10 novembre 2012
Il avait fallu une bonne semaine pour que Hermione aussi bien que Colin parviennent à se donner un rendez-vous, non sans avoir faussé compagnie à leurs camarades de classe et professeurs rendus abjectement paranoïaques et nerveux par les circonstances – ce qui était dur à leur reprocher, soyons honnêtes, quand bien même ça compliquait l'existence d'un agenda parallèle.
D'autant plus qu'un garçon n'était généralement pas supposé mettre le pied dans les toilettes des filles, fussent-elles désaffectées. Personnellement, Colin ne voyait aucun problème à respecter cette règle : filles ou garçons, les toilettes restaient des toilettes et donc pas spécialement appétissantes. À moins que s'y trouve un fantôme, parce que là, ça devenait tout de suite autre chose.
En fait de fantôme, Mimi Geignarde constituait un spécimen des plus décevants : d'accord, on voyait à travers elle, mais elle n'était pas couverte de sang et ne pouvait pas non plus détacher sa tête. Elle ressemblait juste à une fille de quatorze ans un peu grosse et pas mal acnéique, affublée de grosses lunettes et de cheveux pendants lui cachant la figure. Et à en croire Hermione – qui n'avait pas pour habitude d'exagérer – elle récriminait tellement que personne ne pouvait la supporter bien longtemps.
Quoique, pas en ce moment.
« Tu veux me photographier ? » répéta le spectre, ouvrant des yeux ronds derrière ses lunettes en cul de bouteille.
Colin lui adressa son sourire le plus charmant – sa maman et ses tantes lui disaient toujours qu'il avait l'air adorable et désarmant quand il faisait ça, autant que ça serve à amadouer le sujet qu'il voulait pour ses portraits.
« J'espère que ça ne vous dérange pas, miss… euh, je vous appelle comment ? Juste Mimi ? »
Le fantôme gloussa un peu.
« C'est miss Warren, ou Myrtle, comme tu voudras » dévoila-t-elle. « Sais-tu que tu es le premier à me demander ça depuis… oh, ça fait bien vingt-sept ans, maintenant. »
Colin ne put s'empêcher de siffler entre ses dents alors qu'il posait son sac par terre afin de pouvoir le fouiller plus commodément à la recherche de son appareil photo.
« Eh ben, ça fait longtemps pour être morte. Pardon, c'était désobligeant. »
« Non, non. Et si tu trouves que ça fait longtemps, j'aimerais te signaler que je suis morte depuis bientôt soixante ans » proclama fièrement Mimi – ce qui était quand même bizarre, être fière d'être morte, mais bon, Colin n'était pas un fantôme, alors qu'est-ce qu'il savait de leur code de conduite.
« Et ben ! » fit à nouveau le garçon, prenant soin d'injecter une touche d'admiration dans sa voix. « Ça, c'est de l'ancienneté. Et vous êtes restée à Poudlard tout ce temps, miss Warren ? »
« Oh, pas tout le temps. J'ai hanté Olive Hornby un long moment – c'est sa faute si je suis morte, après tout » se rembrunit le spectre, « et il était hors de question que je la laisse oublier ça ! Mais elle est allée se plaindre au Ministère… et moi, j'ai été renvoyée ici, et je n'en ai plus bougé. »
Tiens, c'était intéressant, ça.
« Attendez. Vous êtes morte ici ? » s'étonna Colin.
« Oooh oui, ici même, dans ces toilettes, tu te rends compte ? »
Elle avait l'air étonnamment heureuse, pour quelqu'un qui avait poussé son dernier souffle dans un endroit réservé au pipi et au caca. Décidément, les filles étaient bizarres.
« Je m'en souviens comme si c'était hier » continua de rêvasser nostalgiquement le fantôme, « Olive Hornby s'était moquée de mes lunettes, alors j'étais venue me cacher ici pour pleurer… C'est très tranquille, les toilettes, on ne vient jamais vous déranger, alors je pensais que je resterais seule aussi longtemps que je voudrais ! Sauf que quelqu'un est venu, et ça m'a fait un de ces chocs, parce que c'était un garçon. »
Colin fronça les sourcils alors qu'il repêchait enfin son appareil photo des profondeurs de son sac.
« Qu'est-ce qu'il faisait là ? »
« Aucune idée » confessa Mimi, « mais je savais que c'était un garçon, vu que j'entendais sa voix… et il parlait si bizarrement, ça crachait et ça chuintait, tu n'imagines même pas, et ça a fini par m'agacer au point que j'ai ouvert la porte pour lui dire de ficher le camp, d'aller dans ses toilettes à lui, et là ! Je suis morte. »
Si cette chute paraissait ravir Mimi, Colin se sentait pris au dépourvu.
« Quoi, comme ça ? Vous êtes juste tombée par terre, ou alors le garçon vous a attaquée ? »
« Je… je ne sais pas » avoua le spectre. « J'ai vu deux gros yeux jaunes, et tout d'un coup, mon corps s'est engourdi, je me suis sentie partir dans les airs… et puis, je suis revenue. J'étais décidée à hanter Olive – c'était sa faute, il fallait qu'elle la regrette, n'est-ce pas ? »
« Mimi » intervint tout à coup Hermione qui jusque là s'était contentée de superviser la discussion, « pardon de te couper, mais où se trouvaient ces yeux, exactement ? »
Le fantôme fit un geste vague de la main, indiquant les lavabos.
« Oh… par là. Tu peux examiner le lavabo, si tu veux. Mais je dois te prévenir qu'il n'a jamais marché. »
« Je crois que je me débrouillerais » décréta Hermione avec un sourire poli, « mais en attendant, si vous poursuiviez avec votre séance photo, tous les deux ? »
Colin brandit son appareil à pellicule.
« Prenez la pose, miss Warren. Vous allez être superbe. »
Minerva MacGonagall était habituée à ce que ses lionceaux s'attirent des ennuis et sèment la pagaille – après tout, Gryffondor était la maison des têtes brûlées et caractères impétueux qui fonçaient avant de prendre la peine de réfléchir. Néanmoins, ça ne voulait pas dire qu'elle encourageait ce type de conduite, surtout chez les plus jeunes années.
« Et pourquoi exactement » interrogea-t-elle, un regard sévère dardé sur le jeune Colin Crivey, « vouliez-vous prendre un portrait de Mimi… de miss Warren ? »
« Oh, c'est pour mon correspondant américain à Ilvermorny » riposta le garçon avec enthousiasme, « il adore tout ce qui est sinistre et horreur, mais comme chez lui, il n'y a pas de fantômes, je lui ai promis de lui montrer ceux de Poudlard. Et voilà qu'il y a une victime de meurtre dans le tas ! Ça va le faire grimper aux rideaux ! »
Monsieur Crivey paraissait on ne peut plus sincère, et Minerva avait été confrontée à suffisamment de jeunes élèves de la persuasion masculine au cours de sa carrière pour que la présence de goûts morbides chez eux ne la désarçonne pas. Elle n'en trouvait pas moins la chose déplorable.
Mais ce n'était pas l'important. Ce qui comptait, c'était ce que miss Granger s'en était allé raconter à Filius.
Professeur, je pense avoir trouvé une piste quand à la localisation de la Chambre des Secrets… et peut-être aussi concernant la nature du monstre.
À la réflexion, cela aurait dû couler de source : la tragédie des années quarante menaçant de se répéter, pourquoi donc ne pas aller consulter la seule victime en mesure de témoigner encore, d'autant plus que celle-ci se trouvait juste là, attendant seulement qu'on lui pose la question ?
La réponse, bien sûr, tenait dans le fait que cette piste avait été négligée la première fois, tout de suite après la mort de miss Warren. Le fantôme avait été trop agité, trop bouleversée par son sort injuste pour subir un interrogatoire, et le temps qu'elle se calme, l'affaire avait été bouclée, plus personne ne voulait y repenser, d'autant que c'était supposé être fini, terminé pour de bon.
Sauf que ça ne l'était pas. Près de soixante ans après le crime, quelqu'un avait décidé que ce serait une excellente idée de recommencer et de s'en prendre aux élèves de Minerva.
La directrice adjointe de Poudlard espérait vaguement que le coupable serait attrapé une fois la Chambre mise à jour. Elle avait des mots à lui dire.
