En rétrospective, bien sûr qu'il aurait fallu s'attendre à une tentative d'agression sur l'Héliporteur. Après tout, compromis ou pas, le dieu menteur demeurait l'un des atouts les plus puissants détenus par le camp adverse, et on ne laisse pas filer un avantage sans faire des pieds et des mains pour le récupérer, si on veut gagner la partie.

Mais bêtement, Leah n'avait pas pensé à ça. S'était laissée distraire par la pollution spirituelle que le sceptre s'était mis à dégorger une fois que les proies potentielles avaient commencé à penser détruire plutôt que étudier en sa présence. Bon, d'accord, distraire par ça et son pouvoir contrarié d'avoir été tiré de sa cure régénératrice, et le lui faisait payer cher.

Car il y avait un prix à son échappée de Nilfheim ; toujours, la grande magie réclame un prix, que vous désiriez le payer ou pas ne comptait guère. En ce qui concernait Leah, elle aurait donné n'importe quoi pour ne plus être Hela, et considérait une obligation de retourner périodiquement dans le Royaume des Morts comme une contrepartie acceptable.

Les règles de Nilfheim étaient simples : passez-y trop de temps, et vous finissiez par appartenir à ce Royaume. La Mort finit par vous aller, tout comme vous allez à la Mort. Après des siècles, des millénaires à baigner dans les énergies spectrales et macabres du séjour des défunts, la propre essence de Hela ne pouvait plus tolérer le monde des vivants. Pas sans se rebeller au bout d'un moment.

Voilà pourquoi Leah Locke prenait des jours de congé, malgré l'évidente incapacité de son patron à agir en adulte responsable et à éviter les catastrophes. Sa santé spirituelle ne lui laissait tout bonnement pas d'autre alternative.

Hé. Elle et Anthony faisaient bien la paire, elle avec son esprit meurtri, lui avec son corps ravagé. Le principe du yin-yang incarné en eux. Il faudrait qu'elle le lui dise, ça ne manquerait pas de l'embêter – vu qu'il rangeait le Tao dans la catégorie superstition.

Enfin, pour lui en parler, il fallait déjà attendre la fin de l'assaut. Lequel visait à libérer Loki, probablement. C'était sans doute une excellente idée d'empêcher cela.

Elle se fondit dans les ombres afin de réapparaître dans un couloir adjacent à la salle où se trouvait la cage de plexiglas, ladite salle trop brillamment éclairée pour lui permettre d'y accéder sans détour. Aucune importance, en deux enjambées, elle se trouvait sur les lieux.

Loki était déjà sorti. Mais bien sûr, vu que SHIELD ne s'attendait pas à devoir capturer un pratiquant de l'arcane au calibre divin – même les quelques boucliers et talismans fournis par Leah elle-même ne visait que des pratiquants limités par leur humanité. Bon, ben, quand le vin était tiré, il fallait le boire, n'est-ce pas ?

« Tu m'excuseras, maman, mais je ne pense pas pouvoir te laisser filer » fit poliment la déesse alors que le ruisseau glacial de son pouvoir irriguait ses membres.

Le regard de Loki était complètement vide de chaleur alors que ses lèvres exsangues se retroussaient en un sourire amusé.

« Même pas pour me faire une fleur, après toutes ces années de séparation ? »

En guise de réponse, la paroi de plexiglas se métamorphosa en liens de mithril chatoyant qui fusèrent sur le dieu menteur. Lequel s'abattit par terre in extremis avant de lancer une décharge de pouvoir vert et or, et les liens s'effritèrent en sable terne sur le sol.

Leah bondit, mais son parent avait des siècles d'expérience comparé à elle qui ne s'était colletée qu'avec des Midgardiens, et lui asséna une gifle brutale qui fit éclater toute une galaxie derrière ses paupières.

Elle riposta en rendant l'armure qu'il portait urticante, du venin d'oursin elfique. Puéril, oui, mais cette claque lui avait déchaussé une bonne douzaine de cellules cérébrales et en magie, la puissance n'avait pas forcément le pas sur la créativité.

Soit il était allergique, soit il était le type de fashionista qui n'aime vraiment pas qu'on touche à ses habits ; la claque qu'elle prit cette fois fit craquer le cartilage de son nez dans un bruit de petit gâteau et lui fêla les lèvres, faisant ruisseler du sang dans sa bouche.

Stupidement, elle lui cracha dans les yeux – mais à quoi elle pensait, ne jamais donner à l'adversaire l'opportunité de faire main basse sur un fluide vital, il y avait tant de rituels et de maléfices qui pouvaient être déchaînés contre vous grâce à ça…

La nouvelle décharge de magie la heurta de plein fouet. Cette fois-ci, elle coula à pic dans les ténèbres de l'inconscience.


C'était une catastrophe, ni plus ni moins. Même Tony pouvait le voir, et il était pourtant champion pour ce qui était de voir seulement ce qu'il voulait.

Loki évadé, l'Héliporteur saccagé, le Hulk dans la nature, Mary Poppins dans le coma, le sceptre perdu, même l'Agent MIB qui a failli y passer. Ouais, ça sent le désastre.

Bon, d'un autre côté, Nathalie a découvert que sonner la calebasse à un des zombies, ça lui enlève ses pas si beaux yeux bleus alors au moins un point positif émerge de ce foutoir. Même si le Legolas des temps modernes n'est probablement pas d'accord vu la migraine qu'il doit se coltiner. Tant pis pour lui, Tony enverra une bouteille de vin plus tard en guise de consolation.

Pour l'instant, l'important est de coincer leur alien mégalo pas tout à fait responsable de ses actes. Et il y a fort à parier que ça va pas être simple du tout. Parce que Tony ne connaît peut-être pas la bestiole dans son environnement naturel, mais ce qu'il a vu de Loki sous les effets du sceptre, ça empeste la prima donna capricieuse – le genre qui exige des fleurs, qui réclame des parades, qui ne sera satisfaite que par rien de moins qu'un monument montant jusqu'au ciel avec son nom placardé dessus en grosses lettres…

Dès que ces mots quittent sa bouche, Tony sent son rythme cardiaque s'arrêter net.

Il ne sait pas comment il parvient à allumer son portable ni comment il compose le numéro, mais en tout cas, il se retrouve à écouter la sonnerie d'attente avec le cœur au bord des lèvres, espérant de toutes ses forces qu'il se trompe.

Ça décroche au bout de trois sonneries, et le timbre grognon de son presque ado n'a jamais sonné aussi beau.

« Quoi ? »

« Jon » souffle Tony. « Dis-moi comment tu vas. »

« Pourquoi ça t'intéresse ? Je veux dire, depuis ce matin… hum ? »

« Jon ? Jon ?! »

« Okay, Tilly, je te le passe » entend-il dans le combiné, et un blizzard sibérien rugit au fond de ses tripes.

« Et alors, ça va comment avec les agents secrets ? » ronronne la voix de Mary directement dans son oreille, sauf que Mary se trouve actuellement dans le coma à bord de l'Héliporteur, et elle a raconté à Happy comment la magie permet d'imiter absolument n'importe qui pour le faire flipper…

« Touche à mon fils et je te fais bouffer tes tripes par le cul, tu m'entends, enculé ? » lâche Tony, le hululement de l'ouragan arctique vibrant sous son crâne et dans ses cordes vocales, il ne peut pas réfléchir, il a besoin d'étrangler ce salopard à mains nues pour lui apprendre à s'approcher de sa famille…

Un rire dans l'écouteur, bref et indulgent.

« Mais oui, je vais prendre soin de notre petit trésor. A bientôt, Anthony. »

Le portable tombe par terre avec un bruit sec que Tony perçoit à peine sous le rugissement dans ses oreilles. Peut-être qu'on lui parle, peut-être qu'on essaie de le retenir, il ne sait pas et s'en moque, il a juste besoin de mettre la main sur Black, Black qui est subitement là avec un air terrifié mais rien à faire, du moment qu'il se rend utile.

« Tu va me téléporter à la Tour Stark. Tout de suite. »


« Tu t'es fait engueuler ? » demande Jon Stark d'un ton soucieux à Loki qui le rassure d'un sourire.

Anthony est décidément béni d'avoir un si bel enfant. Oh, selon le canon Asgardien, Jon serait beaucoup trop maigre et noiraud, mais même les Ases concéderaient que son regard est magnifique.

Si malheur lui advenait, nul doute que l'Homme de Fer serait irrémédiablement brisé.

« Tu veux me consoler ? » propose Loki en ouvrant à moitié ses bras.

Le garçon lui sourit, puis se réfugie docilement dans ses bras. Comme tous deux se trouvent assis sur le canapé, il se retrouve à califourchon sur les jambes du dieu, posant sa tête bouclée sur l'épaule de Loki.

Sous sa peau, c'est facile de percevoir le fredonnement neigeux de la magie en pleine croissance. Loki inspire profondément, et un parfum de shampooing thé-verveine lui remplit les narines.

C'est un de ces moments qu'on voudrait voir durer toujours, mais bien entendu, ce n'est pas possible. Loki soupire quand il perçoit la brusque déchirure d'une téléportation tout près. À regret, il détache un bras du petit corps lové contre lui afin de convoquer un de ses couteaux dans le creux de sa paume.

C'est l'heure. Impossible de se dérober, maintenant.

Les pas précipités crépitent au-dehors, et Jon remue, soudainement agité, demeurant nerveux en dépit de l'application d'un baiser sur ses boucles brunes.

Ce n'est pas grave, ce sera vite fini, songe le dieu menteur alors qu'Anthony déboule dans la pièce tel un fou furieux, ses gantelets bourdonnant déjà d'énergie, le regard aussi terrifiant que les profondeurs de l'espace prêt à vous engloutir corps et âme.

« JON ! »

Jon sursaute.

Anthony fait un pas, puis deux.

Et Loki sourit alors qu'il déchire sa propre gorge de son couteau.