14 novembre 2012

Au cours de sa vie pour le moins tumultueuse, Alastor s'était vu reprocher tant de fois qu'il en avait perdu le fil d'être un incurable cynique. Comme l'avait si élégamment exprimé Arthur Weasley pourtant bonne pâte, avec Maugrey le verre à boire n'était jamais seulement à moitié vide, l'eau avait été empoisonnée également pour garantir que le buveur périrait dans d'atroces souffrances.

À cela, Maugrey ne manquait jamais de riposter que si le monde arrêtait de lui donner des raisons d'être un franc paranoïaque, il arrêterait de traiter chaque événement comme le prélude à l'Armageddon. Jusque là, le monde s'obstinait à le conforter dans sa méfiance.

Prenez donc la réouverture toute fraîche de la Chambre des Secrets à Poudlard. Si ça, ce n'était pas une raison de s'inquiéter ! Un bâtiment rempli d'au moins deux centaines de cibles faciles et vulnérables, ne demandant qu'à se faire gober par la première créature un tant soit peu hostile qui réussirait à passer les barrières de protection. Auquel cas, l'Angleterre magique pouvait dire adieu à toute une génération – et vu la faible natalité en général d'un foyer magique moderne, sans parler des répercussions insistantes de la guerre de Voldemort, la catastrophe porterait vraisemblablement le coup de grâce à la Grande-Bretagne sorcière.

Inutile de préciser qu'Alastor n'avait pas manqué de signifier précisément à Albus ce qu'il pensait du refus du directeur de contacter immédiatement le Bureau des Aurors après le soir d'Halloween. Albus avait bien tenté de pointer que rien n'indiquait qu'il ne s'agisse pas d'une farce déplorable, mais rien n'indiquait non plus qu'il ne s'agisse pas d'un mage noir sur le point de se déchaîner. Il y avait un temps pour l'optimisme, et Albus semblait croire que c'était toujours maintenant – un de ses pires défauts, si l'Auror vétéran s'était vu demander son avis.

Armando Dippet non plus n'aurait pas échappé à son ire pour avoir bâclé l'enquête si le précédent directeur n'était pas mort de vieillesse depuis : d'accord, Mimi Geignarde n'avait pas été en état de témoigner aussitôt après sa mort et le retour de ses mânes, mais il aurait pu lui poser la question plus tard ! Non, ce dossier avait été une catastrophe du début à la fin, et maintenant, toute l'école était infestée par la panique à cause d'un monstre qui aurait dû être abattu depuis belle lurette.

Discerner l'identité dudit monstre n'avait pas été aisé ; les attaques de 1943 ayant principalement consisté en pétrifications, quelqu'un du Département de Contrôle et Régulation des Créatures Magiques avait suggéré une Gorgone – comme si ça vivait ailleurs qu'en Grèce et en Sicile en raison du climat bien plus chaud – ou bien un cocatrix – qui aurait laissé du venin partout sur les scènes de crime.

Mais avec Mimi Geignarde témoignant qu'elle avait juste croisé un regard, et toute l'héraldique serpentine du vieux Salazar qui était si obsédé par le contrôle, si fier de son talent de Fourchelangue… Sans parler de Hagrid qui se plaignait que ses coqs ne cessaient de se faire tordre le cou en ce moment… et bien, ça commençait furieusement à ressembler à un Basilic.

Bien sûr qu'il fallait que ce soit la créature obscure de classification quintuple X, autrement ce serait trop simple. Bien sûr que c'était la satanée bestiole en mesure de vivre neuf cents ans allègrement, voire plus si elle entrait en hibernation. Bien sûr que c'était la maudite bête dotée d'un regard qui tuait instantanément, de venin si corrosif que ça rongeait tout réceptacle de moindre résistance que le diamant et d'écailles capables de dévier les sorts les plus corsés.

Parfois, Alastor regrettait profondément ses choix de carrière.

Enfin, du moment que la troupe assemblée pour infiltrer la Chambre des Secrets amenait une demi-douzaine de coqs avec elle, le Basilic ne poserait pas tant de problème. Ce serait le devenir de ses restes qui s'annonçait un calvaire – une bête si profondément magique et intrinsèquement rare valait facilement trois fois son pesant d'or, et quand on savait quelle taille pouvait atteindre un Basilic, ça revenait à une fortune proprement indécente.

Le Ministère voulait sa part du gâteau, forcément, les gobelins aussi désiraient s'en mêler – ce serait à eux d'évaluer et de distribuer les sommes dues, après tout – et pendant ce temps Poudlard affirmait qu'en tant que créature conçue par l'un des Fondateurs et abattue dans l'école, la prime du Basilic serait forcément reversée à l'institution. Bref, tout un ramassis de palabres et de politiques, exactement ce qui faisait horreur au chasseur de mage noir.

Il était parfaitement heureux de se tenir à l'écart de cette négociation, ayant d'autres chats bien plus urgents à fouetter : l'identité du prétendu Héritier de Serpentard, la personne responsable de la réouverture de la Chambre.

C'était possible qu'il s'agisse bel et bien d'un descendant du vieux Salazar : le Fondateur avait vécu plus de mille ans auparavant et était loin d'être un moine. Officiellement, sa progéniture s'était éteinte avec la disparition de la famille Gaunt, mais Alastor se méfiait – en mille ans, il y avait forcément eu des bâtards non reconnus, des branches déshéritées et autres cracmols perdus de vue, alors rien n'indiquait que le sang de Serpentard ne puisse pas encore se trouver en Angleterre. Ou en Amérique – il courait des rumeurs sur la sorcière ayant créé Ilvermorny, non ?

Ou alors, il pouvait s'agir d'une dupe. C'était rare dans les affaires où intervenait Maugrey, mais une fois tous les trente-six du mois, il s'avérait que le présumé coupable n'était bel et bien qu'un pigeon trop docile pour voir le piège se refermer sur sa gorge. Toujours délicat, ce genre d'histoire, au point qu'il préférait presque celles ne laissant que des cadavres derrière : au moins ceux-ci ne souffraient-ils plus.

Dupe ou coupable, Alastor n'en avait pas moins de deux cents personnes à examiner de près pour dépister des traces de magie noire, élèves comme professeurs – il sentait déjà les plaintes lui écorcher les oreilles. Un vrai bonheur, ce métier.


Étonnamment, ce ne fut pas à Serpentard qu'il trouva l'objet. Bon, il avait déniché plus que sa part d'artefacts douteux dans ce nid de vipères – tête réduite, fioles remplies de potions suspectes, amulettes tordues, une jolie moisson frôlant l'illégalité et parfois tombant à pieds joints dedans.

Et pourtant, cette récolte pâlissait en comparaison du simple journal intime relié de cuir noir, aux pages entièrement vierges, qu'il avait débusqué dans le dortoir féminin des premières années de Gryffondor. Plus exactement dans les affaires de la fille d'Arthur Weasley.

S'il y avait quelqu'un que Maugrey proclamerait sans hésitation ne pas être un Mangemort ou toute autre espèce de mage noir, c'était incontestablement le bonhomme. Ce n'était pas de l'affection ou de la naïveté qui le poussait à dire ça, simplement les faits : Weasley n'était pas ce genre d'homme. Il mourrait brûlé vif plutôt que de lever le petit doigt contre un Moldu.

Alors, pourquoi un livre incontestablement maléfique se trouvait-il dans les affaires de sa fille ?

Ce n'était pas à la légère que Maugrey employait un terme pareil. À son œil enchanté exprès pour détecter ce type de sorcellerie, le livre était une abomination décomposée, purulente, haletant à la manière d'un vampire assoiffé et pas regardant sur la proie du moment qu'elle était disponible.

Pas question de laisser une horreur pareille en la possession d'une fillette d'à peine onze ans. Dès que possible, Alastor allait porter ça aux Langues-de-plomb et demander à utiliser un de leurs fourneaux – vu ce qu'ils étudiaient au Département des Mystères, ils conservaient en permanence allumé un fourneau spécial, rempli de flammes capables de dévorer n'importe quoi. Ça ne serait pas de trop.

Il faudrait aussi qu'il se penche sur le cas du soi-disant professeur de défense contre les Forces du Mal. Un type pareil lui donnait mal aux dents, avec ses manières mielleuses et son narcissisme flagrant. Bon, il se pouvait qu'il cache des compétences réelles, mais Alastor ne parierait pas là-dessus.

Principalement car ce sourire radieux lui donnait juste envie d'envoyer le possesseur de ces dents artificiellement blanches en prison à grands coups de pied au derrière, et Alastor ne pourrait pas faire ça si le bougre ne cachait rien du tout.