22 novembre 2012

Dumbledore mentirait en prétendant ne pas s'attendre à une déconfiture plus ou moins sordide, mais il s'attendait plutôt à la voir se produire une fois l'année scolaire bouclée et les élèves prêts à repartir chez eux. Pas à ce que le désastre décide de n'en faire qu'à sa tête et de survenir alors que le premier trimestre finissait à peine.

Mais où allait le monde si on ne pouvait même plus se fier aux conventions établies ? Mine de rien, il s'agissait d'une sérieuse question lorsque la magie entrait en jeu – ses règles avaient beau relever davantage du narratif que du physique, elles n'en existaient pas moins.

Hélas, à chaque règle ses exceptions, semblait-il. En l'occurrence, le doublon maudit de la Chambre des Secrets et de Gilderoy Lockhart.

Tout terrible que ce fusse, la Chambre restait le plus facile des problèmes à résoudre : une fois le Basilic à l'intérieur prudemment abattu, la menace de l'Héritier se retrouvait complètement privée de dents. Mais un professeur exposé au grand jour comme un arnaqueur ? C'était la faculté entière qui en pâtissait.

Dire que Gilderoy aurait pu être célèbre et admiré pour ses propres talents, que ce soit en tant qu'Oubliator ou romancier – Merlin savait qu'il en avait eu les capacités, plus que suffisamment. Mais non, il avait décidé de s'attribuer les exploits des autres sous le coup de la fainéantise et de la cupidité, sans se soucier des répercussions sur le bien-être mental et moral de ses victimes. Le bilan était lourd : trois victimes désormais irréversiblement plongées dans ce que les Moldus appelleraient la maladie d'Alzheimer, cinq contraintes de suivre un traitement contre la dépression, et un mort qui avait complètement négligé sa santé physique jusqu'à un dénouement fatal.

L'esprit était une chose merveilleuse, mais si désespérément fragile. Face à pareilles horreurs, le Ministère avait unilatéralement décidé qu'un procès était inévitable – pour évaluer les restitutions correctes à fournir ainsi que déterminer un châtiment approprié, lequel serait vraisemblablement Azkaban pour une durée dépassant la décennie.

Heureusement que Lockhart n'ait manifesté aucune inclinaison à utiliser ses tactiques contre des gens n'ayant rien accompli de notable. Un homme sans scrupules entouré d'admiratrices crédules, ce serait si facile de profiter de l'aubaine… nul doute que les journalistes les plus dépourvus de scrupules viseraient dans cet angle particulier. Même si rien de tel ne s'était produit – car sinon, Dumbledore aurait été le premier à intervenir, les innombrables sortilèges imprégnant les pierres de la forteresse l'ayant prévenu du péril menaçant les enfants vulnérables confiés à sa garde.

Peut-être était-ce chauviniste de la part de Godric Gryffondor de présumer qu'une sorcière aurait besoin d'aide afin de repousser un agresseur décidé à ruiner sa vertu, mais l'intention n'en avait pas moins protégé d'innombrables jeunes filles au cours des siècles.

Mais le pire de cet affreux tandem était qu'il ne s'agissait que des catastrophes publiques. Celles dont la nation sorcière de Grande-Bretagne pouvait être informée sans aucun risque de céder à la panique ou de se voiler la face.

Alastor avait en effet déniché un journal intime des plus suspects dans les affaires de la jeune Ginevra Weasley. Conscient de ses propres limites en ce qui concernait la neutralisation et la destruction d'artefacts indiscutablement maléfiques, il avait suivi le protocole et remis l'objet en question au Département des Mystères afin que ceux-ci puissent étudier la nature de la menace avant de l'annihiler.

Étudier les Mystères vous exposait à des menaces et des dépravations si variées que cela dépassait l'entendement. Chacune avait un nom, une classification, une étiquette – et le verdict qui s'était abattu sur le journal intime relié de cuir noir était celui de phylactère.

Dans l'Antiquité égyptienne, phylactère désignait le talisman porté autour du cou afin d'attirer les bénédictions des dieux et déesses représentés dessus. Dans la tradition juive, phylactère désignait un objet de culte renfermant des versets sacrés portés au cours de la prière matinale.

Dans le vocabulaire sorcier contemporain, phylactère constituait un synonyme de Horcruxe.

Quand les Langues-de-Plomb avaient compris qu'ils avaient entre les mains un fragment d'âme irréparablement souillé par un acte de malfaisance délibérée, ils ne s'étaient pas fait prier pour jeter l'abomination dans un fourneau spécialement préparé pour consumer n'importe quoi de ses flammes avides, et Dumbledore ne pouvait qu'applaudir cette décision des deux mains.

Il n'avait pas demandé si les Langues-de-Plomb avaient identifié le propriétaire originel du phylactère. Il avait déjà une idée très précise de la réponse.

Rien que d'y penser lui serrait le cœur. Il avait soupçonné Tom d'avoir dévié du droit chemin très tôt dans sa vie, mais à un tel point, alors qu'il se trouvait encore à Poudlard… Ce garçon semblait déterminé à être sa plus grande honte et son pire échec en tant qu'éducateur. Combien de vies avait-il ruiné sous son propre nez ?

Au moins le meurtre de la pauvre Myrtle Warren avait-il enfin été élucidé, bien que l'intégralité des faits ne soit connue que de Dumbledore lui-même, et Hagrid officiellement innocenté du crime. Il était trop tard pour que le demi-géant reprenne ses études – la magie ressemblait à un muscle dans le sens qu'elle finissait par s'étioler en l'absence d'activité, et impossible d'y remédier une fois passé le cap des vingt-cinq ans – mais au moins il pouvait désormais utiliser les rares sorts qu'il avait déjà appris sans encourir de représailles.

Et au moins Dumbledore avait-il désormais une meilleure idée de comment Tom s'y était pris pour survivre à la déflagration magique s'étant déchaînée à Godric's Hollow, et pourquoi il avait été réduit à un si piteux état qu'il lui avait fallu posséder Quirrell pour regagner un semblant d'influence sur le monde mortel.

Bien sûr que Tom avait choisi la méthode qui chassait la mort loin de vous en l'infligeant aux autres depuis le début, il n'avait jamais accordé la moindre valeur à la vie humaine tant qu'il ne s'agissait pas de la sienne, alors seulement elle devait être défendue avec une rage bestiale et déraisonnée, elle justifiait les pires atrocités et les sacrifices les plus monstrueux.

Il était naturel de redouter la mort pour tout être vivant, mais à ce stade, cela tenait de la maladie. Et l'attitude d'un guérisseur émérite concernant la maladie était que peu importe sa nature, celle-ci devait être éradiquée avant de pouvoir ruiner des vies innocentes.

Éradiquer ce fléau spécifique s'annonçait tâche ardue, cependant. Tom n'avait jamais donné dans la demi-mesure, avait toujours renâclé à se détourner d'une option qu'il jugeait adaptée à toutes circonstances. Pourquoi n'en serait-il pas de même avec sa poursuite de l'immortalité ?

Plus d'un Horcruxe, donc. Et aucune idée de ce à quoi ils ressemblaient, ni de combien avaient été créés et où ils avaient été dissimulés. Et Dumbledore ne pouvait pas renoncer à ses responsabilités actuelles afin de partir en chasse.

L'absence du jeune Harry Potter se faisait cruellement sentir. Au moins le sorcier vieillissant aurait-il eu le réconfort de savoir que la lourde charge d'empêcher le retour d'un tyran ne reposait pas sur ses seules épaules, aurait-il eu l'assurance qu'il demeurait une ferme lueur d'espoir qui était garantie de ne pas s'éteindre.

Oui, une prophétie pouvait ne pas s'accomplir, mais Dumbledore avait besoin de croire en la réalisation de celle-ci, besoin de croire que l'enfant de James et Lily Potter était toujours en mesure d'endosser sa destinée – toujours vivant.

Il ne pourrait pas se pardonner le contraire.