10 mai 2013
« Tu sais ce que ma délicieuse correspondante a encore inventé ? » lança Jon d'un ton qui oscillait entre l'effroi et le respect.
« Non mais tu t'apprêtes à me le dire » dévoila lugubrement Alma, s'attirant une tape sur l'épaule de la part d'Eli Bard.
« Toi, tu devrais rejoindre le cours de Théâtre » décréta le garçon blond, « parce que tu sais faire de l'effet. »
« Ce serait pas plutôt la Divination qu'elle devrait prendre ? » lança quelqu'un d'autre à l'autre bout de la salle commune. « Quand tu veux dire la bonne aventure, pas besoin d'ouvrir le troisième œil, t'as juste besoin de pousser ton client à se pisser dessus avec un regard noir, et Wade a toujours l'air de vouloir te déchirer la gorge à coups de dents ! »
Jon aurait probablement dû intervenir afin de défendre son amie, mais c'était dur de s'élever contre la pure et simple vérité – ça et Alma n'avait aucunement besoin de son aide, comme elle darda son regard le plus charbonneux dans la direction de l'interjection, causant un glapissement apeuré du genre qui annonçait un changement de slip et de falzar dans un futur très, très rapproché.
« Je te disais donc » reprit l'hybride humain-alien une fois l'attention de son interlocutrice revenue vers lui, au grand soulagement du reste de la salle commune, « que notre Hermione devait choisir ses cours optionnels pour la troisième année. À ton avis, elle a choisi quelles matières ? »
La fille aux yeux jaunes fronça le nez, soupçonnant visiblement une entourloupe dans la question. Vu l'amour du garçon aux frisettes indomptables pour les énigmes, c'était une conduite assez prudente.
« Les matières qui demandent beaucoup de travail ? » hasarda-elle prudemment.
« C'est sûr qu'elle en aura du travail » admit Jon, « mais développe encore. »
Le nez se plissa encore davantage, au point que la peau semblait menacer de contracter des rides précoces. Combiné avec les yeux jaunes et la longue frange noire, Alma aurait pu poser sur la couverture d'un jeu vidéo type slasher et les ventes auraient assuré toute une génération hantée par les cauchemars en Amérique du Nord.
« Les matières pas populaires avec les autres élèves, parce qu'elle cherche à prouver qu'elle n'a pas peur de se fourrer dans les embêtements ? »
« Ah, pas un choix populaire du tout, ça non » commenta le garçon qui semblait de plus en plus s'amuser.
Alma renifla et fit une tentative guère convaincue de s'emparer de la lettre, mais les réflexes plus rapides de son interlocuteur mirent promptement le feuillet hors de sa portée.
« Allez, j'abandonne, alors arrête de tourner autour du pot. Tu meurs d'envie de le dire, de toute façon. »
Jon soupira aussi tragiquement que le lui permettait sa capacité pulmonaire. Quelqu'un le connaissant peu accuserait son penchant artistique d'en faire des tonnes, mais quiconque avait eu l'opportunité de rencontrer la famille Stark – et par là, il voulait dire pas seulement son père, mais aussi Nonna et Tilly – se contenterait de secouer la tête et de déclarer que les chiens ne faisaient pas des chats.
« Elle a tout pris » révéla-t-il d'une voix d'outre-tombe.
Alma le considéra sans mot dire pendant une bonne douzaine de secondes.
« … Quand tu dis tout... »
« Soin aux Créatures Magiques, Runes, Arithmancie, Divination, Étude des Moldus… heu, est-ce que j'en oublie une ? » marmonna Jon en comptant sur ses doigts. « Bref, tout ce qui était proposé, elle l'a pris pour l'année prochaine et elle va l'étudier. »
Les yeux jaunes clignèrent lentement, pareils à une lanterne pâlotte luttant pour ne pas s'éteindre en dépit d'un courant d'air résolument hostile.
« Et dans tout ça, elle a prévu de dormir et de manger quand ? » interrogea presque timidement la jeune fille.
« Quand tu lis des romans d'aventures chinois, le protagoniste maîtrise toujours cette technique fantastique qui signifie qu'il peut jeûner et rester debout pendant plusieurs décennies d'affilée » se lança Jon. « Si ça se trouve, Hermione peut faire ça aussi ? »
« Je vois pas comment une gamine anglaise pourrait apprendre un sortilège chinois » riposta Alma. « Et depuis quand tu lis des romans d'aventures qui viennent d'Asie, toi ? »
« Je lis des mangas et c'est japonais » lui rappela le garçon aux yeux bleus. « Et depuis ce micmac avec le Mandarin, bon, je sais que c'était pas un vrai Chinois qui était responsable de tout le bazar, mais juste au cas où, tu vois ? J'ai décidé de me familiariser un brin avec la Chine, pour être sûr de ne pas écraser les orteils qu'il ne faut pas, et en passant, tu sais que chez eux, ça porte malheur d'offrir une montre ? Parce que le mot pour horloge, c'est le même que pour mort… »
Jon s'arrêta pour reprendre son souffle. Alma attendit patiemment, sourcil haussé presque jusqu'à la racine de ses cheveux.
« Bon, tous ces idéogrammes, j'en suis pas encore là, mais je peux lire des traductions, et laisse-moi te dire, Au Bord de l'Eau c'est juste terrible. Basiquement Robin des Bois, mais cent fois plus misogyne, des hors-la-loi qui tiennent tellement à nouer des liens émotionnels entre eux que ça collerait de l'urticaire au premier homophobe venu, et bien sûr les deux tiers finissent par mourir tragiquement en rébellion contre le gouvernement... »
« Je ne crois toujours pas que Hermione connaisse une technique ancestrale chinoise » coupa Alma. « Surtout si elle a été inventée par des bandits. »
« Oh, vu le vitriol qu'elle crache sur son école et le gouvernement sorcier anglais, elle pourrait te surprendre un de ces quatre » commenta nonchalamment le fils de milliardaire. « Enfin, je m'inquiète sérieusement. Quatorze ans à peine, c'est beaucoup trop jeune pour un burn-out. »
« Quatorze ans, c'est beaucoup trop jeune pour être obèse, et pourtant quand tu lis les magazines de santé, tu apprends des statistiques affolantes, surtout dans les États-Unis » glissa la fille aux yeux jaunes.
« C'est pas un argument un peu éculé ? Un genre de point Godwin, mais pour les kilos en trop plutôt que le nazisme ? »
« J'essaie de te dire que les adultes inculquent leurs vices à leur progéniture de plus en plus tôt dans la vie » se défendit Alma. « Toi, ton père t'a transmis un sens de l'humour déplorable... »
« Brutal » se plaignit Jon en portant une main à sa poitrine pour démontrer que son cœur saignait métaphoriquement. « Véridique mais brutal. »
« Et les parents d'Hermione ont martelé à leur fille que travailler jusqu'à finir avec ton cerveau liquéfié entre les deux oreilles est un décès on ne peut plus enviable » termina la télépathe sans aucune sympathie pour la comédie en face d'elle ni pour la fille dont elle critiquait l'éthique et l'ascendance.
« Comme quoi, Freud n'avait pas vu assez large, c'est pas seulement la faute de ta mère si tu es incapable de fonctionner en tant qu'être humain normal, c'est aussi à cause de ton père » conclut le garçon aux frisettes folles. « Grand merci pour les névroses, on en viendrait presque à croire que Le Meilleur des Mondes avait raison en prêchant la dissolution absolue de la famille… »
C'était quand même fou, l'impact positif comme négatif de l'environnement au sein duquel grandissait un enfant. Que serait devenu Jon, si Tilly n'avait pas réussi ou voulu le confier à son père ? L'aurait-elle donné à quelqu'un d'autre – la famille adoptive de sa mère biologique, si celle-ci existait encore ? Aurait-il grandi sans crainte de voir son monde détruit par des terroristes afghans en quête d'un ingénieur, ou d'un rival industriel cherchant à assouvir une vengeance qui n'était raisonnable que pour lui ?
Question stupide, en vérité. Jon n'était pas ce garçon imaginaire et ne le serait jamais, le moment de vérité avait passé depuis belle lurette.
Il était Jon Stark, et rien ni personne ne changerait cela.
