27 décembre 2011

« Tu es sûr, tu n'aurais pas voulu plus de compagnie ? » ne put s'empêcher d'insister Steve qui ne parvenait pas à chasser un pincement de culpabilité à l'idée de ne partager la promenade matinale qu'avec Jon plutôt que d'en faire une excursion collective.

Le petit haussa machinalement les épaules, faisant tanguer son blouson en jean.

« Pepper est partie visiter sa mère, Rhodey n'a pas pu décrocher un congé pour après le réveillon, Tilly a une urgence avec SHIELD, Tony s'est replongé dans ses moteurs et Alma dit qu'elle a mal aux pieds, mais je crois surtout qu'elle veut réécouter sa boîte à musique... »

« Ton cadeau lui plaît, alors ? »

« Y a intérêt, je me suis esquinté la cervelle sur cette mélodie » bougonna le gamin sans y mettre beaucoup de conviction.

Pour sa part, le super-soldat trouvait étonnamment délicat que Jon ait voulu offrir à son amie un cadeau personnalisé si unique : non seulement la partition était une création originale du garçon lui-même, il avait sollicité l'aide de son père pour réaliser la partie mécanique du présent et demandé à ses « tantes » de choisir l'écrin et l'emballage. Tout cela avait abouti à un baiser quasi sur la bouche de la part d'une Alma rouge tomate à un Jon tout aussi écarlate, à l'attendrissement général de la maisonnée Stark – moins Tony qui avait émis un sifflet encourageant.

« Tu sais... »

« Hum, quoi ? » lâcha Steve arraché à ses pensées.

« C'est pas un peu triste, un réveillon sans neige ? Dans les cartes et les feuilletons, il y a toujours flocons et tout, mais quand tu vis en Californie, tu peux toujours te rhabiller si tu veux un Noël blanc. »

Tout ce blanc envahissant sans merci la carlingue de l'avion écrasé et il avait si froid, il allait mourir certainement car même si on le retrouvait à temps ce froid resterait attaché à ses os –

« De la neige, j'en ai eu mon content pour le siècle à venir » commenta platement Steve qui luttait pour contrôler les muscles de son visage – le petit ne méritait pas de le voir sombrer dans une attaque de panique pour une remarque malvenue.

Jon lui adressa un regard par en-dessous d'interminables cils noirs.

« Je peux quand même te montrer un truc ? C'est pas dangereux, promis. »

Indulgent, Steve hocha la tête pour lui donner le feu vert. Le garçon ôta le gant de sa main droite, prit une profonde inspiration et fronça les sourcils. Quelques perles de sueur apparurent sur sa paume avant de se cristalliser puis de s'agglutiner, et en l'espace de quinze secondes, le petit tenait une poignée de neige au creux de sa main.

Steve haussa un sourcil plus châtain que blond.

« Dis donc, je croyais que c'était interdit de faire de la magie en dehors de l'école ? »

« C'est interdit d'utiliser une baguette » riposta Jon tout faraud. « Tilly a dit que si jamais je ne pouvais pas lancer de sort sans une aide matérielle, elle prendrait ma peau pour en faire une descente de lit, alors voilà. Puis c'est facile, la neige, il suffit juste d'enlever la chaleur dans l'air et paf ! Ça vient tout seul. »

« C'est peut-être facile mais ça ne veut pas dire que tu devrais le faire » maugréa le super-soldat. « Regarde-moi ça, tu as déjà les doigts bleus. »

« Mais j'ai pas froid » protesta Jon alors que son aïeul à la jeunesse trompeuse faisait tomber les cristaux clairs par terre avant de lui remettre son gant.

« Je te crois, mais j'ai pas envie de t'amener à l'hôpital pour qu'on te coupe la main à cause de la gangrène. Remarque, ce serait nouveau que j'y aille pour quelqu'un d'autre que moi. »

« C'est marrant quand même » glissa le garçon. « Nonna, elle arrêtait pas d'aller à l'hôpital, toi, t'avais tous ces problèmes avant de devenir Captain America, Tony il s'est retrouvé avec son pacemaker afghan… Il faudrait pas que je m'inquiète ? »

« Tu veux rire ? Avec des muscles pareils, tu nous enterreras tous » plaisanta Steve en pinçant gentiment les côtes maigrichonnes de Jon, mal rembourrées par plusieurs couches de tissu.

Le gamin repoussa sa main en rigolant.


Selon Albus Dumbledore, le meilleur moment pour réfléchir était tôt le matin ou tard le soir, là où le risque d'urgences était le moins élevé. Ne pas négliger la question du bruit non plus : même quand on employait le dernier cri en matière de sortilèges assourdissants, plusieurs centaines d'étudiants dégageaient une rumeur persistante qu'il était impossible de fuir dès lors qu'on se trouvait entre les murs de Poudlard, surtout quand la journée battait son plein.

Les vacances avaient ceci d'avantageux qu'elles permettaient au bâtiment de se vider, si bien que l'estimé directeur pouvait passer des journées entières à méditer si tel était son désir. Ou plutôt à se concentrer sur le problème réclamant son attention avec le plus d'insistance.

En l'occurrence, la disparition du jeune Harry Potter, laquelle avait entraîné toute une avalanche de conséquences à sa suite, comme c'est toujours le cas avec les évènements marquants de l'ère.

Le remue-ménage provoqué par l'annonce de cette absence avait été tout bonnement effroyable, comment aurait-il pu en être autrement ? L'enfant avait pratiquement le qualificatif de trésor national vivant aux yeux de la société sorcière anglaise. Ce n'était pas seulement une tragédie comme pour la disparition de n'importe quel enfant, c'était une atteinte directe contre le pays lui-même. Même sans éprouver de patriotisme fervent, n'importe quel sorcier au sang rouge vivrait ça comme une insulte.

Insulte encore plus aggravée par le fait que les mesures prises pour y remédier n'avaient abouti à rien. Aucun des Aurors n'avait trouvé de piste réellement prometteuse, pas un seul citoyen n'avait de renseignement qui tienne la piste, et tout garçon répondant au signalement s'avérait une erreur. C'était au point que le Ministère commençait sérieusement à envisager des recherches à l'étranger.

Faute de réconfort, la communauté magique avait réclamé un bouc émissaire et pour cela avait élu – non sans un raisonnement assez justifié – Dumbledore en personne. N'avait-il pas été responsable du placement du jeune Harry ? N'avait-il pas assuré au public que tout allait bien alors que c'était loin d'être le cas ?

Pour cela, Albus n'avait pas protesté vraiment fort lorsqu'il avait été dépouillé de ses postes en dehors de sa charge de directeur de Poudlard, quoique l'inquiétude à la perspective de ce que des successeurs moins enclins à la vertu pourraient commettre le tint en alarme. Puis, le temps libre lui permettait de se consacrer à sa propre enquête au sujet du devenir de Harry Potter.

Il ne comprenait toujours pas comment l'enlèvement avait pu s'effectuer entre le moment où il avait déposé le nouveau-né sur le palier de sa tante et le moment où celle-ci avait ouvert la porte pour récupérer le courrier : qui était au courant qu'il projetait de remettre le bambin à sa famille maternelle en dehors de lui, de Minerva et de Hagrid – et encore le demi-géant s'était-il prêté à un serment magique pour ne point divulguer l'information !

Grave aussi, le meurtre d'Arabella Figg dont se désintéressaient les Aurors puisque la victime n'était qu'une Cracmolle : lui seul connaissait la mission de surveillance dont elle avait été chargée, c'était la raison pour laquelle il s'était fié aux lettres envoyées chaque mois, certain qu'elle serait impartiale et discrète. Sauf qu'elle avait été tuée, et les lettres sans doute envoyées par son meurtrier afin de brouiller les pistes. Et impossible d'utiliser les missives pour remonter jusqu'à leur auteur puisqu'elles avaient été rédigées à la méthode moldue, sans aucune trace de magie ni dans l'encre ni dans le papier pour fournir une indication d'origine.

Plus les jours s'écoulaient sans réponses, plus Albus devenait fébrile : avec de plus en plus de signes indiquant que Voldemort tentait bel et bien de revenir d'entre les morts (dont l'appât qu'il avait posé entre les propres murs de Poudlard), la présence du Survivant devenait nécessaire. Le monde sorcier avait besoin d'un point de ralliement, d'une lueur d'espoir dans les ténèbres, une assurance que les dragons avaient toujours un point faible par lequel les terrasser.

Privée de ce point focal, la communauté magique anglaise se délitait, cédait à la facilité et la passivité, retombait dans des habitudes déplorables. Malgré tous les efforts d'Albus, les sorciers anglais avaient toujours besoin d'un leader à suivre, et lui-même était bien trop vieux et fatigué pour assumer ce rôle encore très longtemps.

Si seulement il pouvait retrouver le successeur que le destin semblait avoir choisi pour lui.