29 juillet 2013
Mine de rien, recevoir la Gazette du Sorcier régulièrement quand vous étiez un criminel en liberté dans la nature, c'était beaucoup moins glamour que ça n'en avait l'air.
Aurait-il été en Grande-Bretagne, Sirius aurait utilisé sa forme de chien afin de récupérer un exemplaire jeté dans le caniveau ou la poubelle, personne n'y aurait prêté grande attention ou tout au plus auraient-ils pesté contre le cabot galeux qui s'amusait à dérober les ordures. Mais il vivait actuellement en Amérique, de l'autre côté de l'océan Atlantique – un facteur qui compliquait rudement les choses.
La femme Locke avait eu la suprême mansuétude de lui accorder un abonnement, sous prétexte qu'il pouvait lui servir de canari de mineur : si jamais il dénichait des nouvelles alarmantes dans le journal, l'Animagus illégal était supposé en informer la déesse Norroise illico, tant pis si c'était dimanche, tant pis si elle était dans le bain.
Le seul inconvénient du stratagème, c'était que les nouvelles n'étaient plus exactement fraîches en arrivant sur le palier de Sirius – l'exportation dans les colonies ne constituait pas une priorité majeure pour la direction du journal. Certes, celle-ci prenait la peine de distribuer la Gazette aux ressortissants anglais qui émigraient en France pour une raison ou une autre, mais entre un océan et la Manche, il existait une différence non négligeable.
À cause de cela, quand Sirius pouvait enfin éplucher sa feuille de chou, ladite feuille datait fréquemment de trois ou quatre jours. La femme Locke avait reniflé et déclaré que vu la médiocre populace magique dans le Royaume-Uni, il faudrait une sacrée grosse catastrophe pour que ça impacte leur société, et ce type de catastrophe serait suffisamment visible pour que même les moldus s'en rendent compte et postent des messages affolés et des spéculations plus ou moins valides sur les réseaux sociaux, alors ce n'était pas un vieux journal qui laisserait une marque indélébile.
Sirius avait dû se mordre la langue pour ne pas laisser échapper un avis positif. Il ne voulait pas apprécier la femme Locke, pas alors qu'elle avait volé Harry, pas alors qu'elle était une déesse et donc à peine moins dangereuse qu'une Acromantule ayant un creux et aucune hésitation à déguster une demi-douzaine d'humains pour combler son appétit.
Si seulement elle avait un peu moins raison concernant l'état actuel plutôt lamentable de la Grande-Bretagne sorcière – ces Mangemorts ayant réussi à éviter Azkaban, Lucius menant la charge, avaient décidé de concert que l'échec du terrorisme signifiait qu'il fallait plutôt descendre dans l'arène politique et financière, ça leur permettrait de mieux contrôler le Ministère et de faire passer les lois qui les intéressaient et leur profitaient à eux ainsi qu'à leurs sbires.
Une lecture pour le moins déprimante, ça. Sirius se surprenait à feuilleter la section mode féminine et recettes de cuisine en plus des sports pour se remonter le moral, c'était dire à quel point il tombait bas, lui le fier Maraudeur qui avait été un homme parmi les hommes pendant sa scolarité et le temps limité qu'il avait passé hors de prison en tant que jeune adulte.
Quand la présente édition lui fut amenée, la première chose qu'il remarqua fut la famille de rouquins occupée à sourire devant les pyramides – Arthur Weasley, impossible de s'y tromper. Sirius n'avait pas été très familier avec le bonhomme lui-même, mais les frères Prewett avaient souvent parlé de leur petite sœur Molly… bon sang, les jumeaux sur la photo avaient la même expression espiègle que leurs oncles maternels, le genre qui signalait que vous feriez mieux d'être sur vos gardes autour d'eux…
Depuis combien de temps Fabian et Gideon étaient-ils morts, déjà ? Sirius ne savait plus trop bien. Les frères Prewett avaient été abattus comme tant d'autres, membres de l'Ordre du Phénix et civils innocents et sang-purs et sang-mêlés et nés-Moldus fourrés dans une seule fosse commune creusée par la folie d'un Seigneur des Ténèbres aux ambitions démesurées.
Est-ce que les enfants de Molly se rappelaient seulement de leurs oncles – réalisaient pleinement la perte infligée à leur mère ? L'Animagus illégal pensait qu'au moins, la petite fille était née après le dernier baroud de Fabian et Gideon, et quelle surprise, une fille Weasley quand cette famille était bien connue pour engendrer une tripotée de rejetons mâles à chaque génération…
Une gamine rousse étreinte par un de ses frères qui ne semblait pas tellement plus vieux qu'elle, peut-être tout de suite avant elle…
Un frère avec un rat sur l'épaule…
Un rat avec un doigt manquant à la patte avant gauche…
L'ampoule du plafond grésilla dangereusement, le genre de bruit sinistre indiquant que le voltage venait de grimper si haut que les filaments menaçaient de fondre et le verre d'exploser sous le stress de la température. Sirius s'obligea à prendre une longue inspiration tremblante et à la garder dans ses poumons au lieu de haleter brusquement, assez pour que des taches noires virevoltent et dansent dans son champ de vision.
Il avait trouvé le traître.
Il avait trouvé le traître.
Bien sûr que Peter n'était pas mort – il avait toujours eu un don pour sentir quand les choses allaient tourner au vinaigre – toujours à s'inquiéter et à préparer des excuses et des plans d'évasions tandis que les Maraudeurs mijotaient une nouvelle farce – pourquoi ne pas prétendre être mort, aussi, pendant qu'il embobinait le reste du monde et se cachait dans une famille parfaitement ordinaire ?
Sirius aurait pu être admiratif devant la duplicité nécessaire au fonctionnement du plan s'il n'avait pas été si furieux, si occupé à réfréner une envie dévorante de mériter enfin sa condamnation à l'enfer sur Terre en courant commettre le meurtre dont il avait été accusé.
Mais non, ce serait trop bon pour Peter, n'est-ce pas ? Trop rapide comme châtiment, surtout comparé à une dizaine d'années sous les verrous d'Azkaban, la prison où le temps semblait se figer et vous emprisonner dans un cocon d'horreur, à la manière d'un insecte piégé dans l'ambre. Non, pour être vraiment équitable, il fallait exposer le traître – démontrer à l'Angleterre entière qui avait réellement mené Voldemort aux Potter ce soir funeste d'Halloween. Peut-être que le Magenmagot jetterait Peter dans l'ancienne cellule de Sirius ? Quelle belle ironie ce serait ! Le parfait retour des choses ! L'Animagus illégal laissa échapper un gloussement plus qu'à moitié hystérique de sa gorge, un rire que sa cousine Bella aurait apprécié, elle qui s'esclaffait démoniaquement au point de terrifier ses sœurs.
Il avait trouvé le traître – il pouvait dénoncer le traître – il pouvait venger James et Lily, enfin, après douze ans, il pouvait les venger, il pouvait enfin dire à Harry que justice avait été rendue…
Harry. Harry qui ne savait rien de James, qui savait si peu de Lily, Harry qui était maintenu à l'écart de Sirius par la femme Locke et l'Orfèvre du Mensonge en personne, Harry qui avait perdu sa famille à cause de Peter et n'en avait pas conscience.
Harry qui aurait pu être élevé par Sirius mais avait été emporté de l'autre côté de l'océan par une déesse Norroise pour devenir le fils d'un millionnaire américain.
Que se passerait-il une fois le nom de Sirius innocenté ? En théorie, cela devrait restaurer ses droits en tant que parrain, lui donner droit à la tutelle de Harry – et l'Animagus illégal voulait cela, il voulait avoir enfin accès à son filleul, pouvoir lui raconter qui avaient été les parents prêts à tous les sacrifices pour lui, pouvoir lui enseigner les mille et un trucs loufoques qu'on pouvait faire avec une baguette.
Sirius voulait ça, si fort que sa poitrine lui donnait l'impression d'être écrasée par des barres de fer. Si fort que ses mains tremblaient à la manière des ivrognes en manque de liqueur.
Mais est-ce que Harry voudrait ça ? Partir avec un homme qu'il n'avait rencontré qu'à de très brèves occasions, loin de l'homme qu'il appelait papa et des femmes qu'il proclamait ses tantes et sa grand-mère ? Loin de ses amies à l'école ?
Sirius serra les dents, un murmure impitoyable se glissant dans ses pensées et refusant de se laisser étouffer.
Non, il ne voudra jamais cela.
