Ce n'était certainement pas ainsi que Sirius aurait voulu se présenter enfin à son filleul perdu et retrouvé.
Il aurait choisi des circonstances nettement moins apocalyptiques, pour commencer. Par la pipe la plus puante de Merlin, pourquoi fallait-il que les dieux aient décidé de revenir sur Terre et de faire ce qu'ils faisaient de mieux, à savoir ruiner la vie des simples mortels ?
Les mortels qui entouraient actuellement Sirius paniquaient à juste titre. Encore heureux que tout ce petit monde soit perché dans une tour, vu que l'action se déroulait dans les rues en contrebas – en passant, c'était à ça que ressemblait la Tour Stark ? C'était nettement différent du 12 square Grimmaurd, question résidence de personne riche.
Bon, Sirius n'avait pas trop la tête à visiter ou admirer, vu que Stark ne l'avait amené ici qu'en qualité de chauffeur, vu sa capacité à transplaner. Et maintenant, la femme à l'indomptable chevelure brune avait remarqué l'insigne de SHIELD sur sa veste et réclamé des réponses.
Bon, il avait probablement enfreint le principe du secret-défense, mais vu l'armée extradimensionnelle occupée à tout ravager sur son passage, le secret-défense allait sans doute revoir ses critères.
« Vous êtes en train de nous dire que toute cette catastrophe, c'est à cause d'un dieu Viking ? » résuma l'homme en pull à col roulé, la voix nettement incrédule.
L'Animagus chien renifla.
« Votre fille est une sorcière, et vous ne croyez pas aux dieux ? Vous devriez, et pour ce qui est de pointer du doigt, Loki dispose de circonstances pas mal atténuantes. Au fait, qui l'a vu pour la dernière fois ? »
« Miss Angel est toujours auprès du dénommé Loki Odinson » intervint une voix désincarnée qui fit sursauter tout le monde, « afin de vérifier que son état de santé ne s'aggrave pas. Néanmoins, elle tient à rappeler qu'elle ne dispose d'aucune qualification pour la médecine, et aimerait être relevée de son actuel poste d'infirmière par un véritable professionnel. »
« J'ai comme l'impression qu'elle va devoir patienter » grinça le sorcier – généralement, les histoires de genius loci finissaient mal pour les pauvres types qui finissaient entre leurs murs. « C'est un peu occupé là, et ça va pas aller en s'arrangeant... »
Forcément, ce pronostic ne fit rien pour remonter le moral du couple, déjà occupé à étreindre leur fille comme si elle allait s'évanouir dans la nature en l'absence de contact. La fille elle-même arborait une mine pâlotte, ses lèvres pincées au point que sa bouche avait plus l'air d'un coup de crayon que d'une nécessité anatomique.
À l'autre bout de la pièce, l'autre fille et le garde du corps s'inquiétaient visiblement pour Harry et Sirius ne pouvait pas leur en vouloir. Quelqu'un qui se suicide juste à côté de vous, ça laissera forcément des marques. Surtout chez un gosse.
Il aurait dû faire quelque chose mais quoi ? Il se creusait désespérément la cervelle quand le téléphone sonna.
La conversation fut rapide, même pas trois minutes. Mais c'était bien assez pour que le monde explose.
« Papa ? PAPA ! »
Et puis, le coup de tonnerre se déchaîna.
Jon ne pouvait plus respirer. Enfin, si, mais l'oxygène avait du mal à circuler, au point que Happy lui massait le dos pour obliger ses poumons à travailler.
Il ne pouvait pas – c'était trop.
Tilly avec la gorge ouverte –
le trou dans le ciel –
le gars du SHIELD qui parle de dieux et d'aliens –
le coup de fil de Papa –
papapapapapapapa
« Shhh, tout ira bien, champion. Tu connais ton père, il aime embêter le monde, à tous les coups il s'en est sorti, et maintenant tout le monde est en train de lui crier après... »
Comment il était sensé croire ça ? Son père n'était pas là.
Il ne pouvait plus respirer. Sa poitrine lui donnait l'impression d'être comprimée dans un corset trois tailles trop petit, et il se sentait si mal que des larmes brûlantes à force d'être froides lui piquaient les joues.
« Black, pointez cette baguette dans une autre direction. »
« Mais vous l'avez vu ? Il est en train de tourner au bleu ! Littéralement ! »
Bleu ? C'est joli, le bleu. C'est la couleur du ciel, et aussi celle de la mer où Papa l'emmenait nager un week-end sur deux. Après l'Afghanistan, Papa est tout à coup devenu allergique à l'eau. Il veut même plus prendre de bains, seulement des douches.
Pourquoi se rappeler ça, tout d'un coup ?
Les bras de Happy soutenaient son dos et l'arrière de ses genoux, et ça bringuebalait tout à coup. Jon se demanda s'il allait vomir.
« Je me moque des procédures, si vous ne laissez pas ce garçon voir son père, vous allez le regretter amèrement… »
Sa tête cognait désagréablement, du papier de verre raclant l'intérieur de son crâne et l'arrière de ses yeux, et il n'y voyait plus rien.
« Jon ? JON ! Tesoro, parlami ! »
Et subitement il avait quitté l'étreinte de Happy pour une nettement plus fraîche, mais il connaissait ce relent d'après-rasage mélangé à la sueur, et il avait cru qu'il ne la sentirait plus jamais sauf qu'elle était toujours là.
Jon éclata en sanglots alors qu'une vague de soulagement glacial se répandait jusqu'au bout de ses orteils.
« Heu… Tony ? On dirait que ta nouvelle couleur est contagieuse. »
« Sérieusement ? »
La voix de son père paraissait épuisée autant qu'incrédule, mais Jon était trop fatigué pour analyser ça.
Qu'il soit connu de tous que Tony Stark n'avait aucune intention de devenir patient zéro pour la transformation en Schtroumpf. Rouge et or, à la rigueur ça aurait pu passer, mais bleu myrtille ? Il n'avait plus qu'à auditionner pour le rôle de Violet Beauregard dans la version comédie musicale de Charlie et la Chocolaterie.
Remarque, les producteurs lui préféreraient probablement Jon – qui lui aussi avait tourné bleu une fois dans les bras de Tony. Un bleu un peu plus clair, les marques sur son visage moins semblables à des cicatrices qu'à des tatouages.
Une fois calmé, sa crise de larmes finie, le petit avait louché avec curiosité sur sa peau colorée, admirant ses ongles noirs avec autant d'attention qu'un morceau de musique complexe, laissant un Bruce aux yeux ronds lui faire une prise de sang.
Il ne paraissait pas franchement dérangé par la température (Tony lui-même s'était pratiquement mis en caleçon, il ne comprenait pas pourquoi il avait aussi chaud d'un coup) ni par le fait qu'il se trouvait au beau milieu d'un laboratoire que SHIELD avait gentiment ouvert une fois qu'ils s'étaient retrouvés avec deux Schtroumpfs sur les bras. Jon semblait juste content de se blottir contre son père.
Ça n'allait sans doute pas durer, mais en attendant que le petit se rappelle la cascade suicidaire de son géniteur et lui hurle après de tous ses poumons, Tony était tout aussi content de câliner son rejeton. Et malheur à qui oserait les perturber.
Depuis tout à l'heure, Point Break les fixait comme s'ils venaient de lui annoncer que le ciel était violet à pois roses – parce que, tenez-vous bien, les simples mortels ne sont pas supposés se changer en jotunn. Géant des Glaces. Un genre de créature mythologique pas si imaginaire que ça, vu qu'il s'agissait en fait d'une race alien, qui avait la particularité d'être bleue, démesurée et encline à se promener en petite tenue par moins quarante.
Question taille, c'était vraiment pas ça – Tony était le premier à reconnaître qu'il était loin d'être un monument de masculinité écrasante, et Jon ne donnait aucun signe de poussée de croissance – mais le reste… ça collait au point d'en être troublant. Parce qu'aux dernières nouvelles, il n'avait pas tripoté de l'ADN extra-terrestre, alors comment ça s'était fait, hein ?
« Vous oubliez Locke. »
Tous les regards se tournèrent vers Romanoff qui ne loucha pas.
« Excusez-moi ? » fit poliment Steve, qui n'y comprenait visiblement rien, et il n'était pas le seul – Legolas et Jon aussi arboraient des mines paumés.
Tony poussa un soupir et resserra son étreinte sur son fils.
« Jon, trésor, pas moyen de tourner autour du pot. Ta nounou descend bien du ciel, elle descend même d'un peu plus loin. Heu, une minute, Loki est supposé être un Asgardien, et Leah est sa fille, alors comment… ? »
« En vérité, mon frère est un enfant adopté » confessa l'alien blond. « Un jotunn, et de pure souche qui plus est. J'ignore précisément la nature de l'homme qui l'a séduit et engendré la sorcière, mais il n'était certainement pas Asgardien. »
« Et vous pensez… que Locke… serait responsable de ça ? » voulut préciser Capsicle, désignant les deux myrtilles bipèdes dans la pièce.
« La transfusion » intervint subitement Fury, parce que bien sûr le super-espion était présent, et merde, c'était une hypothèse qui se tenait.
« Papa ? »
C'était décidément bizarre, de voir son fils avec des yeux rouges cerise.
« On va faire court, mon grand. Juste après ma naissance, ça allait très mal. J'ai eu une opération, et le donneur de moelle c'était quelqu'un qui se faisait appeler L. Laufeyjarson. Une femme, brune aux yeux verts si j'en crois la description dans les papiers d'Howard – il a essayé de la retrouver mais il a jamais pu... »
« Et d'après vous, cette femme serait… Leah Locke » fit Legolas, les yeux plissés comme s'il avait du mal à percuter.
Cap grimaçait, le genre avec la mâchoire crispée de qui vient de tomber sur un os.
« Et la compatibilité alors ? C'est déjà délicat avec les groupes sanguins, alors entre deux espèces différentes... »
« Exactement » laissa tomber la voix de Bruce.
Le spécialiste en rayons gamma et biologie n'était pas vert, mais cette nuance de blanc répandue sur son visage était tout aussi inquiétante.
« Docteur Banner » émit Fury. « Je sens que votre hypothèse ne va pas plaire. »
Bruce lâcha un gloussement un brin hystérique, un brin incrédule.
« Oh, ça oui. Pour contourner le complexe majeur d'histocompatibilité, il n'y a pas trente-six solutions : il faut avoir un ADN compatible. Au sein de la même espèce, c'est bien, et au sein de la même famille, c'est encore mieux. Vous saviez que les meilleurs donneurs de moelle sont ceux trouvés dans la fratrie du receveur ? »
Le silence était suffocant, presque autant que l'atmosphère confinée d'un caveau.
« Banner » finit par oser Steve, « vous n'êtes pas en train de dire ce que je pense. »
Bruce retourna les feuillets papier dans ses mains, ça se faisait encore les fiches papier ?
« Si, je le dis. Les analyses ne mentent pas : Stark a bien reçu une transfusion de moelle osseuse d'origine non-humaine qui a eu un effet tout à fait intéressant sur son système immunitaire, en passant, mais ça ne l'a pas tué sur le coup seulement car la moitié de son ADN était déjà d'origine non-humaine. Une moitié d'ADN que Locke présente aussi. »
Le scientifique s'arrêta brièvement, avala sa salive.
« Ma mère n'a jamais été infidèle » asséna Tony, aussi serein que l'œil d'un cyclone, son cœur jouant des castagnettes en plein dans ses oreilles.
La grimace de Bruce se creusa encore davantage.
« Non, Maria Stark n'était pas infidèle. Mais son ADN figurait sur la base de données du SHIELD, je ne sais pas pourquoi... »
« Affiliée au SHIELD, même si elle n'a jamais été membre » intervint charitablement Fury d'un timbre tendu.
« D'accord, alors cet ADN correspondait au génome mitochondrial de Stark et de Locke, et quand j'ai comparé avec un échantillon prélevé sur Loki, les résultats étaient parfaitement identiques. »
Bruce déglutit de nouveau avant de lancer la bombe atomique :
« Loki et Maria Stark sont la même personne. »
Pour reprendre Pietro Maximoff : celle-là, vous ne l'avez pas vue venir.
Et pour quand Tony dit tesoro, parlami, ça signifie trésor, parle-moi.
