10 octobre 2011

Sirius savait qu'il avait une araignée au plafond, une case en moins, des chauve-souris dans le clocher, toutes les expressions possibles et imaginables pour parler de la démence. Après tout, il était un Black, c'était dans son sang.

S'évader d'Azkaban sur un coup de tête pour retrouver son filleul alors qu'il n'avait pas l'ombre d'une piste ? Il entendait ses ancêtres applaudir depuis l'au-delà.

D'accord, peut-être qu'il avait un indice. Franchement, ce n'était pas grand-chose, mais il n'avait rien de mieux. Rien que le souvenir à demi effacé d'une conversation avec James, juste avant que son meilleur ami n'aille demander Lily Evans en mariage.

« Enceinte ? » s'écria un Sirius de vingt ans à peine, les cheveux dans les yeux.

Rien qu'à regarder la tête que tirait son interlocuteur derrière ses lunettes, on aurait facilement cru qu'il venait d'engloutir tout un cageot de citrons.

« Tu te rappelles, la mission qu'elle a effectué à Dublin ? C'était quand, elle avait croisé ce type qui refusait de la laisser tranquille, basiquement toi avec une barbiche, quoi... »

« Ah ha ha » grinça l'Animagus chien. « Me dis pas qu'il l'a forcée ? Lily l'aurait incendié, et c'est pas une métaphore. »

James poussa un soupir aussi gros qu'une armoire.

« Elle s'est dit qu'il la lâcherait si elle lui donnait ce qu'il voulait, alors elle a couché avec lui pour qu'il décampe. Ça a marché, mais… ben, maintenant, elle a un autre problème. »

Sirius haussa un sourcil.

« Et ta solution à ça, c'est de l'épouser ? D'accord, t'es un Gryffondor alors les instincts de preux chevalier, c'est un peu notre truc mais même... »

« Sirius, ne te fais pas plus bête qu'un Veracrasse, veux-tu ? Si elle se retrouve mère sans un père ni même un mari dans le voisinage, tu sais très bien comment on va le prendre en général. »

Le jeune homme aux cheveux longs grimaça à son tour. Sur le sujet des relations coquines en dehors du mariage, la société magique se montrait positivement victorienne. Oh, du moment qu'il n'y avait ni preuve incontestable ni témoin irréfutable, passe encore. Mais quand une femme était percée à jour comme « perdue », alors là…

« Et le type ? » suggéra-t-il avant de le regretter sur le champ.

« T'as pas écouté quand je t'ai dit qu'il était basiquement toi avec une barbiche ? Sirius, tu es pratiquement mon frère mais je doute que tu ais la fibre paternelle. Sans vouloir t'offenser. »

« Ne t'inquiète pas, je vois très bien » concéda Sirius – l'idée de se retrouver père lui donnait bien assez de cauchemars pour qu'il ne s'embête pas à nier vainement.

« Alors non, Tony Stark est exclus, ce qui me laisse moi » déclara James avec un soupçon de mélo dans la voix. « L'amoureux fidèle et honorable qui sait pas du tout comment formuler sa déclaration… pitié pour moi, Patmol ? »

Sirius avait fini par aider, bien sûr – même si James avait rejeté ses suggestions les plus facétieuses comme tirer un bouquet de feux d'artifice ou écrire la demande sur un gâteau – et à peine trois semaines plus tard, Lily Evans était devenue Lily Potter et son enfant à naître le fils de James Potter. Personne n'avait eu de doutes sur la parenté du petit, pourquoi y en aurait-il eu ?

En toute logique, l'homme prénommé Tony Stark ne devrait même pas être une piste, il n'avait été qu'une aventure d'un soir, et un Moldu de surcroît. Il n'aurait eu ni l'occasion d'apprendre l'existence de Harry ni les moyens d'obtenir sa garde. Il ne devrait même pas être une possibilité pour ce qui était de retrouver le fils de Lily et James.

Sauf que. Il ne savait pour quelle raison, l'intuition de Sirius lui hurlait que Tony Stark détenait une éventualité de réponse. Alors il avait fait ses recherches – pas difficile, le type jouissait d'une renommé mondiale et n'était-ce pas déconcertant de découvrir que l'abruti fêtard croisé par Lily était un ingénieur riche à millions – avait pris la place d'un Moldu dans le premier avion partant de Londres pour les États-Unis – le bougre se réveillerait avec une belle migraine mais Sirius ne pouvait pas traverser l'océan à la nage – et utilisé sa forme de chien pour emprunter divers camions jusqu'à ce qu'il arrive enfin à Malibu, le lieu de résidence privilégié de Stark.

La maison était rudement coquette – on voyait tout de suite que le propriétaire avait de l'argent et n'hésitait pas à s'en servir. Et l'intérieur était à l'avenant – Sirius ne s'y connaissait guère en décoration ni en mobilier, mais ça se voyait.

Et c'était là, sur un mur, qu'il avait trouvé la preuve. Un portrait de famille à la plage, Tony Stark en bermuda et chemise de vacancier, en compagnie d'une femme vampirique à force de pâleur et d'un petit garçon au regard bleu inimitable.

C'était sa preuve, la preuve que Tony Stark était parvenu à voler Harry sous le nez de Dumbledore, s'accaparant l'enfant de Lily et James. Harry savait-il seulement que ses parents l'avaient aimé au point de mourir pour lui ?

Il s'était arraché à la contemplation de la photo pour explorer la maison – pour lui, la photo suffisait, mais il fallait plus pour convaincre les juges, il fallait des papiers – certificat de naissance, certificat d'adoption, ce genre de choses. Il était monté à l'étage pour chercher un bureau ou la chambre de Stark.

À la place, il avait découvert la chambre de Harry. Ça ne pouvait être rien d'autre, avec tout ce papier et ces croquis aux murs, Lily avait toujours eu un crayon ou une plume à la main. Le clavier sur le lit, c'était nouveau – Harry faisait de la musique ? Une bibliothèque était remplie par les ouvrages de deux séries, One Piece et Les Annales du Disque-Monde. Une collection de robots miniatures variés décorait le bureau enseveli sous les partitions, les fusains et quelques livres de critique d'art.

Au-dessus de la tête de lit avait été encadrée une lettre frappée d'armoiries qui ressemblaient étrangement à celles de Poudlard. Cher M. Stark, nous avons le plaisir de vous proposer un cursus d'études à Ilvermorny, la première Académie de magie d'Amérique du Nord – c'était quoi, cette histoire ? Harry était supposé aller à Poudlard ! Il était inscrit à Poudlard depuis sa naissance !

Sirius était plongé dans un tel choc qu'il ne vit pas venir le coup.


« Sirius Black » articula soigneusement le Noir borgne en manteau de cuir, son œil unique rempli d'hostilité. « Recherché pour le meurtre de treize personnes en Angleterre, évadé récemment d'une prison qui ne badine pas avec la sécurité, vous cherchiez quoi en Amérique ? Vu votre casier, on présage du pire... »

L'Animagus luttait pour ne pas sauter à la gorge du type assis en face de lui. Littéralement. Sa forme de chien était bien assez large pour attaquer un adulte.

« Je ne faisais rien de mal » se borna-t-il à déclarer.

« Aux dernières nouvelles, l'Angleterre n'avait pas légalisé l'effraction de domicile » pointa la femme pâle – celle du portrait de famille, celle qui avait tenu Harry affectueusement, celle qui avait remplacé Lily. « Et l'Amérique non plus. »

Le sorcier sentit sa nuque chauffer.

« Je cherchais Harry Potter. »

« Marrant, ça » commenta Tony Stark d'un ton faussement chaleureux, « vous faisiez quoi dans la chambre de mon fils, alors ? »

« Le… garçon Stark est Harry Potter » grinça Sirius. « Mon filleul. »

« Sans déc ? » s'écria Stark en écarquillant exagérément les yeux, « Rhodey, tu m'avais pas dit que t'avais la maladie de Michael Jackson ! »

« Stark » gronda le borgne avant de se tourner de nouveau vers Sirius qui s'efforçait de trouver une assise plus confortable sur sa chaise. « Je pourrais vous renvoyer en Angleterre avec un joli petit nœud autour du cou, mais à quoi ça servirait, je vous le demande ? »

Le sorcier étrécit les yeux. Il n'aimait pas ce ton, ça ressemblait trop à celui de son grand-père Arcturus quand il s'apprêtait à ne laisser à la victime de son choix que ses yeux pour pleurer.

« Voici le deal : SHIELD a besoin de davantage d'agents versés en matière ésotérique. Vous acceptez de devenir un consultant à l'essai, et en échange nous jetterons un petit coup d'œil sur vos chefs d'accusation. Plutôt curieuse, la scène de dévastation que vous avez soi-disant causée. »

Sirius n'en croyait pas ses oreilles. C'était tentant… mais…

« Et Harry ? »

Un regard vert vénéneux le cloua sur place.

« Quoi, Harry ? Toujours obsédé par cet enfant, M. Black ? Que lui apporteriez-vous ? » demanda la femme d'un ton arctique qui poussa le sorcier à lui montrer les dents par réflexe.

« Je suis son parrain... »

« Vous êtes une loque qui a passé une décennie en prison » rétorqua-t-elle posément, implacablement. « Dans votre état actuel, vous ne pouvez rien donner à personne, quand bien même vous le voudriez. Reprenez-vous, partez en thérapie, et quand vous aurez récupéré un semblant de dignité et de stabilité, peut-être que nous reparlerons du sujet. »

Sirius ferma les yeux.


« J'espère que vous savez ce que vous faites, Locke. Ce type ne m'a pas l'air stable du tout. »

« C'est un sorcier adulte, et il nous en faut un après le décès du regretté Marius Black. Je préfère ne pas trop me reposer sur ses arrière-petit-fils ou Miss Granger pour obtenir un contact dans l'Angleterre magique. N'oubliez pas que ce ne sont que des enfants. »

« En parlant d'enfants, Mary, rassure-moi. Tu n'as pas vraiment l'intention de laisser ce détraqué approcher Jon ? »

« J'ai dit que s'il reprenait sa vie en mains, nous reparlerions peut-être de cette possibilité. Ce n'est pas ma faute s'il a entendu une confirmation. »

« Tu sais que tu es une vraie sournoise quand tu t'y mets ? »

« La flatterie ne te mènera nulle part, Anthony. »