soutenait pas celle-ci – un des rares accès d'intelligence de la société sorcière, comme elle disait.

Et après… après, était venu le moment de s'installer dans les dortoirs. Non seulement ceux-ci se montaient au nombre de quatre – un pour chaque maison – ils étaient segmentés en section pour chaque année et en sous-section de quatre, afin d'assurer un minimum d'intimité aux pensionnaires. Basiquement, ce serait comme de partager sa chambre avec ses frères et sœurs.

Sur ce terrain-là, Jon avait été épouvantablement désavantagé de par son statut de fils unique – qui était un miracle en soi, Tony courait tellement le jupon que le garçon n'en revenait pas de ne pas avoir un cadet illégitime. S'habituer à non pas une mais trois présences proches de vous alors que vous essayez de dormir… ouais. Et à onze ans, par dessus le marché.

Il aurait bien voulu atterrir dans la même maison qu'Olivia – ça lui aurait fait un visage familier, au moins – mais celle-ci se trouvait à l'Oiseau-tonnerre, et n'avait des contacts que dans ce groupe-là et dans le Serpent Cornu. Autrement dit, Jon allait devoir se débrouiller tout seul pour ce qui était de se faire des amis dans sa propre maison.

Le garçon s'obligea à fermer les yeux et à respirer lentement, jouant la baleine souffleuse selon la tactique de Tilly. Il était un Stark, il pouvait y arriver. Après tout, Tony avait réussi à fuir une cellule terroriste en construisant une armure avec trois fois rien, et Steve avait survécu à une sieste de presque soixante-dix ans dans les glaces du Pôle Nord. À côté de ça, se retrouver au collège, ça devrait être une promenade de santé, non ?

Sauf qu'il avait beau se répéter ça, le nœud glacé niché derrière son nombril refusait de fondre.


Comme chaque matin depuis l'Incident – deux jours avant son huitième anniversaire – Alma Wade s'obligea à imaginer un mur autour d'elle. Incassable, imprenable, infranchissable. Le résultat final n'était jamais totalement étanche, bien sûr, mais ça devrait faire l'affaire. Même soumis à l'assaut incessant de pensées enfantines et adolescentes.

Dans son foyer d'accueil, elle n'avait été approchée et n'avait interagi qu'avec des Occlumens expérimentés, lesquels faisaient de leur mieux pour rendre leur bruit mental aussi plat que possible. Oh, ils dégageaient un faible chuchotis en dépit de tous leurs efforts, mais ça restait bien mieux que l'effroyable boucan chaotique qui grondait actuellement autour d'elle.

Pourquoi ne pouvait-elle pas être scolarisée à domicile, déjà ? Ah oui, parce qu'elle était une « personnalité antisociale » et « avait besoin d'interactions de son âge », tout ceci Pour Son Bien, forcément. Elle aurait voulu liquéfier les yeux de la Yewbeam quand la vieille bique lui avait dit ça la bouche en cœur, comme si ce n'était pas son pire cauchemar.

Enfin, songea-t-elle lugubrement alors qu'elle descendait dans la salle commune, avec un peu de chance, les autres élèves lui ficheraient la paix dès qu'ils réaliseraient combien elle était anormale… Hé, minute, encore lui ?

Impossible de se méprendre sur l'identité du garçon qui venait de sortir de l'une des chambres côté mâle, un brun minuscule aux yeux aussi bleu, il ne devait pas y en avoir des masses. Encore moins qui soient totalement silencieux.

Alma avait réalisé à quel point Petit Bleu était bizarre lorsqu'il avait accidentellement croisé son regard lorsqu'ils avaient pris le Portoloin. Normalement, un contact oculaire ouvrait un esprit, lui permettant de le lire immédiatement, et ce en dépit d'elle-même. Jamais un moment agréable.

Sauf qu'elle n'avait pas du tout réussi à connecter avec l'esprit de Petit Bleu. Elle avait été si déroutée qu'elle avait été jusqu'à initier un autre contact oculaire, seulement pour se heurter au même silence épais, la même barrière têtue, comme un barrage de flocons tombant si dru que vous ne pouvez même plus voir votre propre nez.

Et non, ce n'était pas une anomalie résultant de son état mental d'hier. La preuve, c'était que Petit Bleu était toujours aussi muet ce matin.

Alma prit conscience avec un peu de retard qu'un regard insistant pouvait être source de malaise quand le garçon se détourna, le peu d'oreilles dissimulé dans la masse frisottée de ses cheveux ressortant en rose vif. Oups.

Il allait falloir qu'elle s'excuse, n'est-ce pas ?


« Vraiment ? » lâcha Rhodey d'un ton incrédule – et après toutes ces années à fréquenter Tony Stark, il en fallait une certaine couche pour le désarçonner.

Une Pepper à l'expression éreintée hocha la tête.

« Le syndrome du nid vide dans toute sa splendeur » déclara-t-elle en se pinçant l'arête du nez. « Leah était à peine revenue après avoir déposé Jon qu'il est allé se coucher et a refusé de se lever. Quand je suis allé le voir, il avait ressorti une des peluches du petit pour dormir avec. »

« … Je croyais que Jon avait mis ses peluches au placard après ses sept ans ? Tu sais, comme quoi il était à l'âge de raison » rappela le militaire.

« Disons que quand il a des motifs de stresser violemment, le petit a besoin de se rassurer » confessa la rousse. « Par exemple, la perspective de partir en internat à l'autre bout du pays. »

Un ange passa.

« Est-ce qu'il en a pris une dans sa valise ? » finit par interroger Rhodey.

« Oh, il a dit qu'il ne voulait pas qu'on se moque de lui, mais je n'arrive plus à retrouver l'espèce de diablotin couineur envoyé par Olivia, tu sais, la fille dans l'année au-dessus de la sienne ? Du coup, Tony a pu se rabattre sur le gros patapouf. »

« Attends, le chien, là ? Assez gros pour servir d'oreiller ? Velu à souhait ? »

« Celui-là même » confirma Pepper.

Un second envoyé biblique emboîta le pas à son congénère de tout à l'heure.

« Dis-moi que tu as pris des photos » supplia Rhodey.

« JARVIS a fait mieux, il a filmé » dévoila son interlocutrice de son ton le plus candide.

Oui, elle était une employée dévouée de Tony Stark. En quoi ceci lui interdisait-il de lui compliquer la vie avec des images compromettantes ?