Pepper Potts aimait croire qu'elle était une femme patiente. Le Ciel savait qu'il le fallait, pour partager le quotidien de Tony Stark qui s'avérait fréquemment plus immature que son propre fils pré-pubère. Elle aimait également croire qu'elle pouvait faire preuve de compréhension et d'acceptance.
Cependant, alors qu'elle observait Tony s'absorber de plus en plus dans le projet Iron Legion, rebutant les tentatives d'elle-même et de sa mère (oh misère, plusieurs mois venaient de passer et Pepper se débattait toujours avec la réalité du retour parmi les vivants de Maria Stark, même si ledit retour demeurait une information strictement restreinte au cercle intime très proche de Tony plus les Vengeurs) de l'extirper de l'atelier de plus en plus fréquemment, qu'elle le voyait vider tasse de café après tasse de café pour éviter de plonger dans un sommeil agité dont il émergeait inévitablement frissonnant et privé de souffle…
Et bien, elle commençait à se dire qu'elle n'était peut-être pas le parangon d'esprit ouvert qu'elle aurait voulu présenter.
Ce genre de réflexion sur votre personne n'était déjà pas agréable, mais quand vous le combiniez avec un syndrome de stress post-traumatique crevant les yeux et enflant de manière alarmante, cela devenait épineux.
« Le relationnel est toujours épineux » avait proclamé Leah – Hela, en vérité, sauf que l'autre femme insistait pour continuer à être appelée Leah par les gens dont elle avait fait connaissance sur Terre au cours de la décennie passée. « Mais si ça te rassure, je n'ai pas la moindre idée de quoi faire non plus ! »
Cela avait été lancé avec toute la jovialité discordante qu'aurait un missile à tête chercheuse peint en rose pétant et orné d'un ruban pailleté. Pour le coup, Pepper avait failli attraper le vertige mais s'était contenté de hausser un sourcil.
« J'aurais cru qu'une déesse aurait suffisamment d'expérience de la vie pour trouver une solution plus ou moins appropriée » avait-elle suggéré.
Un long soupir s'était extirpé de la longue silhouette de son interlocutrice. Le type de soupir remontant des tréfonds des poumons, épuisé par le chemin parcouru au point qu'il réussissait à peine à dégringoler des lèvres de l'émettrice.
« J'en ai vu beaucoup, oui » avait-elle reconnu, ses doigts jouant machinalement contre la porcelaine de sa tasse de chicorée, « mais je suis la déesse des morts sans gloire. J'ai vu défiler des suicidés, des vieillards et des malades à ne plus savoir qu'en faire, mais des soldats ? Ça, je ne m'y connais pas s'y bien. Surtout des soldats à moitié divins. »
Pepper aurait voulu protester contre le qualificatif de soldat – Tony était un ingénieur civil, en dépit d'avoir longtemps travaillé pour l'armée américaine. Ceci étant, au train où la situation politique et galactique se dégradait et vu la manière dont Tony avait décidé de réparer cette dernière via armure renforcée et application généreuse de décharges laser, c'était de plus en plus difficile de le considérer encore comme un pékin ordinaire quoique outrageusement intelligent.
Sans compter que les derniers mots de Leah avaient piqué sa curiosité.
« Comment cela, à moitié divins ? »
De longs ongles laqués de vert avaient cliqueté contre un rebords de tasse encore moite de chaleur et de salive.
« Les résidents de ce que j'appellerais les branches d'Yggdrasil » avait entamé la déesse d'un ton songeur, « divergent énormément les uns des autres. Sur le plan du physique, ça saute immédiatement aux yeux – impossible de confondre un Midgardien avec un Elfe ou un Géant du Feu. Ce qui est plus pernicieux, et moins facile à discerner, est la divergence de mentalité. »
« La culture, tu veux dire ? » avait tenté de préciser Pepper.
Mais Leah avait secoué la tête, ses cheveux noirs bruissant sur son cou et le col de son chemisier alors qu'ils accompagnaient le mouvement.
« Je parle de la psyché, des réactions. De la structure de l'esprit… Pardonne-moi, le vocabulaire humain ne suffit pas. Mais qu'il suffise de dire que les natifs de Midgard sont… fluides, je dirais ? Ça vient de leur situation de carrefour cosmique, vous les humains réagissez à toutes ces influences diverses et variées par une capacité d'adaptation proprement ridicule. Votre mental en devient… pas instable, mais… il n'est pas fixé, pas comme le mental d'un Asgardien ou d'un Jotunn. Il se défait et se reconstruit en permanence, il garde des marques de traumatisme alors que le mental d'un être vivant plus haut ou plus bas dans le Grand Arbre ne bronchera pas du tout. »
Pepper avait ruminé l'explication hésitante plusieurs minutes avant de parvenir enfin à la décrypter.
« Tu es en train de me dire… que le syndrome post-traumatique est un problème exclusif à la race humaine ? »
Grimace contrite de la part de son interlocutrice.
« Malheureusement, oui. Si… par exemple Thor, venait à combattre une invasion alien hostile et à sauter dans un trou de ver afin d'arrêter le désastre, il pourrait reprendre son train-train quotidien et tu n'imaginerais jamais qu'il aurait pu participer. Tu l'as vu toi-même, il était plus préoccupé par ses problèmes familiaux avec son frère que par les Chitauri. »
« Pas tellement vu que ça... »
« Ah oui, il est resté dans les pattes de SHIELD avant de décamper, j'oubliais. Mais c'est très typique des Asgardiens, ils ont évolué spécifiquement en tant que race guerrière, et ça diminuerait nettement leur efficacité s'ils venaient à souffrir de flash-backs et de cauchemars figurant leur dernière escarmouche, non ? »
L'argument se tenait, alors Pepper n'avait pas répondu.
« Les Jötnar… ne sont pas exactement une race guerrière, mais ils ont évolué sur un monde hostile où il est nécessaire d'être robuste. Fort par le cœur, l'esprit et le corps, alors eux non plus ne se laissent pas facilement abattre. L'essence d'un Géant des Glaces est de pouvoir endurer, persévérer envers et contre tout… La glace ne raye pas aisément. »
« Et Tony » s'était lentement rappelée Pepper, « est à moitié un… jotunn. Par sa mère. »
« Et à moitié un humain par son père » avait riposté Leah, le front plissé. « Ce n'est jamais drôle de vivre sur la frontière plutôt que dans tel ou tel pays, et pas juste pour les voisins. La plupart du temps, le concerné lui-même n'a aucune idée de comment il va réagir. »
Comme un chien-loup, c'était la comparaison qui s'était empressée de fuser dans les pensées de Pepper. Elle ne savait plus où, elle avait entendu raconter que les hybrides de chien et de loup étaient complètement imprévisibles, incapables de décider de quel parent ils tenaient le plus. On pouvait toujours les dresser, mais c'était plus compliqué que de s'occuper d'un simple chien ou d'un loup ordinaire.
Tony le chien-loup. Tony qui faisait constamment ce à quoi personne ne s'attendait. Oui, douloureusement appropriée, cette comparaison.
Et avec cette comparaison venait une anxiété sournoise. Un animal imprévisible, et bien… c'était compliqué à gérer. Un animal imprévisible en grande période de stress, c'était risqué. C'était dangereux.
Pepper avait voulu croire qu'elle se faisait des idées. Les gens n'étaient pas des bêtes, après tout. Et c'était bientôt Noël, Jon ne tarderait pas à rentrer pour le réveillon, ça devrait changer les idées à Tony. Ça devrait lui remonter un peu le moral.
Et puis il lui avait lancé une armure aux trousses parce qu'il était en plein cauchemar, et subitement Pepper n'était plus si sûre.
