Steve savait qu'il aurait dû être couché, plutôt que de brutaliser un malheureux punching-ball qui rejoindrait probablement ses deux congénères massacrés – le propriétaire du gymnase n'avait pas été très content de son nouvel abonné au début, mais les dédommagements versés par SHIELD l'avaient convaincus de se résigner à acheter du matériel neuf chaque semaine.
Il savait aussi que c'était injuste d'en vouloir à Leah Locke pour l'insomnie qui l'accablait actuellement. Ou peut-être pas. Après tout, elle avait invité la fille, puis l'avait présentée à Steve sans se donner la peine de prévenir l'un ou l'autre des conviés de leurs antécédents respectifs, et le Capitaine était certain qu'elle l'avait fait seulement pour observer leur réaction. Pour toutes ses qualités, Locke n'en pouvait pas moins être franchement méchante quand elle voulait s'amuser.
La fille. Hermione Granger. Qu'il avait appelé par un nom différent, parce que son visage avait surgi de son passé.
« Kitty ?! »
La petite-fille de Kitty. La petite-nièce de Bucky. Une parmi plusieurs, parce que la vie avait continué après la guerre, et Kitty avait fait son chemin sans frère, par le sang ou l'affection.
Sur le coup, Steve avait été si sûr que couler l'avion avait été le bon choix. Il le pensait toujours, mais les conséquences de ce choix persistaient à venir le hanter. Que ce soit l'adresse désormais permanente de Peggy en maison de retraite, ou le regard méfiant que lui avait adressé Kimberly Granger née Proctor une fois informée de son identité.
Bien sûr qu'elle ne voulait pas de lui près de sa famille – bien sûr que Kitty n'avait jamais pardonné ni à Bucky ni à Steve de ne jamais être revenus dans sa vie. Si quelqu'un pouvait garder rancœur jusqu'à la fin des temps et instiller cette rancune à autrui, c'était bien Katherine Gertrude Barnes. Alors, Steve n'était pas véritablement surpris. Juste attristé.
Alors il avait décidé de se faire discret pendant les deux semaines que la petite-nièce de Bucky et son petit-fils mettraient à profit pour semer le bazar à Manhattan – parce que si les deux gamins tenaient un brin de leurs aïeux, le quartier n'avait fini d'en voir de toutes les couleurs – à l'exception notable de la fête d'anniversaire de Jon à la fin du mois. Là, ce serait assez délicat, mais avec la nourriture, les autres invités et les divertissements prévus, tout devrait se passer à peu près bien.
En attendant, il ne parvenait plus à se rendormir, poursuivi par le regard brun sombre de Kitty qui était aussi celui de sa fille et de sa petite-fille, l'accablant de reproches muets. D'où la fréquentation du gymnase à des heures plus ou moins indécentes.
« Je croyais que votre problème de sommeil allait mieux. »
Bien sûr que Fury ne pouvait pas dire bonjour comme le reste du monde. D'un autre côté, il ne mâchait jamais ses mots, et Steve pouvait apprécier ça. La plupart du temps.
« Il faut croire que j'ai des hauts et bas. »
Le Directeur ne répondit pas immédiatement, préférant l'observer casser le punching-ball pour de bon.
« Si vous avez autant envie de cogner, je tombe pile au bon moment. J'ai une mission pour vous. »
Pour le coup, le Capitaine sentit ses sourcils remonter sur son front.
« Aux dernières nouvelles, un de vos psy m'avait évalué impropre à repartir sur le terrain. Souffre encore de stress post-traumatique et a besoin de plus de temps pour se réaccoutumer à la vie civile, je cite. »
La figure de Fury parvint à se faire encore plus grincheuse qu'auparavant, ce qui tenait du miracle mineur.
« On a une urgence. Le genre qui mérite l'artillerie lourde, et franchement, Capitaine, question performance, l'humanité ne peut pas faire mieux que vous. »
« Vraiment ? C'est une urgence de quelle niveau, pour ce prix-là ? »
« Niveau Tesseract, au strict minimum. »
Ah. Forcément.
« On dirait Noël, mais avec plus de… moi. »
Tony n'était pas le genre modeste, il était le premier à l'admettre. En fait, il aimait enfoncer le nez des autres là-dedans. Et il était vraiment, indécemment orgueilleux quand il était question de ses travaux et diverses réussites.
En ce qui concernait la Tour Stark, l'orgueil était totalement de mise. Parce que, franchement, regardez donc un peu ça ! Le tout premier bâtiment entièrement autonome au niveau électrique, et impact écologique parfaitement dans le vert grâce à son réacteur ARC interne ! Et tout cela uniquement dû au génie de Tony Stark !
Bon, d'accord, pas entièrement. La contribution de Pepper au projet se montait peut-être à 12 pour cent. Ou peut-être plus que ça. Bref, la soirée s'annonçait belle, la Tour Stark était branchée, il y avait du champagne et Pepper semblait prête à renoncer à l'exécution immédiate…
Sauf que bien sûr, le Men in Black par excellence était venu ruiner son planning si beau. Vie de merde.
« Nous avons besoin que vous jetiez un coup d'œil à ceci » lança l'ordure de son ton le plus poli, en faisant mine de lui passer un ordinateur plat avec le logo de SHIELD – et il savait bien que Tony détestait qu'on lui fourre des trucs dans les mains, ou qu'on vienne l'enquiquiner pendant sa pause… oh ho ho, le salaud. Mais où était Mary Poppins quand il avait besoin d'elle pour arracher la tête de quelqu'un ?
Hélas, les femmes de sa vie avaient décidé de le trahir honteusement – Pepper, comment peux-tu l'appeler Phil comme si c'était son prénom ? Un type pareil ne méritait qu'une dénomination – et Tony lui-même était trop bonne pâte pour son propre bien. Il ouvrit donc l'ordinateur et l'alluma.
Et… oh, merde. Non, le gros mot était insuffisant pour traduire l'océan de purin où SHIELD venait de dégringoler, potentiellement entraînant beaucoup beaucoup de monde dans leur chute.
Il était vraiment trop bonne pâte, alors il s'était résigné à aller jeter un coup d'œil à cet ignoble désastre, histoire de voir si on pourrait essayer de réparer sans trop de casse.
« Pepper, tu pourrais passer un coup de fil à Mary ? Préviens-la que ses vacances risquent de se terminer plus tôt que prévu. »
« Miss Locke ne se trouve pas dans le bâtiment ? » questionna en douce l'Agent, pensant probablement qu'il était subtil.
« Même pas à New York » riposta Tony, tirant une satisfaction vicieuse de voir tiquer Coulson. « Hé oui, inimaginable qu'on puisse se fatiguer de ma radiance, mais Mary Poppins a droit une fois par an à un congé où elle s'esquive je ne sais où, vous pouvez lui laisser un message sur le répondeur mais c'est tout. »
« Ce… n'est pas vraiment le moment idéal. »
« Ouais, je sais. Vous vous rendez compte, m'obliger à me débattre seul avec la décoration et le traiteur pour l'anniversaire de mon adolescent ? Enfin, presque adolescent, il nous pique sa crise en avance j'ai l'impression, alors je dis juste adolescent. »
« Une crise d'adolescence, vraiment ? » musa Coulson. « Je n'avais pas remarqué. »
Un de ces jours, M. Men in Black se ferait baffer, ou éjecter du balcon à coup de pied au derrière, et il l'aurait bien cherché à force de lâcher ce type de remarque insolente qui ne pouvait pas manquer de taper sur les nerfs fragiles d'un pauvre inventeur milliardaire de génie. Et si le monde attendait que Tony s'excuse, et bien le monde pouvait aller se brosser !
Quoi, il s'en allait probablement le sauver, ça lui donnait bien un passe pour la conduite, non ?
