Bonjour à tous !

Alors soyons clairs : j'avais besoin d'écrire pour me détendre, donc j'ai pondu une mignonne (ou pas) fic de Noël. Enfin, ça se passe à Noël, quoi. Par contre, pour l'instant, j'ai sept chapitres, et même si je sais parfaitement où je vais, je sais pas combien ça en fera en tout/ Logiquement huit, maiiiis on sait jamais comment ça va déraper. Donc je fais ça au feeling, un chapitre tous les deux jours, et ensuite on verra bien ^^ Je suis vraiment en dehors de ma zone de confort, en publiant alors que je n'ai pas fini de l'écrire !

Ce n'est pas un Calendrier, ce n'est pas relu, et ça n'a pas la prétention d'être vraiment travaillé ou crédible !

Précision importante : Eurus n'existe pas. Ok, je tue des gens, mais c'est Noël, et j'avais pas envie de traiter avec la complexité de son personnage dans l'histoire telle que prévue. Ne l'attendez pas en songeant que je vais la faire apparaître pour leur mettre des bâtons dans les roues : ça n'arrivera pas.

Rating : M

Disclaimer : Sir Arthur Conan Doyle, pour le personnage de Sherlock Holmes, Moffat, Gatiss et la BBC pour son adaptation moderne. Merci à eux de me prêter leurs jouets pour que je puisse faire des bêtises ! ^^ Je ne possède que les personnages originaux qui viendront faire une apparition sur ce texte, et ne gagne pas le moindre centime ni rémunération quelconque, sinon savoir que je vous fais sourire !

Bêta : Aucune. Les fautes me sont 100% imputables, et je m'en excuse par avance.

Bonne lecture !


Chapitre 1

À l'âge de cinq ans presque six, le monde de John Watson changea une première fois, et il rencontra Sherlock Holmes. Si cela n'était pas arrivé, l'intégralité de sa vie aurait été profondément bouleversée. Mais il était entré à l'école, et le monde avait choisi cette option là pour lui : il était tombé (littéralement) sur Sherlock Holmes.

À l'époque, l'enfant avait à peine quatre ans, sept mois et vingt-huit jours, de l'avance sur le programme scolaire, et déjà le sacré caractère qui serait ultérieurement sa marque de fabrique.

Il avait donc agoni John d'insultes toutes plus polies les unes que les autres (d'une, Sherlock n'avait sans doute jamais dit putain de toute son existence, de deux, il avait plus de vocabulaire à quatre ans et demi que John à presque six ans), et John était devenu écarlate de gêne.

Il était juste un gosse maladroit qui avait trébuché, et il avait réussi l'exploit d'être l'un des plus grands et vieux enfants à faire sa rentrée (il était du mois de septembre, il allait avoir six ans dans quelques jours, alors que certains avaient fêté leurs cinq ans trois jours avant) qui était tombé sur le plus petit, puisque Sherlock avait quatre ans et demi et une intelligence hors du commun. Normalement, il était impossible d'entrer en première année de primaire avant d'avoir cinq ans révolus. Mais impossible n'était pas Sherlock, comme John allait l'apprendre tout au long de sa vie.

Bien sûr, le petit garçon blond s'était confondu en excuses, mais ça n'avait pas du tout suffi. Outre son sale caractère, son intelligence surdéveloppée, et son vocabulaire étendu, Sherlock était rancunier. John aurait bien voulu ne pas le prendre personnellement, vu que Sherlock semblait détester tout le monde, mais le fait que Sherlock le détestait particulièrement et lui faisait savoir à chaque occasion, et John n'avait que six ans : il n'était pas fait pour résister au mépris permanent d'un tout petit garçon aux grands yeux bleus, aux boucles complètement erratiques, et à la langue assassine.


Cela avait duré un an, jusqu'à la rentrée suivante, ou un peu après. Si Sherlock détestait tout le monde, le reste du monde le lui rendait bien. Il était souvent protégé par son statut de petit dernier, clairement en dessous de l'âge des autres, mais ça n'empêchait pas les plus téméraires de tenter de s'attaquer à lui. John, déjà à l'époque, ne comprenait pas pourquoi. Oui, Sherlock était bizarre. Oui, Sherlock était souvent cynique. Oui, Sherlock était plus intelligent qu'eux et le faisait savoir. Oui, Sherlock le détestait (mais il avait une bonne raison pour ça, il s'était quand même écorché les genoux à cause de John qui s'était écrasé sur lui). Pour autant, il ne lui serait jamais venu à l'idée de frapper Sherlock pour ça. Il ne voyait pas ce que ça pouvait lui apporter de bon, ni ce que ça résoudrait comme souci. Sherlock serait toujours bizarre, cynique, plus intelligent et méprisant des autres, même si on lui faisait un croche-pattes ou qu'on se moquait de lui.

Manifestement, les autres gamins ne raisonnaient pas comme John, et un jour de septembre, ils firent trébucher Sherlock plus violemment que d'habitude. Sherlock était encore en short, les jours étaient encore suffisamment beaux pour qu'ils ne soient pas passé à l'uniforme long. Il s'écrasa par terre, et surtout sur les fins cailloux qu'il y avait en nombre à cet endroit de la cour. Le tout, sous le nez de John.

Qui ne réfléchit pas, s'approcha de l'enfant au sol, et lui tendit la main pour l'aider à se relever. Sherlock le détestait, d'accord, il avait le droit. Mais John ne détestait pas Sherlock. Il ne détestait personne. Il était comme ça, John.

À sa grande surprise, Sherlock regarda la main tendue devant lui, la personne à qui elle appartenait, et la saisit pour se relever.

— J'ai des pansements, dit John. Pour tes genoux.

Là où il s'était blessé, un an auparavant, à cause de John, il était de nouveau en sang. Les genoux mouchetés de rouge et de gravier et de poussière. Il ne pleurait pas, mais John pouvait voir dans ses yeux si clairs les larmes de douleur et de colère qu'il essayait de vainement retenir.

— Mais faut laver tes g'noux, avant, précisa-t-il en tendant aussi son mouchoir en tissu.

Ils pourraient le mouiller aux toilettes, pour essuyer les genoux du blessé. Ça allait faire mal, John le savait. Ça piquait beaucoup. Il se blessait souvent. Il adorait courir, grimper aux arbres et s'érafler de partout. Sa mère avait abandonné l'idée de le tenir sage, et lui avait expliqué comment nettoyer sommairement des petites plaies avant de mettre un pansement dessus, expliquant pourquoi il en avait dans sa poche.

Sans dire le moindre mot, Sherlock le suivit aux toilettes, et le laissa procéder à la manœuvre de « soins » (le terme était pompeux, mais du fait de leur respectivement cinq ans et demi (cinq, huit mois et dix-huit jours, si on avait demandé à Sherlock) et sept-ans-depuis-hier, c'était énorme) sans faire le moindre geste pour l'en empêcher, et sans pousser le moindre cri, même quand John enleva les cailloux de ses plaies.

Puis il lui colla trois pansements sur le genou droit, et deux sur le genou gauche, et ils repartirent vers la classe parce que c'était la fin de la récré et Sherlock n'avait toujours rien dit.

À l'âge de sept-ans-depuis-hier, le monde de John évolua donc de nouveau, quand il devint l'ami de Sherlock Holmes, sans même l'avoir voulu. On ne faisait pas changer d'avis Sherlock. Il avait voulu comprendre pourquoi John l'avait soigné, et devant l'incapacité de John de lui donner une explication sensée (il n'en avait pas, il soignait des gens et des oiseaux quand il en trouvait, c'était comme ça), il s'était mis en tête de comprendre John, et de pour cela passer tout son temps avec lui.

John l'accepta, parce qu'il était content que Sherlock ne le déteste plus et lui ai pardonné pour l'accident de leur première rentrée de l'école. Il ignorait à ce moment-là que ça allait durer pour les dix ans à venir, mais ça lui allait. Quelle importance ? Un Sherlock pas fâché contre soi était une source d'émerveillement permanente. C'était drôle de le voir être en colère, cynique, plus intelligent que d'autres que soi, et John en profita avec plaisir.


À l'âge de huit ans et des poussières, John pénétra à Musgrave pour la première fois en poussant un « ooooooh » émerveillé. Sherlock et lui étaient toujours dans la même classe et ne s'étaient plus jamais quitté, au point de devenir les meilleurs amis du monde pour toujours (avec toutes les promesses et les drames qui allait avec, quand c'étaient des enfants de huit ans qui étaient impliqués dans un tel serment d'éternité). Mais leur relation n'avait jamais trop dépassé les bancs de l'école. Sherlock était venu une fois ou deux chez John, pour fêter son anniversaire ou ce genre d'occasions, et il leur arrivait (très souvent) de jouer dehors ensemble : ils avaient découvert que la forêt qui bordait leur petit village de campagne touchait à la fois le jardin de la maisonnette de John, et le terrain de l'immense manoir de Sherlock. Ils avaient donc pris l'habitude de se retrouver dans la forêt, leur territoire qu'ils connaissaient par cœur, et inventaient tous les jeux possibles et imaginables que deux gosses de cet âge pouvaient faire dans la nature. Ils avaient construit une cabane (nettement plus abouti que toutes les réalisations qu'un adulte pouvaient faire, logique quand votre architecte s'appelait Sherlock Holmes et était un génie autoproclamé, y compris en construction de cabane), quadrillé la forêt, grimpé dans tous les arbres qu'ils pouvaient, organisé des chasses aux trésors, joué à cache-cache et au loup, à saute-mouton et à reconnaître tous les arbres et toutes les plantes et tous les buissons.

Mais aller chez Sherlock ? Jamais. À ce stade, même l'existence du reste de la famille de Sherlock était de la théorie pour John.

Sauf que ce fut à cette période que Elisabeth Watson, sa mère, tomba gravement malade. John ne savait pas ce qu'elle avait exactement, personne ne lui disait rien, il avait huit ans. « Ta maman est très malade » disaient les adultes quand il posait la question. Donc soit. Maman était malade.

Maman ne pouvait plus venir le chercher à l'école. Maman ne pouvait plus s'occuper de lui. Harry, sa sœur de quatre ans son aînée, pouvait s'occuper d'elle-même, mais pas d'avoir la responsabilité de son cadet. Papa devait travailler, surtout que maintenant, il y avait des frais médicaux très importants. Quelqu'un devait prendre soin de John à la sortie de l'école.

Il se trouvait que les parents Holmes et Watson savaient parfaitement le lien qui unissait leur enfant respectif : les deux mômes en parlaient régulièrement avec force superlatifs, de leur super-copain. Violet Holmes apprit un jour en venant chercher Sherlock à l'école que Elisabeth Watson était malade. Elle offrit naturellement son aide. Elisabeth Watson ravala sa fierté, et évoqua le besoin de faire garder son fils après l'école, tous les jours de la semaine. Violet Holmes n'y vit même pas ça comme un service. Elle et son mari travaillaient régulièrement de chez eux, surtout elle, qui était chercheuse en mathématiques, et à l'exception des conférences qu'elle donnait à l'université d'Oxford, la ville d'à côté, elle était souvent là. Quand elle était absente, son mari prenait le relais, ou Mycroft, son aîné qui avait presque six ans et demi de plus que Sherlock et la maturité d'un ado de dix-huit. L'un dans l'autre, surveiller un enfant ou deux, ça ne posait vraiment pas problème.

Ce fut ainsi que John fut un jour récupéré par Violet à la sortie de l'école, et découvrit l'immense manoir qui servait de maison à Sherlock.

Il devait y passer l'intégralité de ses après-midis pour les six ans à venir.


À l'âge de quatorze ans, la vie de John bascula une nouvelle fois. Sherlock était à ses côtés, comme il l'avait toujours été. Il se plaignait régulièrement qu'il se fatiguait en cours, que leurs profs étaient nuls, qu'il s'ennuyait, n'apprenait rien (« Mais ça fait huit ans que tu n'apprends rien, abruti de génie, c'est pas une nouveauté », lui répliquait systématiquement John), qu'il voulait aller au lycée, progresser plus vite, mais il n'en faisait rien. Et John savait très bien pourquoi : il restait avec lui.

Et ça lui allait très bien. Affronter l'existence et l'adolescence qui rôdait autour d'eux, c'était déjà bien assez compliqué, il n'avait aucune envie de le faire sans la présence de son meilleur ami.

Parce que d'une manière assez inexplicable, Sherlock était toujours là, dans son paysage. Tous les jours, au collège. Tous les soirs, en rentrant de cours. Tous les week-ends, du matin jusqu'au soir. Ils passaient la majeure partie de leur temps ensemble, sans se lasser, même s'ils ne faisaient plus franchement la même chose parfois.

Sherlock lisait des thèses et des volumes scientifiques qui auraient pu facilement assommer quelqu'un, jouait du violon, composait, s'entraînait à la chimie dans le mini-laboratoire que ses parents avaient fait installer pour lui au manoir Holmes. Il pratiquait la danse classique et des cours de self-défense. Il regardait aussi énormément la télévision, ingurgitant des dizaines d'émission toutes plus débiles les unes que les autres. Il ne fallait surtout pas croire qu'il aimait ça (à entendre toutes les remarques râleuses qu'il sortait, il était même certain qu'il détestait ça), mais il faisait des études psychologiques pour tester les réactions des humains, et comprendre les mécanismes qui poussaient les gens à agir de telle ou telle matière. Il s'entraînait parfois sur des vraies gens, généralement leurs camarades de classe ou leurs professeurs, mais leur village était paumé en pleine campagne, ils n'étaient pas nombreux et désormais, tout le monde le connaissait trop bien. Quand il ne pouvait pas tester, il demandait à John de lui expliquer et ils passaient de longues heures à analyser ainsi la psyché humaine. Les sentiments humains n'étaient pas un domaine que Sherlock comprenait très bien, et paradoxalement, à force de travail, il devenait bon pour les comprendre.

John, de son coté, lisait des polars, dont il était friand, écoutait son ami jouer du violon sans jamais être capable de distinguer Beethoven de Mozart (« c'est normal, John, c'est Lizst, suis un peu ! » grinçait Sherlock), révisait tous ses cours sérieusement parce qu'il avait décidé de devenir médecin, à force de toujours avoir des pansements au fond de ses poches, et regardait le sport à la télévision. Il aimait aussi pratiquer, principalement le rugby, même si l'équipe de bras cassés de leur établissement scolaire ne méritait pas vraiment ce terme, ça l'éclatait.

Ils n'auraient pas su être plus différents, mais pourtant, ils faisaient toujours tout ça ensemble. Sherlock s'installait au bord du terrain de rugby et critiquait le jeu et les tactiques à la fin sans même avoir jeté le moindre œil au terrain, semblait-il. John révisait ses cours assis à côté de Sherlock dans son laboratoire. Ils regardaient même la télévision ensemble, parfois, acceptant de supporter le programme de l'autre, et c'était alors hilarant, parce que Sherlock était devenu la personne la plus cynique que John connaissait.

Ils passaient aussi encore beaucoup de temps dans la forêt, dans leur cabane. Elle était devenue minuscule, pour leurs corps d'adolescents en pleine croissance (et Sherlock était à deux doigts de dépasser John, ce qui était injuste, il avait presque dix-huit mois ans de plus que lui, enfin !), mais c'était leur refuge, leur part d'enfance qu'ils ne parvenaient pas tout à fait à se résoudre à quitter. Elle était meublée de couvertures et de plaids, et ils s'y emmitouflaient, roulés en boule ou en position fœtale, bercés par le silence de la forêt. Dans ces moments-là, ils avaient les discussions profondes, celles sur l'avenir, vaste page blanche terrifiante. Sherlock avait beau dire qu'il avait tout prévu et qu'il ne laisserait rien se mettre en travers de leur chemin, John voyait dans ses yeux clairs et entendait dans sa voix tremblante que lui aussi, il avait peur de ce qui se passerait au-delà des murs rassurants de leur cabane.

Et ils avaient raison d'avoir peur. Car il se produisit quelque chose que Sherlock n'avait pas pu prévoir. Elisabeth Watson était toujours malade. C'était un fait. John était désormais suffisamment grand pour demander (et comprendre la réponse) de quoi elle souffrait exactement, mais il n'en avait aucune envie. Parce que la réponse n'avait aucune importance. Dans tous les cas, il savait que sa mère allait mourir. C'était un fait certain. Chaque jour qu'elle achevait était une victoire dans la bataille qu'elle menait, mais elle ne gagnerait jamais la guerre. La maladie était une combattante patiente et obstinée. Elle attendait, grignotant lentement la mère de John, sans jamais se presser. Elle allait mourir, et la seule question était de savoir si elle aurait le temps de voir son fils devenir majeur. Personne ne pariait réellement sur cette possibilité. Ni les médecins, ni sa famille. Ils profitaient de chaque jour comme si c'était le dernier, sans pourtant rien faire de particulier. Quand la maladie durait depuis six ans, il n'était plus crédible de faire une grande célébration, un dernier voyage autour du monde ou aller voir la mer une dernière fois chaque jour. C'étaient des petites choses. John n'allait jamais se coucher, ne partait jamais à l'école sans avoir dit à sa mère qu'il l'aimait, au cas où ça soit la dernière fois, par exemple. Mais ils ne célébraient pas réellement chaque jour pour autant.

La mort d'Elizabeth, elle était notée sur le grand plan de l'avenir de Sherlock Holmes (oui, c'était un vrai truc, un titre pompeux sur un cahier à la couverture bleue où Sherlock griffonnait des tas de choses pour planifier leur vie). Il lui manquait un peu de données pour prévoir quand, mais elle allait survenir.

C'était celle de tous les autres qu'il n'avait pas vu venir.


À l'âge de quatorze ans, la voiture familiale des Watson quitta la route à cause d'un animal qui traversa par surprise, un jour de pluie. Le chevreuil ne survécut pas à sa rencontre avec la carrosserie. Richard, Elizabeth et Harriet Holmes, tous présents dans la voiture, ne survécurent pas à la rencontre avec un arbre, et au brasier qui se déclencha à la suite de l'accident. À l'âge de quatorze ans, John, au même moment en train de réviser ses devoirs de maths avec Sherlock à Musgrave, devint orphelin.

Il y eut la surprise, bien sûr. Puis la douleur, et la colère. Il n'y eut aucun déni, car l'accident et les photos macabres de la voiture en flammes parurent dans tous les journaux, l'évènement était majeur pour leur petite ville.

Puis il y eut la terreur, entière et totale. John était entièrement seul au monde. Sa maison était vide. Plus personne ne reviendrait jamais pour lui sourire. Il était désormais la seule personne à en avoir les clés.

Violet et Sieger Holmes, bien sûr, refusèrent de laisser le jeune adolescent rentrer chez lui après le drame. Il arrivait régulièrement qu'il reste dormir au manoir, il avait ses habitudes dans la chambre d'ami à côté de celle de Sherlock, et ils lui ordonnèrent d'y rester. John resta allongé sur le lit, les yeux grands ouverts, sans pleurer ni prononcer un mot, totalement anesthésié par la nouvelle — le choc, la douleur, la colère, la terreur, tout en même temps. Roulé en boule à ses côtés, Sherlock demeura près de lui toute la nuit, Et toutes les nuits suivantes.

Jusqu'à ce que, une semaine plus tard — durant laquelle les deux adolescents avaient raté tous les cours — une assistante sociale débarque sur le pas de la porte et demande à lui parler.

— Tu vas venir avec moi, demanda-t-elle.

— Quoi ? Où ? Pourquoi ?

C'était presque les premiers mots que John prononçait depuis plus d'une semaine, et sa voix crossait comme un corbeau enroué. Assis autour de la table de la cuisine de Musgrave, à côté de lui, Sherlock laissa échapper un bruit qui semblait un feulement, et qui disait clairement ce qu'il pensait d'éloigner John de lui. Un corbeau et un chat, drôle de mélange. Ça aurait sans doute pu inspirer une fable à cet auteur français que la mère de Sherlock adorait, et dont elle leur avait lu tout un tas d'histoires, quand ils étaient plus jeunes.

— Dans une famille d'accueil, répondit l'assistante sociale en consultant ses papiers, devant elle. Vers... Thame, précisa-t-elle en lisant une feuille. Je suis désolée qu'on ait tant tardé à venir. D'habitude c'est la police qui récupère les enfants, nous intervenons immédiatement, mais là, on ne savait pas où tu étais, ça a pris du temps...

Sherlock leva un sourcil. Leur petite ville tirait plutôt sur le village. Une seule école, un collège-lycée qui accueillait aussi d'autres élèves du coin, quelques commerces, trois bistrots, beaucoup de champs. La police ici se résumait à trois braves types qui ne servaient pas à grand-chose, sinon calmer les bagarres, le soir au pub, et connaissaient de vue tous les gamins de la région et leurs parents. Si on avait demandé à n'importe lequel où se trouvait John Watson, la réponse aurait été immédiate : « à proximité de Sherlock Holmes. Et pour le trouver lui, c'est facile, cherchez les ennuis qu'il s'attire avec sa grande gueule de môme de douze ans ». Ces gens n'avaient clairement pas bien cherché longtemps, s'ils n'avaient pas été foutu de trouver John chez Sherlock, où il passait tout son temps.

Il n'avait pas remis les pieds chez lui depuis. Sherlock avait profité d'un moment où il avait sommeillé pour lui voler ses clés, et les donner à son père : il avait ramené des affaires pour John, bouquins, fringues, affaires de cours, uniformes, ustensiles de toilette, son ordinateur et des chargeurs de téléphone ou Dieu savait quoi, mais essentiel pour faire marcher la technologie que les deux garçons utilisaient peu, mais qu'ils aimaient bien quand même. Ils aimaient juste mieux la vraie vie. Enfin, avant que la vraie vie n'arrache tout à John.

— Mais j'veux pas, répondit John à l'assistante sociale, le regard terrifié.

— Tu es un enfant, lui expliqua patiemment la femme. Tu n'as plus de famille. Nous faisons des recherches, mais nous avons contacté un oncle que tu as, du côté de Liverpool. S'il accepte, il deviendra ton tuteur légal.

— Je vais aller vivre à Liverpool ? demanda John, terrorisé.

Ça lui semblait le bout du monde. C'était le bout du monde. Tout endroit où Sherlock ne se trouvait pas était le bout du monde. Il était sa dernière constante en vie. Il ne pouvait pas le perdre.

— Non, pas forcément. Il peut accepter d'être ton tuteur légal, mais refuser d'assumer ta garde. Dans ce cas, après la famille d'accueil qui est une solution temporaire, tu seras placé en foyer, jusqu'à ta majorité.

— Où ça ?

— Mmm, je crois que le foyer le plus proche est vers Swindon ? Ou Luton, je ne sais plus.

John avait l'air de plus en plus terrorisé à chaque seconde. Il ne savait pas exactement où se trouvaient ces villes. Il savait vaguement que c'était dans le coin, mais à écouter beaucoup d'anglais, Londres aussi était « dans le coin », puisque le train les y menait en une heure, et certains faisaient le trajet quotidiennement. Il ne voulait pas partir. Il ne voulait pas atterrir dans une famille d'accueil qu'il ne connaissait pas, ou dans un centre pour mineurs trop loin d'ici. Il ne pourrait pas le supporter.

Mais il ne pouvait pas pleurer. Il avait quatorze ans. Il n'était plus un bébé qui pleurait à la moindre contrariété. Il avait épuisé son stock de larmes silencieuses quand il avait appris le décès de sa famille et il ne savait plus quoi faire, quoi dire, comment réagir. Il était trop jeune pour ça.

— Est-ce que tu sais si tes parents avaient un contrat obsèques ? Une assurance-vie ? enchaîna l'assistante sociale sans se préoccuper de l'air pâle du garçon devant elle.

— Euh...

John n'en savait rien. Peut-être que oui ? Non ? Sa mère, sans doute. Ce serait cohérent, elle était malade, elle avait pu signer un contrat d'obsèques ou une assurance vie parce qu'elle savait qu'elle allait mourir. Son père, il n'en savait rien du tout. Mais de toute manière, il ne savait même pas exactement ce que ça voulait dire, ces termes. Ça recouvrait quoi, exactement ? Et puis d'abord, pourquoi une assurance-vie ça servait quand on mourrait ?

— On va t'aider à trouver tous ces papiers là pour les transmettre à ton oncle, ton tuteur légal, pour qu'il puisse rapidement prendre les décisions pour les corps de ta famille, poursuivit la femme.

— Décision ? murmura John d'une voix blanche.

— Est-ce que tes parents avaient déjà parlé de s'ils préféraient être enterrés ou incinérés ? explicita l'assistante sociale. Il va falloir organiser les obsèques rapidement, choisir les cercueils, les lieux, tu vois ?

John ne voyait pas. À part qu'il ne se sentait absolument pas légitime pour choisir le bois d'un cercueil, l'église, les chants, la cérémonie, la place au cimetière et le marbre à poser dessus ; pas capable d'envoyer des faire parts de décès, de publier des annonces dans le journal, d'organiser le buffet qui suivait généralement ; pas en mesure de gérer l'héritage, les papiers, les impôts, les rendez-vous chez le notaire, et toutes ces choses qu'il se mettait soudain en tête, faisant danser des termes dont il ignorait le véritable sens dans son esprit : emprunt, taxe, droit de succession, prélèvements, impôts, amortissement, revenus... Il se sentait tellement fébrile que la main qui entourait sa tasse de thé se mit à trembler.

Instinctivement, il la retira précipitamment de la table, et la cacha en dessous, se refusant à exprimer toute sa faiblesse.

Presque aussitôt, la main de Sherlock se posa sur la sienne, sous la table, et entrelaça leurs doigts. Sherlock faisait la même taille que lui, mais il avait des plus grandes mains, et des bosses à certains endroits à force d'écrire des tas de formules chimiques dans son labo, et à d'autres à cause du violon. Sherlock ne touchait jamais beaucoup John, mais il connaissait ces mains par cœur. C'était la sécurité. La maison. La cabane.

Peut-être qu'ils pouvaient le laisser vivre dans la cabane ? Si tout le monde l'oubliait. Il y avait un toit, il prenait à peine l'eau. Il y avait des couvertures. S'il s'y roulait en boule, il pouvait tenir. Il n'embêterait personne, et il ne partirait pas d'ici. C'était peut-être la meilleure solution. Celle qui coûtait le moins cher, en tout cas. Parce que même sans savoir exactement ce qui allait survenir, John devinait que tout allait coûter une somme faramineuse, dont il ne possédait pas le premier sou. Il avait de l'argent de poche, et un compte bancaire depuis quelques semaines à peine, qui n'en méritait pas le nom : le compte où ses parents mettaient de l'argent régulièrement pour lui pour le futur était bloqué, gelé, inaccessible jusqu'à ses dix-huit ans. Le compte auquel il avait accès lui donnait simplement la possibilité de retirer de l'argent, avec un maximum sacrément vite atteint par semaine, ou de payer avec cette même carte et ce même plafond.

— Combien ça va coûter ? Qui va payer ? osa-t-il demander à la femme qui ne l'avait pas encore regardé dans les yeux.

Elle triait ses papiers, utilisait son téléphone, semblait régler des problèmes dont il ignorait tout. John était un problème, pour elle. Un point sur la liste des choses qu'elle avait à régler. On devait sans doute envoyer les assistantes sociales compétentes et humaines s'occuper des gamins, les vrais, ceux qui allaient pleurer et dont il fallait s'occuper. Pour l'ado, on avait envoyé le robot qui remplissait des formulaires et cochait des cases.

Sous la table, les doigts de Sherlock caressaient ceux de John dans un geste d'intimité. C'était la dernière chose qui empêchait John de totalement sombrer, soit de fondre en larmes, soit de s'évanouir, il n'était pas très sûr.

— Justement, lui répondit la femme sur un ton d'évidence, comme si elle expliquait quelque chose à un idiot. Ça dépend du contrat d'obsèques. Tes parents en avaient un ou pas ?

— Bon, ça suffit maintenant !

La voix furieuse de Violet Holmes résonna si fort dans la pièce, alors même qu'elle n'avait pas hurlé, que tout le monde sursauta. L'assistante sociale releva les yeux de son téléphone, Sherlock raffermit sa prise autour des doigts de John, John laissa échapper une larme qui roula le long de sa joue.

Évidemment, Violet était avec eux dans la cuisine depuis le début. John était mineur, il avait eu quatorze ans deux mois plus tôt. Sherlock allait en avoir treize ans dans un mois, juste après Noël. Il était hors de question que le récent orphelin soit interrogé sans la présence d'un adulte, d'après Violet. Et elle avait bien fait d'écouter la conversation, car elle était hors d'elle.

— Vous l'avez regardé, le môme ? Il est terrifié, il est malade ! Il n'en sait rien du tout, de votre fichu contrat d'obsèques ! Ce n'est pas une conversation à tenir hebdomadairement lors du repas dominical enfin ! Comment voulez-vous qu'il sache un truc pareil ? Et mieux, qu'il s'en souvienne dans un moment comme celui-là ! Il a perdu ses parents et sa sœur il y a une semaine, pour l'amour du ciel ! Vous ne pourriez pas lui présenter un peu de compassion ?

Elle avait à peine haussé la voix, mais toute la fureur qui l'animait était parfaitement perceptible. On voyait bien la maîtresse de conférences en elle, qui n'avait pas besoin de hurler pour se faire entendre, et savoir captiver un auditoire.

— Madame, sauf votre respect, vous n'avez pas à parler comme ça. Je dois régler ce dossier, et n'ayant plus aucune famille, je fais ce que je peux pour obtenir le plus de renseignement possible pour traiter rapidement tous les problèmes. Plus vite on pourra enterrer ses parents, régler l'héritage, payer les dettes, plus tôt il pourra envisager son avenir, et s'installer durablement dans sa nouvelle vie.

John eut un hoquet de terreur. D'autres larmes avaient rejoint la première le long de ses joues. C'était tout son corps qui tremblait, pas seulement sa main. Il n'arrivait plus à prononcer un mot, ni même faire une phrase cohérente dans sa tête.

Sherlock glissa sur le banc sur lequel ils étaient assis tous les deux. Violet était sur leur droite, en bout de table, et l'assistante sociale en face d'eux, à la place habituellement occupée par Mycroft. John avait déjeuné ou dîné ou petit-déjeuné dans cette cuisine plus souvent qu'il ne pouvait le dire, et le banc, c'était leur place, à Sherlock et lui.

Mais c'était la première fois qu'ils étaient si près, l'intégralité du flanc gauche de John pressé contre la silhouette de son meilleur ami.

— Ça suffit, répéta Violet. Il n'est pas un dossier. C'est un orphelin terrorisé.

— Je vais l'accompagner dans sa famille d'accueil, insista la femme. Ça ira mieux quand il aura pris de la distance.

— Hors de question. Je ne vous laisserai pas l'emmener, s'opposa Violet. John, mon chéri, est-ce que tu veux rester ici ?

Les parents Holmes n'avaient toujours été que gentils et bienveillants et généreux envers John. Il l'avait toujours traité comme le troisième fils de leur famille, sans faire de réelle distinction entre Mycroft et Sherlock, et lui.

— Oui, oui, bégaya John en hochant furieusement la tête, incertain de s'il parvenait réellement à prononcer les mots à voix haute, ou si c'était seulement dans sa tête.

La colère qui semblait animer Violet avait totalement disparu alors qu'elle était tournée vers John, le regardant avec un air affectueux, presque maternel, et pourtant pas exactement, car elle avait toujours fait de son mieux pour ne pas remplacer la mère de John, et voulait encore moins le faire aujourd'hui.

— Alors c'est décidé, il reste ici, reprit Violet en retrouvant son ton glacial en regardant l'assistante sociale.

— Impossible. Il doit aller en famille d'accueil, répliqua celle-ci.

— Eh bien considérez nous comme sa famille d'accueil. Violet et Sieger Holmes. Violet avec un seul T à la fin, Holmes comme ça se prononce, H-O-L-M-E-S, et Sieger, avec un e après le i, c'est allemand : S-I-E-G-E-R.

John avait toujours envie de pleurer, mais de reconnaissance désormais. Le toit que lui offrait Violet, c'était autre chose qu'envisager de dormir pour le reste de ses jours dans la cabane. C'était un foyer. C'était la chaleur qu'irradiait le flanc de Sherlock contre le sien qui ne le quitterait jamais.

— Impossible. Les familles d'accueil doivent être agréées, c'est un processus long et complexe, pour s'assure qu'elles sont aptes à accueillir des enfants en situation précaire et...

Le bref éclat de rire de Violet interrompit son monologue.

— Apte à l'accueillir ? Il a une chambre ici ! Et une brosse à dents dans la salle de bains, et probablement des chaussettes sales dans le panier de linge, tout comme mon fils a des vêtements sales chez John ! Il a passé plus de nuits ici que je ne suis capable de le compter durant les huit dernières années ! S'il n'est pas en sécurité ici, je ne sais pas où il peut l'être !

John aurait pu embrasser Violet en cet instant précis, et posait sur elle un regard embué d'émotions. S'il pouvait rester ici, juste encore un peu, quelques semaines, le temps qu'il... qu'il ne savait pas quoi, mais qu'il cesse d'encombrer les gens. Il pouvait peut-être se débrouiller tout seul. Il n'était pas un bébé, plus un enfant. Pas encore un adulte. Juste entre les deux, un môme idiot. Peut-être qu'on pouvait l'émanciper ? À partir de quel âge on pouvait faire ça ?

— C'est impossible, grinça l'assistante sociale. Je ne doute pas de votre capacité à prendre soin de l'ami de votre fils de manière temporaire, mais voyez-vous, on ne parle pas d'une pyjama party pendant quelques jours, mais d'une solution durable pour permettre à un orphelin de poursuivre sa vie en toute tranquillité et sécurité.

Sherlock avait l'air si outré qu'on puisse sous-entendre qu'il existait un endroit où John serait plus en sécurité qu'avec lui à Musgrave qu'il aurait probablement hurlé, si Violet n'avait pas repris le déroulé de la conversation.

Elle semblait presque aussi furieuse que son fils qu'on insinue qu'elle était celle qui ne réalisait pas que la situation de John était tragique et qu'elle ne mesurait pas les implications de ce qu'elle disait ; alors que la femme censée représenter le refuge de John n'avait même pas daigné le regarder réellement ou lui présenter ses condoléances. Elle l'avait rudoyé, et il ne tenait sans doute pas debout, s'il avait essayé de se relever. D'ailleurs, il ne devait tenir assis que parce que Sherlock était si appuyé contre lui qu'il devait lui servir de tuteur.

— Je mesure PLEINEMENT le besoin de mettre en sécurité ce jeune garçon, et de ce que ma maison et ma famille est en mesure de lui fournir. Vous voulez lui offrir de la tranquillité ? Ce n'est assurément pas en l'arrachant au peu qui lui reste que vous allez y arriver. Vous voulez qu'il ait un avenir ? C'est un garçon brillant qui veut devenir médecin, vous allez pouvoir lui garantir, ça, en tant que pupille de l'État ? Si vous le ballotez de foyer en famille d'accueil ?

Le ton glacial de Violet Holmes exprimait une fureur sourde, sans même qu'elle ait besoin de hausser le ton, et c'était presque plus terrifiant que tout le reste.

— Je maintiens que vous ne pouvez pas devenir sa famille d'accueil, répliqua la femme avec humeur, à deux doigts de crier. Il part avec moi ce soir, ce n'est pas négociable !

— Alors on l'adopte, trancha Violet Holmes dans le plus grand des calmes. Vous ne m'enlèverez pas le meilleur ami de mon fils. Nous adoptons John, et il reste ici.


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