12 octobre 2011
« Des nouvelles de chez toi ? »
Jon replia la lettre, évitant le regard ambré insistant d'Alma – elle devrait s'inscrire dans un concours de regard fixe, elle battrait la concurrence à plates coutures. Bon, ce n'était pas tellement sa faute, elle était tellement habituée à entendre les pensées des autres sans le faire exprès que maintenant qu'elle avait trouvé quelqu'un avec qui ça ne marchait pas, elle ne pouvait pas s'empêcher d'essayer quand même.
En passant, heureusement qu'elle n'avait pas besoin de boire du sang ni une peau qui étincelait sous le soleil, parce que Jon aurait hurlé. Sérieusement, quoi, tant qu'à lui faire rejouer un rôle littéraire, que ce soit de la bonne littérature !
« Mmh » répondit-il. « Tony déprime un peu moins. Et il y a un chien errant qui a réussi à rentrer dans la maison, à Malibu, Tilly n'était pas très contente de ça. »
« Elle l'a pas fait piquer, tout de même ? » s'inquiéta Olivia, qui avait rehaussé ses cheveux châtains d'une profusion obscène de barrettes-libellules pailletées.
La native d'Hollywood n'avait pas mis longtemps à retrouver son « mignon petit protégé », ayant été informée par un ami guitariste que le rejeton Stark s'était inscrit en option Musique et lui ayant sauté dessus à la sortie du cours pour retrouvailles, juste avant d'insister pour lui présenter son cercle d'amis et autres connaissances.
C'était attentionné de sa part, il fallait bien l'admettre. Seulement, ces amis et connaissances n'étaient pas juste dans l'année au-dessus, ils étaient aussi dans des maisons différentes, et le règlement scolaire tendait à garder les maisons séparées. Enfin, pour les cours : le temps libre et les options, c'était autre chose, si bien que Jon avait l'occasion plus que suffisante de faire du relationnel inter-maisons.
Les options, c'était plutôt divers, allant de trucs à peu près banal comme la littérature étrangère et diverses langues à plus variés comme le sport – qui concernait aussi bien le baseball et le foot que le Quidditch et le Quodpot, fallait vraiment fumer pour inventer des noms pareils – ou carrément bizarres comme l'étude des fantômes et la divination par les brindilles. Et il fallait encore compter les différents clubs de jeux ou associations quelconques…
Histoire de ne pas perdre la main, Jon avait opté pour Musique et Arts plastiques. Il n'était pas le genre sportif, il était déjà bien assez étourdi par le contenu des cours pour ne pas en rajouter question magie, et il parlait déjà français et italien – plus quelques rudiments de suédois glanés auprès de Tilly qu'il soupçonnait fortement d'être des grossièretés. Sa très chère correspondante n'avait été pas très heureuse d'apprendre que les Américains n'avaient pas à attendre la troisième année pour enrichir leur emploi du temps…
La cloche sonna alors qu'il ouvrait la bouche pour rassurer Olivia que non, le cabot n'avait pas souffert de l'effraction.
« Oh zut » commenta la fille en question, « faut que je file. Vous feriez bien de courir vous aussi, vous avez quoi, Miss Tilpin ? »
« Le vieux Pope » rectifia Alma de sa voix lugubre, très appropriée pour la circonstance.
« C'est vraiment pas mieux ! Allez, salut ! »
Ces derniers mots retentirent dans un couloir vide, ayant été lancés par-dessus une épaule gauche à l'adresse d'interlocuteurs s'éloignant déjà.
Hermione lui avait écrit qu'à Poudlard, le professeur d'Histoire de la Magie parvenait à endormir ses élèves en quelques minutes. Le Professeur Pope eût-il voulu imiter son collègue que sa voix stridente l'en aurait empêché, de même que sa tendance à faire exploser des feux d'artifices au bout de sa baguette dès qu'un élève semblait distrait.
« Voulez-vous cesser de bayer aux lutins, Miss Jones ! »
« Pardon, monsieur » marmonna la fille aux cheveux bleus d'un air boudeur, s'attirant un reniflement hautain de la part du vieux sorcier au visage fripé de pruneau.
« Comme je le disais, la loi de Rappaport – un des principes majeurs de la Constitution Magique américaine – a été farouchement appliquée depuis sa création à la suite de l'affaire Douzarbres-Bellebosse jusqu'au scandale Di Angelo vs MACUSA, soit plus de deux siècles après... »
Jon se redressa si brutalement sur sa chaise qu'il tomba à la renverse, manquant entraîner le pupitre derrière lui.
« Monsieur Stark ! »
« Tout va bien » haleta le garçon en se redressant, soutenu par Alma qui avait plongé à son secours. « Vous avez dit… le scandale Di Angelo ? »
Pope cligna des yeux avant que la pulsion de dispenser son savoir ne s'empare à nouveau de lui.
« Oui… une histoire effroyable. C'était en 1959 – une sorcière italienne nommée Maria Di Angelo, diplômée de Beauxbâtons, s'était éprise d'un Non-Maje venu assister à l'un de ses concerts de piano à Paris, assez pour le suivre en Amérique et vouloir l'épouser. Une union strictement illégale selon la loi de Rappaport, mais tolérée quoique souvent mal vue en Europe... »
« Alors elle a voulu l'épouser à l'européenne ? » interrogea Eli Bard, les yeux luisant de curiosité.
« Ce qu'elle aurait été tout à fait en droit de faire en France ou en Italie, mais pas en Amérique avec un citoyen Non-Maje » insista Pope. « Le MACUSA a refusé d'accorder la licence de mariage, seulement pour que le consulat italien s'en mêle, l'affaire est remontée jusqu'à la Confédération Internationale des Mages… les délibérations ont pris des mois, au terme desquels il a été décidé de suivre la loi de Rappaport. Le Non-Maje devait être oublietté de toute l'histoire, tandis que Di Angelo aurait reçu une injonction lui interdisant tout contact ultérieur avec lui, mais... »
« Mais ? » répéta en chœur la classe captivée alors que le professeur s'arrêtait.
Jon sentit un nœud se former lentement derrière son nombril alors que Pope rouvrait la bouche.
« Juste avant la proclamation finale de l'arrêt des cours, Di Angelo s'est volontairement mutilée en sacrifiant sa capacité d'utiliser la magie au moyen d'un rituel runique. À ses yeux, puisque la magie était le seul obstacle lui interdisant le mariage avec un Non-Maje, se débarrasser de sa magie signifierait faire disparaître l'obstacle. »
Un silence de mort planait dans la salle.
« Ce qui est tout aussi stupide que de se crever les yeux pour se débarrasser de sa myopie » décréta Pope. « Toujours est-il que cet acte aussi irréfléchi que mélodramatique a embrasé l'opinion publique, le Mouvement pour les Relations Magiques et Autres en particulier s'est empressé d'ériger Di Angelo en martyre victime d'une législation injuste coupable de mille abus... »
« Comme le vol d'enfants magiques à leurs familles qui ne l'étaient pas ? » lança Padby Lovatt dans son coin.
« C'était l'un des crimes cités, oui » reconnut l'enseignant. « Un de plusieurs qui ont conduit le MACUSA à abroger la loi de Rappaport en 1965. Qu'est-ce qu'il y a, Monsieur Stark ? »
« Je… Qu'est-elle devenue ? » demanda le garçon, la gorge sèche. « Maria Di Angelo ? »
« Elle ? Oh, on l'a laissée épouser son Non-Maje puisqu'elle le voulait tant et elle a disparu du monde sorcier. Connaissant les statistiques sur les sorciers qui perdent brutalement leur magie, elle a dû mourir quatre à cinq mois plus tard et être ensevelie dans le monde non-maje. »
« Et son mari ? C'était qui ? »
Le professeur haussa les épaules.
« Oh, un dénommé Stern ou autre chose du même goût… Le public ne s'est pas tellement intéressé à lui. Ce n'est pas comme si un sans-magie pouvait avoir beaucoup d'importance. »
15 octobre 2011
« Tony ? Je croyais que tu te sentais mieux ? »
Il était allongé sur le sofa, fixant une tache vert décoloré sur le plafond blanc crème, la lettre pendant au bout de son bras trop lourd pour remuer encore.
« … Jon a déterré un truc » parvint-il à articuler alors que les talons de Pepper cliquetaient sur le parquet pour l'approcher. « Sur notre famille. »
« Ah, il y avait de la magie chez tes ancêtres, alors ? »
Comment il parvint à actionner ses muscles pour lui tendre la lettre, il l'ignorait, mais il sentit le papier lui glisser des doigts et se froisser légèrement tandis qu'elle lisait.
« Oh. Et Johnny est sûr ? Di Angelo n'est pas si rare comme nom. »
« Il y a une photo dans son manuel d'histoire » lâcha l'ingénieur. « Une de mamà. »
« Oh. »
La photo était animée et en noir et blanc, mais c'était indiscutablement Maria Stark qu'elle représentait, tellement plus jeune, plus robuste, plus vivace que se la rappelait Tony, rayonnante comme elle l'avait été les rares occasions où sa santé lui permettait de donner un concert…
Quand une sorcière est belle, et bien ça s'appelle une fée.
Howard avait-il su ? Avait-il connu les talents plus qu'ordinaires de sa femme ? Lui avait-il demandé – non. S'il fallait reconnaître une qualité indéniable à Howard, c'était l'adoration absolue qu'il avait vouée à son épouse. Il se serait immolé avant de la laisser s'infliger le moindre bleu, encore moins le procédé (la mutilation) par lequel elle avait renoncé à ses pouvoirs.
Tony n'avait tout d'abord pas compris la gravité de la chose avant que Mary le prenne à part.
Si tu as vu le film Johnny Got His Gun, l'état du protagoniste est un très bon résumé.
Tony avait vu le film. C'était l'un des très rares à l'avoir fait vomir.
« Tony ? Tu veux quelque chose ? »
Ah, oui. Pepper était toujours là. Attendait une réponse. L'ingénieur ferma les yeux.
« Je veux... »
Je veux que ce ne soit pas vrai.
