1 janvier 2012
Une des règles implicites de la vie en société était que les gens se devaient de paraître débraillés un lendemain de fête. Pour sa part, Leah se faisait une joie d'ignorer ce précepte – elle pouvait toujours plaider l'ignorance abjecte, après tout, ce n'était pas une de ces choses qu'on dit, et comment voulez-vous obéir à quelque chose quand personne ne vous a informé de son existence ?
Elle était donc aussi impeccable qu'à l'ordinaire, en dépit de la furieuse tentation de commencer à se grignoter un ongle et donc de ruiner sa manucure vert poison. Si ça, ce n'était pas la preuve même qu'elle était supérieure à l'humanité qui la cernait quand elle partait au boulot.
En parlant de rebuts d'humanité, que diantre trafique ce vieux croûton, à parquer un Cerbère dans une école remplie d'enfants trop curieux ?
Décidément, Albus Dumbledore faisait des pieds et des mains pour dégringoler toujours plus bas dans son estime – elle qui le croyait au fond, voilà qu'il commençait à creuser un trou. Un Cerbère, vraiment ? Bon, c'était comme n'importe quelle race de chien, il fallait savoir les dresser – mais cela n'en restait pas moins une espèce dangereuse, qui n'aurait pas dû se trouver à proximité de cibles vulnérables. Et même si Leah ne détestait pas les enfants, elle reconnaissait qu'ils pouvaient se montrer absurdement sots et impétueux quand l'envie leur en prenait.
Voyez donc l'initiative d'Hermione, qui s'était retrouvée bien placée pour informer la sorcière brune de l'existence du Cerbère parce qu'elle avait joyeusement ignoré l'interdit frappant le couloir du troisième étage. Et qui avait aussitôt compris qu'un chien dont la race visait à fournir de bons gardiens devait forcément protéger quelque chose, et qui avait remarqué que le professeur de potions agissait de manière véritablement suspecte, mais ne vous inquiétez pas Madame Locke, elle garderait l'œil sur la situation, de très près…
Pourtant, à en croire le bon Capitaine, le Sergent Barnes avait eu la tête on ne peut plus froide. Si le bonhomme avait été une exception dans sa famille, ce serait vraiment trop désespérant.
Un timbre voilé – indiquant une gorge soit enrhumée soit déshabituée de toute conversation pendant un laps de temps notable – l'arracha à ses pensées.
« Vous n'avez pas l'air contente » commenta Sirius Black, non sans une pointe de jubilation – l'homme ne faisait pas mystère de l'aversion qu'il vouait à son endroit.
Leah replia soigneusement le rapport entre ses mains pour le glisser à nouveau dans son enveloppe.
« Hélas pour moi, je souffre d'une allergie persistante à la bêtise humaine, et l'actuel Directeur de Poudlard fait de son mieux pour m'infliger un choc anaphylactique. Comme je suis très méchante, je refuse de lui donner ce plaisir. »
Black la fixa comme si elle venait de lui annoncer que la pluie ne mouillait pas.
« Je rêve ou vous venez d'insulter Dumbledore, là ? »
« Vous êtes on ne peut plus réveillé. »
« Vous savez qu'il est reconnu comme l'un des mages les plus intelligents de notre époque ? » insista l'Animagus, ce à quoi son interlocutrice roula les yeux au point de ne lui laisser apercevoir que le blanc.
« N'allez pas confondre prouesse intellectuelle et bon sens. Sur le plan du QI, je vous l'accorde, le vieux bouc est parfaitement brillant, mais je vous défie de trouver une miette de rationalité dans ce cerveau flétri. Mon hypothèse est le gâtisme, il serait tellement moins dangereux dans une maison de retraite. »
Black la considéra un long moment, si longtemps qu'elle commença à croire qu'il avait perdu la parole, sauf que ce n'était pas le cas.
« C'est quoi, votre problème avec lui ? »
« Pardon ? »
« Moi, je peux comprendre » poursuivait Black, en chien qui a trouvé un os et refuse de s'en délester. « Même si les preuves étaient contre moi, il n'a pas insisté pour que je reçoive un procès en bonne et due forme. Mais vous, pourquoi vous le détestez ? Et n'allez pas me dire que c'est juste une question d'opinion, j'ai de bonnes oreilles, et vous êtes beaucoup trop acide quand vous parlez de lui. »
Le visage de Leah se fit aussi lisse et glacial qu'un iceberg.
« Pourquoi devrais-je apprécier un vieillard cramponné à son influence, qui n'use pas de son pouvoir pour aider autrui mais pour ruiner la vie d'un enfant ne lui ayant rien demandé ? »
A voir l'expression de son interlocuteur, il ne s'attendait pas à cet argument. Leah procéda à l'assaut.
« J'aimerais que vous répondiez à une question pour moi, et j'attends que vous y réfléchissiez vraiment : pourquoi le mythe du Survivant existe-t-il ? Aux dernières nouvelles, il ne restait aucun témoin de ce qui s'est passé à Godric's Hollow le soir de Halloween. Le maléfice tueur ne laisse aucun résidu, c'est pour ça qu'il est aussi populaire parmi la lie de la société. James Potter était un Auror aguerri, et Lily Potter a plus que démontré sa valeur de duelliste et maîtresse ès pièges pendant la guérilla contre Voldemort. Il aurait été logique de conclure que l'un d'eux était parvenu à emporter leur attaquant dans la tombe. À la place, c'est un bambin de quinze mois qu'on a désigné comme le héros de l'histoire. Pourquoi ? »
L'Animagus chien était trop choqué pour hasarder une hypothèse ; parfait, ça voulait dire qu'il méditait la chose. Elle découvrit ses dents pour lui adresser un sourire sinistre.
« J'ai consulté les journaux, figurez-vous. Albus Dumbledore a spécifiquement crédité la chute du Seigneur des Ténèbres et la fin de la guerre civile à l'enfant des Potter. Albus Dumbledore a raconté partout qu'un bébé était parvenu à survivre à un sort jusque là impossible à parer. Son nom est dans les articles, noir sur blanc. Voulez-vous que je vous prête les documents en question ? »
« … à quoi est-ce qu'il pensait ? »
Leah rit, et le son fit tiquer son interlocuteur.
« Je me moque de son raisonnement, le résultat est qu'il a peint une cible sur le dos d'un bébé qui n'avait même pas deux ans à l'époque. Vous êtes-vous demandé pourquoi je suis restée au service d'Anthony, même si Jon est ostensiblement trop vieux pour une nourrice ? »
« Non, mais je ne vois pas le rapport... »
« Parce qu'en tant que fils d'une célébrité américaine, Jon offre une cible parfaite pour un meurtrier ou un kidnappeur. La première tentative d'agression a eu lieu quand il avait, quoi, six ou sept ans ? Il y en a eu deux par an depuis, et c'est le strict minimum. Un désaxé qui voulait dicter ses opinions à Stark Industries, des bons à rien persuadés qu'une rançon leur permettrait de mener la grande vie, même une harceleuse qui voulait se débarrasser d'un obstacle pour ce qu'elle croyait être une grande histoire passionnelle entre elle et Anthony. Et ça, c'est seulement parce que Jon est apparenté à un riche homme d'affaires. En tant que quasi trésor national vivant de la société magique anglaise, quel genre d'ennemi aurait le petit Harry Potter, dites-moi ? »
L'horreur de Black lui déformait les traits, à présent, parfait. Leah se rapprocha, assez pour l'embrasser ou le mordre à la bouche si elle l'avait souhaité.
« Je ne suis pas la nourrice de Jon, je suis son garde du corps. Si besoin est, je peux neutraliser un danger en un quart de minute, et c'est sans aucune magie. Avec la magie, je suis ouvertement létale. Anthony sait ça, et il me paie un salaire de princesse parce que je n'hésiterais pas à pulvériser toute menace envers Jon. Quelle protection le grand Dumbledore a-t-il accordé à son précieux Survivant, en dehors d'une famille moldue civile et d'une surveillante cracmole qui se bornait à envoyer un rapport une fois par mois ? Comment l'enfant aurait-il été protégé si un cinglé plus intelligent que les autres avait fait ses devoirs et appris via les archives que Lily Evans avait une sœur incapable de se défendre contre la sorcellerie ? »
Elle se recula et tourna le dos à son interlocuteur.
« Trouvez-lui les raisons que vous voudrez, les excuses que vous voudrez, je m'en fous éperdument. Il a mis un bébé en danger, et la manière dont il s'y est prise empeste l'incompétence. À votre place, je me trouverais un héros plus digne de ce nom. »
Et sur ces derniers mots, elle quitta la pièce.
