Aux dernières nouvelles, le surnom de Stephen Grant Rogers n'était pas Buck – ça, c'était son meilleur ami et pratiquement frère qui abhorrait son nom de baptême. Et pourtant, Steve se retrouvait à hiberner jusqu'au siècle prochain et à combattre des aliens brandissant des pistolets laser, exactement comme dans les mini-bandes dessinées des journaux de la Grande Dépression.

Si Bucky me voyait, il me ferait des convulsions de jalousie musa le soldat blond alors qu'il assommait un Chitauri à grands coups de bouclier sur la tête. Et je lui céderais volontiers ma place ainsi que tous les sunday strips sur les aventures de Buck Rogers dans le 25e siècle pour ne plus lire que les déboires de Tarzan.

Malheureusement, Tony n'était pas arrivé assez tôt pour empêcher le portail interdimensionnel de s'ouvrir, et maintenant une armée hostile envahissait New York – exactement le pire cauchemar du SSR, retardé de soixante-dix ans à peu près. Et pour contrer cette armée, l'état de New York – pire, les États-Unis dans l'ensemble ne disposaient que de six personnes qui ce matin encore n'avaient pas la plus petite idée de comment travailler en tant que groupe.

Remarque, Steve avait fait pire. Infiltrer un camp de prisonniers à lui seul plusieurs kilomètres derrière les lignes ennemies constituait un exemple flagrant. Au moins avait-il du soutien, cette fois, quoique déstructuré.

Et ce groupe était autrement plus redoutable que ne l'aurait été une équipe ordinaire de l'armée : après tout, ce n'était pas n'importe qui, quelqu'un en mesure de pulvériser trois soldats ennemis en leur lançant un éclair dessus ou de démolir un transport par un simple coup de boule.

Mais ils n'étaient que six. Le portail persistait à cracher des grappes de Chitauri et des léviathans belliqueux, la possibilité que le mystérieux marionnettiste responsable d'avoir suborné le frère de Thor décide d'intervenir sur le champ de bataille apparaissait de plus en plus horriblement viable, et plus le combat durait, plus ça coûterait cher aux défenseurs de la ville.

Steve ne crachait peut-être plus ses poumons dès qu'il effectuait plus de trois pas, mais ça ne signifiait pas que le sérum d'Abraham Erskine lui avait accordé une endurance sans limites. Et physiquement, il était au niveau d'un athlète olympique – il ne voulait pas imaginer ce que cela signifiait pour Romanoff ou son collègue Clint Barton (lequel avait insisté pour participer en dépit de sa commotion) ou encore les policiers traînés dans la bataille simplement parce que ça se passait dans leur quartier, dans leur ville.

Il fallait arrêter le combat, le plus tôt possible. Ou du moins saborder assez les chances de victoire des Chitauri jusqu'à l'arrivée de renforts.

Mais comment s'y prendre ?


Tony vivait un cauchemar.

Il était un civil, et il était heureux de le rester. Son champ de bataille, c'était l'atelier de robotique, son armée la légion d'avocats, de scientifiques et d'ouvriers payés par Stark Industries. Ses pires conflits étaient supposés être le développement d'une voiture volante et les sautes d'humeur de son presque adolescent.

Sauf qu'il était sur un champ de bataille, en train de tuer et de tuer, et malgré tous ses efforts ça ne s'arrêtait pas, ça menaçait de déborder de Manhattan et de noyer tous ces gens qui n'avaient rien demandé, qui s'étaient juste levés ce matin sans s'imaginer que l'Enfer allait s'ouvrir sur le pas de leur porte et Tony ne pouvait pas aider, il ne pouvait pas réparer ça…

Et puis, parce qu'il n'existait pas de situation si désespérée que Murphy ne puisse pas y ajouter son grain de sel, un missile entra en jeu.

Non, attendez, peut-être que ce n'était pas un élément aggravant, en fait. Une idée était en train de se former dans le crâne surchauffé de l'ingénieur – le genre d'idée qui pousserait Mary à l'assommer et Pepper à lui hurler dessus pour crétinerie suicidaire, mais qu'est-ce qu'il pouvait faire d'autre ?

Tout d'abord, expliquer à ses joyeux compagnons pourquoi fermer le portail des envahisseurs devait attendre qu'il fonce dedans. Mais bon, vu la menace, ils ne pouvaient pas réellement objecter. Ou peut-être que si, un peu.

« Tony » fit la voix étonnamment douce du Capitaine, « tu sais que c'est un aller sans retour. »

Bordel, pourquoi fallait-il qu'il dise ça, l'abruti ? Déjà que l'ingénieur se pissait dessus à la perspective d'effectuer cette cascade, l'autre bien-pensant lui rappelait les conséquences ! Si les gens s'arrêtaient pour penser aux conséquences, l'espèce humaine était fichue pour cause d'attaque de panique débilitante.

Tony ne pouvait pas penser à ce qui viendrait après, il devait se concentrer sur le maintenant ou New York était fichue dans son intégralité.

« Monsieur » intervint Jarvis, et il crut déceler un timbre hésitant dans la voix monotone de sa création, « dois-je appeler Miss Potts ? »

Ce serait logique de faire ça. Lui donner les consignes ultimes pour le futur. Peut-être enfin avouer à Pepper la phrase qu'il semblait incapable de formuler dès qu'il s'adressait à une femme.

« Appelle Jon. »

Tout en lui hurlait que c'était une mauvaise idée. Ne fais pas ça, ne lui fais pas entendre ça, ne lui fais pas revivre ça, une séparation sur des mots qu'il regrettera pour le restant de sa vie…

Mais Tony Stark était un égoïste jusqu'à la moelle, et il avait besoin de dire quelque chose à son fils.

Le téléphone sonna. Une fois. Deux fois.

Puis une voix juvénile, légèrement éraillée :

« Tony ? »

L'ingénieur déglutit alors qu'il fendait l'air entre les immeubles, fonçant vers sa tour et le portail.

« Hé, Jon. Je… pour ta fête, je suis désolé. »

De ne pas pouvoir venir.

« Pourquoi ? »

La voix de Jon vacillait sous le coup de la méfiance, pas encore muée, une voix de gamin et au moins Tony avait été pratiquement un adulte quand ses propres parents avaient décidé de faire ce putain de tour en voiture, mais Jon n'était encore qu'un bébé, douze ans c'est vraiment rien, c'est juste si petit…

« Ti voglio bene » s'étrangla l'inventeur. « Ti voglio tanto bene, tesoro. Possi non dimenticarlo. »

Un hoquet à l'autre bout du fil. Tony avait presque atteint la tour.

« Perché dici cosi ? ...Che cosa fai ?! »

Il avait atteint le portail.

« Papa ? PAPA ! »

La connexion mourut en même temps que s'éteignait le réacteur arc. Tony tenta d'inspirer et s'étrangla lorsqu'il se rendit compte qu'il ne pouvait pas.

Tout était noir et froid, lui mordant tout le corps, et il était paralysé, il ne pouvait plus remuer, il tombait…

Le brouillard sombre lui noyait les yeux alors qu'il regardait le missile percuter de plein fouet le vaisseau-mère Chitauri.

Trop froid.


La guerre vous familiarisait avec la mort et les sacrifices. Ça ne les rendait pas plus faciles à digérer.

Comment Steve était-il supposé accepter le sacrifice de Tony ? D'accord, l'ingénieur était un casse-pieds de première catégorie, mais ça ne le rendait pas méritant de ça – Tony avait eu une vie, des proches, et maintenant tout cela était aussi ravagé que la ville alentour.

Ou peut-être pas, vu qu'une silhouette rouge et or dégringolait du ciel.

Dieu soit remercié pour les prompts réflexes du Hulk – le colosse vert n'avait pas perdu de temps pour bondir, rattrapant in extremis l'armure pour atterrir sans grâce par terre, Thor et Steve accourant aussi vite qu'il leur était possible de venir.

Il fallait évaluer l'état général – comment ouvrir cette armure – Thor qui arrache le masque, ça marche aussi –

Euh.

Steve cligna des yeux. Il ne pensait pas avoir pris de coup sur la tête… mais alors comment expliquer ça, au juste ?

À ses côtés, Thor semblait tout aussi confus.

Pour sa part, Hulk ne se souciait guère de l'incongruité du spectacle, ce qu'il exprima via un rugissement qui fit probablement décoller tous les pigeons encore présents dans l'état de New York, et s'agenouiller les chevaux qui l'entendirent.

L'occupant de l'armure se réveilla dans un sursaut, le réacteur arc sur sa poitrine s'illuminant de bleu.

« Il s'est passé quoi ? …Dites-moi que personne ne m'a embrassé. »

Du pur Tony Stark. Steve avala sa salive, laissant son regard errer sur la rue pleine de décombres fumants et de cadavres aliens gris.

« On a gagné » fit-il sobrement.

« D'accord, ouais. Hourra ! Beau boulot, les gars. Heu, on évite juste de passer demain. On pourrait juste… prendre un congé. Vous avez déjà goûté au shawarma ? Il y a un restau à deux rues d'ici – je sais pas ce que c'est mais je veux essayer... »

« Stark » lâcha Thor qui avait enfin retrouvé sa langue, « avez-vous conscience de votre état ? »

L'ingénieur grimaça.

« Douloureux ? »

« Tony » fit Steve avec tout le tact possible, « tu devrais te regarder dans un miroir. Mais… ne panique pas, d'accord ? »

L'ingénieur cligna des yeux.

Des yeux devenus rouge sang, à l'intérieur d'un visage bleu couvert de marques ressemblant à des scarifications délibérées.

Traduction de l'italien

Ti voglio bene. Ti voglio tanto bene, tesoro. Possi non dimenticarlo = Je t'aime. Je t'aime tant, mon trésor. Ne l'oublie jamais (Pour votre instruction, ti amo est connoté très romantique, donc j'ai employé volere bene pour exprimer un amour plus familial)

Perché dici cosi ?... Ché cosa fai ? = Pourquoi dis-tu ça ?... Que fais-tu ?